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La compétence interactionnelle: un instrument de développement pour penser la formation des adultes

FILLIETTAZ, Laurent

FILLIETTAZ, Laurent. La compétence interactionnelle: un instrument de développement pour penser la formation des adultes. Education permanente , 2019, no. 220/221, p. 185-194

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:125270

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Les mutations actuelles et à venir des environnementsde travail impactent les champs de pratique de la formation des adultes, en particulier les conditions dans lesquelles formateurs et apprenants sont amenés à se rencontrer. Cependant, ces mutations pourraient bien laisser intactes les questions de fond qui structurent la discipline et sous-tendent son déploiement : comment les adultes apprennent-ils à travailler ? Comment les accompagner afin qu’ils continuent de se développer avant, pendant et après leur engagement dans des environnements professionnels ? Si les contextes et les pratiques évoluent, les prémisses sur lesquels ils sont fondés demeurent stables ; c’est la position que nous souhaitons illustrer ici.

Dans un contexte caractérisé par le renforcement des interdépendances, la part croissante du recours au langage dans l’effectuation du travail et le renforce- ment des activités de services, les adultes font face à des exigences accrues en matière de conduite des interactions verbales et non verbales avec des « usagers ».

Ces exigences ne laissent pas intact le champ de la formation. Elles questionnent de manière profonde les méthodes par lesquelles les individus apprennent à faire face à ces situations. Dans les paragraphes qui suivent, nous thématisons quelques- unes de ces mutations et leurs effets sur les apprentissages et la formation. Nous proposons de définir le concept de « compétence interactionnelle » pour cerner les exigences pratiques auxquelles les individus font face lorsqu’ils doivent ajuster leur engagement dans l’action à celui d’autres individus. Au moyen de quelques exemples récents, nous montrons ensuite comment ces compétences interaction- nelles peuvent être développées dans le cadre de pratiques de formation, et les effets que peuvent produire de telles pratiques de formation lorsqu’elles sont fondées sur les principes d’une analyse interactionnelle.

LAURENT FILLIETTAZ, professeur à l’université de Genève, directeur de l’équipe de recherche

« Interaction et formation » (laurent.filliettaz@unige.ch), LAURENT FILLIETTAZ

La compétence interactionnelle :

un instrument de développement

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Travailler demain dans une économie de services

Dans les champs de la sociologie et de la linguistique du travail, d’abondants travaux empiriques soulignent l’importance croissante des métiers de services dans le contexte de la « nouvelle économie » et d’une société dite de l’information et de la connaissance (Borzeix et Fraenkel, 2001 ; Boutet, 2008 ; Lacoste, 2001). Ces travaux relèvent que « le service devient, devrait devenir, en rupture avec la culture industrielle du débit et du rendement, le référentiel central de la définition des situa- tions et de l’exercice de la compétence » (Zarifian, 2001). Les évolutions repérées exercent différents effets sur les conditions dans lesquelles les travailleuses et les travailleurs conduisent leur activité. Elles renforcent l’augmentation de la « densité langagière » du travail (Borzeix, 2001) et conduisent à des exigences accrues en matière de compétences langagières du « lire-écrire-communiquer » (Boutet, 2001a). Mais surtout, elles érigent la figure de « l’usager », du destinataire du service, comme un ingrédient incontournable du travail. Selon Joseph (1995), la figure de l’usager exerce des contraintes nouvelles à l’égard des travailleurs. En particulier, elle « implique que l’agent soit capable, alors même qu’il résout le problème, de faire que ses opérations soient déchiffrables par l’usager, et parfois, de s’en expliquer lui-même comme un expert devant un novice ». Selon Boutet (2001b), ces communications inégales produisent de nouvelles formes de domina- tion à l’égard des travailleurs, spécifiquement linguistiques : « La centration sur l’usager, les droits qui lui sont reconnus, ont fait basculer les termes de l’échange : c’est largement le salarié qui est désormais en position d’être linguistiquement dominé et qui doit gérer difficultés ou conflits. »

La didactique professionnelle n’a pas manqué de s’intéresser aux professions dites des « services », et plus généralement à « l’analyse d’activités qui s’accom- plissent avec d’autres humains » (Pastré et al.,2006). Ce faisant, elle interroge avec une acuité croissante les conditions de transposition de son appareillage théo- rique et conceptuel au-delà des métiers industriels et agricoles qui ont servi, à l’ori- gine, à son élaboration. Selon Pastré et al.(2006), les activités de services présen- tent souvent une complexité accrue par rapport aux activités productives obser- vables en contexte industriel : a)elles requièrent un haut degré de conceptualisa- tion ; b)elles présentent une grande diversité et une variabilité interne ; c)l’accès au résultat de l’action n’est souvent pas direct ni accessible ; d)les effets produits ne dépendent pas toujours du seul agent ; e) les activités diagnostiques y sont omniprésentes et portent sur des dimensions différentes du travail ; f) elles confè- rent à la fois une grande autonomie à l’action et l’obligation de respecter des procédures explicites ; g) elles génèrent souvent de la souffrance auprès des travailleurs, liée notamment à l’impossibilité de répondre aux demandes.

Dans son ouvrage de synthèse, Pastré (2011) relève également que la prise en compte des activités de services a conduit à un intérêt accru de la didactique profes-

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sionnelle pour le langage et les médiations symboliques : « Dans les activités de services au sens large, l’essentiel de l’action est d’ordre langagier. Plus exactement, on a affaire à une coactivité de nature dialogale, dans laquelle un professionnel interagit avec un ou plusieurs interlocuteurs. » Pastré reconnaît trois traits spéci- fiques aux activités de services : a)elles relèvent d’une coactivité et requièrent de repenser la « situation » comme une catégorie englobante qui intègre au minimum deux interlocuteurs ; b)elles présentent un caractère dynamique et évoluent indé- pendamment de l’action de l’interlocuteur sur lequel on focalise l’analyse ; c)elles présentent un caractère « discrétionnaire », au sens où elles produisent une obliga- tion de résultats sans certitude des moyens permettant de les réaliser.

L’apprentissage des activités de services présente des particularités qui, elles- aussi, méritent d’être soulignées. Les modes d’action experts sur lesquels se fondent ces activités sont à considérer à certains égards comme « contre-spontanés » (Pastré et al., 2006), dès lors qu’ils reproduisent souvent, tout en les transformant, des pratiques ordinaires de la communication et de l’interaction. Dans ce contexte, apprendre à interagir de manière professionnelle implique de prendre ses distances avec des manières de faire ordinaires. C’est là un trait particulièrement important des compétences interactionnelles lorsqu’elles sont amenées à s’exprimer en situa- tion de travail.

Reconnaître et définir la compétence interactionnelle

Les recherches récentes dans le champ des sciences du langage amènent à considérer que la participation à des rencontres sociales requiert de la part des participants à l’interaction une capacité à se coordonner pour conduire de manière ordonnée leur engagement dans l’action. Cette idée renvoie à l’hypothèse de l’existence d’une « compétence interactionnelle ».

Le concept a fait récemment son apparition dans le champ de la linguistique appliquée, en se basant notamment sur les principes de l’analyse conversationnelle d’orientation ethnométhodologique (Mondada, 2006 ; Pekarek Doehler, 2005, 2006 ; Pekarek Doehler et al.,2017). Ce concept émane d’une discussion critique de la compétence en langue, telle qu’elle est fréquemment véhiculée dans une tradition grammaticale ou communicationnelle. Young et Miller (2004) définissent ainsi la compétence interactionnelle comme « l’ensemble des savoirs et des savoir- faire que déploient les participants à l’interaction pour configurer collectivement les ressources permettant de s’engager dans des pratiques sociales ». Ces savoir- faire comprennent notamment la manière dont les participants organisent collecti- vement les activités, délimitent des étapes de leur déroulement, gèrent l’organisa- tion des tours de parole, orientent leur attention, introduisent de nouveaux topics, construisent des rôles, choisissent des registres de formulation spécifiques, etc.

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Une telle approche présente le mérite de ne pas marquer de frontière stricte entre des « composantes » ou des « niveaux » de la compétence de communica- tion, mais inscrit d’emblée la problématique de la compétence dans une concep- tion actionnelle des langues et de leur usage. Ainsi, la compétence interactionnelle est reconnue comme présentant un caractère hautement situé, dynamique et collectif. Elle est ancrée dans les contingences locales de l’action, et ainsi, définie et évaluée dans les circonstances dans lesquelles elle est mise en œuvre. De ce point de vue, elle constitue ce qui caractérise la pleine appartenance à des groupes sociaux (Mondada, 2006).

Au cours de son histoire, la notion de compétence interactionnelle a été appli- quée à un éventail diversifié de situations éducatives, y compris pour étudier les processus de formation professionnelle, et plus généralement les parcours de tran- sition entre l’enseignement scolaire et le monde du travail (Pekarek Doehler et al., 2017). Nguyen (2006, 2017) montre par exemple, à travers une étude longitudinale conduite dans le champ de la formation des vendeurs en pharmacie, comment, progressivement, se transforment des formats d’interactions clients/pharmaciens et s’acquièrent des compétences interactionnelles. Dans le cadre d’une analyse des pratiques de formation à la pose de voies veineuses, Melander (2017) montre égale- ment comment les participants à la formation s’orientent vers des valeurs morales de la profession infirmière, et comment des compétences interactionnelles permet- tant d’entrer en relation avec les patients sont mises en œuvre dans les interactions.

Sur le plan théorique, le concept de compétence interactionnelle véhicule différentes caractéristiques. En premier lieu, il est profondément « situé » et consti- tutif des activités dans lesquelles il est observable. Cela revient à reconnaître que

« l’évaluation de la compétence a lieu de manière routinière et imbriquée au fil des activités elles-mêmes, de manière contingente aux tâches interactionnelles au sein de séquences qui accomplissent l’interaction » (Mondada, 2006). Deuxièmement, la compétence interactionnelle comporte une dimension langagière, « non pas parce que toute compétence serait d’ordre langagier, mais parce que toute pratique sociale [et donc toute mise en œuvre de compétences] mobilise une dimension communicationnelle, langagière, voire multimodale ou sémiotique » (Mondada et Pekarek, 2006). Troisièmement, la compétence interactionnelle présente par nature un caractère collectif et distribué. Elle n’est pas repérable ni évaluable à l’aune d’un individu pris isolément, mais s’exprime dans et par les relations d’inter- dépendance que les individus entretiennent au moment où ils sont amenés à se coordonner pour agir conjointement. C’est donc aussi dans cette dynamique collective des interactions que la compétence peut être non seulement mise en œuvre mais également développée et acquise.

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Développer la compétence interactionnelle par la formation des adultes

Au cours des deux dernières années, l’équipe de recherche « Interaction et formation » de l’université de Genève a été engagée dans plusieurs projets d’inter- vention et de formation continue en contexte institutionnel, visant à accompagner des collectifs de travailleurs dans le repérage et le développement de leurs compé- tences interactionnelles. Fondée sur les principes d’une analyse interactionnelle en formation des adultes (Filliettaz, 2014a ; Filliettaz et Zogmal, 2019), cette démarche peut être exposée comme suit.

Au sein d’un collectif d’acteurs en formation, chaque participant effectue un enregistrement audio-vidéo d’une situation d’interaction de référence permettant de documenter un problème pratique auquel il se trouve confronté dans le quoti- dien de son travail. Après un travail d’observation individuelle et de transcription d’un extrait de cet enregistrement, il soumet ces données à une analyse collective, qui prend place selon les étapes suivantes. Chaque participant présente sa séquence d’interaction en apportant quelques informations sur le contexte et sur l’activité générale dans lesquels s’inscrit cette séquence. Il distribue les documents qui illus- trent les phases de son analyse individuelle. La séquence est ensuite projetée, plusieurs fois, sans interruption. Les participants la visionnent et étudient les docu- ments joints. Dans la phase suivante, la séquence est projetée à nouveau ; cette fois, elle est interrompue aussi souvent qu’un participant souhaite faire une remarque. Les observations et les discussions, reposant sur la description à grain fin des phénomènes observables, permettent de dépasser les aspects subjectifs de l’analyse individuelle au profit d’une description collective des ressources mises en œuvre dans les situations filmées.

Le dispositif de formation au développement des compétences interaction- nelles est fondé sur des principes de conception en cohérence avec une perspective interactionnelle en analyse du travail (Filliettaz, 2014a, 2018). Il est basé sur le postulat de continuités fortes entre la recherche, le travail et la formation, et repose sur un partenariat intégré entre des équipes de recherche, des démarches de forma- tion et des demandes institutionnelles émanant des collectifs de travail. Ce dispo- sitif exige une implication active de la part des participants, qui s’engagent, par la formulation d’un questionnement, la production d’un enregistrement, la sélection d’une séquence et sa transcription, à fournir au collectif le matériau empirique sur lequel se fondent les démarches d’analyse collective. Le dispositif postule égale- ment une possible didactisation d’une posture analytique propre à l’analyse des interactions. Il considère que les participants peuvent apprendre à observer les processus interactionnels comme des accomplissements situés et comme des constructions intersubjectives, liées aux enjeux de la coordination dans l’action.

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Enfin, le dispositif considère que les dynamiques collectives et les interactions des participants à la formation peuvent constituer des ressources pour l’apprentissage d’une telle posture d’analyse.

Au cours des années passées, de tels dispositifs de formation ont été déployés dans différents contextes institutionnels, dans le but, par exemple, de former des formateurs à la pratique professionnelle (Filliettaz, 2012, 2014b), d’accompagner des équipes éducatives à l’accompagnement de stagiaires (Durand et Trébert, 2018 ; Trébert et Durand, 2019), ou encore de créer des dynamiques collectives autour des démarches d’analyse du travail dans le champ de l’éducation de l’enfance (Zogmal et Durand, 2019). La question des effets formatifs de tels dispositifs demeure complexe, mais on pourra relever ici deux registres de phénomènes pour lesquels les dynamiques d’analyse de l’interaction semblent apporter des trans- formations observables : le registre de la conceptualisation de l’action et celui de l’interprétation des comportements observables.

Le registre de la conceptualisation de l’action

Un premier effet observable des dispositifs de formation au développement de la compétence interactionnelle réside dans la capacité des participants à produire des conceptualisations de leurs actions et de porter leur attention sur la part interactionnelle de leur travail.

L’analyse des échanges verbaux engagés durant les formations indique par exemple que les participants abordent l’analyse des données filmiques avec une sensibilité particulière à l’égard des phénomènes interactionnels (Filliettaz et Trébert, 2016 ; Filliettaz et al.,2019). Ils reconnaissent que le travail en direction des usagers s’accomplit à travers la mobilisation d’une grande palette de ressources interactionnelles, et évoquent à ce propos l’importance du regard et des gestes symboliques. Ils prêtent également attention à la question de la « présence » et des positions corporelles dans l’environnement. Ainsi donc, « tout ne passe pas par le verbal ». Sans pour autant la catégoriser comme telle, les participants con- voquent dans leur discours une conception multimodale de l’interaction, dans laquelle s’agrègent et se combinent différentes ressources de signification. Si le langage n’est pas nécessairement dominant dans les pratiques analysées, il n’est pas absent pour autant. En effet, les professionnels s’orientent aussi fréquemment vers la dimension « verbale » de l’interaction. Ils prêtent à cette dimension verbale la faculté de clarifier les implicites et de porter des interprétations sur des compor- tements non-verbaux des usagers. Les comportements verbaux revêtent ainsi une dimension proprement métalangagière. Les participants reconnaissent également la valeur illocutoire qui peut être associée à ces verbalisations. La directivité peut- être plus ou moins affirmée ou atténuée ; des actes de félicitation ponctuent égale- ment les activités observées. Ces verbalisations ne s’accomplissent pas en dehors

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de la prosodie ; la voix et les intonations sont reconnues comme des composantes essentielles de l’activité, permettant de moduler la directivité et d’instaurer un climat émotionnel dans les activités réalisées.

L’analyse des données issues de la formation montre également que les parti- cipants aux démarches de coanalyse des films et des transcriptions mettent en visi- bilité les ingrédients des situations vers lesquels ils orientent leur attention. Par exemple, s’agissant de la formation professionnelle dans le champ de l’éducation de l’enfance, les catégories d’analyse employées par les référentes profession- nelles au cours de leur formation indiquent que l’activité tutorale est régie par trois préoccupations : a)les modalités d’engagement des stagiaires dans les activités placées sous leur responsabilité ; b)le degré d’implication des référentes dans les activités auxquelles elles participent ; c) les formes de visibilité des ressources portées à l’attention des stagiaires. Ces objets de préoccupation semblent sous- tendues par des logiques en tension, et amènent les référentes professionnelles à effectuer en permanence des choix, qu’elles rendent visibles à travers la manière dont elles s’engagent dans les interactions.

Le registre de l’interprétation des comportements observables

Un deuxième effet notable des dispositifs de formation au développement de la compétence interactionnelle réside dans la capacité des participants à élaborer des formes interprétées des comportements observables sur les enregistrements produits et les transcriptions auxquelles ils donnent lieu.

Dans les données issues de la formation, il apparaît que les participants mettent en œuvre des catégories analytiques en vue de construire une posture diagnostique à propos des situations observées. Dans le cas de la formation des tuteurs dans le champ de la petite enfance (Filliettaz et Trébert, 2016 ; Filliettaz et al., 2019), il semble que les référentes professionnelles sont à même de porter un jugement sur le degré d’« aisance » ou de « malaise » des stagiaires. Par ailleurs, elles semblent en mesure de qualifier la qualité de l’accompagnement proposé par les référentes, selon son adéquation aux enjeux à la fois formatifs et éducatifs qui sous-tendent les situations observées. Pour fonder ces éléments appréciatifs, les référentes recourent à des catégories analytiques portant sur des ingrédients de l’interaction et des indices observables dans les conduites accomplies. Par exemple, l’inconfort ou le désengagement de la stagiaire se manifestent par l’orien- tation de son regard et son faible degré d’interaction avec les enfants et la référente.

Les travaux conduits par Durand et Trébert (2018) indiquent également que le regard analytique des participants à la formation se déplace progressivement au fil des séances de travail et des expériences de coanalyse. Les analyses produites lors des premières séances sont empreintes d’éléments renvoyant à des jugements

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et à des évaluations portés sur l'activité de l’éducateur observé, et parfois même à des jugements portés par un éducateur sur sa propre activité. Au fil des séances, des éléments à portée descriptive, plus neutre, viennent cependant étayer les analyses construites par le collectif. Les participants ne manquent pas d’en prendre conscience. La posture descriptive se révèle ainsi être un outil particulièrement pertinent pour l’analyse collective, dans la mesure où elle permet aux participants d’adosser leurs remarques sur l’activité d’autrui à des phénomènes observables par l’ensemble des participants, plutôt qu’à des commentaires renvoyant au regard subjectif des analystes.

Dans ce processus de remobilisation d’un rapport descriptif aux données, la référence aux détails de la transcription semble jouer un rôle structurant de média- tion (Trébert et Durand, 2019). Combinée à un visionnement réitéré des films, l’observation collective de la transcription opère fréquemment une transformation du regard sur l’activité, passant parfois d’un jugement de valeur sur le registre du manque à la reconnaissance des ressources mises en œuvre par les professionnels dans le réel de leur activité. Ainsi une éducatrice conclut-elle son expérience d’analyse d’un extrait de son activité en observant qu’elle a appris à voir « tout ce qu’elle fait » plutôt que « tout ce qu’elle ne fait pas » (Zogmal et Durand, 2019).

Le détour par l’observation fine des comportements observables accomplis dans le quotidien du travail ne constitue sans doute pas toujours, en tant que telle, une expérience apprenante. Mais elle y contribue en permettant aux adultes d’échanger à propos des problèmes pratiques qu’ils rencontrent dans le quotidien de leur travail et en identifiant les compétences interactionnelles qu’ils mettent en œuvre pour y faire face. C’est là aussi que résident les promesses de la formation pour relever les défis de demain. u

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