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Academic year: 2022

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Les oubliées du numérique

COLLET, Isabelle

Abstract

Le partage du pouvoir numérique s'amorce… espérons qu'il touche les femmes et hommes de tous milieux sociaux: telle est la prochaine ligne de la fracture numérique.

COLLET, Isabelle. Les oubliées du numérique. HuffPost, 2019

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:135873

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Les oubliées du numérique

Le partage du pouvoir numérique s’amorce… espérons qu’il touche les femmes et hommes de tous milieux sociaux: telle est la prochaine ligne de la fracture numérique.

Par

Isabelle Collet

Professeure en sciences de l’éducation à l’université de Genève, spécialiste de l’inclusion des femmes dans le numérique

Le HuffPost 5/11/2019 07:00 CET | Actualisé novembre 25, 2019

En 1955, IBM France s'apprête à construire des machines destinées au traitement de l'information, appelée aux États-Unis "Electronic Data Processing System". François Girard, responsable du service publicité, cherche une traduction. Il décide de consulter Jacques Perret, son ancien professeur de philologie latine à la Sorbonne. Le 16 avril, Jacques Perret lui répond :

« Que diriez-vous d'"ordinateur" ? C'est un mot correctement formé, qui se trouve même dans le Littré comme adjectif désignant Dieu qui met de l'ordre dans le monde ».

Cette définition peut être un point de départ pour expliquer pourquoi si peu de femmes sont informaticiennes. Aujourd’hui, les informaticiens conçoivent et paramètrent un monde numérique qui se superpose au monde réel quasiment à chaque instant, depuis l’arrivée des smartphones. En travaillant dans l’informatique, on peut avoir l’impression non seulement de maîtriser les règles du monde moderne, mais surtout, d’avoir le pouvoir de les édicter.

Les femmes ne veulent-elles pas programmer la machine qui à l’instar de Dieu met de l’ordre dans le monde ? Certes, aucune rationalité biologique ne l’en empêche. Il faut néanmoins garder à l’esprit que lorsqu’on grandit dans un univers où les responsables politiques et religieux, les personnes en charge du maintien de l’ordre, les scientifiques, les artistes les plus renommés, les juges aux assises, les éditorialistes de la grande presse, les capitaines de l’industrie et les athlètes les plus médiatisés n’appartiennent pas à votre sexe, où la figure même de la toute-puissance, de Dieu au Père noël, est masculine, il est difficile d’imaginer qu’on est légitime à réclamer un pouvoir sur le monde. Les fantasmes de pouvoir font davantage partie de la socialisation des hommes que de celle des femmes. Si celles-ci ont en charge de la transmission des règles de la société (en particulier au moment de l’éducation des enfants), elles ne sont pas supposées les écrire.

Pourtant l’informatique a ses pionnières. Ada Lovelace est aujourd’hui bien connue : elle est la première personne à avoir écrit un programme informatique. Ada est la fille de Lord Byron, mais ne connaîtra jamais son père. Poursuivi pour ses mœurs scandaleuses, ses idées politiques et ses créances impayées, Byron quitte l’Angleterre juste après sa naissance et n’y rentrera jamais. Annabella, sa mère, elle-même mathématicienne, s’emploie à élever Ada dans la vertu.

Ada doit devenir mathématicienne pour se garder à distance de la poésie romantique, responsable des mauvais penchants de son père. À partir de 1833, Ada collabore avec Charles Babbage, mathématicien et ingénieur qui travaille sur une machine à calculer mécanique. En 1843, elle publie un texte dans lequel elle invente les notions de variables et de boucle en

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programmation. Mais la machine de Babbage ne fonctionnera jamais et le programme d’Ada ne sera pas testé.

Ada Lovelace n’a jamais été totalement oubliée du monde de l’informatique puisqu’un langage de programmation a été nommé ADA en son honneur en 1977. Mais elle n’est sortie de la confidentialité que depuis quelques années… Sa notoriété nouvelle donne parfois le sentiment qu’elle est l’exception qui confirme la règle, comme dans le cas de Marie Curie en physique.

Bien malgré elles, leur médiatisation renvoie aux filles l’idée qu’il n’y a de place en science que pour une seule femme hors du commun : tu seras Ada Lovelace ou rien. En réalité, la découverte d’Ada Lovelace marque le début d’une ère informatique où les femmes sont très présentes dans la programmation… parce que cette activité est jugée sans valeur. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les ENIAC Six (Kathleen Antonelli, Jean Bartik, Betty Holberton, Marlyn Meltzer, Frances Spence et Ruth Teitelbaum) sont six mathématiciennes qui programment un des premiers ordinateurs… alors qu’il n’existe encore aucun langage de programmation. Juste après-guerre, les travaux de Grace Hopper permettent des avancées décisives dans ce qu’on appellera plus tard le génie logiciel. En ces temps, le matériel vaut plus cher que le logiciel, les hommes s’octroient le Hardware en laissant le Software à des mathématiciennes sous-payées. Les termes Hard et Soft traduisaient littéralement le fait que les métiers étaient genrés. Margareth Hamilton, avec son logiciel ultra-fiable capable de suppléer aux erreurs humaines permet l’alunissage de 1969. Elle est la première à porter le titre

« d’ingénieur logiciel » : la programmation devient une discipline scientifique à part entière.

Aujourd’hui, le code a pris de la valeur et les descendantes de ces pionnières sont devenues peu nombreuses. En prenant de l’importance dans le monde social, le métier de numérique se sont professionnalisés, de nouvelles filières d’études se sont ouvertes et elles ont attiré de plus en plus d’hommes. Lorsque dans les années 70-80, l’informatique était encore une discipline mal connue à l’avenir incertain, les femmes y étaient bien plus nombreuses, de l’ordre de 30 à 40%.

Avec 15% de femmes dans la Tech en France aujourd’hui, 12% de femmes en écoles d’ingénieur en informatique, le numérique est de fait un monde masculin.

Pourtant, la mixité dans le numérique est un enjeu évident. Minimalement il s’agit de justice sociale : il est anormal d’exclure la moitié de la population de savoirs aussi déterminants pour évoluer dans la société. Ensuite, il est absurde de se priver de la moitié des talents sur la base de préjugés ou dans une tentative protectionniste de garder le pouvoir dans un entre-soi. Enfin, un monde numérique imaginé, développé, maintenu, et paramétré par des hommes blancs de milieu socioprofessionnel favorisé n’a pas la capacité d’être au service de la totalité de la population. Par exemple, il a fallu des années pour que les applications « santé » prennent en compte un phénomène qui touche pourtant un possesseur de téléphone sur deux : les cycles menstruels.

Le développement de l’Intelligence artificielle fait ressortir ces biais, car l’IA est un formidable analyseur et amplificateur de nos représentations. Si les GPS comprennent moins bien les voix de femmes que les voix d’hommes, c’est parce que les voix des femmes sont moins utilisées que celles des hommes pour entrainer les algorithmes de reconnaissance vocale. La reconnaissance faciale fonctionne moins bien avec des visages asiatiques ou noirs, en particulier parce que la plupart des développeurs sont blancs. Plus dramatique : l’IA qui simule les

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accidents de voiture n’est pas optimisée pour les conducteurs de petite taille ou de faible corpulence.

Depuis deux ans, une foule d’initiatives pour augmenter la part des femmes dans la Tech ont vu le jour, depuis la création d’une fondation femmes@numérique jusqu’aux initiatives portées par les associations locales et nationales. Des institutions se transforment en profondeur. Là où la non-mixité était impensable, où les quotas semblaient contre-productifs, ils deviennent un levier du changement. Pour la première fois, depuis 20 ans, les chiffres bougent dans le bon sens. Les incitations à la mixité n’ont jamais été aussi nombreuses et il devient impossible de toutes les citer. Le partage du pouvoir numérique s’amorce… espérons qu’il touche les femmes et hommes de tous milieux sociaux : tel est la prochaine ligne de la fracture numérique.

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