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Tribune 189
Juillet
Juillet | | Août 2016Août 2016
L
a déontologie du fonctionnaire a quelque chose à voir avec un savoir- être dans l’administration. Le législateur a dû estimer que la conscience professionnelle s’étiolait ou se renouvelait dans la mesure où il a jugé bon de préciser dès l’article 1 er de la loi du 20 avril 2016 qu’un fonctionnaire doit exercer ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité, et qu’il est tenu à l’obligation de neutralité et au respect du principe de laïcité.Ces obligations étaient-elles oubliées au point que le législateur a souhaité inciter administrations et juge administratif à les rappeler pour mieux les sanc- tionner ? Chacune d’elles a pourtant donné lieu à des solutions jurispruden- tielles constantes. On peut douter que la nouvelle valeur législative de ces principes modifi e leur portée.
Mais peut-être le législateur a-t-il voulu parfaire ce que l’on pourrait nom- mer le « droit public de la méfi ance » en faisant du statut général des fonc- tionnaires un vecteur supplémentaire d’une communication destinée aux citoyens. Cela dit, le devoir de réserve n’a pas été enchâssé dans la loi. L’usage extensif de cette notion que pourraient en faire certains pouvoirs exécutifs a fait craindre une restriction excessive de la liberté d’opinion et d’expression des fonctionnaires. Cette consécration aurait aussi été paradoxale au moment où la loi du 20 avril demande au fonctionnaire de faire preuve le cas échéant de jugement critique, de dénoncer des actes répréhensibles ou des situations délicates, tels des confl its d’intérêts préjudiciables au service public. Le juge administratif continuera donc d’apprécier au cas par cas la portée des man- quements à leur devoir de réserve par les agents publics.
La prévention des confl its d’intérêts inscrite à l’article 2 de la loi est précisé- ment placée dans la même séquence. Elle a cependant des caractères sup- plémentaires. Elle fait fi gure d’une « extension du domaine du soupçon ». Un confl it d’intérêts interdit serait celui qui placerait l’agent public en situation d’agir dans le but d’avantager une autre personne, physique ou morale, ou de s’avantager lui-même. Il proscrit le fait de détenir un intérêt personnel de nature à faire prendre une décision au mépris de son impartialité et de son objectivité. Il ne faut pas imaginer que ces confl its d’intérêts constituent l’anti- chambre de la corruption au sens du code pénal. Ils se situent plutôt en amont des risques de compromission. Or il faut bien avouer que jusqu’à présent, dans la fonction publique, on s’est peu interrogé sur la confusion des intérêts qui emporte une décision publique ou sur le « favoritisme » et la « connivence » qui motivent certains choix de recrutement, de promotion, d’aff ectation, etc.
Des sanctions étaient jusqu’à maintenant prévues pour condamner les col- lusions les plus pathologiques : prise illégale d’intérêts, corruption, etc. Une prévention est aujourd’hui envisagée. La loi d’avril 2016 doit permettre d’ex- caver la conscience des liens d’intérêts du tabou social dans laquelle elle est enfouie. Y parviendra-t-elle ? Rien n’est moins sûr. La conscience des confl its d’intérêts doit pénétrer l’esprit de fonction publique afi n que sa prévention soit un tant soit peu effi cace. Il faut faire de manière à ce que le confl it d’inté- rêts soit un questionnement constant et global, que se pose tout agent public.
Le régime de prévention des confl its d’intérêts ne peut donc prétendre à suf- fi samment d’eff ectivité que s’il s’inscrit dans une transformation de la culture administrative ; une culture portée à l’autorégulation à partir de standards de comportement qui ne sont pas seulement juridiques.
Cette nouvelle confi guration mentale exige une formation initiale et continue des agents publics pour assurer l’eff ectivité des régimes de prévention des confl its d’intérêts prohibés. Or cette formation butte sur les coupes claires opé- rées dans les budgets publics. Au surplus, lorsqu’elle subsiste, elle a un contenu trop souvent techniciste alors qu’elle devrait être une formation culturelle.
par Antony TaillefaitTaillefait
Professeur de droit public à la faculté de droit d’Angers