Appel de contributions
Vol. 24, no 2 (Automne 2011)
Dossier : La prévention précoce en question
Responsables : Michel Parazelli, Sylvie Lévesque et Carol Gélinas
Cet appel de contributions est lancé à la suite de quatre soirées dʼéchanges et de débats sur la prévention précoce tenues en octobre 2010 à Montréal, Sherbrooke et Longueuil. Ont participé à ces échanges et débats des représentants du collectif Pas de 0 de conduite pour les enfants de 3 ans!, des chercheures et chercheurs québécois ainsi que des praticiennes et praticiens des milieux communautaires, scolaires et du secteur de la santé et des services sociaux. Si cet appel de contributions sʼadresse en premier lieu aux conférenciers associés à ces soirées, nous proposons dʼélargir celui-ci à dʼautres auteurs du Québec, de France et dʼailleurs qui ont développé des points de vue critiques sur la prévention précoce des problèmes de comportement et de la violence chez les enfants et les jeunes.
Depuis lʼimplantation québécoise du Programme de soutien aux jeunes parents (PSJP) en 2000, devenu par la suite le Programme de services intégrés en périnatalité et petite enfance (PSIPPE), et plus récemment, en 2009, la Loi instituant le fonds pour le développement de lʼenfant, soit un partenariat public-privé (PPP) avec la Fondation Lucie et André Chagnon, sans parler de lʼaccent mis sur la maturité scolaire par la Santé publique, de plus en plus dʼacteurs sociaux expriment leur inquiétude devant ce type de pratiques. En fait, lʼorigine de ces programmes et les idées qui fondent leur orientation sont souvent méconnues et peu interrogées en regard des visions du monde et du développement humain quʼelles véhiculent. Les types de savoir au fondement de plusieurs de ces programmes sont alimentés par des approches scientifiques relayées par les neurosciences, lʼécologie du développement, lʼépigénétique ou lʼéthologie du comportement, laissant peu de place au débat social et aux points de vue divergents sur le sens de lʼintervention auprès des familles et des jeunes enfants1. Au-delà des différences dʼorientation théorique, les chercheurs adoptant ces angles dʼapproche ont tous lʼambition de prédire et de modifier le cours de lʼévolution du développement
1. PARAZELLI, M. et S. DESSUREAULT (2010). « Prévention précoce, nouvelles gestion publique et figures dʼautorité », Les politiques sociales, nos 1 et 2, 13-26.
humain à partir dʼune connaissance dite universelle des lois comportementales de ce même développement, et ce, dans une perspective de prévention des risques allant de la grossesse jusquʼà la vie adulte2. Lʼobjectif commun visé par ces approches est lʼadaptation sociale des individus à leur environnement dans une perspective économique dʼactivation sociale3 et de réduction des coûts de système4.
En effet, une tendance forte se dessine où seule « la science » serait autorisée à dire le besoin des personnes visées par les programmes étant donné que son degré de légitimité serait plus élevé ou moins contesté que celui associé aux simples perceptions des « clients », des intervenants ou des gestionnaires. Cʼest aussi le constat de nombreux professionnels de lʼenfance et des familles en France qui, à la suite de la publication en 2005 dʼun rapport dʼexpertise par lʼInstitut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), voient cette approche canadienne de la prévention tenter de sʼimposercomme une évidence dans leur pays5. Dès 2006, un collectif appelé Pas de 0 de conduite pour les enfants de 3 ans! a dʼailleurs été mis sur pied en France afin dʼouvrir un débat démocratique sur ce type dʼapproche préventive6. Ce mouvement citoyen sʼoppose clairement aux visées prédictives de ce type dʼapproche et met plutôt de lʼavant une approche quʼil désigne de « prévenante », favorisant lʼaccompagnement des parents et non le contrôle de leurs compétences. Les approches positivistes de la prévention précoce semblent sʼétendre à lʼéchelle internationale par la voie dʼun groupe dʼexperts qui influencent lourdement des organisations telles que lʼOrganisation
2. Cf. MUSTARD, J. F. (2008). « Lʼimpact de lʼempreinte neurobiologique sur la santé, lʼapprentissage et le comportement de lʼadulte », dans Fondation Lucie et André Chagnon (dir.), Réconcilier économie et santé. Les enjeux de la prévention, Montréal, Décision média, 63-75; TREMBLAY, R. E. (2008). Prévenir la violence dès la petite enfance, Paris, Odile Jacob.
3. Cf. JENSON, J. (2008). « Children, New Social Risks and Policy Change : A LEGO Future? », Comparative Social Research, vol. 25, 357-381.
4. Cf. DUCHARME, É. (2010). Étude de lʼimpact de lʼarrivée des fondations privées sur les organismes communautaires qui se consacrent à la famille, Essai de maîtrise, Pratiques de recherche et action publique, INRS-Urbanisation, culture et société.
5. Cf. JAURY, M.-P. (2010). « L'enfance sous contrôle », Documentaire ARTE – Point du jour; JULIENNE, M. et C.
MUEL (2008). « Enfants, graines de délinquants? », Production France 5/Cinétévé, 52 min.
6. Cf. Collectif Pasde0deconduite (2008). Enfants turbulents : l'enfer est-il pavé de bonnes préventions?, Actes du 2ᵉ colloque Pasde0deconduite, 10 novembre 2007, Toulouse, Érès; (2006). Prévention, dépistage des troubles du comportement chez lʼenfant?, Actes du colloque « Pasde0deconduite pour les enfants de 3 ans », Vandœuvre-lès-Nancy, Société française de santé publique. Consultez également le site du collectif à lʼadresse : <http://www.pasde0deconduite.org>.
mondiale de la santé (OMS), lʼOrganisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et la Banque mondiale7. Le débat dépasse donc largement les enjeux locaux et régionaux.
Au Québec, la plupart des analyses critiques récentes exprimées par les organisations sociales ont surtout traité des questions de légitimité politique et dʼimputabilité dʼun acteur privé tel que la Fondation Lucie et André Chagnon, de non- reconnaissance aussi par lʼÉtat des organismes communautaires et de leur financement nécessaire. Sʼil importe dʼinterroger le rôle des fondations dans la mise en place des ces programmes, et ce, dans le contexte international des transformations politiques de la gouvernance étatique8, il est non moins important de développer une critique des idéologies du développement humain qui sont à lʼœuvre dans ce type de prévention et des types de pratique clinique qui sʼexercent dans ce domaine. Quelles visions du développement de lʼenfant mobilise-t-on dans ces programmes? Quelles pratiques cliniques ces visions induisent-elles9? Quelle place accorde-t-on aux familles et aux professionnels dans ce type de pratiques? Quelles sont les hypothèses scientifiques à la source de la conception de ces programmes10? À quels modes de connaissance recourt-on pour élaborer une représentation scientifique de la prévention précoce?
Quelles sont les visées politiques de ces programmes et quel le contexte qui a favorisé leur émergence?
7. Cf. DUCHARME, É. (2010). Op. cit.; OCDE (2009). Assurer le bien-être de lʼenfant, Paris, Éditions OCDE;
LESEMANN, F. (2008). « Lʼirruption des fondations privées dans le “communautaire” : une nouvelle gouvernance des services publics? » Bulletin de liaison de la FAFMRQ, vol. 33, no 2. En ligne :
<http://www.fafmrq.org/federation/2008/10/lirruption-des-fondations-privées-dans-le-communautaire-une- nouvelle-gouvernance-des-services-publics.html>, consulté le 30 novembre 2010. Consultez aussi lʼarticle à paraître PARAZELLI, M. (2011). « Les programmes positivistes de prévention précoce. Vers quel horizon politique? », 3e colloque du mouvement Pasde0deconduite : Les enfants au carré? Une prévention qui tourne pas rond! Prévention et éducation plutôt que prédiction et conditionnement, 19 juin 2010.
8. LESEMANN, F. (2008).Loc. cit.
9. GIAMPINO, S. et C. VIDAL (2009). Nos enfants sous haute surveillance. Évaluations, dépistages, médicaments…, Paris, Albin Michel; DELION, P. (2008). Tout ne se joue pas avant trois ans, Paris, Albin Michel; BELLAS-CABANE, C. et P. SUESSER (2009). « Prévention et petite enfance », dans F. BOURDILLON (dir.), Traité de prévention, Paris, Flammarion, 271-279.
10. TESSIER, H. (2006). « Quand la raison du plus fort continue dʼêtre la meilleure… De la domination dʼune théorie à la violence institutionnelle : lʼusage abusif des théories de lʼattachement en protection de la jeunesse », Nouvelles pratiques sociales, vol. 17, no 1, 58-71.
Pour répondre à ces questions, nous invitons des chercheurs et des professionnels de la petite enfance au Québec, en France et ailleurs à croiser leurs regards de façon à mieux comprendre ce qui se joue à lʼintérieur et au-delà des enjeux nationaux. Ce numéro thématique veut également nourrir le débat de réflexions dʼintervenantes et dʼintervenants du monde de lʼéducation, de la santé et de lʼaction communautaire (associative) portant sur les enjeux théoriques, éthiques, politiques et cliniques de la prévention précoce, et ce, en respectant le pluralisme des points de vue qui peinent à sʼexprimer publiquement. Finalement, au nombre des sous-thèmes qui pourront être explorés, mentionnons :
Le rôle joué par la recherche et la science dans la construction sociale de lʼidée de prévention précoce. Clarification des épistémologies concurrentes et complémentaires.
Présentation des programmes et mise en contexte historique de leur émergence.
La problématique de la violence et la petite enfance. Interprétations du phénomène et dérives scientistes.
Les visions du développement humain et de lʼenfance véhiculées par les programmes de prévention précoce.
Les enjeux éthiques entourant les tests de dépistage et les outils techniques dʼappui à la clinique.
Les questions cliniques posées par la prévention précoce.
Des visions différentes du développement de lʼenfant et des pratiques de prévention alternatives à la prévention précoce positiviste.
Les enjeux politiques et de gouvernance associés au développement de programmes de prévention précoce.
La place des familles et des professionnels dans les programmes de prévention précoce (communautaire, scolaire, sociosanitaire, etc.).
Les manuscrits doivent être soumis avant le 15 mars 2011 par courrier électronique à Nouvelles pratiques sociales (nps@uqam.ca).
Pour toute question relative à ce numéro thématique, les auteures et auteurs sont invités à communiquer avec les responsables :
Rappel : Vous trouverez le guide pour la présentation des articles dans la revue et vous pouvez le consulter sur notre site Web (http://www.nps.uqam.ca/appel/guide.php); toutefois, nous précisons déjà quʼaucun article ne devra dépasser 35 000 caractères (espaces compris), notes, bibliographie et tableaux inclus.
Michel Parazelli Sylvie Lévesque Carol Gélinas
Professeur
Rédacteur en chef et directeur de la revue Nouvelles pratiques sociales
Directrice générale Coordonnatrice
École de travail social
Université du Québec à Montréal (UQÀM)
Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec (FAFMRQ)
Regroupement des organismes communautaires famille de Montréal (ROCFM)
Téléphone : (514) 987-3000
(poste 2746) Téléphone : (514) 729-6666 Téléphone : (514) 279-3489 parazelli.michel@uqam.ca fafmrq.sylvie@videotron.ca gelinas.carol@courrier.uqam.ca
