Effets des fluctuations climatiques passées
sur la répartition spatiale actuelle de la diversité génétique des espèces
Introduction:
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les différentes espèces qui peuplent la planète obéissent à une distribution spatiale précise qui s’est mise en place progressivement au cours des temps géologiques.
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La face du monde a subit de nombreuses modifications et variations au cours des temps géologiques :
> La dérive des continents : avec des phénomènes de convergence et de divergence ou fragmentation des continents.
> Le climat et ses fluctuations.
En effet, le climat et la biodiversité ont une longue histoire de relations naturelles chaotiques qui remontent aux tout premiers temps de l'apparition de la vie sur Terre.
« L'épopée de notre planète » regorge de disparitions et d'apparitions d'espèces, de
bouleversements des paysages et transformations de sociétés en différents points du globe,
associés aux aléas du climat. Au fil du temps, les organismes vivants d'une région donnée ont
été façonnés par les fluctuations des concentrations de dioxyde de carbone (CO2) dans
l'atmosphère, des températures et des précipitations survenues depuis le Pléistocène voici
1,8 million d'années. Ils s'y sont adaptés grâce à l'évolution, à l'adaptabilité des espèces, au
déplacement de leurs aires de répartition et à la colonisation d'habitats favorables (dits
refuge (niches écologiques)). Les variations du climat ont donc toujours profondément
modifié les zones de vie des espèces et la structure des communautés biologiques, des paysages et des biomes (ensemble d'écosystèmes caractéristiques d'une aire géographique encore appelé écozones ou écorégions). En France métropolitaine par exemple, les climats sont variés. Quatre grandes zones -‐ atlantique, continentale, alpine et méditerranéenne -‐ se partagent le territoire, chacune avec sa faune et sa flore caractéristiques. Cette diversité climatique a conduit à une riche diversité biologique.
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Donc ces phénomènes de dérive des continents et de fluctuations du climat sont en partis responsables de la répartition actuelle des espèces. Et nous allons nous intéresser à l'impact qu'ont les fluctuations climatiques sur la distribution spatiale actuelle de la diversité génétique des espèces.
Problématique : En quoi les fluctuations climatiques ont-‐elles un impact sur la répartition et l’évolution des espèces ?
I. Présentation des grands principes qui permettent de décrire la distribution spatiale des espèces:
Tout d'abord, en plus de ses propriétés biologiques intrinsèques, chaque espèce possède une aire de répartition géographique dont l'existence traduit un isolement reproductif entre les espèces, donc une absence d'échanges génétiques qui coïncide avec des barrières.
Les limites de ces aires de distribution correspondent généralement a des discontinuités physiques (géographiques, climatiques...) mais également biologiques (interaction avec d'autres espèces).
L'isolement géographique d'une population de même espèce se produit à la suite de l'apparition d'une barrière géologiques comme la mise en place de chaînes de montagnes, de cours d'eau, d'océan etc.
L'existence de ces barrières va alors empêcher la reproduction. Ainsi, les caractéristiques
génétiques entre les populations vont diverger au cours du temps. Si la barrière est éliminer,
les populations seront encore interfécondes si la différenciations génétiques n'a pas dépassé
un certain seuil au delà duquel la spéciation peut avoir lieu.
Cet isolement des populations d'une même espèce peut se réaliser de deux façons différentes. L'une sera passive (Vicarience) et l'autre active (dispersalisme).
a) Notions de vicarience et de dispersalisme :
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FIGURE VICARIENCE / Ce modèle met en jeu une spéciation géographique de type
« dichopatrique » si on remplace les populations et les espèces par des biotas
(association de tous les êtres vivants appartenant à une même aire géographique). La vicarience traduit d'un isolement géographique passif où la barrière vient subdiviser physiquement un biota originale, ancestral en biotas isolées, dérivé. Pourquoi passif ? Parce que les biotas ne « bougent » pas («.. » car on ne prend pas en compte ici la dérive continentale) , ce sont des barrières physiques qui les sépares.
Schématisation : La division de la population originale SP1 à la suite de la formation
d'une barrière géographique (climat, montagnes, fleuve...) aboutit à l'isolement
reproductif des deux populations avec une interruption du flux génique avec le
temps. Au temps T3, nous auront deux nouvelles espèces SP2 et SP3, respectivement
endémiques à l'aire A et à l'aide B. Ce modèle correspond à la vicarience.
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FIGURE DISPERSALISME/ Ce phénomène met en jeu une spéciation géographique dite « péripatrique » qui traduit d'un isolement géographique actif. Ce type de spéciation allopatrique (ou géographique) se réalise à travers la dispersion d'une fraction de la population SP1 (la propagule) de l'aire A vers l'aire B. Après installation dans l'aire B, la propagule restera isolée et les échanges avec les populations de l'aire A seront interrompues. La spéciation se produit et on obtiendra à la fin deux espèces endémiques différentes. Il faut noter que dans ce modèle qui correspond à l'idée de la dispersion à partir d'un « centre d'origine », la propagule franchit activement une barrière mais dans un seul sens. (ex : COURS ECOLOGIE araignée)
Cette idée a été proposée par Darwin et est en opposition avec le modèle de la vicarience. Il faut savoir que cette théorie proposée par Darwin a été émise dans un contexte où l'idée que les espèces sont immuables et indépendamment créées dans plusieurs points de la surface de la Terre, elle aussi considérée fixe et immuable. En effet Darwin a proposé sa théorie lorsque les preuves de la mobilité continentale n'étaient pas encore concluantes. Le modèle de vicarience, qui s'oppose à celui du dispersalisme, est maintenant soutenu par la dérive continentale et l'expansion des fonds océaniques. Ces deux modèles classiques de la biogéographie pourraient s'appliquer dans les cas de convergence et divergence biogéographique, en relation avec des changements paléogéographiques.
b) La divergence et la convergence biogéographique:
Ces modèles illustrent, à de très longues échelles d'espace et de temps, l'importance des barrières (étendue océanique par exemple) dans la genèse des diversités biologiques. A contrario, la remise en contacte d'aires biogéographiques par ré-‐association de continents ou surrection de ponts continentaux devrait provoquer des mélanges et fusions de d'espèces éventuellement accompagnés de pertes de diversités.
Phénomènes de convergence et divergence lors d'un épisode de refroidissement climatique:
Deux continents A et B sont séparés par un bras de mer. Il y a donc une absence d'échange entre les espèces endémiques de l'aire A et celles de l'aire B. La glaciation entraine donc une régression du niveau marin et les continents ou aires A et B sont en contactes : il peut donc y avoir des échanges car il n'y a plus de barrière entre les deux aires. Il y a donc eu une
convergence biogéographique entre les deux continents. Cependant ce phénomène de convergence à entrainé un phénomène vicarient de divergence au niveau marin. En effet puisqu'il y a eu fermeture du bras de mer, il y a eu séparation des faunes marines de part et d'autre du continent formé après convergence. Ici, on peut parler d'une certaine
complémentarité entre la convergence et la divergence biogéographiques car les deux processus ont eu lieu en même temps.
Lors de la recolonisation d'une aire biogéographique, on peut aussi parler de convergence. Si
par exemple les conditions climatiques dans une aire biogéographique A n'étaient plus
favorables à un biota, celui ci s'est déplacé dans une autre aire (l'aire B) avec des conditions
plus favorables. Si les conditions climatiques évoluent encore et redeviennent favorables
dans l'aire d'origine. Le biota peut recoloniser cette aire. Cela conduit à une convergence
biogéographique.
c) Les refuges :
Comme évoquée précédemment, si les conditions climatiques sont défavorables à la survie d'une espèce, d'une population ou d'un biota, celui ci va se déplacé vers des aires
biogéographiques plus favorables. Par exemple lors d'une glaciation, si une espèce
thermophile est touché par la glaciation, elle va se déplacé vers des latitudes moins élevées où les conditions climatiques seront meilleures. Ces espèces ayant migrer d'une aire à une autre vont alors se retrouver dans une nouvelle aire biogéographique appelée refuge.
II) Des fluctuations climatiques passées aux actuelles, une cause de genèses de peuplements:
A) Les changements climatiques du quaternaire et leurs conséquences sur la phytogéographie d’Europe :
Ý Le quaternaire, une succession de périodes glaciaires et interglaciaires :
Le quaternaire se compose du Pléistocène et de l’Holocène, la position des continents à cette époque était la même que l’actuelle.
On peut décomposer le quaternaire en 4 périodes majeures de glaciation : Günz, Mindel, Riss et Würm.
A l’apogée du Würm (il y a 18000 ans), l’Amérique du nord et l’Eurasie étaient recouvertes d’une énorme calotte glaciaire, les montagnes étaient recouvertes de glaciers qui descendaient en plaine.
Cette glaciation a eu un impact considérable sur la différenciation des espèces animales et végétales, ainsi que sur leur répartition géographique, aboutissant ainsi a celle que nous connaissons aujourd’hui.
La palynologie (= étude du pollen), a permis d’établir une comparaison entre les divers
macroécosystemes actuels (= communauté d’êtres vivants qui occupe une vaste zone dont les limites sont essentiellement de nature climatique) et leurs changements au cours du quaternaire.
Ý L’évolution de la phytogéographie de l’Europe au cours d’une glaciation et d’un réchauffement :
" A l’apogée du Würm (glaciation) :
Pendant les glaciations, les zones de moyennes latitudes d’Europe centrale et occidentale, ainsi que l’Amérique du nord présentaient une végétation majoritairement caractéristique des paysages de toundra e tourbière.
• Sud de l’Angleterre, de l’Irlande, de la France, de l’Espagne et de plusieurs parties de l’Europe de l’est : Toundra majoritaire (= sous sol gelé en permanence, abondance de mousses, lichens, végétation de toundra buissonnante, tourbières mal drainées, sphaignes).
• Rives septentrionales (nord) de la méditerranées : forêt boréale de conifères, et végétation méditerranéenne persistante au niveau de certains foyers (Provence et Languedoc).
• Sud ouest de la péninsule Ibérique, Italie, Balkans, rives de la mer Noir : forêt de feuillus.
• Europe orientale : formations steppiques (= végétation herbacée et prairie, due a l’aridité du climat propre aux périodes glaciaires).
" A la fin des épisodes glaciaires, phytogéographie actuelle de l’Europe :
Recolonisation des hautes latitudes par les espèces animales et végétales. On remarquera la présence de barrières géographiques (la mer méditerranée, les alpes et les pyrénées) ce qui va entrainer la disparition de nombreuses espèces thermophiles qui étaient présentent pendant le tertiaire au climat chaud (ex : conifères du genre Tsuga, Tulipier…).
• Extrême nord : toundra
• Nord : forêt de conifères
• Europe médiane : forêt de feuillus et prairies
• Pourtour méditerranéen : végétation méditerranéenne à feuilles persistantes
• Europe de l’est : steppe
B) L’ours blanc, une espèce issue du dispersalisme accompagnée d’une divergence biogéographique :
L’ours polaire (Ursus maritimus) serait issu de populations d’ours bruns (Ursus arctos) qui se seraient retrouvées isolées dans les enclaves en bord de mer, après adaptation aux conditions climatiques du grand nord. Il s’agit donc ici d’une application du principe de dispersalisme accompagné d’une divergence biogéographique. En effet la pression environnementale a entrainé le fait que l’ours polaire devienne exclusivement carnivore (en raison de l’absence de végétation), ainsi que bons nombres de modifications morphologiques : tête et corps se sont allongés, pattes légèrement palmées et recouvertes de poils drus pour mieux adhérer à la glace, fourrure plus épaisse, et couleur blanche qui permet le mimétisme avec l’environnement.
Figure 1 : L'ours brun (Ursus arctos) Figure 2 : L'ours polaire (Ursus maritimus)
Figure 3: La répartition géographique de l'ours polaire
" Etroite parenté entre l’ours brun et l’ours blanc : Les études de comparaison de l’ADN (séquençage de l’ADN mitochondrial) montrent que certaines populations d’ours bruns de l’Alaska ont un ancêtre commun avec l’ours blanc plus récent par rapport à des populations d’ours bruns en provenance d’autres régions. Par conséquent, on serait donc tenté de dire que l’ours brun ne formerait pas une entité génétique séparée de celle de l’ours blanc. De plus, on admet l’existence d’un critère d’interfécondité entre les deux espèces, donnant ainsi naissance à des oursons hybrides viables et fertiles (ce qui est en adéquation avec la définition classique de l’espèce), par conséquent ours blanc et ours brun ne serait qu’une seule et même espèce.
Mais le fait qu’aucune des deux espèces ne puisse vivre dans la niche écologique de l’autre, ainsi que les critères de différences au niveau morphologique, alimentaire, métabolique et comportemental sont en faveur du fait qu’il s’agit de deux espèces bien
distinctes dont la divergence serait apparue au cours du quaternaire. Selon les chercheurs, l’ours blanc serait en réalité actuellement encore en cours de spéciation (à un stade très avancé).
" La divergence entre l’ours brun et l’ours blanc serait plus récente :
La divergence entre les deux espèces d’ours a été localisée dans une période du Néozoïque qui est comprise entre -‐250 000 et -‐200 000 ans. Mais une étude génétique récente effectuée sur une mâchoire d’ours polaire découverte dans les sédiments du quaternaire d’une île de l’archipel du Svalbard démontre qu’elle serait plus récente que ça. Les études génétiques de ce fossile couplées à des comparaisons avec les génomes d’individus modernes, ont permis de placer la divergence entre les deux espèces à -‐150 000 ans, ce qui est récent à l’échelle des temps géologiques. Par conséquent l’ours blanc est donc une espèce jeune sur le plan évolutif. Ces résultats permettent de supposer que l’ours polaire s’est sans doute très rapidement adapté aux conditions arctiques durant le Pléistocène sup, on parle ainsi d’opportunisme évolutif. L’évolution se serait donc déroulée durant ou peu avant les changements climatiques ayant préludés à la dernière période interglaciaire (Riss " Riss-‐Würm), à la faveur de nouveaux habitats et de nouvelles sources de nourriture.
Figure 4: Phylogénie des ours
" Les Svalbard étaient donc une zone de refuge suite au 1er réchauffement majeur de la fin du Pléistocène :
L’ours polaire a donc survécu dans le passé à une période chaude, même beaucoup plus chaude que l’actuelle. Les chercheurs en déduisent que le Svalbard a pu jouer le rôle de refuge. Si l’ours blanc a réussit à survivre à ce changement climatique majeur, qu’est ce qui peut donc l’empêcher de survivre a celui-‐ci… L’avancé de son état de spéciation pourrait jouer en sa défaveur…
C) Le changement climatique actuel, une cause d’hybridation chez les mammifères :
Suite à de nombreux constats d’ordre biologique, écologique et géographique, les chercheurs ont montré que la fonte de la banquise provoquerait un vaste métissage parmi les mammifères des régions arctiques.
Figure 6 : Le pizzly
Figure 5 : Le Svalbard
Un article de la revue Nature fait état d’une découverte au printemps 2010 d’un ours bicolore portant une fourrure blanche tachetée de brun faite par un chasseur. Il s’agit d’un spécimen hybride de deuxième génération issue d’un grizzly mâle et d’une femelle elle-‐même hybride issue d’un croisement entre l’ours polaire et le grizzly (pizzly).
L’hybridation n’est cependant pas un phénomène surprenant, et très rare, il s’agit par ailleurs d’un phénomène naturel dont de nombreux cas ont déjà été recensés chez les animaux comme chez les végétaux. Cependant ce qui est ici troublant c’est que la cause principale de ces hybridations est le réchauffement climatique qui prend de l’ampleur beaucoup trop rapidement. On a des espèces qui remontent vers le nord (comme le grizzly) et d’autres espèces menacées dont les populations sont de moins en moins nombreuses et dont les individus reproducteurs ont moins l’occasion de se rencontrer, ce qui augmente les chances de croisements hybrides avec les autres individus.
Les prédictions actuelles montrent que d’ici la fin du siècle, la mer arctique sera dépourvue de glace pendant l’été, permettant ainsi a des espèces qui étaient séparées par la mer de glace de se mélanger et d’évoluer dans les mêmes eaux (cas de convergence). On peut donc s’attendre a voir apparaitre de plus en plus d’espèces hybrides de phoques, marsouins, morses ou de baleine.
Ý Conclusion :
Au cours de cet exposé nous avons vu que la vicariance et le dispersalisme sont deux principes opposés qui permettent de décrire et d’expliquer l’évolution de la répartition des espèces suites a des événements majeurs tels que les changements climatiques. Par ailleurs, on sait qu’il existe des fluctuations climatiques sont d’ordre chronique, tel que le phénomène El Niño : une conséquence de la perturbation dans la circulation atmosphérique générale entre le pôle et l’équateur, empêchant ainsi la remonté des eaux froides riches en planctons le long de la côte de l’Amérique du sud, causant une baisse de la disponibilité en nutriments pour la faune marine. On peut donc supposer que sur des échelles de temps beaucoup plus restreintes, les fluctuations du climat ont aussi des causes sur la répartition géographique des espèces.
Par ailleurs, on peut éventuellement se poser la question de savoir quel sera l’impact du changement climatique actuel sur la biogéographie de notre planète, et si l’Homme est capable d’influer sur celle si en créant des projets de sauvegardes ou de protections concernant les espèces qui sont le plus menacées par ces futurs changements.
Nous venons ainsi de voir les effets des fluctuations climatiques sur la répartition géographique et diversité génétique au niveau intraspécifique., mais quand est il du niveau interspécifique ? La phylogéographie semble être la science qui est capable de répondre a cette question.