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Morts sur le champ de bataille, Héros des guerres médiques

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Morts sur le champ de bataille, Héros des guerres médiques Kerasia A. Stratiki

Firent partie des plus importants guerriers héroïsés les participants aux victoires panhelléniques des Grecs sur les Perses à Marathon, à Salamine et à Platées1. Dans la littérature grecque nous voyons que pour les Grecs, ces hommes se sont sacrifiés afin de sauver la Grèce. Grâce à eux, en Grèce était né un esprit grec2. Ces braves sont devenus pour tous les Grecs les premiers exemples des efforts accomplis par des Grecs pour la liberté de la Grèce3. Pour ces motifs, leurs descendants les honoraient sur leurs sépultures.

Pausanias souligne la victoire de signification panhellénique pour la liberté grecque de la bataille de Marathon4, mais il semble attribuer davantage cette victoire aux Athéniens qu’aux autres belligérants grecs. Il semble que pour lui, les Athéniens ont sauvé la liberté de la Grèce du danger médique avec le soutien des autres Grecs et de leurs esclaves5. Plutarque semble refléter la propagande athénienne à propos du rôle des Athéniens à Marathon, lorsqu’il écrit que la polis d’Athènes a enterré leurs corps à travers des cérémonies publiques et qu’Isocrate les a divinisés en prêtant serment sur leur honneur6. A l’Académie d’Athènes, une tombe était dédiée à tous les Athéniens morts au cours des batailles excepté celle de Marathon, puisque les soldats y avaient été enterrés sur le lieu de leurs exploits7.

Thucydide décrit l’enterrement des guerriers athéniens, mais la Périégèse est la seule source antique qui décrive le tombeau des guerriers athéniens dans la plaine de Marathon8 : il s’agissait d’un polyandreion avec des stèles portant le nom des morts par tribu. Une autre tombe fut dédiée aux Platéens de Béotie et aux esclaves.

Pausanias précise que, pour la première fois, des esclaves avaient participé à une bataille, fait qui souligne l’importance de cette victoire9. En sus de ces tombes collectives10, il a vu le monument de Miltiade, érigé à part car il mourut

1 Sur les guerres médiques, voir G. CAWKWELL, The Greek Wars : une failure of Persia, Oxford, 2005.

2 Voir HERODOTE, VIII, 113. Thucydide parle des lois communes aux Grecs, THUCYDIDE, III, 59, 1 ; sur les origines du panhellénisme, voir C. MORGAN, The origins of pan-Hellenism, N. Marinatos et R. Hägg (éds.), Greek Sanctuaries. New Approaches, Londres, 1993, p. 118-144.

3 Sur la liberté de la Grèce, voir THUCYDIDE, IV, 87, 6.

4 Sur la description de la bataille, voir HERODOTE, VI, 110-117. Sur la topographie de Marathon et le site de la bataille, voir D. MULLER, Topographischer Bildkommentar zu der Historien Herodots, Tübingen, 1987, p. 657-673.

5 PAUSANIAS, I, 32, 3-5. D’après E. Suarez de la Torre, c’est surtout la victoire sur les Perses qui va consolider leur prééminence dans le sanctuaire delphique, visible dans les nouveaux monuments du Vème siècle, E. SUAREZ DE LA TORRE, Les dieux de Delphes et l’histoire du sanctuaire (des origines au Ivème siècle av. J.-C.), Kernos, Suppl. 8, p. 80.

6 PLUTARQUE, De gloria Atheniensieum, 345 c-351 b ; pour l’importance d’Athènes dans la libération des Grecs, voir HERODOTE, VIII, 142.

7 PAUSANIAS, I, 29, 4 ; pour une description détaillée des tombeaux des guerriers athéniens morts à l’Académie, voir Idem, I, 29, 2-16. Remarquons qu’à Athènes, un endroit spécial, le démosion séma, était dédié aux morts à la guerre, dans le dème de Céramique, THUCYDIDE, II, 34, 1-8 ; voir Ch. W.

CLAIRMONT, Patrios nomos. Public burial in Athens during the fifth and fourth centuries BC. The archaeological, epigraphic-literary and historical evidence (BAR-IS 161 : 1-2), Oxford, 1983 (surtout, p. 7-15).

8 THUCYDIDE, II, 34, 5 ; PAUSANIAS, I, 32, 3.

9 HERODOTE, I, 32, 3. Le passage de Pausanias, nous permet de comprendre qu’il a vu les deux tombeaux mitoyens. Les Athéniens ont donné le droit aux esclaves, qui avaient combattu bravement auprès de leurs maîtres, d’être enterrés publiquement, PAUSANIAS, I, 29, 7.

10 Notons que le terme de polyandreion est employé pour les tombeaux collectifs de Marathon et de Salamine dans les inscriptions de l’époque hellénistique relatives aux cultes rendus par les éphèbes athéniens aux héros morts pour la liberté, IG II2 1006, 26-27 ; 69-70 et 1035, 33.

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ultérieurement11. Le plus important reste que les habitants de Marathon honoraient les guerriers morts comme des héros.

Les fouilles archéologiques ont découvert et identifié le trophée de Marathon, connu grâce à des allusions d’Aristophane et de Critias et à une remarque de Pausanias12, ainsi que le tumulus des guerriers athéniens à Marathon, évoqué par Thucydide et Pausanias13, où on a trouvé un plateau de crémation avec quelques tardives lécythes attiques en figures noires14. En mettant ainsi leurs morts en terre, les Athéniens s’appropriaient certaines valeurs aristocratiques, qui liaient les kaloikagathoi aux héros homériques. Autrement dit, des symboles et des valeurs aristocratiques étaient détournés dans un souci démocratique15.

Par conséquent, alors que nous ne savions pas avec certitude quand les Marathonomachai furent traités en héros, l’établissement de leur culte correspond aux nouveaux cultes héroïques qui caractérisaient la nouvelle démocratie athénienne16. Hérodote, qui raconte la bataille de Marathon, mentionne la célébration d’un agon en l’honneur de Miltiade17, et des sources de l’antiquité tardive attestent de la célébration d’un culte héroïque commémorant les guerriers morts à Marathon : Pausanias parle de leur culte et Denys d’Halicarnasse mentionne une fête en leur honneur, les Marathonia, sur laquelle on ne dispose pas d’informations supplémentaires18.

Après la victoire des Grecs sur les Perses à Salamine, Hérodote écrit qu’un tombeau des guerriers morts fut édifié, tandis que Pausanias précise qu’un trophée magnifie également la victoire des guerriers morts dont le héros majeur est Thémistocle19. Alors, bien qu’aucune source ne l’atteste, l’importance exceptionnelle des soldats de Salamine dans l’histoire de la Grèce ne laisse aucun doute sur l’exercice d’un culte héroïque les honorant. En ce qui concerne Thémistocle, d’après Pausanias, il fut enterré non à Salamine, mais près du grand port du Pirée20. Après son intervention glorieuse dans les guerres médiques, Thémistocle fuit Athènes pour la

11 PAUSANIAS, I, 32, 4.

12 PAUSANIAS, I, 32, 4 ; voir N. D. PAPACHATZIS, ΠΑΥΣΑΝΙΟΥΕΛΛΑ∆ΟΣΠΕΡΙΗΓΗΣΙΣ, vol. I, Athènes, 1994 (Ière éd., 1974-1981), p. 424.

13 THUCYDIDE, II, 34, 5-6 ; PAUSANIAS, I, 32, 3.

14 V. STAIS, O en Marathoni Tymvos, Mitteilungen des deutschen archäologischen Instituts, athenische Abteilung 18 (1893), p. 46-63 ; N. G. L. HAMMOND, The campaign and battle of Marathon, JHS 88 (1968), p. 14-17 ; T. L. Jn. SHEAR, The Persian destruction of Athens : evidence from Agora deposits, Hesperia (62) 1993, p. 406-411. Pour le plan du tumulus de Marathon, voir J.

WHITLEY, The archaeology of Ancient Greece, Cambridge, 2001, fig. 13.20. Selon B. Pétrakos, le tumulus pourrait avoir été élevé là où se trouvait le bûcher du polémarque Callimaque, car il est impossible qu’on ait brûlé les 192 corps en un seul lieu, B. PETRAKOS, Ὁ Μαραθών, Athènes, 1995, p. 19-24. Pourtant, l’emplacement s’accorde mal aux indications de Pausanias et ne peut convenir au lieu où les morts seraient tombés, K. W. WELWEI, Ds sog. Grab der Pataier im Vranatal bei Marathon, Historia 29 (1979), p. 101-106 ; selon W. K. Pritchett, il pourrait s’agir d’une tombe collective de paysans de la région qui auraient trouvé la mort en résistant aux Perses, W. K. PRITCHETT, The Greek State at War, vol. IV, Berkeley/Los Angeles/Londres, 1984, p. 129 ; en revanche, une tombe collective des Perses a été identifiée près de l’église de la Mésosporitissa, B. PETRAKOS, op. cit., p.

25.

15 J. WHITLEY, The monuments that stood before Marathon : tomb cult and hero cult in Archaic Attica, AJA 98 (1994), p. 213-230.

16 J. WHITLEY, art. cit., p. 215-217 ; 226-230 ; voir encore E. KEARNS, The Heroes of Attica (BICS, suppl. 57), Londres, 1989.

17 HERODOTE, VI, 38.

18 PAUSANIAS, I, 32, 4 ; DENYS D’HALICARNASSE, Antiquités romaines, V, 17, 4, 12.

19 HERODOTE, VIII, 121 ; PAUSANIAS, I, 36, 1.

20 PAUSANIAS, I, 1, 2.

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cour des rois perses où il fut traité avec grand honneur21. Thucydide écrit que le roi des rois perses lui offrit « Magnésia sur le Maeandre pour pain... pour vin Lampsacos... et Myos pour viande »22. Thémistocle mourut donc en exil à Magnésie de Sipyle en Asie Mineure où il fut aussi enseveli23. Thucydide atteste qu’un monument funéraire fut érigé pour lui à Magnésie ; il se trouvait sur l’agora de la ville24.

En ce qui concerne l’hypothèse d’un culte de Thémistocle à Magnésie, nous n’avons pas de sources qui mentionnent explicitement qu’il en recevait un, bien que la position de son tombeau le suggère25. Pourtant, cinq siècles après sa mort, ses descendants continuaient de jouir d’une position honorifique et d’une puissance reconnue en Asie Mineure26. De plus, pour la présence et le culte de Thémistocle en Asie, nous avons aussi des témoignages numismatiques : une monnaie d’Antoninus Pius (datant de la fin du IIème siècle) provenant de Magnésie montre sur le revers un homme nu et majestueux qui se tient, sur la gauche, devant un autel circulaire embrasé. Puisque le nom de Thémistocle est inscrit à côté de la figure, le premier éditeur a suggéré que la monnaie représente la statue de Thémistocle sur l’agora de Magnésie27. P. Gardner suggère que la statue représente le culte héroïque de Thémistocle comme « héros civique ou oiciste »28. De même, I. Malkin pense que la monnaie peut représenter une ou plusieurs statues de Thémistocle sur l’agora de la ville et, surtout, un culte de fondateur qui devait avoir commencé dès -ou un an après- sa mort29. Ajoutons qu’à Lampsacos, un festival était célébré pour lui30.

Pourtant, après la mort de Thémistocle, une légende se répand, selon laquelle ses ossements furent transférés en Attique où on les enterra secrètement. Thucydide cite des proches de Thémistocle comme les propagateurs de cette version et qu’apparemment il ne croit guère31. Néanmoins, cette légende est reprise dans un grand nombre de versions littéraires que Plutarque attaque32. Selon Thucydide, l’implantation de ses restes en Attique, décidée par les Athéniens, ne se situait pas à

21 S. BRENNE, dans « Ostraca and the process of ostrakophoria », W. D. E. Coulson, O. Palagia et alii (éds.), The Archaeology of Athens and Attica under Democracy, 1994, p. 13-24.

22 THUCYDIDE, I, 138, 5 ; A. W. GOMME, A Historical Commentary of Thucydides, vol. I, Oxford, 1945.

23 THUCYDIDE, I, 93.

24 THUCYDIDE, I, 138, 5 ; PLUTARQUE, Thémistocle, 32, 3 ; DIODORE, XI, 58. Sur le débat concernant la signification du mot « monument » chez Thucydide dans le cas de Thémistocle, voir E.

A. BETANT, Lexicon Thucydideum, Genève, 1843-1847 s. v. mnémeion et monumentum (« momument ») ; contra, I. MALKIN, Religion and colonization in Ancient Greece, Leiden, 1987, p.

223 (« tombe ») ; voir aussi L.S.J., vol. 2, s. v. mnémeion ; pour le témoignage de Diodore, voir C.

WACHSMUTH, Das Heroon des Themistokles in Magnesia a. M., RhM 52 (1897), p. 140 ; A. J.

PODLECKI, The life of Themistocles, Montreal/Londres, 1975, p. 177 n. 3.

25 M. P. NILLSON, Geschichte der grieschischen Religion, vol. I, Munich, 1976 (Ière éd., 1967), p.

719.

26 PLUTARQUE, Thémistocle, 32, 2 et 5.

27 A. RHOUSOPOULOS, Das Monument des Themistokles in Magnesia, Ath. Mitt. 21 (1896), p. 21 ; pour l’interprétation de la monnaie, voir aussi A. J. PODLECKI, op. cit., p. 170-171 ; R. J.

LENARDON, The Saga of Themistocles, Londres, 1978, p. 197.

28 P. GARDNER, A Themistoclean Myth, CR 12 (1898), p. 21-23.

29 I. MALKIN, op. cit., p. 226-228 ; sur le mythe de la mort de Thémistocle, voir ARISTOPHANE, Cavaliers, 83 (et scholies).

30 Décret de proxenia provenant de Lampsacos (vers 200 av. J.-C.), H. G. LOLLING, Mitteilungen aus Kleinasiens, Ath. Mitt. 6 (1881), p. 103-105 ; A. BAUER et F. J. FROST, Themistokles. Literary, Epigraphical and Archaeological Testimonia, Chicago, 1966, p. 97-98 ; voir encore J. K. DAVIES, Athenian Propertied Families, Oxford, 1971, p. 218.

31 THUCYDIDE, I, 138, 5.

32 PAUSANIAS, I, 1, 2 ; voir encore ARISTOTE, NH, VI, 15 569b 12.

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Athènes, car Thémistocle, en tant que banni, n’avait pas le droit d’y recevoir une sépulture33. D’après Plutarque, le tombeau monumental du Pirée fut élevé plus tard, un taphos bomoeidès qui devait être utilisé pour un culte héroïque l’honorant (bien qu’aucune source ne témoigne expressément d’un culte héroïque le magnifiant)34. L’emplacement de la tombe de Thémistocle, mentionnée aussi par le Périégète35, n’était pas dû au hasard : outre son offrande à Athènes après la victoire de Salamine, il avait fait du Pirée le port principal d’Athènes à la place de Phalère, l’ancien port. Il est dès lors vraisemblable que la légende du transfert des reliques de Thémistocle de Magnésie en Attique doit son origine à son rôle-clé dans le combat naval de Salamine.

P. Lévêque note que la victoire a permis une exaltation de toutes les forces qu’Athènes portait en elle-même : Sparte avait été jusque-là la puissance hégémonique en Grèce mais, après que Sparte ait résolu de se retirer, Athènes lui succéda en exaltant un sentiment de supériorité dont on mesure la prégnance dans les Perses d’Eschyle36. En tant qu’architecte de cette grandeur navale, les Athéniens lui dédièrent une peinture le représentant au Parthénon (elle existait encore à l’époque du Périégète)37. De même, J. Boardman propose que sur la frise de Parthénon, les cavaliers ne représentent pas la cavalerie athénienne, mais les morts héroïsés qui moururent dans la bataille de Marathon. Il compte 192 cavaliers, le nombre des morts athéniens38. Comme ces guerriers, Thémistocle est alors devenu une figure importante à valeur tant locale que panhellénique, puisque comme tous les participants aux guerres, il symbolisait, lui aussi, la liberté grecque contre le danger perse.

Mais le cas le plus représentatif de l’idée qui liait les héros guerriers des guerres médiques à la liberté de la Grèce est celui de Platées. Comme il l’avait fait pour les tombeaux des guerriers morts à Marathon39, Pausanias consacre aussi un long passage de son IXème livre aux tombeaux des guerriers de Platées40. Le Périégète a vu les tombeaux des guerriers grecs qui avaient combattu contre les Perses juste devant l’entrée de la ville de Platées. Selon sa description, tous les guerriers grecs morts au cours de la bataille étaient enterrés dans un tombeau commun, excepté les Athéniens et les Lacédémoniens, qui avaient un tombeau particulier, sur lequel étaient gravées des élégies de Simonide41. Cependant, Hérodote écrit que les Lacédémoniens avaient édifie trois tombeaux : dans le premier, ils avaient enterré les chefs des plus jeunes hoplites, dans le deuxième les autres Lacédémoniens et dans le dernier, les ilotes42. Les Tégéens avaient aménagé un tombeau particulier pour tous leurs morts,

33 THUCYDIDE, I, 138, 5.

34 PLUTARQUE, Thémistocle, 32, 5-6.

35 PAUSANIAS, I, 1, 2.

36 P. LEVEQUE, Dans les pas des dieux grecs, Paris, 2003, p. 176.

37 PAUSANIAS, I, 1, 2. P. Lévêque souligne le rôle important de Thémistocle dans l’histoire d’Athènes grâce aux liens étroits entre le développement maritime et l’essor du pouvoir populaire qui s’appellera bientôt la démocratie, P. LEVEQUE, idem, p. 176.

38 J. BOARDMAN, The Parthenon frieze : another view, U. Hückmann et A. Krug (éds.), Festschrift für Frank Brommer, Mainz, 1977, p. 39-49 ; The Parthenon frieze, E. Berger (éd.), Parthenon- Kongress Basel : Referate und Berichte 4. bis 8. April 1982, vol. 2, Mainz, 1984, p. 210-215 ; contra, I.

JENKINS, The Parthenon Frieze, Londres, 1994, p. 29-30 et 44 ; voir encore J. WHITLEY, The Archaeology of Ancient Greece, Cambridge, 2001, p. 348 et fig. 13.11.

39 PAUSANIAS, I, 32, 3-5.

40 PAUSANIAS, IX, 2, 5-6.

41 PAUSANIAS, IX, 2, 5 ; pour une épigramme de Simonide inscrite sur l’autel de Zeus Eleuthérios, voir SIMONIDE, fr. 107 D. En ce qui concerne le tombeau commun des Athéniens, notons que, selon Diodore, à Platées, pandémei les Athéniens se battirent pour la liberté, DIODORE, XI, 29, 1.

42 Ajoutons que le tombeau de Pausanias, le chef des Spartiates à Platées, se trouvait à Sparte, THUCYDIDE, I, 134 ; PAUSANIAS, III, 14, 1 ; aucune source ne traite d’un culte héroïque dispensé en son honneur.

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comme avaient procédé les Athéniens. Il y avait aussi des tombeaux pour les Mégariens et les Phliasiens tués par la cavalerie adverse. Selon le même auteur, d’autres cités grecques avaient construit des monuments, en fait des cénotaphes, pour que les citoyens futurs puissent les voir et croire que ces villes avaient également participé à la bataille43. Etant donné les différences entre les informations fournies par Hérodote et celles données par Pausanias, nous suggérons qu’à l’époque de ce dernier, l’aspect du champ funéraire avait changé. En tous cas, aucun monument ne peut en revanche être associé aux divers tombeaux élevés sur le champ de bataille de Platées44.

Dans l’élégie de Simonide sur la bataille de Platées, les guerriers sont loués comme des demi-dieux du présent45. Ainsi, Thucydide précise qu’on dispensait à ces guerriers des honneurs officiels consistant en des dépôts de vêtements et d’offrandes rituelles avec des prémices46, fait qui confirme leur nature héroïque, mais Pausanias ne parle pas de culte héroïque les concernant (comme il l’avait fait pour les guerriers morts à Marathon)47. Encore une fois, étant donné les différences entre les informations de Thucydide et de Pausanias, nous nous demandons pourquoi le Périégète ne mentionne pas les honneurs héroïques traditionnels sur les tombeaux.

Est-ce qu’ils n’existaient pas à son époque ?

Pourtant, une étude attentive du passage de Pausanias nous permet de penser que les guerriers morts pendant la bataille de Platées étaient considérés comme des héros et encore honorés -une fois l’an- comme tels à son époque48. Ce qui est le plus intéressant à noter, c’est qu’auprès du tombeau commun des Grecs s’élevaient un trophée et un sanctuaire avec une statue de Zeus Eleuthérios, où était célébrée une fête49.

43 HERODOTE, IX, 85. En ce qui concerne les cénotaphes des villes qui n’avaient pas participé à la bataille de Platées, Hérodote nous informe que le tombeau des Eginètes fut construit par un Platéen, qui était proxène des Eginètes à Platées, dix ans après la bataille. Thucydide rappelle que les Platéens avaient en charge le culte rendu sur ces tombes, THUCYDIDE, III, 58.

44 Voir R. ETIENNE et M. PIERART, Décret du koinon des Hellènes à Platées, BCH 99 (1975), p. 51- 75.

45 M. L. WEST, Simonides Redivivus, ZPE 98 (1993), p. 4-9 ; D. BOEDEKER, Simonides on Platea : Narrative Elegy, Mythodic History, ZPE 107 (1995), p. 217-229 ; Heroic Historiography : Simonides and Herodotus on Platea, Arethusa 29.2 (1996), p. 223-242 ; voir surtout J. S. CLAY, The New Simonides and Homer’s Hemithoi, Aretousa 29.2 (1996), p. 243-245 ; A. SCHACHTER, Simonides’

Elegy on Plataia : The Occasion of its Performance, ZPE 123 (1998), p. 25-30 ; E. SUAREZ DE LA TORRE, El adjetivo ΕΠΩΝΥΜΟΣ en la elegia por la batalla de Platea de Simonides (fr. 11.17 West2), Lexis 16 (1998), p. 29-32 ; La liriga griega, D. Estefania, M. Dominguez, Ma. T. Amado (éds.), Géneros literarios poéticos grecolatinos, Madrid/Santiago de Compostela, 1998, p. 29-30, 88- 92 et 103-105.

46 THUCYDIDE, III, 58. Pour de tels vêtements rituels, voir SOPHOCLE, Electre, 452 ; EURIPIDE, Oreste, 1434 ; PLUTARQUE, Aristide, 21.

47 PAUSANIAS, I, 32, 3.

48 Voir K. STRATIKI, Les héros grecs comme personnification de la liberté dans la Périégèse de Pausanias, BAGB II (2003), p. 92-112.

49 PAUSANIAS, IX, 2, 5. Pour Zeus Eleuthérios, voir HYPERIDE, fr. 197 ; HERODOTE, III, 142 ; voir aussi ETYMOLOGICUM MAGNUM s. v. Eleutheros, où nous apprenons que Zeus avait reçu l’épiclèse d’Eleuthérios parce que, selon la croyance populaire, c’était lui qui avait libéré les Athéniens des Perses ; par conséquent, selon ce témoignage, les Athéniens avaient été les premiers à lui donner ce surnom après les guerres médiques ; pour la statue de Zeus Eleuthérios à Athènes, voir PAUSANIAS, I, 3, 2. Pour Zeus comme Eleuthérios voir aussi ELIEN, Varia historia, II, 9 ; DION CASSIUS, Historiae Romanae, 62, 26 (libation de sang en son honneur). Chez Pausanias, nous rencontrons aussi Dionysos Eleuthéreus qui était honoré dans son temple à l’Académie d’Athènes, PAUSANIAS, I, 29, 2

; la place du temple et de sa statue n’était pas due au hasard : dans l’Académie, s’alignaient les tombeaux des guerriers athéniens morts pour la liberté d’Athènes (sauf ceux décédés à Marathon),

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Pour célébrer leur victoire commune, tout les cinq ans, les Grecs participaient ensemble aux épreuves athlétiques appelées Eleuthéria, qui étaient évidemment une fête dédiée à Zeus Eleuthérios en tant que dieu-protecteur de la liberté locale et panhellénique50. Comme des compétitions athlétiques étaient souvent une coutume dédiée aux héros, nous supposons qu’à Platées, les Eleuthéria étaient célébrés non seulement en l’honneur de Zeus Eleuthérios, mais aussi en l’honneur des guerriers morts et probablement héroïsés par leurs descendants -comme c’était le cas des Marathonia51.

Le témoignage de Plutarque soutient notre hypothèse. Selon lui, dans une cérémonie célébrée à Platées à son époque encore, se formait une procession et dont le but était d’apporter à l’endroit décrit par Pausanias ici des libations de type choai52 et des couronnes pour les tombeaux. L’archonte lavait avec de l’eau les stèles funéraires, les enduisait d’huile aromatique de myrrhe, puis sacrifiait un taureau en adressant des prières à Zeus Eleuthérios et à Hermès Chthonien53. La cérémonie que Plutarque décrit rappelle une cérémonie funéraire, puisque tout le cérémonial était associé à des honneurs rendus aux morts. Outre les libations de type choai et le soin apporté aux tombeaux (lavage et aromatisation des stèles funéraires), nous apprenons à travers le témoignage de Plutarque que le taureau sacrifié à Zeus Eleuthérios était noir, c’est-à-dire de la couleur souvent privilégiée par les Grecs pour les victimes sacrificielles destinées aux divinités liées à l’Autre Monde et aux héros54. Après le sacrifice du taureau noir dont le sang devait arroser les tombeaux, les morts étaient invités au banquet nocturne et à l’haimacouria qui leur étaient dédiées. Par ailleurs, la relation d’Hermès avec les morts est connue depuis Homère. Hermès Chthonien devait occuper une place exceptionnelle en tant que dieu psychopompe. Dans le cas des guerriers morts à Platées, la reconduction d’une telle cérémonie conduisait à la confirmation de l’héroïsation de ces morts. Outre les honneurs prodigués aux guerriers morts, Plutarque parle de la fête des Eleuthéria qui devait être associée non seulement à Zeus Eleutherios, mais aussi avec les morts, puisque lors même des cérémonies funéraires héroïques les honorant, le dieu était célébré avec eux sur son autel situé près de leurs tombeaux héroïques. Avec l’institution des Eleuthéria, les Grecs avaient décidé de déclarer Platées ville sacrée et chargé les Platéens de procéder chaque année des cérémonies funéraires pour les Grecs morts en combattant les Perses55. Pausanias, bien qu’il traite de la fête des Eleuthéria, ne nous apprend pas si les cérémonies en l’honneur des guerriers morts étaient célébrées ces jours là, mais Plutarque écrit précisément que les Platéens continuaient à honorer annuellement les guerriers morts à son époque encore.

PAUSANIAS, I, 29, 3-16 ; de même, le sanctuaire, l’autel et la statue de Zeus Eleuthérios à Platées se trouvaient à proximité des tombeaux des guerriers grecs morts, PAUSANIAS, IX, 2, 5.

50 Plutarque mentionne les vers d’une épigramme de Simonide (SIMONIDE, fr. 107 D), inscrite sur l’autel de Zeus Eleuthérios, qui commémorait la victoire commune des Grecs pour la liberté. Selon lui, le grand nombre de tombeaux de guerriers morts mettait en évidence le caractère collectif de l’exploit ; de plus, l’assemblée grecque se réunissait pour sacrifier à Zeus Eleuthérios, PLUTARQUE, Aristide, 19, 7.

51 Pour les Marathonia, voir DENYS D’HALICARNASSE, Antiquités romaines, V, 17, 4, 12.

52 Les jeunes platéens portaient des vases remplis de vin, de lait et d’huile pour les libations de type choai, dédiées aux morts, PLUTARQUE, Aristide, 21.

53 PLUTARQUE, Aristide, 21.

54 Pour l’utilisation des victimes de couleur noire lors des sacrifices héroïques, voir K.

STRATIKI, Melas in Greeek Cultural Practices : the case of heroic sacrifices in the Periegesis of Pausanias, L. Cleland et K. Stears (éds.), Colour in the Ancient Mediterranean World (BAR International Series 1267), Oxford, 2004, p. 107.

55 PLUTARQUE, Aristide, 20.

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La fête annuelle des morts était célébrée près du sanctuaire et de l’autel de Zeus Eleutherios, où était aussi organisé tous les cinq ans le concours que Strabon appelle gymnicon stephanitèn, avec des épreuves de l’arène et des couronnes récompensant les vainqueurs56. Pourtant, dans une inscription découverte près de Platées est mentionné un lauréat des concours de trompettes et de hérauts57. Par contre, Pausanias écrit qu’à son époque, la seule épreuve était la course des athlètes armés58. Bien que les informations divergent au sujet des épreuves athlétiques des jeux célébrés pendant les Eleuthéria59, ce qui nous intéresse ici c’est que les cérémonies destinées aux guerriers morts, ainsi que la fête des Eleuthéria et les jeux athlétiques (souvent liés aussi au rituel héroïque) avaient lieu au même endroit, c’est- à-dire au lieu précis où, selon Pausanias, se trouvaient les polyandreia héroïques et l’autel de Zeus Eleuthérios60.

Toutes les cités grecques honoraient leurs guerriers tombés pendant les guerres médiques61. Par exemple, dans la cité de Mégare, Pausanias a vu deux tombeaux héroïques : l’un dédié aux morts des guerres médiques, l’autre, le monument Aisymnion, aux héros62. Les guerriers morts étaient enterrés près des héros locaux, sur l’agora de la ville et non en hors de celle-ci63. Pausanias nous informe que les Mégariens avaient l’habitude d’enterrer leurs morts dans la cité ; cette observation du Périégète, ainsi que le fait qu’il s’interroge ensuite au nombre de tombeaux, généralement, héroïques que les Mégariens comptaient, nous montrent que cette habitude locale l’étonnait d’après le passage. De plus, d’après passage, on comprend que les Mégariens traitaient en héros la plupart de leurs morts64. Evidemment, les guerriers mégariens furent héroïsés par leurs descendants, et devinrent eux aussi des héros locaux, parce qu’ils étaient tombés au cours de batailles importantes de l’histoire locale et panhellénique65.

Nous ne pouvons pas en finir avec la représentation des guerriers morts au cours des guerres médiques sans développer l’exemple de la bataille des Thermopyles où le roi Léonidas se sacrifia en compagnie du corps des Trois Cents66. D’après une tradition spartiate, comme un oracle avait prédit que soit Sparte soit un roi spartiate devait mourir, Léonidas préféra se sacrifier non seulement pour sauver sa patrie, mais aussi pour la sauvegarde de la Grèce67. Hérodote écrit qu’à l’entrée du passage de Thermopyles, un lion fut placé en l’honneur de Léonidas et un polyandreion en

56 STRABON, IX, 412.

57 IG VII, 1667.

58 Voir aussi DIODORE, XI, 29, 1, qui ajoute que lors de l’assemblée des Grecs à l’Isthme, les participants avaient juré que la vie importait moins que la liberté.

59 Pendant les Eleuthéria de Sycacuse aussi, les habitants faisaient des sacrifices et des concours athlétiques annuels en l’honneur de Zeus Eleuthérios, DIODORE, XI, 72, 2. Nous suggérons que, comme les Eleuthéria de Platées, les Eleuthéria de Syracuse et leurs concours athlétiques célébraient aussi les morts héroïsés qui s’étaient sacrifiés pour la liberté des cités et la démocratie.

60 Evidemment, la position de l’autel de Zeus Eleuthérios à côté des tombeaux héroïques à Platées n’était pas due au hasard ; de même, le temple (avec la statue cultuelle) de Dionysos Eleuthereus était situé à l’Académie d’Athènes, puisqu’il y avait là les tombeaux des guerriers athéniens qui étaient morts pour la liberté d’Athènes (excepté ceux de la bataille de Marathon), PAUSANIAS, I, 29, 2-16.

61 Par exemple, PAUSANIAS, X, 8, 7 ; voir aussi POLYBE, VII, 12.

62 PAUSANIAS, I, 43, 3.

63 C. I. GR., 1051 (=SIMONIDE, fr. 107 Bgk).

64 PAUSANIAS, I, 43, 3.

65 Selon une inscription, la cité les honorait par des sacrifices afin de commémorer leur offrande pour la liberté de la Grèce (aux batailles de l’Artémision, de Salamine et de Platées), IG VII, 53 (sacrifices de type enagisma).

66 HERODOTE, VII, 124 et 205 ; THUCYDIDE, V, 72.

67 H. W. PARKE et D. E. WORMELL, The Delphic Oracle, vol. I, Oxford, 1956, p. 296-297.

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l’honneur de ses guerriers morts68. En plus, sur leur tombeau, des inscriptions rappelaient leur exploit et les Amphictyons commémoraient les morts d’épitaphes en vers et de stèles69. Curieusement, pour ces guerriers morts, nous n’avons pas de sources qui attestent d’un culte annuel les concernant à Thermopyles. Mais Simonide, dans son enkomion pour les guerriers morts à Thermopyles, caractérise leur tombeau comme un autel70. Evidemment, ils furent probablement honorés à Sparte pour leur sacrifice, comme l’atteste Pausanias : des jeux athlétiques furent célébrés en l’honneur de Léonidas et de ses guerriers à l’endroit où se situaient sa tombe et la stèle rappelant les noms des guerriers morts71. Evidemment, le Périégète parle du festival en l’honneur de Léonidas, les Léonideia, par ailleurs réorganisé depuis le début du IIème siècle ap. J.-C.72. De même, Pausanias a vu un temple à Sparte consacré aux deux plus braves guerriers qui tombèrent à Thermopyles, Alpheios et Maron73. Dans la tradition grecque, Léonidas et les Trois Cents restent aujourd’hui encore le plus grand exemple de bravoure et de sacrifice pour la liberté de la Grèce74.

En plus de tous ces héros « réels », les héros mythiques prêtaient secours aux Grecs et apparaissaient dans les situations vraiment critiques, tels les combats pour la liberté et pour l’existence de la patrie75. A Marathon, un grand nombre de soldats virent Thésée, armé de pied en cap, se ruer contre les ennemis à la tête de ses concitoyens76. Dans le tableau de Panainos, qui se trouvait dans la Stoa Poecile d’Athènes, on voyait au premier rang des combattants de Marathon un héros du nom d’Echetlos et le héros éponyme, Marathon77. Dans la guerre contre Xerxès, Delphes fut défendu par deux héros locaux78, et le matin de la bataille navale de Salamine, les Grecs adressèrent des prières aux dieux, mais demandèrent aux héros un secours immédiat : de Salamine, on appela à l’aide Ajax et Télamon, et l’on envoya à Egine un vaisseau chargé de ramener Eaque et les Eacides79. Un héros local salaminien, Cychreus, secourut les Grecs80 et, après la bataille, on proclama que l’on était redevable de la victoire aux dieux et aux héros81.

Lorsque les héros grecs étaient normalement vénérés à l’endroit de leur tombeau, ils avaient un caractère plus local que les dieux, et ainsi ils défendaient leur territoire, comme nous le voyons dans des légendes où des héros apparaissent dans les batailles. L’exemple le plus caractéristique d’une telle connexion entre héros et localité est la tradition de la bataille de Marathon et des assistants surhumains des

68 HERODOTE, VII, 224-225.

69 Idem, VII, 228 ; voir encore SIMONIDE, VII, 442.

70 SIMONIDE, 24 Page, PMG.

71 PAUSANIAS, III, 14, 1 (seuls les Spartiates pouvaient participer à l’agon dédié à Léonidas, voir encore C. I. Gr. 1417).

72 Léonideia, à Sparte : C. I. Gr. 1421 ; IG V, 1, 18-20 ; voir P. CARTLEDGE et A. SPAWFORTH, Hellenistic and Roman Sparta. A tale of two cities, Londres/New York, 1989, p. 192.

73 PAUSANIAS, III, 12, 9.

74 Sur cette idée, voir PHILOSTRATE, La vie d’Apollonius, IV, 23.

75 Sur les épiphanies des héros dans les batailles, voir F. PFISTER, RE suppl. 4 (1924), p. 277-323, s.

v. Epiphanie ; M. P. NILSSON, Geschichte der Griechischen Religion, Munich, 1976 (Ière éd., 1967), p. 185 et 715-719 ; A. BRELICH, Gli eroi greci, Rome, 1958, p. 90-92 ; W. BURKERT, Griechische Religion der archaischen und klassischen Epoche, Stuttgart, 1977, p. 290 et 317 ; W. K. PRITCHETT, The Greek state at war III : Religion, Berkeley/Los Angeles, 1979, p. 11-46 ; E. KEARNS, op. cit., p. 3 et 44-47.

76 PLUTARQUE, Thésée, 35.

77 PAUSANIAS, I, 15, 3 ; 32, 5.

78 HERODOTE, VIII, 38-39.

79 HERODOTE, VIII, 64.

80 PAUSANIAS, I, 36, 1.

81 Thémistocle, dans HERODOTE, VIII, 109.

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Athéniens, comme les dépeignait la peinture du début de l’époque classique de la Stoa Poecile d’Athènes82. Cette fameuse peinture est perdue mais, selon les sources littéraires antiques et surtout Pausanias, les dieux et héros suivants y apparaissaient : Athéna, Boutès, le héros éponyme de la tribu des Boutades, Thésée, Héraclès, Marathon et Echetlée83.

En ce qui concerne la présence d’Athéna, se justifie par le fait qu’elle était la déesse poliouchos d’Athènes84. Quant à la présence de Boutès, étant donné qu’aucune source n’atteste de sa participation à la bataille, nous pensons qu’il était représenté en tant que héros éponyme d’une des plus importantes familles d’Athènes. En ce qui concerne la présence de Thésée, outre qu’il soit le héros athénien de référence, il était lié à l’Attique du nord-est85. La peinture le dépeignait se levant du sol, représentation d’une épiphanie héroïque typique et surtout déclaration de l’autochtonie attique86. Alors que la peinture représente une anodos de Thésée de la terre attique, une tradition voulait que beaucoup de guerriers athéniens à Marathon aient déclaré avoir vu Thésée lutter contre les Perses87. Ainsi, l’idée du rôle principal des Athéniens à la bataille de Marathon s’éclaircit désormais, puisqu’on sait que mythe et culte héroïque étaient étroitement liés à la propagande politique, en l’occurrence d’Athènes. Quand les Athéniens, qui participèrent à la bataille de Marathon, affirmèrent que Thésée, armé, avait combattu aux côtés de ses compatriotes, le mythe changea de caractère : le mythe local devint mythe panhellénique. Thésée s’était battu non seulement pour la liberté de sa patrie, mais aussi pour la liberté de la Grèce toute entière. De symbole de la démocratie athénienne, le héros athénien devint également symbole de la liberté panhellénique.

Héraclès était également attaché à la liberté panhellénique, ainsi qu’à la région de Marathon puisque, selon Pausanias, il recevait un culte très ancien dans une région dont le peuple affirmait avoir été le premier auquel il aurait offert des honneurs88. Par ailleurs, d’après Hérodote, avant la bataille, les Athéniens campèrent dans l’Héracleion local, et après leur victoire, quand ils rentrèrent à Athènes pour protéger

82 Pour la peinture de la Stoa Poecile, voir R. E. WHYCHERLEY, The Painted Stoa, Phoenix 7 (1953), p. 20-36 ; E. B. HARRISON, The south frieze of the Nike Temple and the Marathon painting in the Painted Stoa, AJA 76 (1972), p. 353-378 ; Preparations for Marathon, the Niobid painter and Herodotus, ArtB 54 (1971), p. 390-407 ; N. LORAUX, ‘Marathon’ ou l’histoire idéologique, REA 75 (1973), p. 13-42 ; V. MASSARO, Herodotos’ account of the battle of Marathon and the picture in the Stoa Poikile, AntCl 47 (1976), p. 458-475 ; E. D. FRANCIS, Image and idea in fifth-century Greece : art and literature after the Persian wars, Londres, 1980, p. 85-90 et 91-98 ; N. LORAUX, L’inveniton d’Athènes, Paris, 1981, p. 156-173 ; T. L. Jn. SHEAR, The Athenian Agora. Excavations of 1980-82.

The Stoa Poikile, Hesperia 53 (1984), p. 5-19.

83 PAUSANIAS, I, 15, 3.

84 Scholiaste PINDARE, Olympiques, XIII, 56 a ; voir G. SOTERIADES, Anaskaphe Marathonos, Prakt, 1933, p. 42 ; W. K. PRITCHETT, Studies in ancient Greek topography I, Berkeley/Los Angeles, 1965, p. 89

85 H. HERTER, Theseus der Ionier, RhM 85 (1936), p. 188 ; C. CALAME, Thésée et l’imaginaire Athénien. Légende et culte en Grèce antique, Lausanne, 1990, p. 438-443.

86 U. Kron suggère que l’illustration de Thésée sur cette peinture est aussi une allusion au transfert des reliques du héros à Athènes, où il était enseveli dans son nouveau hérôon (PLUTARQUE, Thésée, 36 ; Cimon, 8 ; PAUSANIAS, I, 17, 6), U. KRON, Patriotic Heroes, R. Hägg (éd.), Ancient Greek Hero Cult, Stockholm, 1999, p. 63 ; sur ce sujet, voir encore F. PFISTER, Der Reliquienkult im Alterum, Göttingen, 1909, p. 188 ; J. P. BARRON, New Light on old walls, JHS 92 (1972), p. 20-45 ; A. H.

SHAPIRO, Art and culte under the Tyrants in Athens, Mainz, 1989, p. 143.

87 PLUTARQUE, Thésée, 35, 8.

88 PAUSANIAS, I, 15, 3 ; 32, 4.

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la cité, ils campèrent dans l’Héracleion de Kynosarges89. Pourtant, Hérodote ne mentionne pas Héraclès comme assistant héroïque des Grecs à Marathon. La participation d’Héraclès à la bataille de Marathon, dépeinte dans la peinture de la Stoa Poecile, devait être une invention athénienne et après la victoire des Grecs, les habitants de Marathon honorèrent Héraclès, ainsi que Marathon, leur héros éponyme, jusqu’à l’époque de Pausanias.

Marathon était aussi représenté dans la fameuse peinture de la Stoa Poecile, à côté des autres héros qui aidèrent les Grecs à vaincre les Perses dans la bataille de la région homonyme, puisqu’il était le héros éponyme de Marathon et de sa plaine90. D’après Suda, Marathos était fils d’Apollon et, d’après Eumélos, il était fils d’Epopée, fils d’Aloeus, fils d’Hélios, qui s’installa en Attique, alors que Philostrate désigne Héraclès et une femme locale comme les parents de Marathon91. Cependant, une autre tradition considérait qu’à l’origine, Marathos n’était pas un indigène, mais un Arcadien, frère d’Echemos, qui aida les Dioscures à envahir l’Attique et à libérer leur sœur, Hélène, enlevée par Thésée. Comme un oracle avait demandé un sacrifice humain pour leur victoire, Marathos se porta volontaire pour être sacrifié92. Il est vraiment bizarre qu’un ennemi de Thésée et de l’Attique devienne après sa mort le héros éponyme d’un dème attique et un défendeur de l’Attique. E. Kearns suppose que la version selon laquelle le héros éponyme de Marathon donne sa vie pour la victoire de son armée, serait une récupération de la bataille de Marathon, afin que le héros puisse devenir un prototype mythologique du mort de Marathon93. Mais U.

Kron n’est pas satisfaite de cette proposition qui n’explique pas pourquoi, dans cette version, il reste un héros ennemi et étranger d’Athènes. Selon elle, et dans la tradition des assistants héroïques et divins à Marathon, mentionnés pas Pausanias, la présence de Marathon dans la peinture et dans la tradition s’explique uniquement par ses liens au champ de bataille94.

Revenons à Pausanias qui mentionne la version selon laquelle Marathon était le fils d’Epopée, le roi de Sicyone. Fuyant l’injustice et la violence paternelle, il quitta sa patrie et s’installa en Attique, où il établit les premières lois. Après la mort de son père, il rentra à Sicyone, devint roi de Sicyone et de Corinthe tout en ayant deux fils, Sicyon et Corinthos, les héros éponymes des deux villes95. Marathon était alors un héros important de l’Attique et de Marathon d’une part en tant que héros éponyme du

89 HERODOTE, VI, 108, 1 ; VI, 116, 1. La position de l’Héracleion à Marathon n’est pas encore identifiée, G. SOTERIADES, Prakt, 1935, p. 92-106 ; W. K. PRITCHETT, op. cit., p. 88-90 ; E.

VANDERPOOL, The deme of Marathon and the Heracleion, AJA 70 (1966), p. 319-322 ; A Monument to the battle of Marathon, Hesperia 35 (1966), p. 93-106 ; Regulations for the Herakleion games at Marathon, Studies presented to Sterling Dow on his eightieth birthday, Durham, 1984, p. 295

; A. H. SHAPIRO, op. cit., p. 159 ; E. KEARNS, op. cit., p. 45. Enfin, pour Héraclès en Attique, voir S. WOODFORD, Cults of Heracles in Attica, Studies presented to G.M.A. Hanfman, Mainz, 1971, p.

219-225 ; A. H. SHAPIRO, op. cit., p. 157-161.

90 PAUSANIAS, I, 15, 3 ; 32, 4 ; voir F. DE POLIGNAC, La naissance de la cité grecque, Paris, 1984, pp. 132-140 ; E. KEARNS, op. cit., p. 45 et 183 ; M. H. JAMESON, Sacrifice before battle, V. D.

Hanson (éd.), Hoplites. The classical Greek battle experience, Londres/New York, 1991, p. 197-222 ; LIMC VI, s. v. Marathos, p. 356.

91 SUDA s. v. Marathos. EUMELOS, FGrHist, 451, F 1 = PAUSANIAS, II, 1, 1) ; PHILOSTRATE, VS, 238.

92 DIKAIARCHE, fr. 66, Wehrli = PLUTARQUE, Thésée, 32. Pour le héros arcadien Echemos, voir HESIODE, fr. 23.31-36 et 176.3 Merkelbach et West ; STESICHORE, Page, PMG I, 223 ; HERODOTE, IX, 26 ; DIODORE, IV, 58, 3-5 ; PAUSANIAS, I, 44, 10 ; 41, 2 ; VIII, 5, 1 ; 53, 10 ; APOLLODORE, III, 10, 6.

93 E. KEARNS, op. cit., p. 45 ; voir encore M. H. JAMESON, art. cit., p. 214.

94 U. KRON, art. cit., p. 64.

95 PAUSANIAS, I, 15, 3 ; II, 1, 1 ; II, 6, 5 ; IV, 2, 1.

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dème de Marathon et du Péloponnèse, de l’autre part en tant que père des héros éponymes de Sicyone et de Corinthe. La version locale reprise par Pausanias, qui le nomme seulement Marathon (et jamais Marathos), le présente ainsi comme un héros civilisateur en tant que premier législateur de l’Attique et comme un héros libérateur en tant que guerrier assistant des Grecs contre les Perses dans la bataille de Marathon.

Le dernier héros assistant à Marathon fut un héros local appelé Echetlos ou Echetlée96. Il était représenté sur la peinture de la Stoa Poecile combattant avec une pince de la charrue, où Pausanias a lu son nom, Echetlos (le Périégète ne le mentionne pas sous le nom d’Echetlaios)97. En effet, son nom est associé étymologiquement au terme echetlé, qui signifie « charrue », et indique une fonction particulière, mais étant donné que le héros avait une généalogie héroïque normale, nous ne pensons pas qu’il soit un héros fonctionnel. Selon une tradition marathonienne attestée par Pausanias, un homme incarné en paysan aurait utilisé son araire comme arme contre les Perses.

Après avoir tué de nombreux barbares avec sa charrue, il disparut. Pour son épiphanie, les Athéniens consultèrent l’oracle d’Apollon, lequel leur ordonna d’honorer le héros Echetlos. A Marathon, Pausanias a vu un trophée en l’honneur d’Echetlos qu’une découverte épigraphique confirme également98.

M. H. Jameson suggère qu’Echetlos ou Echetlaios était à l’origine un héros agricole local apparu lors de la bataille de Marathon, alors qu’E. Kearns signale que ce ne fut qu’après son épiphanie mystérieuse qu’Echetlaios ou Echetlos fut honoré comme un héros, mais il est possible, étant donné sa tenue agricole, qu’il fût déjà un héros fermier local, certes inconnu99. U. Kron pour sa part est d’accord avec l’interprétation de M. H. Jameson selon laquelle la tradition et le culte d’un héros agricole marathonien devaient préexister à la bataille de Marathon, où l’histoire de cet assistant héroïque a été forgée. Selon elle, Delphes avait par ailleurs l’habitude d’utiliser et de confirmer des cultes déjà existants. De sa part, U. Kron considère qu’Echetlos et Marathos pouvaient être originellement associés à l’agriculture et à la fertilité de la plaine marathonienne100. De même, A. Jacquemin, suivant M. J.

Jameson, suggère qu’il s’agirait de héros associés aux rites des labours sacrés101. Pausanias insiste sur le fait que l’établissement du culte héroïque d’Echetlos par Delphes avait eu lieu après son épiphanie à la bataille. Nous savons que l’oracle de Delphes ne confirmait pas seulement des cultes déjà existants, mais qu’il instituait surtout de nouveaux cultes héroïques. En tout cas, Marathon et Echetlos étaient deux héros locaux dont l’établissement du culte coïncide avec la naissance de plusieurs cultes héroïques dans l’Attique classique102.

Cependant, Hérodote ne mentionne qu’une apparition héroïque, celle d’un hoplite de taille gigantesque qui combattit pour les Perses. Selon l’Athénien Epizélos, cette figure horrible, dont la barbe recouvrait le bouclier, l’aveugla et tua un de ses

96 M. H. JAMESON, The hero Echetlaios, TAPA 32 (1951), p. 49-64 ; E. KEARNS, op. cit., p. 45 et 165.

97 PAUSANIAS, I, 15, 3.

98 PAUSANIAS, I, 32, 4-5 ; voir W. S. FERGUSON, The Attic Orgeones, HThR 37 (1994), p. 76 ; voir encore H. W. PARKE et D. E. W. WORMELL, The Delphic oracle, vol. I, Oxford, 1956, p. 90 ; J.

FONTENROSE, The Delphic oracle. Its responses and operations with a catalogue of responses, Berkeley/Los Angeles, 1978, p. 315.

99 M. H. JAMESON, The hero Echetlaios, TAPA 32 (1951), p. 49-64 ; E. KEARNS, op. cit., p. 45 et 165.

100 U. KRON, art. cit., p. 64-65 ; voir PHILOSTRATE, VS, 27.

101 A. JACQUEMIN, Guerre et Religion dans le monde grec (490-322 AV. J.-C.), Paris, 2000, p. 38 n.

3.

102 J. WHITLEY, The Archaeology of Ancient Greece, Cambridge, 2001, p. 365.

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camarades103. Certains chercheurs ont supposé qu’Epizelos avait été terrifié par un géant perse standard, puisque les Perses sont souvent décrits dans les sources littéraires antiques comme des personnes énormes, à longue barbe, mais cela n’explique pas l’aveuglement d’Epizelos104. E. B. Harrison a suggéré que cette figure énorme pourrait personnifier la peur, comme Phobos ou Deimos105. Nous pensons que l’interprétation héroïque est la plus satisfaisante parce que, d’une part, la religion grecque incluait aussi des héros ennemis des Grecs et que, d’autre part, les héros étaient souvent caractérisés par leur statue gigantesque, ainsi que par leur forme non humaine. A. Jacquemin, par ailleurs, précise qu’habituellement l’épiphanie héroïque se laisse voir sans danger par ceux à qui elle est favorable106.

A Salamine, une légende locale rapporte que pendant la bataille navale opposant les Athéniens aux Perses, un serpent apparut au milieu des navires et aida les Grecs à vaincre107. Une nouvelle fois, Apollon désigna le héros qui a participé à la fameuse bataille : il s’agissait du héros Cychreus, roi et guerrier légendaire de Salamine108. Il était fils de Poséidon et de l’héroïne éponyme de l’île, la fille d’Asopos. Il était même le héros éponyme le plus ancien de l’île, parce que Strabon nous apprend que l’île se nommait primitivement Cychreia. Selon la tradition, un serpent allait détruire l’île de Cychreia ; Cychreus le tua et fut en remerciement désigné comme roi par les habitants de la région à laquelle il donna le nom de Salamine, sa mère109.

Pourtant, Cychreus était considéré comme un héros assistant bien avant la bataille navale de Salamine. Une tradition veut que pendant la longue lutte opposant Athènes et Mégare pour la possession de Salamine, au début du VIème siècle, quand Solon demanda à Delphes comment les Athéniens pourraient conquérir l’île, l’oracle lui conseilla d’être le premier à sacrifier aux héros locaux salaminiens. Pour cette raison, Solon navigua de nuit à Salamine, y sacrifia aux héros Periphémos et Cychreus et fut récompensé par le succès110. Il n’est pas étonnant que Cychreus devienne héros assistant des Athéniens puisque les héros aidaient habituellement ceux

103 HERODOTE, VI, 117 ; voir E. KEARNS, op. cit., p. 44-46.

104 T. HOLSCHER, op. cit., p. 43, 58 et 65 ; W. RAECK, Zum Barbarenbild in der Kunst Athens im 6.

und 5. Jahrehundert v. Chr., Bonn, 1981, p. 103 ; contra, R. E. WHYCHERLEY, The Athenian Agora III. Literary et epigraphical testimonia, Princeton, 1957, p. 31-47.

105 E. B. HARRISON, The south frieze of the Nike Temple and the Marathon painting in the Painted Stoa, AJA 76 (1972), p. 368 ; contra, U. KRON, art. cit., p. 65.

106 A. JACQUEMIN, op. cit., p. 38 n. 7.

107 PAUSANIAS, I, 36, 1-2 ; PLUTARQUE, Thémistocle, 18 ; pour la relation de Cychreus et du serpent, voir STRABON, IX, 393. Nous soulignons que le serpent est un symbole des morts et des héros, ainsi que le protecteur des habitants d’une région (par exemple, Erichthonios/Erechthée sur l’Acropole d’Athènes).

108 Sur le lieu de l’apparition fut élevé un sanctuaire dédié à Artémis (PAUSANIAS, I, 36, 1) ; pour Cychreus en général, voir aussi HESIODE, Ehoiai, 226, Merkelbach/West (=STRABON, IX, 393) ; APOLLODORE, III, 12, 7 ; DIODORE, IV, 72, 4 ; STRABON, IX, 1, 9 ; voir encore M. P. NILSSON, op. cit., p. 717 ; E. KEARNS, op. cit., p. 44-46 et 180 ; Saving the city, O. Murray et S. Price (éds.), The Greek city. From Homer to Alexander, Oxford, 1990, p. 322-326. Pour le lieu où les restes des Perses furent trouvés, voir ESCHYLE, Perses, 570.

109 STRABON, IX, 393.

110 PLUTARQUE, Solon, 9 ; voir M. MANFREDINI et L. PICCIRILLI, La vita di Solone, Milan, 1977, p. 134 ; pour cette expédition, voir W. S. FERGUSON, The Salaminioi of Heptaphylai and Sounion, Hesperia 7 (1938), p. 1-74 ; M. P. NILSSON, The new inscription of the Salaminioi, AJP 49 (1938), p. 385-401 ; F. SOKOLOWSKI, Lois sacrées des cités grecques, Suppl., Paris, 1962, no. 52 ; M. PICCIRILLI, Solone e la guerra per Salamina, ANSP 8, 1 (1978), p. 11 ; A. H. SHAPIRO, Art and cult under the Tyrants. Supplement, Mainz, 1995, p. 154-157 ; L. M. L’HOMME-WERY, La perspective éleusinienne dans la politique de Solon, Genève, 1996 (sur le contexte historique). Notons que, contrairement à Cychreus, le héros Periphémos n’est pas mentionné dans d’autres sources.

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qui les honoraient les premiers. C’est pourquoi les endroits consacrés aux héros, tombeaux ou sanctuaires, restaient souvent secrets pour que les ennemis ne puissent bénéficier du soutien héroïque111.

En plus de leur assistant salaminien ancien, Cychreus, Hérodote écrit que les Athéniens invoquèrent aussi avant la bataille navale de Salamine les héros locaux Ajax et Télamon et envoyèrent un vaisseau à Egine pour ramener les reliques du père de Télamon, Eaque, qui revinrent au moment où Thémistocle ordonna à son armée d’embarquer. Nous l’avons déjà indiqué que d’après la tradition éginète, le vaisseau apportant les reliques d’Eaque fut le premier à engager la bataille112. Selon Plutarque, pendant celle-ci, des hommes armés, qui furent considérés comme les Eacides, ont été vus tendant leurs mains pour protéger le vaisseau grec113. De plus, l’exilé athénien Dikaios qui, comme Démarate, accompagnait l’armée perse, vit un nuage de poussière venant d’Eleusis et reconnut les paroles de l’hymne chanté lors des Mystères ; pour lui, ce fut le signe que les divinités éleusiniennes se portaient au secours des Grecs114. Au début de la bataille, une apparition féminine au milieu des navires fut identifiée par les Athéniens comme Athéna115.

Tous ces héros ont apparemment aidé les Grecs à Salamine : après la victoire, les Eacides en furent remerciés et une trière phénicienne fut dédiée à Ajax116. Enfin, la célébration des Aianteia, la fête ancienne en l’honneur d’Ajax, a été réorganisée, associant la fête du héros à la célébration de la victoire à Salamine117. Cychreus était toujours honoré comme héros-protecteur dans son sanctuaire de Salamine118.

Bien que les héros, qui aidèrent les Grecs à la bataille de Marathon, fussent honorés après celle-ci, les Athéniens et leurs alliés ne les avaient pas priés avant celle- ci afin d’obtenir leur appui. La situation était alors différente à Salamine, où les Grecs prièrent tous les dieux et surtout les Eacides pour qu’ils les aident dans la bataille, comme dans celle de Platées : selon Plutarque, avant la fameuse bataille de 479 av. J.- C., Aristide, le général athénien, envoya des représentants à Delphes. L’oracle apprit aux Athéniens qu’ils seraient victorieux uniquement s’ils priaient Zeus, Héra, Pan et les Nymphes et s’ils sacrifiaient aux sept héros fondateurs de Platées119. L’endroit choisi pour disposer l’infanterie avant le combat se trouvait à proximité d’un temple de Déméter et de Coré/Perséphone ainsi que du sanctuaire d’Androcratès, un des héros fondateurs120. Le fait que les Grecs victorieux les remercièrent par des sacrifices permet de comprendre la participation importante que prirent au succès les héros platéens, même si nul ne les vit participer au combat121. De même, après la victoire de Platées, les Grecs honorèrent les guerriers morts et surtout Zeus Eleuthérios. Dans la ville elle-même, un peu à l’écart de l’autel et de la statue du dieu, se trouvait le

111 Par exemple, le tombeau d’Eaque à Egine, PAUSANIAS, II, 29, 8.

112 HERODOTE, VIII, 64 et 83 ; voir U. KRON, Die Zhn Attischen Phylenheroen. Geschichte, Mythos, Kult und Darstellungen, Berlin, 1976, p. 171-173 ; E. KEARNS, op. cit., 46 et 141 ; art. cit., p. 327.

Notons seulement qu’Ajax descendait de Cychreus.

113 PLUTARQUE, Thémistocle, 15.

114 HERODOTE, VIII, 65.

115 HERODOTE, VIII, 84.

116 HERODOTE, VIII, 121.

117 L. DEUBNER, op. cit., p. 228 ; U. KRON, op. cit., p. 172 ; E. KEARNS, op. cit., p. 46 ; A. H.

SHAPIRO, op. cit. (suppl.), p. 23.

118 PAUSANIAS, I, 36, 1.

119 PLUTARQUE, Aristide, XI, 3-4 ; voir encore M. P. NILSSON, Geschichte der Griechschen Religion, Munich, 1976 (Ière éd., 1967), p. 717 ; W. BURKERT, op. cit., p. 290.

120 Est-ce que Déméter et Coré/Perséphone fussent aussi considérées par les Grecs comme des

«assistantes» contre les Perses pendant la bataille de Platées ?

121 PLUTARQUE, Aristide, XI, 5-7.

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sanctuaire de l’héroïne éponyme de la cité, libérée grâce à Zeus Eleuthérios et, ajoutons-nous, grâce aux héros122.

A l’intérieur d’un vase attique à figures rouges, la fameuse coupe d’Oxford, qui montre à l’extérieur des scènes en armes et une bataille entre Grecs et Perses, figurent deux guerriers grecs barbus123. A. A. Barrett et M. Vickers interprètent la scène comme un autel ou un hérôon dont les esprits des deux guerriers de Marathon se lèvent pour protéger leur patrie contre les Perses. En effet, des représentations similaires d’esprits (eidola) se levant de leur tombe sont répandues dans l’art grec124. En outre, des sources littéraires anciennes assimilent les tombes des héros ou des morts héroïsés à des autels125.

Ainsi, chaque face de la coupe de Brygos semble être associée à la bataille de Marathon. D. Williams a tenté de donner aux deux guerriers de l’intérieur se levant de l’autel une identité, les considérants comme les chefs athéniens, Callimachos et Stesilaos, décédés durant la bataille et ensuite héroïsés. Selon le même chercheur, l’emplacement de l’autel doit être l’Héracleion de Marathon qui joua un rôle important dans la bataille126. U. Kron en donne une autre interprétation de tous les aspects de la coupe : les deux guerriers se levant doivent être des héros, comme ceux de la peinture de Marathon de la Stoa Poecile ; à la place de Thésée se levant du sol et d’autres dieux et héros, comme Echetlos, sur la coupe d’Oxford, nous voyons deux héros guerriers locaux se levant de leur tombeau-autel, prêts à défendre leur patrie.

L’un d’entre eux pourrait être le héros éponyme Marathon mais, sans inscription ou attribut explicatif, U. Kron préfère de ne pas leur donner de nom et de les considérer comme un pair de héros127. Selon A. A. Barrett et M. Vickers, un autre assistant surhumain, portant un chiton féminin, était dépeint sur la coupe d’Oxford ; ils l’assimilent à Athéna qui apparaît au milieu de la scène de la bataille128.

Les esprits des guerriers héroïsés morts dans la plaine de Marathon apparurent aux Grecs jusqu’à une époque tardive : Pausanias, grand amateur de légendes et de croyances populaires (s’attardant longuement sur la description du dème de Marathon, parce qu’il y trouvait des cultes et surtout des légendes postérieures à la victoire de 490 av. J.-C.), nous raconte un phénomène prodigieux qui persistait au Marathon de son temps : chaque nuit, les visiteurs du site pouvaient entendre les hennissements des chevaux et les hommes en train de se battre. Celui qui essayait de les écouter à dessein connaîtrait un malheur ; au contraire, si on les écoutait par hasard, les démons ne se mettaient pas en colère129. Qui étaient ces démons locaux de Marathon considérés comme protecteurs ou punisseurs, selon la croyance populaire ? Comme

122 PAUSANIAS, IX, 2, 7.

123 M. A. B. HERFORD, A cup by Brygos at Oxford, JHS 34 (1914), p. 106-113, pl. 9 ; A. BOVON, La représentation des guerriers Perses et la notion de barbares dans la Ière moitié du V siècle, BCH 87 (1963), p. 379-602 ; A. A. BARETT et M. VICKERS, The Oxford Brygos cup reconsidered, JHS 98 (1978), p. 17-22, pls. 1-2 ; D. WILLIAMS, A cup by the Antiphon painter and the battle of Marathon, E. Böhr et W. Martini (éds.), Studien zur Mythologie und Vasenmalerei. Festschrift K. Schauenburg, Mainz, 1986, p. 74-81, pl. 13, 2 ; U. KRON, art. cit., p. 65-66.

124 A. A. BARRETT et M. VICKERS, art. cit., p. 17 ; ils sont suivis par D. Williams et U. Kron, D.

WILLIAMS, art. cit., p. 79 ; U. KRON, art. cit., p. 66. Sur la représentation des eidola, A. A.

BARRETT et M. VICKERS, art. cit., p. 23.

125 Par exemple, SIMONIDE, 24 Page, PMG ; PLUTARQUE, Thémistocle, 32, 5-6 ; PAUSANIAS, II, 29, 8 ; voir U. KRON, art. cit., p. 67 ; voir aussi A. A. BARRETT et M. VICKERS, art. cit., p. 17, 21- 22 ; D. WILLIAMS, art. cit., p. 77.

126 D. WILLAMS, art. cit., p. 78.

127 U. KRON, art. cit., p. 67-68.

128 A. A. BARRETT et M. VICKERS, art. cit., p. 22.

129 PAUSANIAS, I, 32, 4.

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