• Aucun résultat trouvé

L acier, la nature et l histoire

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "L acier, la nature et l histoire"

Copied!
7
0
0

Texte intégral

(1)

n

entretien avec tsuyoshi tane réalisé par anouck jourdain

n

l’acier, la nature et l’histoire

“q

uelle serait la maison de vos rêves ? »

« Je passerais volontiers quelques jours dans un satellite ou sur la Lune à contempler les étoiles, en l’absence de lumière artificielle ; de là-haut j’aurais un regard sur le monde. »

Tsuyoshi Tane a tout du poète et du philosophe. Ce jeune homme né à Tokyo en 1979 se tourne vers le milieu architectural un peu par hasard. C’est dans une faculté de Hokkaido que commence sa belle rencontre avec l’univers de Vitruve. En plus des cours dispensés dans les amphi théâtres, l’étudiant passe des centaines d’heures en bibliothèque ; il s’abreuve à toutes les sources ; il veut apprendre, c’est une obsession ! Outre les édifices japonais, ses yeux découvrent dans les livres les bâtiments européens ; la perfection l’impressionne, les extravagances le font sourire.

Le Corbusier , Antoni Gaudí, Jean Nouvel comptent parmi ses principaux

« maîtres » occi den taux.

(2)

L’attirance de Tsuyoshi Tane pour l’architecture tient peut-être à sa dimension pluridisciplinaire : l’architecture ne se limite pas en effet à la création d’œuvres qui répondent à la fois aux besoins matériels de l’homme et à ses aspirations esthétiques. Elle se révèle porteuse de questions plus générales sur l’habitat, sur la relation entre l’homme et la nature, sur la place de l’être humain vu non comme le centre mais comme un élément constitutif du monde.

Au cours d’un voyage en Angleterre, Tsuyoshi Tane croise une Liba- naise, Lina Ghotmeh, et un Italien, Dan Dorell. Tous trois fondent en 2006 à Paris une agence d’architecture, d’urbanisme et de design d’espace, Dorell.

Ghotmeh.Tane Architects. Les projets s’accumulent : les clients aiment la philosophie de la maison ; l’alliance de trois nationalités et de trois histoires permet d’enrichir les points de vue. Pour le trio, il ne s’agit pas d’imposer une œuvre afin d’y laisser une signature ; il faut tout au contraire l’insérer dans un environnement, la faire fusionner avec le paysage.

Tsuyoshi Tane nous accueille dans son agence rue Desargues, située au cœur du XIe arrondissement. C’est entre des maquettes, des stylos, des équerres, des plans accrochés sur le mur, des ordinateurs que s’engage la conversation.

Anouck Jourdain

R

evue des deux Mondes – En 2005, l’Estonie lance un concours international pour la réalisation d’un bâtiment de trente- quatre mille mètres carrés, qui abritera, en 2016, une collec- tion de cent quarante mille objets artistiques. Les membres du jury retiennent votre proposition. Vous avez alors 26 ans. Quelle fée veille donc sur vous ?

Tsuyoshi Tane – Pas  une,  mais des  fées !  Vous  serez  peut- être  surprise  d’apprendre  que  petit,  seul  le  football  m’intéres- sait.  Je  voulais  être  entraîneur  professionnel.  Malheureusement,  mon  niveau  ne  me  le  permettait  pas.  Je  me  suis  trouvé  devant  un  dilemme :  soit  je  continuais  à  m’exercer  sur  le  terrain  pour  devenir  joueur,  soit  j’arrê tais.  J’ai  décidé  de  mettre  fin  au  rêve. 

À l’époque, mon école était jumelée avec un autre établissement  de Hokkaido, une île qui m’était étrangère. J’ai rempli un dossier  administratif et je suis parti. Lors de mon voyage, j’ai traversé un 

(3)

environnement naturel exceptionnel ; j’ai franchi de magnifiques montagnes, des forêts luxuriantes, des volcans, des lacs. Quel contraste avec Tokyo !

Arrivé sur place, je me suis inscrit dans une université d’archi- tec ture. Je ne connaissais rien en ce domaine, mais comme je suis d’un tempérament curieux, j’ai tenté l’expérience. Les cours se sont révélés passionnants. En troisième année, on nous proposa un programme d’échange avec une fac suédoise. Comme j’avais envie d’ailleurs, j’ai sauté dans un avion, ne sachant pas très bien sur quelle partie du globe j’allais atterrir. L’aventure suédoise fut palpitante. La société et la culture du pays m’ont beaucoup ins- piré ; j’aime la manière dont la population appréhende la flore.

Au bout d’un an, je suis rentré finir mes études au Japon. Après les examens, je me suis envolé pour la Scandinavie. J’ai obtenu un travail à Copenhague puis j’ai gagné Londres. Pourquoi ? Parce qu’un cabinet d’architecture m’intéressait. Là-bas, j’ai rencontré mes futurs partenaires, Dan Dorell, un Italien, et Lina Ghotmeh, une Libanaise. Nous nous sommes d’abord associés pour pré- senter un concours, que nous avons remporté. Nous avons alors décidé d’ouvrir une agence soit à Paris soit à Londres. Pour être honnête, Paris ne me tentait pas ; la langue, la culture, la cuisine, tout m’était inconnu. Devant l’insistance de mes amis, j’ai signé pour trois mois. C’était en 2006, nous sommes en 2013, je n’ai toujours pas quitté Paris !

Revue des deux Mondes – Revenons à votre formation.

Qu’étudiez-vous à Hokkaido ?

Tsuyoshi Tane – Lorsque j’ai poussé les portes de la fac, je n’avais absolument aucune culture architecturale. J’ai passé des heures en bibliothèque penché sur des articles, des revues et des livres en tous genres. Un jour, j’ai découvert l’œuvre d’Antoni Gaudí.

Quel choc ! J’ai épluché de nombreux ouvrages le concernant : son univers me fascinait. Gaudí incarne pour moi la symbiose parfaite entre la tradition et la modernité. L’architecte observe longuement la nature et s’en imprègne ; il développe un style organique. Pour lui, la véritable création n’existe pas ; il s’agit uniquement d’imiter et d’interpréter la flore, de « copier le grand livre toujours ouvert de la nature ». Gaudí scrute en profondeur les formes végétales ;

(4)

il cherche un langage capable de refléter les tiges, les fleurs, les arbres et le désordre géométrique que représente leur structure. Le deuxième artiste qui me bouleversa fut Tadao Ando. Je me sou- viens d’un travail à l’école : les professeurs nous demandaient de concevoir notre première maquette. Nous étions libres de choisir le modèle. J’ai reproduit l’« Église sur l’eau », construite en 1985.

J’avais vu des images de l’édifice en bibliothèque. Les deux boîtes rectangulaires m’impressionnaient tellement que je me suis rendu sur place, à Hokkaido. Le bâtiment , véritable chef-d’œuvre, pro- pose une très belle réflexion sur l’espace, l’eau et l’air. Une fois à l’intérieur, vous pouvez entendre le clapotis du lac. Cette expé- rience m’ébranla. Le Corbusier a compté également dans ma for- mation. Même si je ne suis pas d’accord avec l’ensemble de ses travaux, j’aime le mystère qui se dégage de son art. Il faudrait aussi citer Kenzo Tange...

Revuedes deux Mondes – Comment pensez-vous l’architecture ? Tsuyoshi Tane – Il est essentiel de s’inspirer de l’histoire, de la tradition, du passé, de tout ce que les autres ont conçu. Je suis très hostile à l’idée de faire table rase au profit d’une innovation radicale.

Lorsque je travaille sur un projet, je me demande toujours comment unir mes inspirations à l’histoire du lieu. Je consacre du temps à étudier l’espace : j’ai besoin d’en connaître la mémoire. Le futur ne m’excite pas follement. Je préfère l’hier et l’aujourd’hui.

Revuedes deux Mondes – Vous souhaitez être reconnu comme un « artiste social » et non comme un « architecte vert ». Que voulez- vous dire ?

Tsuyoshi Tane – Chaque fois qu’un architecte place un arbre ou une fleur dans ses constructions, il devient un « architecte vert ». C’est un peu réducteur. J’aime les végétaux, j’aime mettre du vert dans mes créations, mais pas seulement. Je réfléchis à la température, à l’air, au soleil, à tout ce qui touche notre exis- tence. Il n’y a encore pas si longtemps, nous vivions en osmose avec la nature ; la séparation entre l’intérieur et l’extérieur était poreuse : nous cherchions l’eau dans un puits, par exemple, ou à la rivière. Aux XXe et XXIe siècles, nous bâtissons des murs ; nous disposons de tous les services dans des espaces bétonnés :

(5)

le courant, l’air conditionné, l’eau, rien de tout cela n’existe au XIXe. Nous concevons un environnement très agréable pour l’être humain. Toutefois le confort ne suffit plus ; l’homme se remet en question et réalise les dommages qu’engendre son « bien- être » sur la Terre ; il comprend que le système ne fonctionne pas si bien. Nous sommes placés devant un nouveau challenge qui consiste à renouer l’intérieur avec l’extérieur. Il ne s’agit pas seulement d’apporter des arbres ou de l’herbe dans une maison, il faut retrouver une unité.

Revue des deux Mondes – Vous attachez de l’importance au vent. Comment composez-vous avec Éole ?

Tsuyoshi Tane – Le vent a beau être invisible, il est là, partout autour de nous. Il provient des variations de température qui sti- mulent le déplacement des masses d’air. Dans les espaces humains, il est très difficile de travailler sur le vent : les périmètres clos sont déjà saturés par un type d’air, la température est constante. Or le vent me semble une donnée à prendre en considération : les hommes et les femmes peuvent se sentir mieux au contact d’une légère brise, d’un léger souffle. L’invariant n’est pas idéal. La société actuelle est bien plus sensible à ce genre de critères que par le passé. Il y a comme un retour des valeurs liées à la nature : l’homme vivait avec le soleil ; à présent, il dispose de l’énergie électrique. Le geste d’allu- mer et d’éteindre une lampe nous fait perdre le naturel. On oublie la lumière solaire qui varie du matin au soir. Il faut retrouver la fluctuation. Alors que nos parents et nos grands-parents cherchaient à améliorer leur vie par la technique, notre génération pense dif fé- remment. Nous avons pris conscience des pertes liées aux interven- tions scientifiques.

Revuedes deux Mondes – Comment se déroule votre travail ? Tsuyoshi Tane – Il y a d’abord le projet : soit un client nous appelle, soit nous participons à un concours. Après, nous nous inté- ressons au lieu et à son histoire. Nous devons comprendre le sens profond de l’endroit pour que le futur édifice soit en rapport avec le site. Il est incroyable de se dire que tel espace est unique au monde.

Si vous pensez autrement, alors vous pouvez construire un immeuble sur un sol quelconque et le répliquer à l’infini. Vous perdez la notion

(6)

d’identité. Regardez les constructions anciennes. Pourquoi tel archi- tecte a créé telle bâtisse sur telle zone ? Il est essentiel de réfléchir à la culture des lieux et de respecter le paysage. Après s’être bien impré- gnés d’histoire, nous dessinons des plans sur des feuilles blanches.

Lorsqu’un compositeur écrit des notes sur du papier, il entend leur musique ; lorsqu’un architecte dessine une charpente, il voit le bâtiment à venir ; le processus intellectuel est assez fou ! Le choix des matériaux dépend du souhait des clients mais aussi de la température, de l’exposition du soleil, de l’humidité. Les maisons traditionnelles japonaises sont construites en bois, à cause notamment du régime atmosphérique. Et puis il est facile de trouver des arbres au Japon : les forêts sont étendues. À la différence des pratiques européennes, nous emboîtons les planches, nous ne les posons pas. Cet enchâssement induit une autre approche de l’homme avec la nature : le bois est uti- lisé pour le sol et pour la charpente ; vous avez donc une connexion entre les pieds, la tête et la Terre.

Revue des deux Mondes – Qu’appréciez-vous dans les œuvres de vos prédécesseurs et de vos contemporains ?

Tsuyoshi Tane – J’aime la fluidité ; j’aime les architectures ouvertes à la lumière, aux sons, aux mouvements ; j’aime l’idée que des êtres vont et viennent, qu’ils arrivent, s’installent, repartent. En ce sens la Sagrada Família est un parfait exemple : beaucoup tra- vaillèrent à la réalisation de cette œuvre inachevée ; on déploya une énergie folle. Le bâtiment fascine et inspire. Je n’aime pas les immeubles vitrés comme à Dubai. Voir ce genre de buildings implan- tés au milieu du désert m’attriste. Vous avez une impression d’écra- sement et de petitesse ; vous imaginez que les personnes à l’inté- rieur vivent d’affreux cauchemars coincées dans un vaste sauna ! On se sent littéralement coupé de la nature et du cadre extérieur.

Tout semble avoir été choisi au hasard, à coup d’énormes sommes d’argent.

Revuedes deux Mondes – Quelles sont les relations entre l’archi- tec ture japonaise et française ?

Tsuyoshi Tane – Quand je suis arrivé à Paris la première fois, j’ai découvert des choses absolument fabuleuses. J’ai tout de suite apprécié l’architecture. Cela ne tient pas uniquement au choc pro-

(7)

voqué par le contraste entre la France et le Japon. J’ai visité le Louvre, l’Opéra Garnier, le château de Versailles… ce sont des monuments fantastiques. Il me semble que les architectes fran- çais envisagent autrement l’espace : l’édifice sera vu, donc l’édi- fice à bâtir doit être beau. Un grand soin est porté aux couleurs, aux formes, aux courbes. Nous ne prêtons pas ce même genre d’attention : les Japonais sont davantage dans un rapport tactile que visuel ; ils touchent et disent : « C’est un beau travail. » Voilà pourquoi les matériaux sont plus doux et plus chauds au contact : le toucher permet de ressentir le monde.

Références

Documents relatifs

La gouvernance envisagée pour l’eurozone la place sur une trajectoire de collision frontale avec le modèle social. En fait sans véritable solidarité financière, budgétaire, sociale

Mais toute sa vie elle aspire à un ailleurs mythique et quand, enfin, le docteur, à l’indépendance, propose de lui donner sa maison, elle refuse le cadeau malgré

perméables : certains laissent beaucoup passer l’eau de pluie, d’autres moins, d’autres pas du tout... Que fait l’eau

formera une nappe phréatique qui pourra être captée ou qui pourra ressortir sous forme de

formera une nappe phréatique qui pourra être captée ou qui pourra ressortir sous forme de source.

○ L’enseignant demande aux élèves de citer les trois états de l’eau. Ces états sont notés dans un coin du tableau. - Activité en binôme : le trajet de l’eau dans la

○ L’enseignant explique aux élèves que la nouvelle séquence de sciences permettra de connaître le trajet de l’eau dans la nature.. ○ Pour commencer, il écrit une question

Quand elle est tombée, l’eau de pluie ruisselle (elle descend), s’évapore (elle remonte sous forme de gaz) ou s’infiltre (elle passe à travers les roches) dans le sol, où elle