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Evolution expérimentale et spécialisation dans le paysage adaptatif d'un gradient environnemental

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Academic year: 2021

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HAL Id: tel-01704551

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Submitted on 8 Feb 2018

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Evolution expérimentale et spécialisation dans le paysage adaptatif d’un gradient environnemental

Noémie Harmand

To cite this version:

Noémie Harmand. Evolution expérimentale et spécialisation dans le paysage adaptatif d’un gra- dient environnemental. Evolution [q-bio.PE]. Université Montpellier, 2017. Français. �NNT : 2017MONTT062�. �tel-01704551�

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Délivré par l’Université de Montpellier

Préparée au sein de l’école doctorale Gaia Et de l’unité de recherche Centre d’Ecologie

Fonctionnelle et Evolutive

Spécialité : Evolution, Ecologie, Ressources génétiques, Paléobiologie

Présentée par Noémie HARMAND

Soutenue le 21 juin 2017 devant le jury composé de

M. Thomas BATAILLON, Ass.Prof, Aarhus University Rapporteur Mme Isabel GORDO, DR, Instituto Gulbenkian de Ciência Rapporteur M. Guillaume ACHAZ, MC, Université Pierre-et-Marie-Curie Examinateur Mme Delphine SICARD, DR, INRA Montpellier Examinateur

M. Thomas LENORMAND, DR, CNRS Montpellier Directeur de thèse M. Guillaume MARTIN, CR, CNRS Montpellier Coencadrant de thèse

Evolution expérimentale et spécialisation dans le paysage adaptatif d’un gradient

environnemental

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Experimental evolution and

specialization in the adaptive landscape of an environmental gradient

Noémie Harmand

Thèse supervisée par Thomas Lenormand et Guillaume Martin

pour obtenir le grade de docteur, délivrée par l’Université de Montpellier.

Préparée au sein de l’école doctorale SIBAGHE et de l’unité de recherche CEFE-CNRS

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Remerciements

Je tiens à remercier, en premier lieu, Thomas et Guillaume de m’avoir entrainée dans cette grande aventure. Vous avez été des excellents guides pour traverser les pics et les vallées de cette thèse. Merci pour tout ce que vous m’avez appris, votre considération et votre soutien. J’ai beaucoup apprécié nos séances de science artistique à base de croix, ronds, ellipses et triangles.

A quand la prochaine forme ?

Un grand merci à Romain et Jean-Nicolas, mes mentors de la microbiologie. Un remerciement particulier à Romain, avec qui l’aventure a commencé, et qui m’a énormément encouragée et soutenue dans les manips comme dans le quotidien. Merci également à Roula et à Marie-Pierre pour leurs aides et précieux conseils au laboratoire et surtout pour leur humanité. Pour moi, vous êtes des piliers de ce laboratoire. Merci Roula d’avoir été présente et rassurante au cours de toute cette thèse.

Je remercie toutes les personnes des équipes GEE du CEFE et Métapopulations de l’ISEM avec qui j’ai pu interagir au cours de ma thèse. Les échanges, pauses café, repas, bières en votre compagnie ont rendu mon quotidien très agréable. Une mention spéciale à tous mes supers co- bureaux! Merci également aux habitants du troisième et à tous ceux avec qui j’ai organisé les séminaires. Merci à Valentine et Sara, qui ont contribué aux travaux de cette thèse. Merci à Fabien pour tes nombreuses aides au début de cette thèse et pour le projet IloGen, qui, faute de temps et à mon grand regret, ne fait pas partie de la thèse. Un énorme merci à Eva, ma sœur de thèse, d’avoir traversé avec moi ces dernières années.

Je tiens à remercier les membres de mon jury, Isabel Gordo, Thomas Bataillon, Delphine Sicard et Guillaume Achaz, d’avoir accepté de lire et discuter mon travail de thèse. Je remercie également les membres de mes comités de thèse d’avoir contribué aux réflexions sur l’ensemble des projets: Nicolas Bierne, Stéphanie Bedhomme, Thomas Hindré, Pierrick Labbé et Pilar Francino.

Merci aux amis de Montpel, les colocs, les copains de Nancy et de Paris. Merci particulièrement à Nina, Sophia, Carole, Cécilia d’avoir été présentes dans les bons et les mauvais moments de cette thèse. Merci à ma grande famille, mon frère et mes sœurs, mes parents pour leur présence, leurs encouragements et leur soutien inconditionnel. Merci enfin à ADM de m’avoir supportée et d’avoir vécu cette thèse avec moi, elle n’aurait pas été la même sans toi.

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Sommaire

Introduction ... 1

Contexte ... 1

- Pourquoi veut-on prédire l’évolution? ... 1

- Est-il possible de prédire l’évolution? ... 1

- Observer, reproduire et tester les trajectoires évolutives ... 3

Trajectoires et paysages adaptatifs ... 4

- Quel modèle d’adaptation? ... 4

- Quelle forme de paysage adaptatif? ... 5

- Extensions et applications de la notion de paysage adaptatif ... 9

- Au-delà des paysages adaptatifs ... 12

Etudes réalisées dans la thèse ... 13

Décrire la variabilité génétique disponible au cours de l’adaptation ... 13

- Avec quoi s’adapte-t-on? ... 13

- Décrire les dynamiques mutationnelles entre génotypes et environnements ... 14

- Approches expérimentales ... 17

Décrire et comparer les contraintes sélectives entre environnements ... 18

- Variations de l’environnement abiotique ... 18

- Compromis adaptatifs entre environnements ... 19

- Environnement biotique au sein des lignées évolutives ... 22

- Interactions de fréquence-dépendance et maintien de la diversité... 22

Plan de la thèse ... 24

Chapitre 1: Fisher’s geometrical model and the mutational patterns of antibiotic resistance ... 25

Chapitre 2: Fitness trade-offs in the evolution of bacterial antibiotic resistance at different concentrations along a gradient ... 53

Chapitre 3: Mapping the topography of adaptive fitness landscapes across environments: An experimental landscape for bacterial adaptation across an antibiotic dose gradient ... 85

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Chapitre 4: Fast evolution of frequency-dependent selection between coexisting species of

bacteria ... 125

Discussion et perspectives ... 157

La variabilité génétique à travers plusieurs environnements ... 158

Que révèle l’approche multi-environnementale sur les variations d’effets sélectifs entre environnements ... 158

Comment les interactions avec les autres espèces s’intègrent dans la dynamique évolutive 159 Retour sur les multiples effets des modules mutationnels ... 159

Caractériser et comparer des environnements ... 162

Vers une intégration du contexte écologique ... 163

Conclusion ... 166

Bibliographie ... 167

Annexe 1 : The genetic architecture of local adaptation in a continuous space ... 177

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Introduction

Contexte

- Pourquoi veut-on prédire l’évolution?

La première réponse à cette question repose sur un argument purement fondamental. On cherche avant tout à comprendre rétrospectivement d’où vient la diversité du vivant telle qu’on la connait aujourd’hui et comment elle est maintenue. La question cruciale qui en découle est:

est-ce que comprendre le passé peut nous conduire à prévoir l’avenir ? Avant d’aborder cette vaste polémique, il est important de préciser que vouloir prédire l’évolution relève également de motivations concrètes. De nos jours plus que jamais, il est nécessaire d’anticiper et de comprendre les réponses évolutives des organismes vivants, face à des habitats instables et hétérogènes. Depuis plusieurs dizaines d’années, les activités humaines modifient intensément le régime naturel de variation de l’environnement en imposant des modifications brusques, fréquentes, directionnelles et globales. Ces changements s’avèrent intenses par rapport au rythme d’adaptation des populations (Parmesan 2006; Hendry et al. 2008; Gonzalez et al. 2012;

Lawson et al. 2015). Les conséquences sont directement observables sur le terrain: l’extinction de populations, la fuite vers de nouveaux habitats ou des changements phénotypiques majeurs dans les populations locales. Pour illustrer ce dernier point, il suffit de constater à quel point le nombre de phénotypes résistants a explosé en réponse à l’utilisation massive de molécules pesticides, insecticides et antibiotiques au cours des 60 dernières années (Levy and Marshall 2004; Davies and Davies 2010). Le bilan est inquiétant aujourd’hui et pour les décennies à venir en terme d’impact sur les écosystèmes, la biodiversité et la santé humaine. Il motive donc à mobiliser les connaissances de la biologie évolutive pour prévoir les conséquences des modifications d’habitats et proposer des scénarios alternatifs.

- Est-il possible de prédire l’évolution?

La réponse à cette question n’est certainement pas blanche ou noire et a déjà été souvent discutée (par exemple dans Lobkovsky and Koonin 2012; Achaz et al. 2013; Orgogozo 2015;

Blount 2016; Lenormand et al. 2016). Les fondements théoriques de la biologie évolutive introduits par Fisher, Wright et Haldane, en particulier, ont largement contribué à décrire comment la sélection naturelle, la mutation, la dérive et les autres facteurs évolutifs définissent les changements de fréquence des gènes dans les populations. Du point de vue de la synthèse moderne de l’évolution, les trajectoires évolutives répondent à plusieurs « lois » déterministes

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ainsi qu’à un ensemble de processus stochastiques qui rendraient l’évolution imprévisible. C’est par exemple le point de vue adopté par Francois Jacob (1977) qui compare la sélection naturelle à un « bricoleur » qui crée avec ce qui lui passe sous la main. C’est également la vision de Gould (1989) quand il pose la fameuse question : si on rembobinait la cassette du vivant, est-ce que le résultat que l’on observerait serait similaire au monde d’aujourd’hui ? Le « non » tranché est discutable. Les expériences de sélection artificielle ont déjà montré depuis longtemps que l’on peut « contrôler » l’évolution de caractères phénotypiques, en général ‘au champs’ et sur des organismes pluricellulaires sexués (développé dans Bell 2008). Dans les expériences d’évolution plus récentes, au laboratoire et principalement sur des microbes asexués, les trajectoires adaptatives répétées dans les mêmes conditions peuvent aussi montrer des patrons très répétables, pour des caractères phénotypiques complexes comme la taille des cellules ou la valeur sélective (Lenski and Travisano 1994; Ramiro et al. 2016; Lässig et al. 2017) et même parfois, à l’échelle des séquences génétiques (Stern 2013). Il est donc important de se demander ce qui est prévisible ou ne l’est pas dans une trajectoire évolutive.

Il existe plusieurs sources de stochasticité qui se cumulent à différentes échelles d’observations dans les processus évolutifs (Lenormand et al. 2009). Les mutations, ou plus largement la variabilité génétique, arrivent aléatoirement à l’échelle du génome. Les individus sont confrontés à des évènements démographiques aléatoires au cours de leur vie. Enfin les environnements dans lesquels évoluent les populations fluctuent avec des tendances plus ou moins prévisibles. Je reviendrai plus précisément sur la stochasticité au niveau génétique dans la suite de l’introduction, mais il est important d’insister sur le fait que ces processus aléatoires répondent à un certain nombre de contraintes, communes à tous les individus et les répliquas. Il en résulte que si l’on étudie un grand nombre de cas pris en même temps, on peut révéler des comportements globaux qui peuvent être décrits par des lois statistiques. De ce fait, plusieurs aspects des processus évolutifs ont été comparés et transposés à la thermodynamique statistique (par exemple Iwasa 1988; Sella and Hirsh 2005; Barton and Coe 2009): la trajectoire d’une molécule ne peut pas être décrite individuellement, mais le mouvement global d’un grand ensemble le peut. Il découle de cela qu’on pourrait comprendre bien plus que les conséquences des processus évolutifs à l’œuvre mais également les « lois » sources quantitatives qui permettent de reproduire la totalité du déroulé d’un processus évolutif. Par exemple, il n’est pas possible de prédire l’effet sélectif que va avoir une mutation aléatoire particulière dans un contexte donné, mais on peut proposer des prédictions pour la distribution des effets de l’ensemble des mutations aléatoires (Kimura 1965; Martin and Lenormand 2006a).

Ce dernier point ne permet certainement pas de clore le débat sur la prédictibilité ou non de l’adaptation, mais il permet de faire avancer les réflexions à la fois théoriques et empiriques sur

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le sujet. Il amène aussi à se poser les questions au cœur des recherches actuelles en biologie évolutive et sous-jacentes à cette thèse. L’évolution telle qu’elle est décrite aujourd’hui fait état de nombreux processus évolutifs simultanés qui, sont de mieux en mieux décrits, analysés et modélisés. Reste à savoir quelle part de chacun de ces processus détermine les trajectoires évolutives de différentes populations, lorsqu’ils agissent conjointement. Quelle est la résultante des assemblages de processus ? En particulier est-ce que, dans certain cas, il existe un nombre limité de « voies » pour s’adapter, conduisant à une certaine répétabilité et prédictibilité évolutive ? Ou est-ce que au contraire l’assemblage de ces processus crée une forte contingence historique, compréhensible (jusqu’à un certain point) mais peu prévisible ?

- Observer, reproduire et tester les trajectoires évolutives

L’évolution expérimentale offre depuis quelques dizaines d’années une occasion incroyable d’étudier l’évolution en action. Elle a permis notamment de bâtir un pont entre des modèles évolutifs purement théoriques reposant sur des hypothèses souvent éloignées d’un contexte naturel et des données de terrain issues d’un contexte évolutif complexe et largement inconnu (quelques exceptions existent, comme par exemple le suivi en nature de l’évolution de la résistance aux insecticides Labbé et al. 2007, 2009). Couplée aux avancées technologiques en biologie moléculaire et en robotisation/miniaturisation, l’évolution expérimentale a contribué à redécouvrir ce large corpus théorique et à tester plusieurs hypothèses non accessibles jusque-là par des données empiriques. Différents organismes modèles ont été utilisés pour coller plus particulièrement à un cadre spécifique et à une question scientifique sous-jacente (Kassen 2002;

Bell 2008; Garland and Rose 2009). Plus généralement, les microorganismes représentent un modèle hors-pair pour étudier l’évolution à long-terme (Elena and Lenski 2003). De nombreuses questions ont ainsi été abordées, en particulier à travers l’évolution expérimentale réalisée par l’équipe de Richard Lenski depuis 1988 (année de ma naissance!) : entre autres les dynamiques de l’adaptation (Lenski and Travisano 1994; Ostrowski et al. 2005; Wiser et al. 2013), et ses bases génétiques (Elena and Lenski 2003; Barrick and Lenski 2013), les effets de l’interférence clonale (Gerrish and Lenski 1998; Maddamsetti et al. 2015), le maintien du polymorphisme à long terme (Rozen and Lenski 2000; Le Gac and Doebeli 2010; Plucain et al. 2014), l’origine d’innovations évolutives (Blount et al. 2012a).

Le fait que cette expérience se limite à des conditions extrêmement simplifiées d’adaptation mettant en jeu un nombre réduit de processus évolutifs (environnement constant, espèce asexuée, population non-structurée) montre bien le potentiel énorme que garde l’évolution expérimentale pour apporter des éclairages dans différents contextes. Notamment, cette étude ne prend pas en compte comment différents facteurs environnementaux influencent la

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trajectoire adaptative. Comprendre comment l’environnement modèle les populations et la diversité représente encore un défi pour la biologie évolutive (Angilletta and Sears 2011). Il est clair que différents environnements font varier les valeurs sélectives de différents génotypes et vont sélectionner des traits phénotypiques plutôt que d’autres (Kassen 2002). Par contre, on ne sait pas encore clairement mesurer à quel point deux environnements sont différents et quels défis évolutifs ils représentent pour une population. Dans un monde où l’environnement fluctue constamment en plus de changer rapidement et directionnellement, il parait donc indispensable de comprendre quelles sont les contraintes imposées aux populations dans leurs environnements naturels et à quel point elles peuvent expliquer l’évolution du vivant tel qu’on l’observe aujourd’hui.

Trajectoires et paysages adaptatifs

- Quel modèle d’adaptation?

Historiquement, plusieurs approches existent pour décrire les processus d’adaptation, notamment les approches de génétique quantitative (Lynch and Walsh 1998) et les approches de dynamique de l’adaptation (Orr 2005). Il est intéressant de voir que, malgré des cadres de travail différents, ces deux approches se retrouvent complémentaires dans la vision globale des processus d’adaptation. Très caricaturalement, ces deux approches se justifient par deux grandes différences d’échelles : la temporalité et les bases génétiques de l’adaptation. Les approches de génétique quantitative s’appliquent à l’évolution à court terme, chez des sexués, sous sélection faible ou augmentant graduellement (ce qui n’est pas toujours le cas même pour les variations environnementales « naturelles »). Ce type d’approche a été beaucoup utilisé pour comprendre comment la sélection agit sur les moyennes phénotypiques dans les populations polymorphes soumises à sélection artificielle ou naturelle. Les changements étudiés sont des changements de fréquences d’allèles préexistants (matrice G). Ces méthodes ont été communément appliquées à des mesures répétées de dynamique à court terme de traits phénotypiques dans des populations naturelles.

Les trajectoires adaptatives à plus long terme, chez des asexués comme c’est souvent le cas de celles issues d’évolutions expérimentales, sont plus couramment illustrées par des modèles de

« dynamique adaptative» (au sens large). A cette échelle, on considère que les trajectoires adaptatives émergent d’innovations génétiques avantageuses (la variation génétique préexistante dans la population est supposée négligeable en comparaison), qui se substituent, plus ou moins successivement, dans la population (modèles d’ « origine-fixation », McCandlish

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and Stoltzfus 2014). Ces modèles prennent particulièrement sens lorsque la mutation est faible et la sélection forte, de telle sorte que la variance génétique reste faible à tout temps. Cette simplification, comme la précédente, est un cas extrême le long d’un continuum. Par exemple, dans le cas de populations microbiennes clonales assez grandes, les évènements de mutations sont assez fréquents et génèrent de la variabilité. Cependant, l’absence de reproduction sexuée empêche la combinaison de mutations avantageuses apparues dans des lignées différentes, ce qui entraine la fixation récurrente de lignées avantageuses (pouvant porter une ou plusieurs mutations) qui ‘balayent’ la diversité.

Les modèles de paysage adaptatif considérés dans cette thèse puisent leur inspiration de ces deux approches. Les principes fondamentaux de la génétique quantitative sont repris à travers la représentation de traits phénotypiques, qui sont optimaux en un certain point déterminé par les conditions environnementales. Ces traits s’organisent dans un espace phénotypique continu, de sorte qu’un nombre infini de combinaisons (=phénotypes) sont possibles. Dans notre système, nous considérons des lignées bactériennes clonales. Elles sont représentées par un point unique dans cet espace. Les dynamiques des lignées résultent de la fixation successive de mutations qui déplacent le point dans le paysage. Ainsi chaque mutation peut potentiellement affecter l’ensemble des traits phénotypiques à la fois (pléiotropie totale). Dans sa version la plus basique, le modèle que j’ai utilisé dans ma thèse correspond à celui appelé « modèle géométrique » et décrit originellement par Fisher (Fisher 1930; Orr 2005).

- Quelle forme de paysage adaptatif?

Le concept de paysage adaptatif a énormément marqué les théories de l’adaptation, en premier lieu parce qu’il permet de se faire une représentation imagée des forces évolutives à la base de l’adaptation et ainsi de proposer une théorie très visuelle et accessible. C’est d’ailleurs dans cet objectif que le concept a été introduit par Sewall Wright en 1932. Le paysage adaptif n’est ni plus ni moins qu’une carte topographique, pour un environnement donné, des valeurs sélectives associées à des coordonnées qui représentent les phénotypes ou les génotypes d’individus ou de populations (on relie alors phénotypes ou génotypes moyens et valeur sélective moyenne). La métaphore a été largement reprise jusqu’à aujourd’hui comme outil visuel mais aussi comme outil standard de modélisation mathématique par exemple pour étudier l’adaptation (résumé dans Orr 2005), la spéciation (Barton 2001; Chevin et al. 2014; Fraïsse et al. 2016), l’évolution parallèle (Chevin et al. 2010b; Lenormand et al. 2016), les effets de la sélection (Lande and Arnold 1983) ou les distributions d’effets des mutations (résumé dans Tenaillon 2014). Depuis cette époque, cependant, il subsiste des polémiques quant à la forme que doivent prendre ces paysages.

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Ces polémiques résultent initialement (historiquement entre Wright et Fisher) d’un désaccord sur la contribution des processus évolutifs dominants pour décrire l’évolution. De mon point de vue, toutes les formes de paysage peuvent prendre sens dans un contexte précis dès lors qu’elles justifient du caractère essentiel de chaque élément utilisé pour illustrer le contexte étudié. Une des différences entre les visions de Fisher et Wright (au niveau des paysages) porte sur l’échelle de rugosité relativement à l’échelle d’effet des mutations disponibles (Gavrilets 2010). Du point de vue de Wright, il existe des vallées adaptatives qui ne peuvent pas être traversées par l’effet seul de la sélection : les mutations disponibles pour progresser dans cette direction sont toutes délétères (elles entrainent la population dans la vallée) et ne sont donc pas sélectionnées (épistasie « de signe » Weinreich et al. 2005) Une conséquence directe de cela est que les populations peuvent rester bloquées sur des pics adaptatifs intermédiaires. Une des solutions proposées par Wright pour que les populations traversent ces vallées (la « shifting balance theory »,) requiert l’effet temporaire de la dérive, qui réduit les contraintes sélectives et permet à la population d’atteindre un autre pic adaptatif (scénario détaillé par exemple dans l’introduction de Whitlock and Phillips 2000). Ce scénario en particulier a été très largement critiqué (voir Coyne et al. 1997) mais les concepts théoriques du paysage de Wright ont joué et jouent encore un rôle prépondérant dans les théories de spéciation et de divergences évolutives (résumé dans Gavrilets 2004). Cette version de paysage est également massivement employée pour illustrer tous types de «blocages» évolutifs (taux d’adaptation variables, épistasie, combinaison de mutations létales, etc.), interprétés comme résultant de l’attraction vers des pics adaptatifs locaux, par le jeu de la mutation et la sélection (Whitlock et al. 1995; Elena and Lenski 2003; Weinreich et al. 2005).

Au contraire, dans le modèle géométrique proposé par Fisher, de tels blocages sont a priori inexistants : après suffisamment de temps, une population peut accéder à n’importe quel pic adaptatif sans recours à d’autres processus que la mutation et la sélection (la dérive étant plutôt un frein au processus). En effet, le fait que la sélection agisse cette fois dans un espace phénotypique continu a pour conséquences que les rugosités du paysage ne sont pas perçues comme des « obstacles » absolus à l’adaptation. Il existe toujours, dans le continuum des possibles, des mutations capables de ‘sauter’ d’un pic à l’autre. Il a parfois été proposé que cette moindre contingence apparait également dans le modèle de paysage « génétique » de Wright lorsqu’un nombre suffisant de dimensions (loci pouvant muter) est considéré, par un effet similaire de grande dimensionnalité des possibles (Gavrilets 2004). Il a en effet été récemment montré (Hwang et al. in prep.) que le modèle de Fisher à un pic adaptatif (sur l’espace des phénotypes) génère, une fois transposé sur un espace génotypique (comme dans le paysage de Wright) un très grand nombre de pics locaux (épistasie de signe), Pourtant, malgré cette

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« rugosité », les modèles de dynamique de l’adaptation dans ce paysage de Fisher à un pic (Martin and Roques 2016) n’identifient pas de contrainte particulière empêchant les populations d’atteindre le pic adaptatif le plus haut (l’optimum phénotypique unique), à partir de n’importe quelle condition initiale.

Sans rentrer plus en détails dans les aspects historiques, je voudrais seulement faire ressortir ici le lien qu’ils partagent avec les polémiques actuelles sur les paysages adaptatifs et la question de la contingence en évolution. La version de paysage de Wright est représentée avec plusieurs pics adaptatifs séparés par des vallées alors que le modèle de Fisher considère un seul pic, correspondant à une combinaison de traits optimale. Cette question du nombre de pics adaptatifs est au cœur de la problématique que j’ai présentée plus haut sur la répétabilité de l’évolution: existe-t-il un grand nombre de solutions équivalentes pour s’adapter à un environnement (plusieurs pics à proximité, figure 1B) ou bien à l’extrême n’y a-t-il qu’une seule solution optimale (un seul pic à proximité, figure 1A)? Cette question devrait se poser très largement plutôt que d’être vue comme allant de pair avec un modèle en particulier. Les critères de sélection d’un modèle à plusieurs pics sur le motif d’un « blocage » sélectif sont critiquables.

L’existence d’une vallée adaptative n’est pas l’unique façon de générer des situations d’épistasie complexe ou des phénotypes létaux. Nous venons de voir plus haut que le paysage décrit par Fisher intègre bien par exemple les motifs d’épistasie entre mutations (Martin et al. 2007;

Phillips 2008) et de « rugosité » du paysage à l’échelle génétique (Hwang et al. in prep.). Les mutations létales, s’expliquent dans des versions de paysage à « trous » tel que proposé par Gavrilets (Gavrilets 1997; Manna et al. 2011). Cette thèse propose également une alternative pour expliquer des taux d’adaptation très ralentis dans un paysage de type Fisher. Toutefois, il reste une question ouverte mais déterminante dans l’utilisation des connaissances en biologie évolutive : celle du nombre de pics adaptatifs dans le voisinage d’une population qui s’adapte, c’est-à-dire du degré de convergence évolutive qui est attendu sur des temps évolutivement longs.

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Figure 1 : Trajectoires évolutives dans des paysages adaptatifs plus (A) ou moins (B) déterministes. Dans Koonin 2012.

(A) : “The rugged fitness landscape and accessible evolutionary trajectories. Quasideterministic evolution: canalization of the accessible trajectories. Solid lines show monotonic ascending trajectories that are accessible to evolution driven solely by selection. Broken lines show nonmonotonic trajectories that are accessible only with the involment of genetic drift.”

(B) :”The rugged fitness landscape and accessible evolutionary trajectories. Stochastic evolution: random scattering of accessible trajectories. Solid lines show monotonic ascending trajectories that are accessible to evolution driven solely by selection. Broken lines show nonmonotonic trajectories that are accessible only with the involment of genetic drift.”

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- Extensions et applications de la notion de paysage adaptatif

Un autre mécanisme proposé par Wright pour qu’une population franchisse des vallées adaptatives est une modification temporaire de la topographie générée par une variation des conditions environnementales. Une variation de l’environnement correspond à une modification du paysage adaptatif. Mais laquelle? Et comment l’ensemble des processus évolutifs s’en retrouve-t-il impacté? Les paysages adaptatifs ont été largement pensés dans un environnement unique et fixé (mais il existe des propositions de paysages dynamiques par exemple dans Simpson 1944; Arnold et al. 2001; Matuszewski et al. 2014) pour se concentrer sur les processus adaptatifs qui permettent d’atteindre un optimum phénotypique donné.

Alternativement, toute une branche de l’écologie évolutive, s’est intéressée à l’évolution de traits quantitatifs dans un habitat hétérogène ou variable. Dans ces modèles, différents environnements sont assimilés à différents optimums le long d’un axe phénotypique unique. Ils ont été notamment utilisés pour étudier la plasticité phénotypique (Via and Lande 1985; Chevin et al. 2010a), ou les niches écologiques le long d’un gradient (e.g. Levins 1966; Lynch and Lande 1993; Kirkpatrick and Barton 1997). Cependant l’approche mathématique utilisée dans ces modèles repose sur le modèle infinitésimal (valide a priori à court terme et dans des populations sexuées polymorphes), où les covariances phénotypiques (G matrix) sont supposées constantes.

Par conséquent, les patrons mutationnels dans un contexte inter-environnemental (voir Martin and Lenormand 2006b, 2015 discuté plus tard) restent encore assez peu étudiés. L’intégration d’une composante multi-environnementale dans les paysages adaptatifs (théoriques et empiriques) ouvre de nombreuses opportunités dans ce sens. Cette question se pose aussi bien au-delà des modèles de paysages adaptatifs. On sait encore très peu quel est l’impact de différents environnements sur l’ensemble des processus évolutifs et particulièrement sur l’effet des mutations. S’il s’avérait que les paysages adaptatifs, sous leur forme la plus communément utilisée dans nos modèles, ne sont pas un bon outil pour atteindre cette vision multi- environnementale, il sera nécessaire de proposer d’autres modèles plus réalistes.

Les approches empiriques, sur cette question, ont permis de dégager beaucoup de « petits bouts » de paysages empiriques (sur un nombre réduit de traits phénotypiques) mais on ignore à quel point ils sont représentatifs de la globalité de la forme du paysage. Plus récemment, des morceaux de paysages empiriques ont également été révélés par des approches génotypiques : en considérant l’effet sur la fitness de multiples combinaisons possibles d’un lot de mutations (Weinreich et al. 2013; Bank et al. 2015). Ces approches ont largement permis de mettre en avant l’importance des interactions épistatiques pour décrire l’effet des mutations sur la fitness (Phillips 2008; Hartl 2014). Par contre elles ne semblent pas non plus permettre d’accéder à la

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forme globale du paysage adaptatif, ni de décrire de multiples environnements (Blanquart and Bataillon 2016).

En parallèle, la question de l’adaptation inter-environnements s’est aussi développée théoriquement (Martin and Lenormand 2006b, 2015). Sans rentrer tout de suite dans les détails, un point très important est que ce corpus théorique développé sur la base du modèle géométrique de Fisher a permis de dégager un certain nombre de prédictions empiriques en lien avec la topographie du paysage (et donc les caractéristiques des processus évolutifs dont la mutation). Une autre approche empirique des paysages adaptatifs consiste ainsi à générer des données expérimentales qui permettent spécifiquement de tester et discuter ces prédictions.

Plusieurs travaux empiriques ont déjà contribué à progresser dans cette voie (par exemple Martin and Lenormand 2006b; MacLean and Buckling 2009; Sousa et al. 2012; Trindade et al.

2012; Perfeito et al. 2014), avec notamment des propositions pour estimer des « distances » entre environnements dans un paysage adaptatif (Hietpas et al. 2011). Les travaux proposés dans cette thèse se placent directement dans le prolongement de cette approche.

- Au-delà des paysages adaptatifs

A ce point de la réflexion, il me semble important de prendre du recul et de renouer avec les questions présentées plus tôt dans cette introduction. Quels sont les processus déterminants pour comprendre les trajectoires évolutives des populations? Les paysages adaptatifs sont des outils puissants dans ce sens mais ils ne prennent pas en compte tous ces processus. Ils reflètent assez bien l’évolution d’une population isolée dans un environnement constant, comme c’est le cas pour les lignées évolutives en laboratoire. Par contre ils prennent peu en compte le contexte écologique des populations naturelles.

Par exemple, ils négligent les interactions entre espèces, populations, individus et leurs effets sur sur les trajectoires adaptatives. Elles constituent pourtant une contrainte omniprésente dans les populations naturelles. La limite des paysages mise en avant sur ce point est qu’une population ne va pas chercher nécessairement à optimiser ses traits par rapport aux conditions environnementales, mais aussi par rapport aux autres organismes. En fait les composantes biotiques peuvent très bien être considérées comme partie intégrante de l’environnement dans la topographie du paysage (par exemple Mangel 1991). Cependant, la forme statique du paysage peut s’avérer inappropriée. C’est le cas par exemple lorsque la sélection de la population est rendue fréquence-dépendante par ses interactions (Lewontin 1958; Haldane and Jayakar 1963;

Ayala and Campbell 1974; Bell 2008). Ces relations de fréquence-dépendance jouent un rôle particulièrement important dans l’évolution des populations à long-terme, car on considère

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qu’elles maintiennent la coexistence de polymorphismes (au niveau des espèces, populations, individus, gènes). L’évolution expérimentale se révèle encore une fois pertinente pour étudier de manière isolée, la contribution de ces interactions sur les trajectoires évolutives à longs-termes.

Je détaillerai cette thématique par la suite, en lien avec un des chapitres de la thèse.

Etudes réalisées dans la thèse

Au cours de cette thèse, nous avons cherché à décrire les différents processus évolutifs à l’œuvre au cours d’évolutions expérimentales de lignées bactériennes en laboratoire. Les conditions d’évolution incluent différentes concentrations d’un antibiotique (l’acide nalidixique ou Nal) qui jouent le rôle d’une variation de l’environnement le long d’un gradient. Dans ce contexte très simplifié, les lignées bactériennes s’adaptent par accumulation de nouvelles mutations en répondant aux contraintes sélectives imposées par l’environnement. Ces dynamiques peuvent donc être décomposées très caricaturalement en deux étapes : 1) la production de variabilité génétique par évènements de mutations et 2) la fixation d’un phénotype adaptatif. Pour chacune de ces étapes on se demande : quelles « lois » peuvent décrire les processus évolutifs impliqués ? Quelles sont leurs variations entre les différents environnements ? Quel rôle joue la contingence historique? Quel est le paysage adaptatif associé? Dans la suite de cette introduction, j’exposerai plus précisément des éléments de réflexions théoriques et expérimentaux sur ces points 1) et 2) sur lesquels s’appuient les travaux de la thèse.

La dernière partie de la thèse est consacrée au rôle des interactions biotiques dans les dynamiques évolutives. Cette étude repose sur une expérience de coévolution à long terme de deux souches bactériennes maintenues par sélection fréquence-dépendante. On se demande comment l’interaction entre l’adaptation à l’environnement et à un compétiteur biotique influence l’évolution des lignées. Quelles sont les conditions de maintien de ces lignées au cours du temps? Quel rôle joue la sélection environnementale dans ces interactions?

Décrire la variabilité génétique disponible au cours de l’adaptation

- Avec quoi s’adapte-t-on?

La variabilité génétique est l’élément source des processus d’adaptation: elle définit l’univers des possibles en termes d’innovations adaptatives. En se plaçant à la base des processus évolutifs, elle est déterminante dans l’issue de la quasi-totalité des modèles d’évolution existants. Il existe donc un intérêt énorme à formuler des hypothèses les plus réalistes et

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précises possibles pour décrire cette variabilité. Il existe une grande diversité de bases génétiques impliquées dans l’adaptation des populations naturelles : mutations ponctuelles, duplications, inversions, insertions d’éléments transposables, transferts horizontaux de gènes et de plasmides pour en citer quelques-unes. Sans aller beaucoup plus loin pour chaque cas, il est important de noter que ces bases peuvent générer une large gamme d’effets phénotypiques et plusieurs alternatives qui permettent de contourner des situations que l’on conçoit a priori comme des « obstacles » adaptatifs. Par exemple, hors du laboratoire, l’évolution de la résistance aux antibiotiques chez les bactéries peut être résolue rapidement par l’acquisition d’un plasmide de résistance plutôt que par la fixation d’une mutation. L’ensemble de ces possibilités joue un rôle crucial dans les processus d’adaptation et dans l’émergence et le maintien de la diversité.

Dans notre système expérimental, la variabilité génétique émerge des évènements de mutations.

Les mutations arrivent aléatoirement dans le génome et indépendamment de leurs effets sélectifs dans l’environnement considéré. Elles représentent donc une source d’aléas dans le processus adaptatif. Leurs propriétés peuvent en revanche être décrites, en théorie, par des paramètres statistiques qui permettent de quantifier le processus mutationnel. Par exemple, on peut caractériser la distribution des effets sélectifs associés à un grand nombre de mutations échantillonnées aléatoirement dans cet ensemble. Ces effets sélectifs dépendent à la fois de l’environnement considéré et du fond génétique dans lequel les mutations s’expriment (effets d’épistasie). Ainsi seulement une infime partie de ce que représente l’ensemble des possibles contenus dans la variabilité génétique est révélée à travers les effets sélectifs d’un assemblage génétique dans un environnement. Etendre ces connaissances passe par décrire les variations générées par différents environnements et différents assemblages génétiques.

- Décrire les dynamiques mutationnelles entre génotypes et environnements

Le modèle géométrique de Fisher prend en compte à la fois l’effet du fond génétique par la position du phénotype dans le paysage et de l’environnement au travers de la fonction de fitness associée aux phénotypes dans un environnement. Il permet également d’intégrer la multiplicité des effets phénotypiques des mutations à travers la multi-dimensionnalité de l’espace phénotypique (les mutations agissent sur un grand nombre de traits à la fois). Ce type de paysage adaptatif peut donc être un bon modèle pour servir de base théorique aux « lois » de la mutation, en maintenant une certaine généralité (aucun mécanisme biologique particulier n’est requis) tout étant accessible à l’analyse mathématique et donc statistique.

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C’est d’ailleurs historiquement dans cet objectif que Fisher utilisa son modèle géométrique d’adaptation. Il cherchait à déterminer quelle gamme d’effets phénotypiques avait la plus grande probabilité d’avoir un effet sélectif avantageux au cours des processus d’adaptation (Fisher 1930; Orr 2005). Il démontra que cette probabilité diminue exponentiellement avec l’effet phénotypique des mutations. En tirant la conclusion, à partir de ce résultat, que les mutations de très petits effets jouent un rôle prépondérant dans l’adaptation, il négligea toutefois plusieurs aspects du processus d’adaptation. D’abord, un point mis en avant par Kimura (1983) est que la dérive joue un rôle important dans la fixation de ces mutations initialement en très faible fréquence dans la population (portée par un seul individu au moment où elle apparait): quand la taille de population est grande cet effet est approximé par une probabilité de fixation linéairement reliée à l’effet des mutations (p~2s). Ainsi les mutations de petits effets ont plus de chance d’être initialement perdues que celles de grands effets. Le deuxième point négligé par Fisher est l’aspect dynamique de la trajectoire adaptative. Il est bien illustré dans un paysage adaptatif (figure 2). Intuitivement, on peut se rendre compte que, plus la population progresse vers l’optimum, moins des mutations de forts effets vont lui permettre de l’atteindre (Orr 1998).

Cette vision dynamique est largement validée par les trajectoires adaptatives obtenues expérimentalement en laboratoire. Ce motif d’évolution ralentie avec la progression de l’adaptation est qualifié de rendement décroissant («diminishing return», par exemple dans MacLean et al. 2010; Gordo and Campos 2013; Wiser et al. 2013).

Par la suite, plusieurs études théoriques basées sur le modèle de Fisher, ont formulé des hypothèses pour caractériser les processus mutationnels et leurs dynamiques (par exemple Orr 2003, 2006; Martin and Lenormand, 2006a, 2008; Martin and Roques 2016). Ces dynamiques ont été notamment intégrées sous la forme d’une expression analytique décrivant la distribution des effets des mutations en fonction de la distance du phénotype focal à l’optimum considéré, de l’intensité de la sélection dans l’environnement considéré et de la dimensionnalité

« équivalente » de l’espace phénotypique sous sélection (Martin and Lenormand 2006a, 2008).

Plus récemment, une extension de cette théorie a été proposée pour décrire la distribution bivariée de l’effet des mutations entre deux environnements intégrant, en plus des paramètres cités précédemment, l’angle entre les directions vers les optima des deux environnements du point de vue du phénotype focal (Martin and Lenormand 2015). Ces prédictions (reprises dans les chapitres) présentent plusieurs gros avantages : d’abord elles proposent un modèle de base pour une comparaison directe avec des données expérimentales. Ensuite, elles permettent de caractériser le paysage adaptatif sous-jacent et donc potentiellement de formuler des prédictions sur les trajectoires évolutives à plus long-terme. Les comparaisons empiriques réalisées jusqu’ici sont très encourageantes vis-à-vis de ces prédictions: au travers de plusieurs

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études elles montrent une bonne appréciation de la forme de la distribution (MacLean and Buckling 2009; Bataillon et al. 2011; Sousa et al. 2012b; Trindade et al. 2012), des variations associées à différents fonds génétiques (Martin et al. 2007; Manna et al. 2011), des variations associéesà différentes contraintes environnementales (Martin and Lenormand 2006b; Trindade et al. 2012), du niveau d’adaptation dans un environnement donné (Sousa et al. 2012b; Perfeito et al. 2014)

Figure 2 : Dynamique des effets des mutations dans la trajectoire adaptative, dans Dittmar et al. 2016:

« The relationship between distance to the optimum and the possible effect sizes of mutations fixed during a bout of adaptation following Orr ( 1998). A Gaussian fitness function is depicted for natural selection on a single trait with a fixed optimum. The adaptive value of mutations of different sizes is given for three different stages of adaptation, reflected as the distance to the optimum (far, intermediate, close). The length of the arrow gives the effect size, solid arrows signify adaptive mutations and dashed arrows signify maladaptive mutations. »

Cependant, ces prédictions reposent sur plusieurs hypothèses fortes liées au modèle, qui peuvent créer des décalages importants avec les observations empiriques. Par exemple, une des forces du modèle, sa capacité à prendre en compte les effets pléiotropes des mutations, peut aussi s’avérer en partie une faiblesse. Notamment, dans sa version la plus basique, le modèle considère une forme extrême de pléiotropie dans laquelle les mutations peuvent affecter tous les traits et avec un effet moyen constant. Les effets pléiotropes de mutations ont été démontrés empiriquement mais cela n’implique pas qu’ils soient « universellement » pléiotropes. S’ajoute surtout à cela l’observation qu’un même caractère adaptatif mobilise plus souvent que prévu dans le cas de pléiotropie totale, les mêmes éléments du génome. Cette évolution parallèle est

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répandue dans le monde vivant (Stern 2013; Bailey et al. 2016) mais absente des trajectoires évolutives prédites par le modèle de Fisher (Chevin et al. 2010b; Lenormand et al. 2016). C’est d’ailleurs une critique qui a été formulée très tôt à l’encontre du modèle d’adaptation de Fisher (Shull 1935). Alternativement, il a été proposé dans plusieurs études qu’il existe des modules mutationnels, c’est-à-dire des parties du génome (par exemple un gène mais pas nécessairement) pour lesquelles les mutations n’affectent qu’un groupe de traits. Intégrés au modèle de Fisher, ces modules permettent à la fois de prendre en compte un certain niveau de pléiotropie mais aussi de reproduire des cas d’évolution parallèle (Chevin et al. 2010b;

Lenormand et al. 2016). En contrepartie, ils constituent un nouvel aspect « inconnu » au modèle et aux prédictions car on a peu d’idées de l’organisation de ces modules : à quel point sont-ils propres à un système, un phénotype ou un contexte en particulier ? A quels points impactent-ils la distribution des effets des mutations et les mutations sélectionnées entre environnements et au cours de la trajectoire adaptative? Pourquoi observe-t-on de l’évolution parallèle dans certains cas et peu dans d’autres ? L’existence de ces modules pourrait jouer un rôle important dans la contingence évolutive en restreignant l’espace phénotypique dans lequel l’adaptation peut progresser. Ces questions ont été abordées au cours des travaux de la thèse.

- Approches expérimentales

Plusieurs approches expérimentales sont possibles pour accéder à des distributions d’effets de mutations. Concrètement, aucune ne permet d’avoir accès directement à la distribution complète des mutations aléatoires telle que décrite dans le modèle. Faire abstraction de la sélection représente un gros défi expérimental et chaque méthode y parvient seulement partiellement. Brièvement, une première option consiste à générer des mutants en modifiant artificiellement le génome d’individus (via des insertions d’éléments transposables ou de duplications, des délétions de gènes ou de paires de bases) (pour revue voir, Martin and Lenormand 2006b; Bataillon and Bailey 2014). Ces méthodes ont l’avantage d’intégrer tous types d’effets des mutations y compris les létaux. Mais elles représentent une charge expérimentale importante et ne permettent pas, par exemple, d’apprécier totalement l’existence de potentiels modules mutationnels.

Un autre moyen d’éliminer la sélection est de se placer dans contexte où la dérive génétique domine. Ce principe est appliqué dans les expériences d’accumulation de mutations (pour revue voir Bataillon 2000). Cette méthode est facilement accessible expérimentalement mais présente les inconvénients suivants : les mutations létales ne sont pas représentées et surtout le nombre de mutations accumulées dans chaque lignée est inconnu de sorte que plusieurs pas

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mutationnels sont mélangés dans la distribution générée. Par ces deux méthodes, on n’accède en général qu’à peu de mutations bénéfiques.

Finalement, une dernière méthode, et aussi celle utilisée dans les travaux de cette thèse, est de cribler des mutations avantageuses dans un environnement dans lequel le phénotype non-muté est létal (Kassen and Bataillon 2006; MacLean et al. 2010; Bataillon et al. 2011; Trindade et al.

2012). Cette méthode permet d’accéder seulement à un sous-échantillon de la distribution correspondant aux mutations bénéfiques dans l’environnement du crible. La méthode est simple et donc praticable à grande échelle et de faible coût. De plus, il est possible de formuler des hypothèses théoriques sur le biais généré par le criblage, et donc de corriger les prédictions en tenant compte de ce biais. Cette correction peut être implémentée à partir des prédictions théoriques du modèle de Fisher qui intègrent plusieurs environnements (Martin and Lenormand 2015).

Décrire et comparer les contraintes sélectives entre environnements

- Variations de l’environnement abiotique

Les fluctuations environnementales constituent une contrainte largement imprévisible des trajectoires évolutives des populations naturelles. L’impact d’une variation d’environnement sur la composition génétique de la population dépend à la fois de la durée d’exposition à cet environnement et de l’intensité de la sélection dans cet environnement. Une variation d’environnement ressentie comme peu intense affecte la population seulement lorsqu’elle est maintenue sur plusieurs générations et modifie en premier lieu la fréquence des allèles déjà présents à une certaine fréquence dans la population. Si la variation n’est pas maintenue elle n’a pas un rôle crucial dans l’émergence de nouveaux caractères adaptatifs, mais elle peut par contre jouer un rôle très important dans le maintien de la variabilité génétique des populations (par le simple fait de la fluctuation de la sélection ou par des stratégies de minimisation des risques ou « bet-hedging » par maintien de polymorphismes génétiques ; Philippi and Seger 1989; Beaumont et al. 2009). Dans le cas d’un changement ressenti comme fort, l’effet de la sélection peut être rapide et l’adaptation à court-terme peut reposer sur des allèles présents à très faibles fréquences dans les populations. Par exemple, un traitement antibiotique est ressenti comme un stress extrême pour une population bactérienne: tous les phénotypes susceptibles à l’antibiotique sont éliminés de la population à terme. S’il existe un ou des phénotypes résistants, ils envahissent très rapidement la population. Cet exemple illustre bien les variations d’effets qu’il peut y avoir entre différents contextes évolutifs et à quel point il est nécessaire de pouvoir

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quantifier et comparer ces environnements pour comprendre les trajectoires évolutives. Dans le cas de plusieurs environnements pris au hasard (par exemple différentes espèces ou variétés de plantes exploitées par un ravageur), on ne voit a priori pas bien, comment classer ces environnements en fonction des contraintes sélectives ressenties par la population. Une alternative plus intuitive (et largement exploitée depuis longtemps par exemple dans Wilson and Bell 1990) pour comparer les contraintes entre différents environnements consiste à se placer le long d’un gradient environnemental. Cette option a été adoptée dans les expériences d’évolution réalisées au cours de la thèse.

- Compromis adaptatifs entre environnements

Une deuxième question qui se pose dans un contexte environnemental variable c’est à quel point est-il possible de s’adapter à plusieurs environnements en même temps ? Comment la valeur sélective d’une population dans un environnement varie le long de sa trajectoire adaptative dans un autre environnement ? Un large corpus d’expériences d’évolution en laboratoire montre que l’adaptation à long terme dans un environnement constant, conduit souvent à une spécialisation pour cet environnement (résumé dans Kassen 2002). La spécialisation va de pair avec l’existence de compromis adaptatifs dans d’autres environnements, c’est-à-dire qu’un phénotype optimal dans un environnement sera nécessairement sub-optimal dans un autre. Ces compromis émergent soit d’un antagonisme direct d’un caractère phénotypique entre différents environnements (par exemple une souris ne peut pas avoir à la fois un pelage clair et foncé qui lui permet d’être camouflé dans des environnements de différentes teintes), soit comme une conséquence indirecte des caractères adaptatifs (par exemple une mutation sur les enzymes de réplication de l’ADN peuvent permettre à une bactérie de devenir résistante aux antibiotiques qui les ciblent mais ont un effet négatif sur le métabolisme de la cellule, qui est révélé en absence de l’antibiotique : le « coût » de la résistance). Ces compromis adaptatifs sont classiquement représentés dans des paysages adaptatifs « restreints » (où seulement un ou deux caractères phénotypiques sont représentés) par des positions différentes d’optimums phénotypiques définis par une fonction concave de fitness (généralement gaussienne) qui change selon l’environnement.

L’existence de compromis adaptatifs entre environnements (et donc de différents optimums phénotypiques dans le paysage) peut être facilement révélée par des expériences d’évolution en laboratoire. Par contre il est plus difficile de les mettre en évidence dans les populations naturelles et, même en laboratoire, il existe des cas où ces compromis ne sont pas révélés (Bennett and Lenski 2007; Hereford 2009; Gallet et al. 2014). Parmi les explications possibles à cela (détaillées dans l’introduction du chapitre 2), il y a le fait que ces compromis ne sont en fait

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attendus que tardivement au cours de la trajectoire adaptative à un environnement, lorsque la population s’est optimisée pour son milieu de sélection. Une autre explication pourrait simplement être que ces compromis soient faibles et donc difficilement mesurables entre des environnements « proches ». [Encore une fois la nécessité de définir cette notion de distance entre environnement s’impose]. Ces situations peuvent être qualitativement illustrées dans un paysage adaptatif caricatural qui intègre plusieurs environnements comme représenté en figures 3 et 4. Plusieurs éléments importants en ressortent :

- D’abord la dynamique évolutive dans un environnement impose une dynamique dans l’autre environnement. La proportion de mutations bénéfiques dans les deux environnements considérés diminue au fur et à mesure que la population progresse vers un des optimums (figure 3). Cela implique concrètement que les mutations à la base de compromis sélectifs ont une plus grande probabilité d’être sélectionnées à proximité de l’optimum phénotypique (donc tardivement au cours de l’adaptation). Cela implique aussi, qu’en théorie, les distributions des effets sélectifs des mutations aléatoires d’un phénotype dans les deux environnements contiennent l’information pour replacer la population dans le paysage adaptatif. Cette théorie est quantifiée dans Martin et Lenormand (2015), sous la forme d’une distribution analytique qui dépend de paramètres de distances aux optimums et de l’angle entre les deux environnements à la position du génotype considéré. Cependant, la théorie ne tiens pas compte des potentiels modules mutationnels explicités plus haut, de l’anisotropie du paysage ou d’une topographie de paysage plus complexe avec plusieurs pics dans un environnement.

- Deuxièmement, la figure 4 montre qu’il existe plusieurs façons de représenter des situations où les compromis adaptatifs sont faibles en supposant un phénotype bien adapté à un environnement. La première façon est de positionner les optimums proches dans le paysage. La deuxième façon est de considérer des optimums à une certaine distance mais d’introduire une variation de l’intensité de la sélection entre les environnements, telle que la variation de valeur sélective « nette » est faible. Concrètement, à quel point les variations d’environnements modifient l’une ou l’autre de ces caractéristiques? On peut se demander quelle est la part de ces différents effets (changement de l’optimum, ou de la force de la sélection) et s’il existe des cas extrêmes où seul un des effets prévaut? Plusieurs éléments de réflexions et de méthodologie autour de ces questions sont apportés dans les travaux de la thèse.

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Figure 3 : Dynamique d’adaptation dans deux environnements dans un espace phénotypique à deux dimensions. La proportion de mutants (contours noirs) bénéfiques (représentés par les mutants inclus dans les faisceaux colorés associés aux environnements) dans les deux environnements diminue lorsque la lignée (point rouge) se rapproche d’un ou des optimum(s).

Figure 4 : Représentation des compromis adaptatifs dans un espace phénotypique à deux dimensions. Les croix représentent la position des optimums phénotypiques de différents environnements dans un espace phénotypique, et les cercles à un contour d’isofitness associé à l’environnement.

La lignée (point rouge) adaptée à l’environnement 1 (bleu) montre des compromis adaptatifs de même ampleur dans les environnements 2 (vert) et 3 (orange).

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