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Le féminisme, un combat démocratique par essence

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Texte intégral

(1)

Chapitre 5

Le féminisme, un combat démocratique par essence

L’exercice de la citoyenneté politique peut revêtir de nombreuses formes et ne se limite pas au fait d’introduire un bulletin dans l’urne à intervalles plus ou moins réguliers. Etre privé du droit de vote n’empêche que partiellement sa pratique. Les mouvements féministes l’ont compris très tôt et les femmes n’ont pas attendu de pouvoir participer aux élections pour tenter de peser sur le politique. Leurs prises de position s’insèrent dans un processus de démocratisation des sociétés occidentales, et de la société belge en particulier, qui s’opère au cours du XX

e

siècle.

Se mobiliser et revendiquer des droits est en soi un acte politique. Même si les mouvements féministes en Belgique cherchent à éviter les divisions internes en se déclarant apolitiques, aucun n’échappe à la segmentation idéologique de la société belge, tous s’inscrivent dans les « piliers » qui caractérisent le champ public politique du premier XXe siècle

1

. Sans représentation significative dans les assemblées élues, les féministes s’appuient nécessairement sur des alliés, des hommes politiques sympathisants qui jouent le rôle de relais et défendent leur programme revendicatif. De ce fait elles interfèrent dans la sphère publique politique et, bien avant de disposer du suffrage ou de l’éligibilité, elles en deviennent des actrices mais aussi des enjeux, parfois à leur insu. Leurs mobilisations en faveur de la paix ou le lobbying mené auprès des institutions internationales en sont des exemples évidents.

En dépit de leurs divisions, les féministes partagent un certain idéal qui les fédère, elles se fondent sur un socle commun, basé sur des valeurs démocratiques et humanistes. Parmi les féministes égalitaires, pratiquement toutes sont des laïques convaincues et un nombre significatif d’entre elles sont membres de loges maçonniques. Elles ont en commun le respect des règles démocratiques et des libertés individuelles, au nom desquelles elles militent pour plus de justice entre les hommes et les femmes. Le profil des féministes

1

GUBIN E., « Les femmes et la citoyenneté politique en Belgique. L’histoire d’un malentendu »,

Sextant, 7, 1997, p. 163-187 ; «Le suffrage féminin en Belgique (1830-1921). Arguments et enjeux »,

PEEMANS-POULLET, H. (dir.), La démocratie à l’épreuve du féminisme, Bruxelles, Université des

femmes, 1998, p. 49-75.

(2)

essentialistes est plus difficile à cerner car elles se situent tout autant dans les milieux catholiques que libéraux ou socialistes et présentent une importante gamme de nuances.

L’élargissement de la démocratie n’est pas toujours au cœur de leur engagement, mais elles sont attachées au régime parlementaire et aux libertés constitutionnelles, même si elles les invoquent nettement moins que les féministes égalitaires.

Gardiennes de la démocratie parlementaire

Au cours des années 1930, dans un contexte général de tensions politiques et de difficultés économiques, les régimes démocratiques sont partout menacés par des partis d’extrême droite, antiparlementaires qui tentent de saper les fondements des institutions démocratiques et représentatives. L’ombre inquiétante de l’Ordre nouveau plane sur l’Europe entière. Le national-socialisme d’Hitler en Allemagne, le fascisme de Mussolini en Italie, le salazarisme au Portugal… fascinent les partisans d’un système autoritaire, capable de tenir tête à la montée du « bolchévisme ». Partout en Europe, de nouveaux partis s’en inspirent. En Flandre, le Verdinaso (Verbond der Dietse nationaal Solidaristen, octobre 1931) prône un état corporatiste et rêve d’accroissements territoriaux (reconstruire l’espace des ducs de Bourgogne !), le Vlaams Nationaal Verbond (1933, VNV) fait directement la synthèse entre un nationalisme flamand exacerbé depuis la fin de la Première Guerre et l’idéologie antimarxiste et antilibérale. En Wallonie et à Bruxelles, la Légion Nationale manifeste des tendances autoritaires, puis le mouvement rexiste (fin 1933) de Léon Degrelle, proche dans un premier temps de l’Action catholique, se sépare définitivement du parti catholique en 1936 pour afficher des sympathies nazies sans équivoque.

Dans cette époque troublée, le CNFB cherche à donner aux femmes les moyens de

« suivre avec (une) vigilante sollicitude la vie publique du pays », et constitue dans ce but des dossiers documentaires sur les « différents aspects de l’évolution sociale et des problèmes actuels »

2

. Conscientes des faiblesses et de la fragilité des régimes démocratiques, déçues par la politique menée par les hommes, les féministes veulent voir dans les femmes les gardiennes de la civilisation et attribuent à leur travail commun une valeur symbolique :

« même s’il n’aboutit pas toujours à de résultats considérables », il prend « une haute signification en cette époque tourmentée, où les idéologies se heurtent, où les nations vivent d’autarcie, où les factions nationales se replient sur elles-mêmes »

3

. Elles refusent d’assister impuissantes au naufrage de la démocratie et opposent aux dérives autoritaires des valeurs féminines, un mode de penser féminin, capable d’assurer le salut de la civilisation : « On dit la femme plus positive, plus compréhensive des réalités profondes de la vie. Puisse son bon sens inné nous garder des déformations partisanes et sauver la confiance, la bonne volonté réciproque, en un mot la civilisation »

4

. Elles tentent inlassablement d’empêcher l’irréparable, telle Pénélope « qu’importe si chaque nuit la folie des hommes détruit notre toile, si chaque matin nous nous reprenons avec un cœur nouveau à tisser fil à fil une humanité meilleure »

5

.

2

Rapport de la secrétaire générale du CNFB présenté à l’AG statutaire mai 1938 : Mundaneum, F.

Féminisme, CNFB01.

3

Ibidem.

4

Ibidem.

5

Ibidem.

(3)

Soulignant l’échec des hommes à gouverner le pays, Paule Lamy s’indigne de ne voir aucune femme dans le premier gouvernement d’union nationale de Paul Van Zeeland (1935),

« alors que les nouveaux ministres sont des jeunots »

6

. En 1936, Gabrielle Rosy-Warnant laisse éclater toute sa frustration de voir les femmes reléguées dans la sphère privée alors que

« la maison brûle ! (…) d’un côté, menace de guerre civile, de l’autre menace de guerre internationale. Femmes, ‘ne vous en mêlez pas, du moins pour le moment’ : faites votre cuisine, lavez vos enfants, taillez des robes ; laissez aux hommes le soin de tout arranger ! Mais si par malheur les hommes ne pouvaient pas empêcher la catastrophe (cela s’est vu), vous serez alors autorisées ‘à vous en mêler’ : on vous réclamera dans les hôpitaux, on vous réquisitionnera pour l’usine… »

7

. Elle en appelle à la mobilisation politique des femmes car « vous trouverez là les nœuds du problème et les bases sur lesquelles il faut bâtir votre système de défense »

8

. Elle dénonce « l’esprit de dictature » qui se développe dans le pays. Profondément influencée par la politique intérieure

9

, en bonne libérale, elle en profite aussi pour critiquer au passage les écoles catholiques, qu’elle juge dogmatiques et se lance dans un vibrant plaidoyer pour l’école officielle et neutre, considérée comme un vecteur de paix. Car « l’esprit formé au libre examen sera un esprit de paix »

10

. L’éducation, l’enseignement sont pour elle les meilleurs remparts de la démocratie.

Les élections législatives du 24 mai 1936 se soldent par une avance inquiétante des partis d’extrême droite. Rex, dominé par son chef charismatique Léon Degrelle, engrange le mécontentement des classes moyennes, dont le niveau de vie ne cesse d’être érodé par la vie chère. En cartel avec le Front unique des classes moyennes, les rexistes emportent 271.494 voix et 21 sièges à la Chambre (sur 212). En Flandre, les nationalistes réunis au sein du VNV doublent leur représentation à la Chambre où ils passent de 8 à 16 sièges. Ces résultats provoquent un électrochoc dans un climat qui reste cependant très instable : une grève générale, des manifestations de rue qui cherchent, à l’instar de ce qui se passe en France, à provoquer de profondes réformes sociales.

L’inquiétude est forte aussi dans les rangs féministes. Dans une analyse genrée de la logique rexiste, Louise De Craene et Georgette Ciselet dissèquent la place et le rôle attribués aux femmes dans l’organisation de la famille et de la société : « Pour le rexisme, la famille est un être réel … Tout dans l’Etat doit être organisé en fonction de la famille »

11

. Inutile de dire que de cet axiome, « découle inévitablement l’asservissement familial de la femme considérée presque exclusivement comme reproductrice, comme ménagère. Pour le

6

LAMY, P., « Pour le prochain ministère », Cassandre, 6/04/1935. Créé en 1934, Cassandre est à ce moment un organe culturel auquel participent de nombreux intellectuels belges. Ce n’est qu’en 1936 qu’il se rapproche fortement des thèses fascistes, avant de sombrer dans la collaboration pendant la guerre : MARTIN, P., « D’une croisade à l’autre ou la paix à tout prix. Analyse du regard porté par le journal « Cassandre » sur les évènements d’Espagne », RBHC, XIX, n°3-4, 1988, p. 395-416.

7

ROSY-WARNANT, G., « Les femmes dans la tourmente (tribune libérale) », Egalité, n°30/31, 1936.

8

Ibidem.

9

En plein crise économique, les élections de 1932 s’effectuent cependant sous le slogan de la sauvegarde de « l’âme de l’enfant » ; libéraux et socialistes s’opposent violemment sur la question des subventions aux écoles catholiques : WITTE, E. et CRAEYBECKX, J., La Belgique politique de 1830 à nos jours, Labor, Bruxelles, 1987, p. 202.

10

ROSY-WARNANT, G., « Les femmes dans la tourmente (tribune libérale) », Egalité, n°30/31, 1936.

11

DE CRAENE, L., « La femme devant le rexisme », Egalité, n°32, 1937.

(4)

législateur rexiste, la femme ne serait qu’un rouage familial. Il ne témoignerait d’aucune considération pour sa personnalité »

12

. Fascistes ou rexistes aliènent donc tous les droits des femmes comme être libres et indépendants

13

; même plus, l’idéologie fasciste anéantit les droits de tous les êtres humains à vivre librement. Si la condition des femmes est loin d’être idéale en Belgique, si ses droits sont réduits et sa situation dans le mariage est inadmissible… elle peut espérer des améliorations. Sous le régime rexiste, elle serait complètement et définitivement asservie »

14

. Pour les féministes ce progrès de l’extrême droite prouve qu’il ne doit pas être attribué aux femmes, comme on se plait souvent à le dire.

Elles réfutent l’idée, largement admise, que les succès d’Hitler sont imputables aux femmes allemandes

15

et critiquent les partis de gauche qui colportent cette idée et s’en servent comme argument pour repousser le suffrage féminin.

Entre-temps l’embellie politique s’est produite. Soudé par les provocations de Degrelle, le gouvernement d’union nationale est reconduit en février 1937. Degrelle tente alors un coup de force au début mars: il oblige le député rexiste de Bruxelles à démissionner, de même que tous les suppléants, provoquant ainsi une élection partielle où il se porte seul candidat. Tous les partis démocratiques se liguent contre lui et se rangent derrière la candidature unique du Premier ministre Paul Van Zeeland. Le « coup de crosse » de Malines brise l’essor rexiste : dans une lettre pastorale lue dans toutes les églises le jour de l’élection, l’archevêque interdit aux fidèles de soutenir Degrelle ou de voter blanc. La défaite de Degrelle met fin également à toute velléité de former un parti catholique d’extrême droite, incluant Rex et le VNV.

16

Dans ce climat troublé, un Groupement féminin d’union nationale voit le jour au printemps 1937 : « Rejetant toute préoccupation d’ordre purement politique, mais conscientes du rôle qu’elles ont à jouer dans l’avenir du pays, les femmes croient de leur devoir de faire entendre leur voix au milieu de la bataille électorale »

17

. Quelques personnalités féministes y adhèrent : Georgette Ciselet, Louise Van den Plas, Marie Delcourt. Sans être elles-mêmes actrices dans la lutte électorale, les féministes tentent de l’infléchir en faisant appel au pouvoir d’influence des femmes sur les hommes. Traçant un parallélisme entre le rôle de la mère (pourtant dépourvue de toute autorité légale) dans les décisions prises par le chef de famille et celui des femmes belges sur la société, elles les

12

Ibidem.

13

DE CRAENE L. « Femmes alerte à Rex », Egalité, n°29, mai 1936. Sur la famille et le fascisme : DE LEEUW, J., « De la famille à la communauté du peuple :le rôle des femmes dans l’idéologie fasciste, hier et aujourd’hui », DE LEEUW, J. et PEEMANS-POULLET, H. (coord.), L’extrême droite contre les femmes, Université des Femmes/Luc Pire, Bruxelles, 1995, p. 115-152 ; PEEMANS- POULLET, H., « Familialisme et crise économique », Idem, p. 203-239 ; BEN DJAFFAR, L., « Les femmes et l’Ordre nouveau en Belgique francophone », Cahiers d’Histoire du temps présent, n°4, 1998, p.143-171.

14

DE CRAENE, L. « Femmes alerte à Rex », Egalité, n°29, mai 1936.

15

DELCOURT, M., « A propos de Rex », Egalité, n°30/31, 1936 ; DE CRAENE-VAN DUUREN L.,

« Danger », Femmes dans l’action mondiale, octobre 1936.

16

GERARD, E., « La démocratie bridée et bafouée 1918-1939 », Nouvelle Histoire de Belgique, vol.

2, 1905-1950, Bruxelles, 2006, p. 159-222.

17

COLIN, J., « Ce que pensent les femmes de Belgique. Elles sont pour l’ordre, la sécurité, la paix »,

Les Nouvelles, 9 avril 1937.

(5)

invitent à peser de toute leur « autorité morale » pour dénoncer « les folles utopies de quelques énergumènes, ivres d’ambition et d’orgueil »

18

.

Si les féministes belges sont attentives au développement de l’extrême droite dans leur pays, elles sont tout aussi soucieuses de ses développements européens. Par leurs contacts internationaux, elles prennent très vite la mesure des dangers que représentent les régimes fascistes, tant pour l’émancipation féminine que pour l’ensemble des libertés individuelles.

Elles redoutent la contagion dans les pays démocratiques et font très clairement le parallélisme avec la montée du rexisme

19

. Que ce soit la Fédération belge des femmes universitaires, le Groupement belge de la Porte ouverte ou Egalité, tous informent leurs membres de la situation en Allemagne et en Italie et se mobilisent en faveur de l’aide à l’Espagne républicaine. Dans un premier temps, de nombreuses féministes adhèrent au Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme, avant de s’en éloigner, non sans regret, pour des raisons idéologiques.

La section belge de la LIFPL, également sensibilisée à la montée du fascisme, organise le 1

er

juin 1933 à Bruxelles, un « meeting de protestation contre les persécutions des juifs en Allemagne ». Des féministes, Jeanne-Emile Vandervelde, Paule Lamy et Léonie La Fontaine mais aussi Marcelle Leroy, Estelle Goldstein, et M

mes

Guggenheim et Matusevitsch y prennent la parole devant une salle archicomble

20

. Le meeting se clôture sur un message de protestation envoyé à l’ambassadeur d’Allemagne en Belgique

21

. La solidarité est surtout forte avec l’Espagne républicaine. La FBFU apporte son aide aux intellectuelles et aux femmes universitaires victimes du régime franquiste et contraintes de quitter l’Espagne, elle organise leur accueil, récolte pour elles des vivres et des vêtements, puis participe au grand courant de solidarité à l’égard des enfants espagnols.

Mais c’est le CMF qui est le plus actif dans la lutte antifasciste. Sa propagande lie étroitement pacifisme, féminisme et antifascisme. Dans un tract de septembre 1935, le CMF dénonce tout ce qui peut faire obstacle à la paix (depuis l’allongement du service militaire en Belgique jusqu’à la politique brutale du nazisme), il loue l’URSS qui a signé un pacte d’assistance mutuelle avec la France et avec la Tchécoslovaquie, mais surtout il fait la synthèse entre le combat féministe et antifasciste. Le respect des droits des femmes, bafoués par le fascisme, est au fondement de la démocratie : « Le Fascisme, c’est pour la femme, la perte de tous les droits péniblement acquis au prix de siècles de lutte : droits politiques, droit au travail, droit d’accéder aux emplois officiels, droit d’élever ses enfants comme elle le croit bon. Le retour de la femme au foyer, ce mot d’ordre fasciste avec lequel Hitler et Musssolini ont dupé tant de femmes allemandes et italiennes, est repris par les réactionnaires de tous les pays. »

22

. Et de rappeler aussi les mesures prises en 1933 et 1934 afin de contingenter le travail féminin en Belgique. Le CMF participe activement à la lutte contre le rexisme et Adèle Hauwel, alors porte-parole du groupe Jeunes, dénonce sans cesse les dangers que représente l’extrême droite, tant pour les jeunes dont il menace la « liberté et

18

Ibidem.

19

Voir les articles paru dans la revue Egalité, n°30/31, 1936, n°32, 1937, n°29, mai 1936 et Femmes dans l’action mondiale, n°18, juin 1937, n°11, novembre 1936.

20

Tract du meeting de protestation contre les persécutions des juifs en Allemagne, 1

er

juin 1933 : Mundaneum (Fonds Léonie La Fontaine (désormais F.LLF) en classement).

21

International féminin, mai/juin 1933, p. 2.

22

Tract du Comité belge des femmes contre la guerre et le fascisme, septembre 1935 : Carhif. F.

GBPO 71h.

(6)

… (la) dignité d’être humains » que pour les femmes qu’il considère comme des « animaux destinés uniquement à la reproduction »

23

. Les animatrices de la section belge du CMF en appellent à l’ensemble des forces démocratiques et tout « particulièrement aux organisations féministes… »

24

car la défense des droits des femmes comporte « en premier lieu, la protection des vies humaines et, par conséquent, la lutte contre la guerre »

25

. Mais le message du CMF n’est jamais sans ambiguïté ; ainsi le tract de 1935 se termine par un vibrant appel aux femmes, « gardiennes de la vie », en justifiant leur mobilisation par la maternité. Il mêle donc à la fois une conception essentialiste de l’intervention des femmes dans la sphère politique et son contraire, la défense des droits humains au nom de l’universalité des droits dans un système démocratique non sexiste.

26

C’est d’ailleurs la même ambiguïté qui se retrouve assez régulièrement dans le discours général de la revue du CMF, Femmes dans l’action mondiale, qui, à l’instar des régimes qu’il dénonce, fait pourtant l’apologie de la fonction maternelle et de ses corollaires

27

.

Cette récupération de la lutte féministe au profit du combat antifasciste, jointe à une sensibilité communiste de plus en plus accentuée, expliquent la distance prise progressivement par des féministes libérales, comme Louise De Craene et Georgette Ciselet.

Sur le plan des convictions féministes, Femmes dans l’action mondiale n’est pas sur la même longueur d’onde que les féministes égalitaires. On y trouve par exemple des articles de la doctoresse Germaine Alechinsky (également membre de la FBFU) qui décrivent la mission spécifique des femmes en fonction de leur physiologie et qui s’attaquent nettement au féminisme égalitaire : « La nature a prévu la division du travail entre les sexes. La direction prise actuellement par certaines formes du féminisme est une trahison de cette loi préétablie

»

28

. Attribuant aux femmes une place dans la société, qui n’est pas fondamentalement différente de celle que lui destinent les régimes autoritaires, elle les invite à revendiquer

« l’accomplissement et la protection de (sa) fonction maternelle. (…) J’entrevois une image de la société future fournissant à la femme un enseignement maternel prolongé, à caractère strictement scientifique universitaire, qui étancherait sa soif légitime de connaissance et lui permettrait en même temps d’exploiter avec le maximum de rendement et de satisfaction, ses potentialités naturelles »

29

.

Ces positions inquiètent des féministes, comme Gabrielle Rosy-Warnant, sans pour autant créer de rupture. Les enjeux sont en effet multiples, et certains sont prioritaires, étant donné le contexte général. C’est pourquoi, en dépit de ses réticences à propos des conceptions féministes du CMF, Gabrielle Rosy-Warnant invite toutes les femmes à soutenir son combat pour la paix et leur demande, en vue de la manifestation prévue en septembre 1936, de « se grouper en masses compactes pour affirmer sa volonté de résistance à l’esprit de guerre et son indéfectible attachement à l’esprit de la saine démocratie (…) Cette campagne peut-elle

23

HAUWEL A., « La page des jeunes. Rex et nous », Femmes dans l’action mondiale, n°18, juin 1937.

24

Tract du Comité belge des femmes contre la guerre et le fascisme, septembre 1935 : Carhif. F.

GBPO 71h.

25

Ibidem.

26

Ibidem.

27

« Epouses… servantes », Femmes dans l’action mondiale, n°11, novembre 1936 et ALECHINSKY, G., « Physiologie féminine », Femmes dans l’action mondiale, n°5, avril 1936.

28

ALECHINSKY, G., « Physiologie féminine », Femmes dans l’action mondiale, n°5, avril 1936.

29

Ibidem.

(7)

encore être efficace ? (…) Néanmoins nous devons faire cette croisade. Des mouvements existent : à ma connaissance, malgré leurs mérites, ils ne répondent pas complètement à ma conception et risquent de ne pas obtenir l’adhésion de toutes les femmes amies de la paix et de la liberté (…). Femmes libérales je vous convie à tendre la main à toutes les femmes qui voudraient avec nous tenter cet essai»

30

.

Du 3 au 6 septembre 1936, le FBFU, le CNFB, le CMF et Egalité participent au Congrès international pour la paix organisé à Bruxelles au Heysel à l’initiative du Rassemblement universel pour la Paix, présidé par Lord Robert Cecil et Pierre Cot. De nombreuses associations féministes internationales sont également présentes. A l’issue de ce meeting, le CIF et la Fédération internationale des femmes diplômées des universités sont nommés

« observateurs » auprès de la commission féminine du Rassemblement universel pour la paix (RUP)

31

. Pour l’occasion, quinze commissions sont créées dont celle des organisations féminines qui regroupe près de 600 à 700 représentants − soit la plus importante après celle des syndicats. Plusieurs oratrices s’y sont succédé : Joséphine Schain pour l’organisation Causes and Cures of War (USA) aidée par Suzanne Lippens du CNFB, Gabrielle Duchêne (France), Mary Dingman (USA), présidente du Comité des organisations féminines pour la paix et le désarmement

32

.

Si les initiatives se multiplient, les résultats sont décevants. En janvier 1937, des délégations sont reçues par le président du conseil de la SDN ; la LIFPL, le CMF et le Secours international aux femmes et aux enfants de la république espagnole (créé par le RUP en 1936) font des démarches et envoient des lettres de protestation.

33

. En même temps, ces associations s’inquiètent du sort des très nombreux réfugiés fuyant les Etats fascistes, dont beaucoup sont privés de leur nationalité et « de leur statut social, parce que, même dans les pays démocratiques, le droit d’asile et le droit au travail ne sont pas légalement assurés »

34

.

Dès 1936, la commission des migrations du CNFB concentre ses efforts sur les réfugiés politiques qui augmentent « de façon inquiétante au cours des dernières années »

35

. L’arrivée massive de réfugiés d’origine juive venus d’Allemagne, d’Autriche et de Tchécoslovaquie l’interpelle tout particulièrement, en raison des « nombreux problèmes sociaux et économiques bien difficiles à résoudre selon nos traditions d’hospitalité et de générosité »

36

. Tout en reconnaissant que ce qui a été réalisé jusque-là « ne résout, hélas, qu’une toute petite partie du problème », la commission du CNFB se déclare globalement satisfaite de l’organisation d’un centre d’accueil à Merxplas, hébergeant en 1938 plus de 500 personnes et des efforts faits par la Croix-Rouge de Belgique, le Comité d’assistance aux Etrangers et

30

ROSY-WARNANT, G., « Les femmes dans la tourmente… ».

31

Rassemblement universel pour la paix. Les représentants des peuples aux représentants des gouvernements. Texte des discours prononcés par les représentants du RUF à la 17

e

assemblée des Nations, 1

er

octobre 1936 (brochure) ; Rassemblement universel pour la paix, septembre 1936.

Congrès de Bruxelles (brochure) : AVB, F. NYSSENS, 38 ; « Rassemblement universel pour la paix », Egalité, n°29, mai 1936. p. 2.

32

« Le rassemblement universel pour la paix », Egalité, n°30/31, 1936.

33

Communiqué de la LIFPL, 25 janvier 1937 : Mundaneum, F. Féminisme, LLF 51 ; Voir les lettres et télégrammes dans le Fonds Féminisme, papiers Léonie La Fontaine : Mundaneum 51.

34

Résolution sur le droit d’asile LIFPL, juillet 1937 : Mundaneum, F. Féminisme, LLF 51.

35

Rapport d’activité de la commission des migrations du CNFB juin 1936 : Mundaneum, F.

Féminisme, CNFB, 41.

36

Comité de migration du CNFB, Rapport de 1938, 10 mai 1939 : Mundaneum, F. Féminisme,

CNFB, 41.

(8)

le Comité d’assistance israélite

37

. En revanche, le jugement de Jeanne Vandervelde est nettement moins positif sur la politique d’accueil: comme médecin attachée à la prison de Forest, elle constate que l’on refoule à la frontière allemande des détenus étrangers, accompagnés de femmes et d’enfants, ayant fui l’hitlérisme

38

.

En 1938, le CNFB fait inscrire à l’ordre du jour de la prochaine assemblée triennale du CIF la question du statut des réfugiés et des apatrides

39

. Dans la foulée de la conférence internationale des femmes de Marseille en mai 1938, un Comité de vigilance pour la paix

40

voit le jour le mois suivant puis le Comité mondial des femmes pour la paix et la liberté

41

. Ce nouveau comité associe sans équivoque le combat pour la paix à celui de la défense de la démocratie : « les évènements se précipitent, les menaces de guerre se précisent, nous croyons pouvoir compter sur votre collaboration afin de faire tout ce qui sera en notre pouvoir pour maintenir la paix et la démocratie »

42

. La démocratie leur apparaît comme la meilleure garantie de la paix, elle doit être au « fondement des relations entre individus et collectivités » comme le souligne à de très nombreuses reprises l’une des participantes, la féministe tchèque Frantiska Plaminkova

43

. Rapidement les activités de ce comité se répercutent en Belgique, où elles se confondent avec celles du CMF.

En mai 1938, ce Comité qui semble avoir été absorbé par le CMF, organise un congrès à Bruxelles, présidé par Marcelle Leroy. De nombreuses femmes de gauche y participent : Hélène Burniaux, Isabelle Blume, Emilienne Steux, Jeanne Vandervelde mais aussi Lucie De Brouckère, Madeleine Kipfer-Bogaert, Léonie La Fontaine, auxquelles se joignent la communiste Alice Degeer et la Française Gabrielle Duchêne

44

. Malade, Germaine Devalet, trésorière de la FNFL, ne peut y présenter son rapport sur les droits des femmes

45

.

37

Ibidem.

38

Lettre de Jeanne Vandervelde où elle compte le nombre d’étrangers détenus à la prison de Forest et refoulés à la frontière allemande, 22/10/1938 : IEV, F. Jeanne Vandervelde, boîte 2.

39

Rapport de la secrétaire générale du CNFB à l’AG Statutaire mai 1938 : Mundaneum, F.

Féminisme, CNFB, 01.

40

Lettre du Comité d’initiative aux membres, 1 juin 1938 : Mundaneum, F. Féminisme, FLLF 050;

PV de la réunion du 30.03/38 à Bruxelles : Mundaneum, F. Féminisme, LLF.051.

41

« Le premier Congrès de la section belge du comité mondial des femmes pour la paix et la liberté », Dimanche, 29 mai 1938 : Mundaneum, F. Féminisme, LLF 51.

42

Lettre aux membres du Comité de vigilance pour la paix, 11 juin 1938 : Mundaneum, F.

Féminisme, LLF, 50.

43

PV de la réunion du 30/03/38 du comité d’initiative du Congrès féminin international : Mundaneum, F. Féminisme, LLF, 51. Frantiska Plaminkova (1875-1942) :professeur de mathématiques et de physique, fondatrice du Conseil national des femmes tchèques en 1923, vice- présidente du CIF. Engagée dans la lutte contre le nazisme, elle est arrêtée par les nazis pendant la Seconde Guerre, déportée et exécutée à Dachau le 30 juin 1942.

44

Gabrielle Duchêne (1870-1954), membre du CNFF, elle en est exclue en raison de ses opinions pacifistes et fonde en juillet 1915 le comité intersyndical d’action contre l’exploitation de la femme.

Membre de la section française de la LIFPL, elle est à l’origine du Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme. BARD, C., Les filles de Marianne, Histoire des féminismes 1914-1940, Fayard, Paris, 1995, p. 73 et 297.

45

« Le premier Congrès de la section belge du comité mondial des femmes pour la paix et la liberté »,

Dimanche, 29 mai 1938. ; « Un congrès pour la paix. Il est organisé à Bruxelles par la section belge

du Comité mondial des femmes », Dernière Heure, 29 mai 1938; Lettre du CMF qui annonce la

Conférence des 28 et 29 mai 1938, 15 avril 1938. Mundaneum, F. Féminisme, LLF 53.

(9)

De son côté, le CNFB adopte une attitude plus réservée. Bien que profondément démocrate et pacifiste, Marthe Boël, alors présidente du CNFB et du CIF, impose au Conseil des femmes belges une grande retenue et refuse qu’il adhère au CMF. Cela n’empêche pas le CNFB d’apporter son aide aux victimes du fascisme, et particulièrement aux enfants espagnols, mais via cette fois la Croix-Rouge internationale

46

. Sa double présidence du CNFB mais aussi du CIF explique en partie sa prudence. La crise économique des années trente, sur fond de crise sociale et psychologique, et l’avènement de régimes antidémocratiques ont exacerbé les tensions entre les Conseils nationaux. Le CIF est confronté à des choix difficiles et Marthe Boël essaie de préserver tant bien que mal une unité de plus en plus illusoire, en évitant les positions tranchées. C’est ainsi que le CIF ne se prononce pas clairement lors de la montée du nazisme, malgré l’autodissolution en 1933 du Conseil des femmes allemandes (BDF) et le rejet de la demande d’adhésion de l’Union des Femmes nazies

47

.

La campagne menée pour sauver la jeune Liselotte Herrmann cristallise les oppositions idéologiques entre associations pacifistes et féministes. Jeune communiste allemande, née à Berlin en 1906 (ou 1909 selon les sources), opposante au régime hitlérien, Liselotte Herrmann est arrêtée le 7 décembre 1935, emprisonnée pendant 19 mois tandis que son fils, âgé d’un peu plus d’un an, est élevé par ses grands parents. Condamnée à mort pour haute trahison le 12 juin 1937, elle est exécutée, en dépit des nombreuses protestations internationales, le 20 juin 1938. Le CMF transforme son exécution en symbole de l’abomination nazie, qui bafoue les droits les plus élémentaires de la justice et les droits des mères

48

. Le Féminisme chrétien, par la voix d’Angèle Grégoire-van Oppems, refuse de politiser ce qu’il considère comme « un odieux déni de justice (…) d’autant plus (fort) qu’il s’agit d’une femme et d’une mère »

49

, mais indépendamment des « opinions politiques de M M

me

Herrmann. Il s’en prend aux dérives de gauche du comité constitué pour soutenir la révision du procès de Liselotte Herrmann. Pourtant ce comité était composé d’avocates du barreau de Bruxelles, toutes opinions politiques confondues.

50

D’autres voies sont explorées par les féministes pour défendre la démocratie. Jeanne- Emile Vandervelde, très active dans la lutte contre l’hitlérisme, s’investit relativement peu dans le CMF mais concentre ses efforts à la Ligue belge des droits de l’homme. A ses yeux, son engagement pour l’émancipation féminine s’intègre dans une lutte plus vaste, celle de la défense de la « vraie démocratie »

51

. Dans un éditorial consacré à la mort de Liselotte Herrmann, elle invective les hommes politiques belges qui se sont néanmoins rendus en Allemagne au Congrès international de la protection de l’enfance et crie son « mépris et toute l’horreur que doivent inspirer, à ceux qui ont une conscience, les procédés du régime

46

Rapport de la secrétaire générale du CNFB à l’AG statutaire mai 1938 : Mundaneum, F.

Féminisme, CNFB 01.

47

GERHARD, U., « National ou international ? A propos de l’histoire des relations internationales du mouvement des femmes allemandes », COHEN, Y. et THEBAUD, Fr., (dir.), Féminismes et identités nationales, Lyon, 1998, p. 169-170. Lady Aberdeen estime en effet que cette nouvelle Union est en contradiction avec la Règle d’Or du CIF.

48

Femmes dans l’action mondiale, n°20, août/septembre 1937.

49

GREGOIRE-VAN OPPEMS, A., « A propos du cas de Liselotte Hermann », Le Féminisme chrétien, n°9/10, nov/déc. 1937, p. 142.

50

Femmes dans l’action mondiale, n°24, Noël, 1937.

51

« Les droits humains », Bulletin du CNFB, octobre/novembre/décembre, 1963, p. 6.

(10)

hitlérien, pis que tous ceux qu’on n’a jamais reprochés à l’Inquisition»

52

. Lors du meeting du 9 novembre 1938, organisé par la Ligue belge contre le racisme et l’antisémitisme, au nom de la Ligue des Droits de l’homme, elle dénonce l’antisémitisme qui se développe en Belgique, qu’elle assimile au « début inquiétant de l’hitlérisme, c’est-à- dire de la bestialité et de la stupidité »

53

.

La sortie de guerre : temps difficiles pour les féministes

La période de l’après Seconde Guerre se caractérise, à l’instar des années trente, par une très forte instabilité politique : dix équipes ministérielles se succèdent entre septembre 1944 et août 1950

54

. A l’inverse de la France, les institutions politiques belges ne sont que peu modifiées lors de la restauration démocratique, mais on assiste à une rénovation au sein des partis politiques. Le POB devient le Parti Socialiste Belge (PSB /BSP), un changement de nom opéré déjà dans la clandestinité en septembre 1941, qui s’accompagne aussi d’une mutation structurelle : son recrutement s’effectue désormais par affiliation directe et individuelle, et non plus à travers l’affiliation collective des syndicats, des coopératives et des mutuelles

55

. Le bloc catholique renonce à la standenorganisatie, cherche surtout à se distancier de son « carcan confessionnel » et se présente comme unitaire, bien qu’il soit organisé en deux ailes distinctes, francophone et flamande. Lors de son congrès officiel d’août 1945, il prend le nom de Parti social-chrétien (PSC/CVP)

56

. En revanche le parti libéral et le parti communiste ne modifient ni leur nom ni leur programme. Lors des premières élections d’après guerre en 1946, le parti communiste sort grand vainqueur et devient la troisième force politique du pays, devançant les libéraux. Un nouveau parti entre également en scène en juin 1945, l’Union Démocratique belge (UDB) (le mouvement date de l’automne 1944), il souhaite dépasser les clivages politiques traditionnels et se présente comme un parti travailliste. Composé en grande partie de chrétiens de gauche, il est désavoué par le primat de Belgique, le cardinal Van Roey, n’obtient pas le succès escompté et disparaît en très peu de temps, dès la fin 1946.

La paix revenue, la société belge est confrontée à des questions qui enveniment le climat de l’après-guerre

57

et dans lesquelles les partis tentent d’enrôler les femmes. Si le désarmement de la résistance ne semble pas avoir suscité de débats spécifiques parmi les associations de femmes, la répression de la collaboration et surtout la question royale les divisent fortement. Chaque parti instrumentalise « ses femmes » dans le règlement d’une question qui accentue les tensions. Les associations féminines suivent strictement la ligne de leur parti, les socialistes et les libérales s’opposent vigoureusement au retour du roi, les catholiques le réclament tout aussi farouchement. De nouvelles associations féminines

52

VANDERVELDE, J.-E., « Honte à Hitler! », Femmes dans l’action mondiale, n°30, 3 juillet 1938.

53

J.A.F., « Front humain pour les juifs », Combat, 19 novembre 1938 : IEV, F. Jeanne Vandervelde (boîte non classée) Toutefois, il est assez difficile d’évaluer correctement l’ampleur de ses activités car les archives de cette période ont pratiquement toutes disparu.

54

DUJARDIN V., « La régence 1944-1950. Les clés d’une Belgique nouvelle », VAN DEN WIJGAERT, M. et DUJARDIN, V., La Belgique sans Roi, 1940-1950, Complexe, Bruxelles, 2006, p. 104.

55

MABILLE, X., Histoire politique de la Belgique. Acteurs et facteurs du changement, CRISP, Bruxelles, éd. revue et complétée, 1997, p. 306-307.

56

Idem, p. 306.

57

DUJARDIN, V., « La régence 1944-1950. Les clés d’une Belgique nouvelle »…, p. 104-146.

(11)

éphémères voient même le jour : le Groupement féminin pour la défense de la constitution réclame l’application de « la loi du 19 juillet 1945 qui stipule qu’il appartient aux deux chambres réunies de constater la fin de l’impossibilité de régner »

58

; l’Alliance féminine belge pour la défense des droits de la femme qui revendique notamment « le règlement de la question royale par la voie d’une consultation populaire »

59

. Lors de la consultation populaire sur le retour du roi en mars 1950, le Rassemblement des femmes pour la paix, d’obédience communiste, tente de lui donner une dimension internationale, sur fond de guerre froide : « C’est parce que nous sommes des femmes antifascistes, que nous sommes contre Léopold III »

60

. Selon le RFP, le retour de Léopold III, concocté en plein climat d’hostilité à l’Union Soviétique et aux démocraties populaires, prouve que les Etats-Unis ont besoin en Europe de « gouvernement forts … (les milieux réactionnaires) avant tout les ennemis du peuple : la haute finance et la grosse industrie, les collaborateurs économiques, les rexistes d’autrefois »

61

qui se sont rangés en faveur du retour du roi auxquels se soient adjoints « des dizaines de braves gens de chez nous (…) qui, animés de sentiments monarchiques profonds, n’ont pas compris le danger qu’il y avait à voter pour Léopold III, l’homme qui est l’ennemi de la démocratie»

62

. L’assassinat de Julien Lahaut, qui avait crié avec d’autres élus communistes « Vive la République » lors de la prestation de serment devant les Chambres de Baudouin, le fils de Léopold III, est une nouvelle preuve pour le RFP, que la monarchie, soutenue par « la réaction », est une menace pour la démocratie et pour la paix

63

.

La Seconde Guerre mondiale a donc cristallisé les options idéologiques, et laisse des traces profondes au sortir du conflit, y compris parmi les femmes qui ont participé à la Résistance. Départagée dans des réseaux indépendants, nationalistes ou communistes, la résistance n’a pas suscité de front commun féminin, comme ce fut le cas lors de la Première Guerre. Aucune comparaison n’est possible avec le patriotisme de 1914-1918 qui avait soudé l’ensemble des associations de femmes en une Union patriotique des femmes belges, dirigée par deux féministes.

Les nouvelles associations de femmes qui émergent au lendemain de la Libération témoignent de cette politisation des résistantes, qui reflète en miroir celle des résistants.

L’Union des femmes de Belgique (UFB), est très vite noyautée par le parti communiste

64

au point que certaines féministes, redoutant cet accaparement, refusent, comme c’est le cas d’Adèle Hauwel, de faire reconnaître leur statut de résistante

65

. Adèle Hauwel connaît fort bien les fondatrices de l’UFB, et s’abstient de participer à sa fondation. Elle préfère remettre

58

« Le groupement féminin pour la défense de la constitution », La Libre Belgique, 24 août 1949.

59

« Femmes de Belgique. L’union fait la force », Tract, s.d. : Mundaneum, F. Féminisme, CNFB, 23 ; Statuts de l’Alliance féminine belge pour la défense des droits de la femme, s.d. : Mundaneum, F.

Féminisme, CNFB 33.

60

« Léopold et nous ! », Femmes, avril 1950.

61

Ibidem.

62

Ibidem.

63

MULLIER J. « On disait de lui : cet homme a le soleil dans sa poche et en distribue un morceau à chacun », Femmes, septembre 1950.

64

« Au congrès des femmes 15-16-17 décembre », Femmes dans la vie. Journal de l’Union des femmes. Comité national provisoire, novembre 1945.

65

Lettre d’Adèle Hauwel à Dimitri Goldé, 2 février 1949 : Carhif, F. Adèle Hauwel, 154. Sur Dimitri

Goldé (1905-1980, résistant, communiste, responsable principal de Radio Moscou pendant toute la

guerre : GOTOVITCH, J., Du Rouge au tricolore…, p. 522-523.

(12)

sur pied le Groupement belge de la Porte ouverte : pour elle, la cause des femmes ne peut jamais être subordonnée à un parti politique.

La situation est pourtant loin d’être claire et peut susciter la perplexité. L’Union des femmes de Belgique a inscrit à son programme le bon fonctionnement de la démocratie ainsi que son élargissement

66

. En 1945, le PCB s’est déclaré sans ambiguïté pour le suffrage des femmes, qu’il présente comme une garantie pour la démocratie et la paix. Il identifie la cause des femmes à un enjeu démocratique majeur et affirme se préoccuper « tout particulièrement du sort des millions de femmes belges victimes d’inégalités désuètes dont la survivance est incompatible avec une véritable démocratie »

67

. Il en appelle également à la mobilisation des femmes contre les « manœuvres criminelles de la réaction perpétuellement enceinte du fascisme ». Dans un discours teinté de maternalisme qui mythifie « ses résistantes », le parti communiste tente de rallier sous sa bannière l’ensemble des femmes démocrates en rappelant la barbarie de la guerre et du fascisme: « Combien de glorieux noms n’avons-nous pas appris à connaître depuis Fanny Jacquemotte, Juliette Herman, Regina Dispy, May Pilzer, Danielle Casanova, Elise Binard et toutes les autres qui forcèrent notre admiration dans les moments les plus périlleux, (par) leur tendresse et leur compréhension plus profonde de la souffrance (qui les) conduisaient à ressentir mille fois plus fort que leurs frères, toutes l’horreur des crimes nazis »

68

. Le parti communiste présente en quelque sorte ses résistantes comme des

« héroïnes maternelles » dans lesquelles toutes les mères peuvent se reconnaître. Leur engagement n’aurait été ni politique ni patriotique, mais plus simplement maternel : durant la guerre « la mère » qui « n’était plus seulement la mère de ses enfants … devenait celle de tous les enfants malheureux du pays »

69

.

Dès 1945, l’UFB s’institue comme porte-parole des résistantes et tente de fédérer l’ensemble des « organisations féminines à caractère démocratique »

70

. Il essaie de rallier les associations féministes, comme le CNFB et le GBPO, mais sans succès

71

. Dans la défense du suffrage féminin à l’ordre du jour dès 1944, l’UFB rappelle abondamment, à l’instar du PCB, le civisme et le courage des femmes dans la résistance : « Beaucoup ont payé de leur vie et santé leur attachement à la Patrie. (La femme) veut participer à choisir ses dirigeants, c’est son droit»

72

. Son programme s’inscrit sous la bannière de l’antifascisme, d’une démocratisation accrue de la société belge, d’un accès facilité aux soins de santé pour les mères et les enfants, de l’extension des infrastructures d’accueil pour les enfants (écoles, crèches, piscines, ….etc.)

73

.

66

Rapport à la conférence nationale des Unions des femmes 18-19 août 1945. Vue d’ensemble sur la situation faite à la femme et à l’enfant, actuellement en Belgique par Andrée Thonnart : Mundaneum, F. Féminisme, CNFB, 16.

67

« Programme d’action féminin du parti communiste de Belgique, approuvé par le VIIIe Congrès du parti », Le Drapeau rouge, 29 juin 1946.

68

« Evelyne nous dit. Les femmes sont antifascistes » (coupure de presse

[

1945

]

) : Carhif, F. Adèle Hauwel, 736.

69

Idem.

70

« Notre plan de travail », Femmes dans la vie. Journal de l’Union des femmes, janvier/février 1946.

71

Lettres des 8/02/1946 et 28/02/1946 de l’UFB à la Baronne Boël et note en réponse : Mundaneum, F. Féminisme, CNFB, 04.

72

Lettre de l’UFB à la baronne Boël, 8 novembre 1945 : Mundaeum, F. Féminisme, CNFB, 04.

73

Premier congrès national de l’Union des femmes de Belgique. Charte : Mundaneum, F. Féminisme,

CNFB, 04 ; « A nous la paix », Femmes dans la vie, août-septembre 1946, p. 2.

(13)

Lors des premières élections d’après guerre, en 1946, l’UFB demande aux femmes de s’engager à fond dans la bataille électorale, même sans bulletin de vote, car « une femme possède un rayonnement intense dans son ménage, dans son milieu. (…) Femmes, l’Union des Femmes de Belgique, qui ne groupe que des femmes démocrates, vous engage à utiliser votre influence afin que votre milieu vote démocrate »

74

. Le message de l’UFB se fait plus précis aux élections communales de 1946 : « Femmes belges, écoutons cet appel de nos sœurs de la Fédération démocratique internationale des femmes, écoutons cette voix puissante et sincère qui nous guide vers la paix et qui nous dicte des devoirs à l’heure grave où nous nous préparons à voter aux élections communales»

75

. L’UFB invite ses adhérentes à voter pour le parti communiste. De même, en 1949, quand les femmes votent pour la première fois aux élections législatives, dans un climat de guerre froide naissante, le Rassemblement des femmes pour la paix (RFP) qui a remplacé l’UFB depuis 1947/1948 invite les « mamans » à user de leurs nouveaux droits et à voter pour le parti communiste :

« Non les mamans de chez nous n’accepteront pas passivement que se poursuive à travers nos pays occidentaux cette croisade criminelle qui prétend nous entraîner à de nouveaux conflits ; non les mamans de chez nous ne croient pas qu’il est impossible de s’entendre avec les mamans soviétiques qui pleurent encore dix-sept millions d’enfants ! »

76

. Le RFP reprend ainsi le message traditionnel du vote des femmes, rempart contre la guerre: « La femme qui donne la vie est la gardienne fervente de cette vite. Elle est l’ennemie décidée de tout ce qui apporte la mort. Elle lutte contre la guerre, destructrice de la vie »

77

.

De leur côté, les féministes font également le lien entre la citoyenneté complète des femmes et la restauration du régime démocratique. Des accents analogues se retrouvent chez Isabelle Blume, dans son rapport à la Chambre sur le suffrage féminin : « C’est élever la notion de démocratie que d’associer à la vie publique celles qui, devant l’avenir, sont responsables des foyers qui composent la nation et des enfants qui seront les hommes de demain»

78

. En dépit de ses réticences et de ses craintes de récupération, Adèle Hauwel doit reconnaître que seules « les femmes libérales et les femmes communistes réclament l’application intégrale du programme féministe»

79

.

La défense des droits humains : une nouvelle articulation de la lutte féministe

Garantes de la démocratie, les associations féministes se présentent aussi comme soucieuses de faire appliquer les valeurs contenues dans les grandes conventions internationales : la Charte des Nations unies (adoptée à San Francisco le 25 février 1945) et la Déclaration universelle des droits de l’homme (10 décembre 1948). Fortement marquées par les horreurs du conflit, elles aspirent à un monde meilleur, plus juste, sous l’égide de l’ONU. Tous leurs espoirs s’incarnent véritablement dans cette SDN « reliftée », capable de redonner sens à la vie en éloignant à tout jamais les guerres barbares et inhumaines. La Déclaration des droits de l’homme de 1948 donne corps à cet idéal et les féministes se

74

« Température électorale », Femmes dans la vie. Journal de l’Union des femmes, janvier/février 1946.

75

« A nous la paix », Femmes dans la vie, août/septembre 1946.

76

« Femmes ! Contre la misère et la guerre pour le pain et la paix », Femmes, avril 1949.

77

« Lettre à ma filleule », Femmes, juin 1949.

78

Rapport présenté au nom de la section centrale, Annales parlementaires 1944-1945, Documents parlementaires, n°239, p. 4-5.

79

La femme belge, document de travail par Adèle Hauwel, 2 juillet 1946 : Carhif, F. A. Hauwel, 832.

(14)

rallient au message des droits humains, plus décisif, pensent-elles, pour les femmes que pour les hommes.

La cause des femmes est désormais légitimée par l’idéal des droits universels de la personne humaine

80

: « Il faut aussi que nous, femmes belges, nous obtenions l’application de ces principes dans la législation et dans la vie quotidienne de notre pays. En réclamant la reconnaissance entière de nos droits comme être humains, nous contribuerons, d’ailleurs, à l’établissement d’une justice plus grande et d’un monde meilleur»

81

. La Belgique ayant signé à la fois la Charte des Nations unies et la Déclaration des droits de l’homme, l’ensemble des associations féministes y puisent la justification de leurs revendications. Le respect des droits humains − et non plus seulement une question féminine − devient l’enjeu de l’égalité des hommes et des femmes dès la fin des années 1940. Le féminisme se présente comme un idéal humain « susceptible de donner aux femmes la conscience de leur liberté et de leur dignité »

82

. Par là même, le combat pour l’égalité des droits est peu à peu assimilé par le plus grand nombre à une évolution vers plus de démocratie. Dans un essai, Femmes-Féminité- Féminisme, publié en 1948, Jean Marsus, écrivain bruxellois conclut : « à moins d’un retour à la barbarie par suite d’une guerre exterminatrice, la période de soumission féminine paraît close. Celle de la collaboration commence »

83

. L’égalité homme/femme devient un baromètre pour évaluer le degré de démocratie et de civilisation dans un Etat.

De manière assez étonnante, les féministes mêlent universalisme et essentialisme dans leurs discours. Elles défendent en effet une conception universaliste des droits des femmes − en tant que personne humaine − qu’elles associent à la défense de la démocratie occidentale, tout en justifiant l’intervention des femmes dans la sphère publique et politique par le biais d’un discours essentialiste et maternaliste. Hormis de rares associations égalitaires, tel que l’ODI et le GBPO, pratiquement toutes les associations féministes demeurent incapables de clarifier leur discours sur ce point. Cette ambivalence, qui paraît aujourd’hui contradictoire, s’explique sans doute par la formation intellectuelle et culturelle des militantes, influencées par les valeurs de la révolution française et le modèle du citoyen neutre et universel

84

, sans pour autant être dégagées totalement de l’idéal dominant de la famille et de la société bourgeoises.

Inscrire l’égalité dans la Constitution pour en faire un droit fondamental

Certains parlementaires tentent, mais sans succès, de faire inscrire l’égalité des hommes et des femmes dans la Constitution, notamment dans l’article 6 garantissant l’égalité de tous les Belges devant la loi.

Les débats au Parlement sur l’accès égal des hommes et des femmes aux emplois dans l’administration publique

85

fournissent l’occasion à des parlementaires féministes – dont

80

Communication aux associations féministes d’une conférence faite par Germaine Cyfer-Diderich à la Ligue belge pour la défense des droits de l’homme, Bruxelles le 5 décembre 1955 : Mundaneum, F.

Féminisme, CNFB, 13.

81

« La déclaration universelle des droits de l’homme », Bulletin du CNFB, février 1951, p. 3.

82

KNAUER-RIFFLET, M., « Le féminisme est une morale », Socialisme, septembre 1954, p. 458.

83

MARSUS, J., Femmes, féminité, féminisme, Les argonautes, Bruxelles, 1948, p. 127.

84

Sans voir qu’il recouvre en réalité le citoyen masculin. Sur cet aspect : VIENNOT, E. (dir.), La démocratie à la française ou les femmes indésirables, CEDREFF, Paris, (rééd.) 2002.

85

Se reporter au chapitre 8.

(15)

Georgette Ciselet et Pierre Vermeylen, appuyés dans ce cas-ci par Henri Rolin, tous deux sénateurs socialistes – d’évoquer l’inscription du principe de l’égalité entre les sexes dans la Constitution

86

. Pierre Vermeylen fait une première tentative en 1954 mais le débat laisse apparaître une fracture nette entre un front laïque (PSB et PL), favorable à cette inscription, et un front chrétien qui s’y oppose. Pour les catholiques, y compris les députées, il est inutile d’ajouter à l’article 6 les termes « sans distinction de sexe », car il s’agit d’une simple question d’interprétation. Selon Marguerite De Riemaecker-Legot (CVP), « l’on a continué à tort… à donner une interprétation restrictive de l’art. 6, ce qui était parfaitement possible en raison de son caractère général. L’on a voté des lois inutiles du point de vue constitutionnel, parce que l’atmosphère était manifestement défavorable à l’égard des femmes. Puisque c’est une question d’interprétation, l’interprétation qui existait dans le passé peut donc être remplacée par une autre interprétation »

87

. Le sophisme semble cacher un problème nettement plus fondamental : si le parti social-chrétien renâcle à inscrire le principe d’égalité des sexes dans la Constitution, c’est bien parce qu’il partage toujours une conception des rapports sociaux de sexe fondée sur « l’égalité dans la différence » et défend une organisation sociale arc-boutée sur la complémentarité des hommes et des femmes.

La question revient d’ailleurs à plusieurs reprises, notamment lors de la ratification de la Convention internationale des droits politiques des femmes (1953). Elle ne sera ratifiée qu’en mars 1964, sous réserve de l’article 3 qui concerne l’accès égal des hommes et des femmes à tous les postes publics et à l’exercice de toutes les fonctions publiques. Invoquant les principes défendus dans la Déclaration des droits de l’homme, les associations féministes assimilent ces atermoiements à un déni de démocratie : « Dans une société démocratique, basée sur la reconnaissance des droits de l’homme, aucune discrimination de sexe, de race ou de religion ne peut être maintenue».

88

. Les associations féministes remettent également en cause l’article 58, par lequel les enfants du roi (à l’exception des filles) deviennent sénateurs de droit à l’âge de 18 ans ; elles contestent de même l’article 65 qui exclut les filles du trône

89

. En réalité ces deux articles sont indissociables puisque c’est au titre d’héritiers potentiels du trône que les princes siègent de droit au Sénat

90

. Les réformes souhaitées ont un poids plus symbolique que concret ; et pourtant elles mettent des années à se réaliser.

L’opposition opiniâtre qu’elles rencontrent est symptomatique des résistances viscérales présentes dans la société vis-à-vis de l’égalité des sexes. Les femmes pourront accéder au trône en 1991, et l’article 58 relatif aux sénateurs de droit est mis en concordance en 1993.

Mais il faut attendre la révision constitutionnelle du 21 février 2002 pour que l’ancien article 6, devenu entre-temps l’article 10 de la Constitution révisée, spécifie que « L’égalité entre des hommes et des femmes est garantie ». La disposition est entrée en vigueur symboliquement le 8 mars 2002

91

.

86

Annales parlementaires, session ord. 1953-1954, Sénat, 1

er

décembre 1953.

87

Cité par VERMEYLEN, P., « L’égalité des sexes », Le Soir, 27/02/1954.

88

Interview de Jeanne-Emile Vandervelde par DERVE, « Eves de notre temps. N°1 Les femmes et la politique », Le Soir illustré, mars 1954. Sur ces débats, se reporter au chapitre 8.

89

« Note concernant la révision de la constitution : discriminations fondées sur le sexe », Bulletin du CNFB, janvier/février 1961, p. 10.

90

LAUREYS, V., « Les princes de Belgique au Sénat », LAUREYS, V. et alii (dir.), Histoire du Sénat de Belgique de 1831 à 1995, Racine, Bruxelles, p. 295-296.

91

Moniteur belge, du 26 février 2002 ; sur ce débat : Sénat, session 1999-2000, Documents

parlementaires, Proposition du Gouvernement de révision de la Constitution, 2-465 n° 1 ; Sénat

session 2000-2001, Documents parlementaires, Amendements, 2-465 n

os

2 et 3, Rapport, 2-465 -n°4 ;

(16)

Comme le souligne Ute Gerhart, il ne s’agit pas là « seulement d’un détail formel ou d’une subtilité juridique : cela signifie que l’égalité des droits entre les hommes et les femmes ne doit pas supposer l’identité (sameness

92

) mais, qu’au contraire, elle reconnaît justement cette différence et la prend en compte, tout en veillant à ne pas en faire un prétexte à discrimination »

93

.

Après 1945… la « guerre froide des femmes »

Tensions et scissions dans les associations internationales

Le féminisme ne se développe pas en vase clos, ni au plan national ni au plan international. Dans les associations internationales, les tensions, fortes et exacerbées avant guerre par la montée des régimes autoritaires, se radicalisent encore à la Libération. Or la position de la baronne Boël, toujours présidente du CIF, est délicate ; en dépit des atrocités commises par les nazis, elle s’efforce de ne pas hypothéquer l’avenir et essaie de maintenir le CIF « dans des idées extrêmement générales, en se défendant de toute suggestion quelconque concernant les conditions de paix »

94

. Toujours animée du même idéal d’union, elle estime que « ce n’est pas en divisant les femmes du monde en deux camps que nous arriverons au but pour lequel notre groupement a été créé… Les coalitions se font et se défont avec rapidité […] nous devons faire ce sacrifice à l’esprit du CIF si nous voulons être constructifs. Il faut que toutes les femmes du monde puissent se retrouver en un organisme central qui, ayant essayé de se maintenir au-delà de la mêlée, peut leur faire à toutes un accueil bienveillant »

95

.

Cette prudence ne peut pourtant pas gommer les profondes séquelles laissées par la guerre. Le CIF est véritablement divisé en deux camps irréductibles sur la position à adopter à l’égard des conseils nationaux des pays vaincus. La Suissesse, Renée Girod

96

qui a assumé la présidence ad interim à la demande Marthe Boël durant la guerre, plaide pour un retour à la paix totale et réclame l’amnistie pour l’ensemble des conseils nationaux et leurs membres.

L’essentiel, pour elle, est de les rassembler à nouveau autour d’un idéal commun

97

. Cette

Texte adopté par la commission, 2-465 n°5, Documents parlementaires, Projet transmis par le Sénat à la Chambre, 50-1140 n° 1 ; Rapport, 50-1140 n° 2 ; Amendement, 50-1140 n° 3 ; Texte adopté en séance plénière et soumis à la sanction royale, 50-1140, n° 4. Annales parlementaires, Discussion et adoption : séance du 8 mars 2001, Chambre des représentants, et Discussion et adoption, Séances des 23 et 24 janvier 2002

.

92

C’est l’argumentation de McKINNON, C., Towards a Feminist Theory of the State, Cambridge/London, Harvard University Press, 1989.

93

GERHARD, U., « Concepts et controverses », Le siècle des féminismes, GUBIN, E. et alii (dir.), Ed. L’atelier, Paris, 2004, p. 57.

94

Lettre de Boël à Girod et à Van Eeghen, 4 octobre 1939 : Carhif, F. CIF, Secrétariat de Bruxelles, 40/3.

95

Ibidem.

96

Renée Girod (1887-1962). Infirmière durant la première guerre, elle entreprend ensuite des études de médecine. Membre de l’Alliance des Sociétés féminines suisses, elle est introduite au CIF par Pauline Chaponnière Chaix. Elle assure la présidence ad-intérim du CIF de 1940 à 1945, puis la vice- présidence à partir de 1947. Carhif F. CIF, 62-4 ; Bulletin du CIF, vol. XXIX, n°2 juillet, 1951, p. 9- 20 ; Women in a changing World. The dynamic Story of the ICW since 1888, London, Routtlege et Kegan Paul, 1966, p. 131-132.

97

Lettre de Girod à Betsy Van Veen, 22 avril 1946 : Carhif, F. CIF, 51.

(17)

position est évidemment plus simple pour les déléguées des pays où les femmes n’ont pas subi de plein fouet la guerre, ni vécu l’occupation nazie ni la déportation dans les camps.

Mais pour toutes celles qui furent des victimes du nazisme et du fascisme, elle est inacceptable. Entre ces deux extrêmes apparemment inconciliables, la baronne Boël tente de rester neutre.

98

Le CIF tient sa première réunion de l’après guerre à Bruxelles, en présence de déléguées françaises, britanniques, suisses, hollandaises, danoises, suédoises, américaines, grecques et norvégiennes, d’Afrique du Sud, de Nouvelle-Zélande

99

. Dès la fin 1946-début 1947, des Allemandes cherchent à renouer des contacts mais prudent, le CIF préfère attendre que tous les traités de paix soient signés avant de décider

100

. Une situation similaire se présente en Italie.

Par la suite, les enjeux se modifient car les réaffiliations des anciens Conseils se déroulent sur fond de guerre froide. Le CIF craint alors d’être pris de vitesse par la FDIF (Fédération démocratique internationale des femmes, d’obédience communiste), et d’être doublée dans son propre camp par l’AISF, taxée d’ « organisation réactionnaire » par la FDIF

101

. Les relations du CIF avec les pays de l'Est demeurent ambiguës, marquées à la fois par la volonté de créer une solidarité entre les femmes du monde entier mais aussi par la hantise du communisme. D'anciennes membres du CIF sont d'ailleurs inquiétées, telle la Tchèque Milada Horakova qui avait présidé la commission permanente Lois pendant l'entre-deux- guerres. Persécutée par les nazis pendant la guerre, elle est condamnée à mort en 1950 par le régime communiste pour ses idées démocratiques et ses relations internationales. Le 27 juin 1950, elle est exécutée à Prague

102

.

En dépit du neutralisme proclamé et de l’absence de prise de position officielle pour le camp occidental, les relations du CIF avec les associations féminines communistes demeurent empreintes de méfiance. Durant cette période, il est excessivement rare que le CIF accepte de relayer une requête de type politique à la demande d’un de ses Conseils nationaux auprès de l’ONU. Et lorsqu’il entame une démarche, elle s’inscrit dans le contexte particulier de la guerre froide et doit s’interpréter dans ce cadre

103

.

98

PV de la réunion du CIF du 19 juin 1945 à Londres : Carhif, F. CIF, 222; Lettre de Boël à Girod,23 août 1945 : Carhif, CIF, Secrétariat de Bruxelles 1936-1947, 40/3. Notamment par le CN britannique et sa porte-parole Lady Nunburnholme. Sur l’action du CIF durant la seconde guerre et les tensions entre le bureau genevois et londonien, respectivement dirigé par Renée Girod et Lady Nunburnholme voir : JACQUES, C. et LEFEBVRE, S., « Les modes d’action du CIF. De la création à la seconde guerre mondiale », Des femmes qui changent le monde, GUBIN, E. et VAN MOLLE, L. (dir.), Racine, Bruxelles, 2005, p. 113-120. et « Dans le sillage de l’ONU. Restructuration et nouveaux modes d’action de 1945 à nos jours, op. cit., p. 121-126.

99

« CIF. Réunion de son comité exécutif en juin 1946 à Bruxelles », Bulletin du CNFB, juin 1946, 15.

100

Pour une présentation des associations féministes allemandes après la guerre : GERHARD, U.,

« L’histoire des femmes à travers le prisme des relations internationales du mouvement des femmes allemandes », HOOCK-DEMARLE, M.-C. (dir.), Femmes. Nations. Europe, Ceric, Paris, s.d., p.

167-170 et p. 171 -174.

101

« Le mouvement international féminin se renforce et se développe » ; Traduction d’un article de Popova paru dans La Pravda du 15/7/1946 : Mundaneum, F. Féminisme CNFB 04.

102

Milada Horakova (25/12/1901-27/06/1950), Tchèque, présidente du CNFT, proche de Plaminkova.

Lexikon des Frau, Band I., A.-H., KECKEIS, G., (dir.), Zurich, 1953, col. 1425-1426.

103

Sur ce point : JACQUES, C., « Le CIF face aux enjeux géo-politiques», Sextant, n°23-24, p. 39-55.

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