Au fil du bois
C aractéristiqu es des bois de charpente
Qualité
des
bois
et
pour
des
fonctions
Bernard Thibaut (IMGC - UMR 5508, Université Montpellier 2, CIRAD Montpellier)
Tout d 'a b o rd le c o n c e p t d e qualité des bois est à la fois très large e t subjectif.
Une p rem ière a p p ro c h e consiste à mesurer e t décrire les principales propriétés des bois qui relèvent de plusieurs domaines :
- propriétés physiques : densité, c a p a c ité d'isolation therm ique, phonique ou électrique, variations dimensionnelles a v e c les changem ents d e tem pérature ou d'hum idité, hygroscopicité ;
- propriétés m écaniques : a p titu d e à peu se déform e (modules d'élasticité), à résister sans se rompre (résistance à la rupture) sous un chargem en t d e flexion, traction, compression et cisaillement, a ptitude à l'usinage, au cintrage, c a p a c ité à amortir les chocs, les vibrations dans un e m ballage ou un instrument de musique ;
- propriétés chimiques : résistance au feu, à la corrosion a c id e ou basique, aux attaques d'insectes, mollusques ou cham pignons ;
- propriétés sensorielles : couleur, dessin, odeur, goût, p erception tactile.
À c e stade il n'y a pas d e notion qualitative au sens du bien e t du mal. Un bois très léger com m e le balsa ne va u t rien pour un parquet, mais est le meilleur com m e m atériau d e m aquettes ou co m m e isolant, l'é p icé a ne résistera ni aux cham pignons ni aux insectes, mais il est l'un des meilleurs, m écaniquem ent, pour la c h arpente ou la fabrication d e ta b le d 'h arm onie de violon ou d e piano.
Il est d o n c im portant d e pouvoir disposer de banques d e données aussi com plètes que possible sur les bois e t leurs propriétés, sans oublier que pour une m êm e essence le meilleur (é p icé a d e résonance) côtoie le moins bon (épicéa juvénile à croissance très rapide). De plus, les savoir transmis e t les banques de données d oivent im pérativem ent aussi fournir les informations sur ces variations d e propriétés, leur origine e t le moyen d e les maîtriser (tri, sélection en partant d e la connaissance d e l'arbre).
La d e u x iè m e a p p ro c h e , qui est le titre d e c e t exposé, c o n ce rn e l'a d é q u a tio n entre les propriétés connues ou mesurées du bois e t leur ap titu d e à une fonction, ou un usage, à condition que ceux-ci soient bien définis. Les fonctions d e structure, pour les scientifiques, sont celles qui sollicitent d 'a b o rd les propriétés m écaniques du m atéria : il d o it être a p te à résister aux efforts que va subir la structure (construction, meuble, m achine, instrument) construite en bois.
On notera que l'artisan ou l'ingénieur disposent de m éthodes e t de savoir faire pour dimensionner la structure a ve c le m atériau d o n t ils disposent. Ils peuvent augm enter les sections résistantes ou mettre plus de pièces aux endroits les plus sollicités.
Il fa u t aussi se rappeler que, par atavisme, le bois est naturellem ent un bon m atériau de structure puisque c'est a ve c lui que la nature construit ses architectures les plus audacieuses (les arbres) capables de résister des siècles à des charges énormes (poids du houppier parfois ch a rg é d e neige, poussée du vent). Ceci est vrai d e tous les bois. Q uand on utilise un outil d e sélection d e m atériaux pour réaliser une poutre de charpente de poids donné, tous les bois ressortent com m e d e bonnes solutions com parativem en t aux autres
Bernard Thibaut
matériaux (métaux, polymères, béton).
Il est d o n c assez évident, a priori, que les différentes essences d e bois, p a rtout dans le m onde, seront utilisées quelque part pour des fonctions d e structure. Si le choix est a b o n d a n t, c e sont souvent des contraintes com plém entaires qui guideront le choix.
À titre d'exem ple, une analyse m écanique pure m ontre qu e le sapin ordinaire est bien meilleur que le ch ê n e pour la ch a rp e n te (le rapport m odule d'élasticité sur densité est plus élevé). Ce sera encore plus vrai si l'on cherche d e très longues poutres c a r le chêne se ramifie en grosses branches plus bas que le sapin.
Par contre le sapin ne résistera pas aux attaques d'insectes (capricornes) ou d e cham pignons, si le risque a p paraît un jour, alors que le chêne, à l'abri sous une toiture, est quasim ent éternel. Pour des monuments symboliques, destinés à rester dans l'histoire, le chêne sera naturellem ent privilégié, c h a q u e fois qu'il est disponible en longueurs suffisantes, e t le charpentier le dimensionnera en fonction de ses propriétés m écaniques connues par lui.
Dans d'autres usages, c 'e s t la perform ance m aximale qui sera recherchée e t la sélection d 'u n e essence devient essentielle. C 'est le cas dans deux domaines co m m e la fa ctu re d'instruments d e musique d 'u n e part, la fabrication d'a rcs en bois d 'a u tre part. Dans ch a q u e cas, l'artisan ne se c o n te n te pas d 'u n bois ordinaire qui perm ettrait m algré to u t d e faire une caisse d e résonance ou un arc, m êm e s'il sait a d a p te r sa techniqu e d e fabrication à c e qu'il trouve d e mieux com m e bois (ce qui laisse une bonne m arge de choix que l'on constate dans les différentes civilisations).
Pour la ta b le d e résonance, la vitesse du son e t son très faible amortissement dans le bois sont des facteurs déterminants. Dans certaines essences com m e des résineux (é p icé a notam m ent) en zone tem pérée, ou des bois tropicaux ailleurs (pernam bou c) la vitesse du son dans le bois a tte in t 6.000 m/s (com m e dans les très bons aciers ou le verre) e t le facteur d'am ortissem ent est inférieur à 1%. Tous ces bois seront privilégiés, et le luthier p e u t assez facile m e n t les sélectionner en les faisant « sonner » sous le c h o c (en exam inant au passage l'ab sence de défauts e t la régularité du fil).
Pour les arcs, l'a p p ro c h e d e sélection des m atériaux privilégie la c a p a c ité d'em magasiner, puis de restituer le maximum d'é n e rg ie dans l'a rc sans que la fo rce nécessaire pour le b ande r dépasse la c a p a c ité de l'archer. Les propriétés intéressantes dans c e cas sont à la fois un bon m odule d'élasticité, une grande déform ation possible en flexion a va n t e n d o m m a g e m e n t e t une faible dissipation lors d e la restitution. À partir des bases de données existantes, l'if ressort naturellem ent mais aussi d'autres bois ou le bam bou.
Dans tous les cas, à ap titu d e similaire, b e a u co u p d e critères com plém entaires vont jouer un rôle im portant dans la sélection : aspects esthétiques ou culturel, qualité du to u ch e r (pour les bois d e m anches notam m ent), durabilité fa c e aux dégradations biologiques. Finalement les critères d e ty p e économ iques (disponibilité, prix) peuvent souvent modifier profondé m ent le processus d e sélection, sans parler des effets de m ode d o n t le rôle est loin d 'ê tre négligeable.
En conclusion, toutes les essences peuvent peu ou prou êtres utilisées pour des fonctions d e structure (rôle normal du bois dans l'arbre) et c 'e s t à l'artisan ou à l'ingénieur d 'a d a p te r sa co n ce p tio n au bois disponible. Pour des usages où les fonctions m écaniques sont critiques, la sélection pe u t se faire à partir de bases de données d e propriétés (qui malheureusement sont assez peu fournies pour la m ultitude du bois existant dans les forêts du m onde). Dans la plupart des cas c e sont des critères subsidiaires (par rapport à la fonction) qui vont d é cid e r du choix : disponibilité, prix, durabilité fa c e aux attaques biologiques, esthétique, habitudes e t culture locale.