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Submitted on 7 Feb 2011
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Villes arabes en révolution: quelques observations
Éric Verdeil
To cite this version:
Éric Verdeil. Villes arabes en révolution: quelques observations. Métropolitiques.eu, Métropolitiques,
2011, pp.6. �halshs-00563852�
Villes arabes en révolution: quelques observations Éric Verdeil
Les révolutions auxquelles on assiste actuellement en Tunisie et en Égypte sont-elles des révolutions urbaines ? Éric Verdeil revient sur les dysfonctionnements des économies et des services publics des villes arabes, qui motivent en partie ces mouvements.
Comme beaucoup d'observateurs, je suis resté bouche bée depuis le 14 janvier devant le spectacle extraordinaire et inattendu de la révolution tunisienne et, depuis cette semaine, devant l'extension de la contestation en Egypte (pays que je connais très mal).
Rétrospectivement, quelques petits faits relevés durant mon séjour tunisien cet automne et mes contacts avec des collègues de Sfax auraient dû attirer mon attention, comme cette pétition sur Facebook pour s'opposer à un renouvellement du mandat de Ben Ali signée par un nombre surprenant de personnes vers la fin septembre. L'indignation devant les pratiques de la famille Trabelsi a également constitué le sujet de nombreuses conversations à Sfax en novembre.
Dans ce texte, je voudrais proposer quelques réflexions sur certains traits de la contestation qui se répand comme une trainée de poudre de la Tunisie à l'Égypte, à la Jordanie ou au Yémen. Remarques d'un géographe familier de plusieurs pays arabes, au regard de travaux et de lectures récents.
Une dramaturgie urbaine
Le premier point à souligner est que nous sommes face à des révoltes ou des révolutions urbaines. Les campagnes qui pourtant sont partout très pauvres paraissent moins impliquées.
Est-ce un effet médiatique? Il semble qu'on assiste, comme les commentateurs le soulignent à propos de la Tunisie, à une révolte essentiellement portée par les jeunes urbains éduqués des classes populaires ou moyennes.
De fait, les manifestations sont essentiellement urbaines. En Tunisie, on a assisté ainsi à une progressive montée vers la capitale. Le mouvement est tout d’abord parti des villes petites et moyennes de l'intérieur tunisien (voir le précédent de Gafsa en 2008 (Larbi Chouikha et Vincent Geisser, 2010)). Il est ensuite monté en puissance en agrégeant les mécontentements et les frustrations dans les villes de la côte (Sfax, Hammamet) pour enfin culminer dans la capitale sans baisser d'intensité dans les autres villes. À distance c'est surtout la capitale qu'on a vue. Les émeutes du quartier de Ettadhamen, grand quartier populaire non-réglementaire du nord ouest de Tunis, ont marqué un tournant avant la cristallisation et la convergence des différents mouvements dans le centre de Tunis.
En Égypte, la capitale a d'emblée été le point focal de la mobilisation qui semble aussi
très forte à Alexandrie et Suez. On entend moins parler des villes du Delta ou du sud du pays
(en tout cas dans les médias que j'ai pu consulter). Il me semble, pour le peu que j'en sais,
qu’au Yémen la contestation est aussi surtout urbaine. En Jordanie, les manifestations sont
concentrées à Amman et semblent moins concerner les autres grandes villes (Zarqa ou Irbid).
Plusieurs observateurs ont relevé les déplacements récents du roi Abdallah dans des villages de bédouins de la région de Maan, en l'interprétant comme la recherche d'un renouvellement de l'allégeance au régime des tribus transjordaniennes non ou peu urbanisées, par opposition à une contestation sociale croissante dans les villes, largement menée par les islamistes.
On peut néanmoins s'interroger sur la pertinence de cette opposition villes-campagnes.
Ainsi, dans le cas jordanien, depuis plus d'un an, on a assisté à de nombreuses éruptions ponctuelles de violence, rurale ou localisée, dans les petites villes périphériques comme Maan, foyer récurrent de contestation violente depuis vingt ans. Ces violences sont présentées comme tribales par les commentateurs et souvent liées à des règlements de compte entre clans. Pour autant, pour le blogueur Muhammad Nas (Black Iris of Jordan), cette violence répétée peut s'interpréter comme un défi à l'État dans sa capacité à faire prévaloir les valeurs civiques, dans un contexte marqué par la corruption et la paupérisation de la population.
Autrement dit, en deçà de la politisation, ces poussées protestataires situées en dehors des grandes villes représentent également un défi à l'État. Il ne faut donc sans doute pas voir dans les mouvements actuels un malaise uniquement et spécifiquement urbain, même si c'est en ville qu'il atteint son acmé et produit ses principaux effets politiques.
À la différence de mouvements sociaux de protestation de ces dernières années, qui étaient restés circonscrits dans des localités précises (révoltes populaires de Mahalla al-Kubra en Égypte, en réaction aux restructurations affectant l'industrie textile en 2007-2008), la force de ces mouvements et l'ampleur des foules rassemblées leur ont permis d'occuper les espaces centraux des villes et, en particulier, de converger vers les espaces publics de représentation des régimes en place, comme l'avenue Bourguiba ou, ces derniers jours, la place de Kasbah à Tunis, ou encore la place Tahrir (de la Libération) au Caire (voir photo). D'où des images saisissantes et inédites dans ces capitales ordinairement policées au sens fort du terme, où l'on observe dans une grande confusion la contestation et la dégradation des symboles du pouvoir (tags, graffitis, incendies des images à la gloire du régime de Ben Ali ou de Moubarak), scènes de violence ou de fraternisation avec des représentants des forces de l'ordre. Un véritable renversement de l'ordre iconique de ces capitales marquées par le culte de la personnalité.
Une économie urbaine défaillante
Les motifs déclencheurs de la contestation sont multiples et, de surcroît, il est plus que délicat de généraliser d'un pays à l'autre, voire sans doute d'une ville à l'autre. Chômage, conditions de vie urbaine, dénonciation de la corruption et revendications des libertés démocratiques s'entremêlent et se renforcent dans la dynamique contestatrice. Si ces deux dernières motivations apparaissent essentielles, il faut souligner à quel point l'insatisfaction et le mécontentement ont donné lieu, ces dernières années, à de nombreuses éruptions de mécontentement et formes de résistance qui, en un sens, préfiguraient les mouvements actuels et leur ont, peut-être, servi de moments et de lieux d'apprentissage.
Les effets de la crise financière de 2008 sont spécifiques dans chaque pays arabe mais des éléments communs apparaissent. En Tunisie, le secteur industriel est orienté vers l'exportation et se révèle très dépendant de la baisse de la consommation européenne. Le tourisme y subit la concurrence d'autres destinations, la baisse du pouvoir d'achat des Européens et surtout une réorientation vers des clientèles originaires d'Europe de l'Est. Tout cela tire les revenus des travailleurs vers le bas. En Égypte, le tourisme subit aussi les effets de la crise (mais ce n'est pas le cas en Syrie, où le tourisme est au plus haut). Partout, les migrations vers l'Europe ou vers le Golfe sont ralenties, tandis que les investissements extérieurs marquent le pas (notamment en provenance du Golfe pour les années 2009-2010).
L'insertion dans la mondialisation libérale, qui s'est accélérée ces dernières années, a des
conséquences cruelles. En effet, le mouvement de libéralisation et d'ouverture aux investisseurs a été largement contrôlé par les régimes et a surtout profité aux bourgeoisies qui leur sont liées (de très près dans le cas tunisien – mais ailleurs aussi). Ces évolutions économiques ont été bien analysées dans la récente synthèse Maghreb et Moyen-Orient dans la mondialisation du géographe Bouziane Semmoud (2011) (voir ici). Salaires plus faibles et chômage en augmentation, qui vont de pair avec des inégalités accrues et avec la consolidation d’une petite élite enrichie au train de vie m'as-tu-vu, forment donc le terreau de la mobilisation des jeunes.
Les tensions sur le marché du logement doivent aussi être particulièrement soulignées.
Dans les jours qui ont précédé la chute de Ben Ali, on a pu voir des résidents de quartiers populaires à Tunis ouvrir leurs intérieurs aux caméras de télévision, révélant la grande pauvreté des habitants des périphéries. Qui a voyagé dans les banlieues des villes arabes n'a pu manquer de relever la précarité de cet habitat, souvent bâti en contravention avec les règles de construction et dont la régularisation ne peut s'effectuer qu'au prix de longues négociations où les habitants restent à la merci de l'arbitraire des autorités, entre corruption et violence sociale. De nombreux travaux de géographes ou d'urbanistes ont bien documenté ces luttes depuis des années, au Maroc (Iraki et Tamim, 2009), en Tunisie (Chabbi, 1999), au Caire (Deboulet, 2004), ou au Liban (Fawaz et Deboulet, 2011). Plus récemment, de nouvelles tensions sont apparues. Les nouveaux standards de régularisation de ces quartiers, marqués par les paradigmes libéraux, visent à les légaliser et à distribuer des titres fonciers aux habitants. Mais selon un très intéressant travail d'Éric Denis consacrés à la situation du Caire (La marchandisation des ashwayiat(s)
1), ces politiques conduisent à une inflation des prix du logement et donc renforcent les difficultés résidentielles. D'autre part, le développement de méga projets, et des infrastructures et équipements qui les desservent, met également sous pression des secteurs urbains jusque là occupés par des classes populaires (voir les contributions sur le monde arabe dans Isabelle Berry-Chikhaoui, Agnès Deboulet, Laurence Roulleau-Berger, 2007). Cette compétition foncière produit un effet de chasse et tire les prix immobiliers vers le haut. Les jeunes des classes populaires et moyennes sont particulièrement touchés, notamment parce que la location est peu développée dans les villes arabes et que le mariage et l'installation en couple sont conditionnés par l'acquisition d'un logement (souvent le seul de toute une vie).
Les enjeux de ces grandes opérations, mais aussi l'inflation des prix, ont suscité de nombreuses formes de résistance et de contestation ces dernières années, bien identifiés dans divers travaux (Isabelle Berry-Chikhaoui, Agnès Deboulet, Laurence Roulleau-Berger, 2007 et Olivier Legros, 2008). Ces contestations n’ont elles pas constitué une sorte de banc d'essai dont les révoltes actuelles seraient le prolongement?
Les transformations et les réformes qui touchent les services publics représentent sans doute une autre composante du malaise des villes du monde arabe. Ces réformes sont de nature diverse : délégations de services publics, rationalisation de la gestion, modernisation technique… (Éric Verdeil, 2010). Un des motifs principaux de contestation ou de méfiance face à ces réformes est la hausse des tarifs. Celle-ci s'explique également par l'augmentation du prix du pétrole qui se traduit par des hausses des prix des carburants et donc des transports publics, mais aussi par des hausses du gaz et du diesel utilisé pour la cuisine et le chauffage, ainsi que de l'électricité et de l'eau. Ces hausses des prix des services publics s'inscrivent dans un mouvement inflationniste qui touche aussi les produits alimentaires. Selon les classes sociales, la sensibilité à telle ou telle hausse est diverse. Les classes moyennes sont très sensibles au prix de l'essence qui contraint la mobilité automobile, mais les classes populaires,
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