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Les Guides de France guadeloupéennes : un exemple d'assimilation par l'éducation scoute

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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- P. Gastaud, « Les Guides de France guadeloupéennes : un exemple d’assimilation par l’éducation scoute », in « Sports et Loisirs dans les colonies. XIXe – XXe siècles », S/D de E. Combeau-Mari, Bibliothèque Universitaire Francophone, SEDES, Université de la Réunion, 2004.

LES GUIDES DE FRANCE GUADELOUPEENNES : UN EXEMPLE D'ASSIMILATION PAR L'EDUCATION SCOUTE

INTRODUCTION

Cet article a pour objet l'étude des Guides de France Guadeloupéennes. Ce mouvement scout catholique féminin s'implante dans la Guadeloupe coloniale dès 1936, dans le sillage des Scouts de France et des patronages catholiques. L'éducation des guides se situe dans un contexte colonial dans lequel les finalités d'assimilation1 des populations locales sont dominantes (Savarese, 19982). La place faites aux pratiques corporelles dans cette problématique éducative apparaît comme centrale. Notre hypothèse postule que la hiérarchie catholique guadeloupéenne a mis en place le guidisme dans le but d'attirer les filles et de leur inculquer une éducation catholique et métropolitaine. En ce sens, l'Eglise participe pleinement à la politique d'assimilation menée par l'Etat français dans ses colonies, puis dans ses départements d'outre - mer. Le but de cet article est de montrer que les Guides de France (GDF) Guadeloupéennes constituent des supports d'assimilation à la culture française dominante, dans une Guadeloupe d'abord coloniale, puis département d'outre mer à partir de 1946. Notre objet n'est pas de décrire l'organisation du mouvement, ni les activités

1 L'assimilation, destinée à transformer les indigènes en Français (Savarese, 1998) se définit comme “ le processus par lequel un ensemble d’individus habituellement une minorité et/ou un groupe d’immigrants se fond dans un nouveau cadre social, plus large (…)” (Encyclopédia Universalis, 1998). En Guadeloupe, le cadre social est issu de la culture française métropolitaine. L'assimilation débute avec l'abolition de l'esclavage en 1848, se poursuit avec les lois de la IIIème République (scolarisation en 1881, liberté publique en 1889…), la loi de départementalisation de 1946, etc. Elle permet aux colonies de devenir des réservoirs de main d'œuvre et de soldats (Deville - Danthu, 1995). Mais il faut aussi considérer le processus d'assimilation comme une volonté de transformation de la part de celui qui est assimilé dans une logique de promotion sociale, supposant l'adhésion aux valeurs du groupe dominant (Dumont, 2002). Cette logique d'assimilation est indissociable de l'acculturation, processus par lequel un groupe assimile une culture différente de la sienne. En Guadeloupe, l'acculturation agit comme une adaptation sociale consécutive à une désadaptation antérieure, due à l'esclavage.

Ainsi, la langue créole, comme les activités traditionnelles guadeloupéennes, sont écartées. Pour certains auteurs,

"le processus d'acculturation renvoie à la formation des élites, ainsi les écoles coloniales, comme les mouvements de jeunesse, sont des lieux d'incorporation de paradigmes étrangers." (Bancel, 1999).

2 Savarese E., L'ordre colonial et sa légitimation en France métropolitaine. Oublier l'autre, Paris, L'Harmattan, 1998.

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pratiquées3, mais de dégager les axes d'assimilation afin de montrer quelles activités (notamment physiques), permettent cette assimilation. La variation des effectifs des Guides justifie la périodisation choisie ; les recensements des effectifs4 des organisations de jeunesse comptabilisent les GDF entre 1936 - 1937 et 1975 - 1976.

La méthodologie utilisée repose sur une analyse sémantique des sources écrites (bulletin de l'Evêché, rapports de missions d'inspections, statuts fédéraux….), d'entretiens guidés menés auprès d’anciens membres des guides Guadeloupéennes, et sur une analyse des données chiffrées issues des recensements des effectifs du mouvement. L'analyse sémantique repose sur l'occurrence d'apparition des mots des réponses des interviewés, classés par questions (Dépelteau, 20005). En analysant "l'environnement" des mots relevés, nous avons dégagé des thèmes retenus comme unité d'enregistrement (Grawitz, 19936). Nous les avons catégorisés pour construire l'argumentation (Bardin, 19937). Ainsi, l'analyse sémantique laisse apparaître certains thèmes : les finalités poursuivies par les GDF ; les activités pratiquées afin de repérer la place des pratiques traditionnelles locales et métropolitaines ; l'éducation des filles... Cette analyse se complète de données chiffrées qui nous permet de faire émerger une périodisation générale de l’importance des GDF sur la totalité du XXème siècle, et d'établir des comparaisons avec les autres organisations de jeunesse relevant de l'église catholique afin d'appréhender l'importance des guides dans les paroisses. Enfin, ces données chiffrées nous renseignent sur la proportion des adhérants aux GDF par rapport à l'ensemble des enfants inscrits au catéchisme dans les différentes paroisses.

I . RESULTATS DE L'ANALYSE QUANTITATIVE

Le recensement des effectifs du mouvement laisse apparaître trois périodes entre 1936 et 1976. (Tableaux n°1 et 2. Histogramme n°1). Dans le cadre limité de cet article, non ne développerons que la première période, nous bornant à tracer les grandes lignes d'évolution qui caractérisent les périodes suivantes.

3 Ces domaines ont été traités par M. T. Cheroutre dans les ouvrages collectifs suivants : Cholvy, G. (1985).

Mouvements de jeunesse. 1799-1968. Paris, Cerf. Ou Chlvy, G. (1988), Le patronage ghetto ou vivier. Actes du colloque des 11 et 12 mars 1987. Paris, Nouvelle cité.

4 Comptes rendus annuels à la Sainte Congrégation de la Propagande (1927 - 1976). Archives de l'Evêché de Guadeloupe. Basse - Terre. Ces comptes rendus recensent les effectifs des mouvements de jeunesse catholiques, tenus par les prêtres depuis 1927, pour chaque paroisse.

5 Dépelteau F., La démarche d'une recherche en sciences humaines. De la question de départ à la communication des résultats, Bruxelles, De Boeck, 2000.

6 Grawitz M., Méthodes des sciences sociales, Paris, Précis Dalloz, 9ème édition, 1993.

7 Bardin L., L'analyse de contenu, Paris, P.U.F, 7ème édition, 1993.

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1 . 1ère période : 1936 - 1948. Naissance du mouvement

La paroisse du Moule, première à mettre en place une compagnie de guides en 1936- 37, comptabilise 40 membres. C'est en 1941-42 que la seconde compagnie voit le jour, dans la paroisse de Saint - Pierre et Saint - Paul à Pointe - à - Pitre (PAP) (34 membres). Ce n'est qu'en 1945-46 que sont créées les compagnies de Saint - Claude et de la Cathédrale de Basse - Terre (BT). Ces quatre paroisses, parmi les plus importantes d'un point de vue démographique de Guadeloupe, constituent la base de l'implantation locale du mouvement. La fin de la Seconde Guerre Mondiale marque une augmentation de l'audience du mouvement auprès de la jeunesse locale. A PAP, par exemple, l'effectif progresse de 143,8 % entre 1944 et 1946!

Entre 1945 et 1948, Saint - Claude augmente ses effectifs de 66,6%. Sur toute la période 1936-1948, les effectifs progressent de 180%. La comparaison entre le nombre d'adhérentes aux guides et le nombre de filles inscrites au catéchisme nous permet d'établir le taux de fréquentation des GDF locaux. Considérant que le nombre de filles inscrites au catéchisme représente la quasi - totalité des filles d'une même commune8, âgées de 8 à 16 ans, les GDF fédèrent 1,36 % de l'ensemble des filles. Les recensements par paroisse permet de compléter ces conclusions. Les GDF de la paroisse de St. - Paul et St. - Pierre de PAP constituent l'unité la plus importante de la colonie, représentant 5,06% des filles de la paroisse (graphique n°1).

L'unité de Saint Claude fédère 8,26 % des jeunes filles à partir de l'année de création en 1945.

Les guides du Moule représentent 1,6 % des filles. Les GDF ne sont pas les seules groupements de jeune filles que l'Eglise met en place dans la colonie. Fleurs de Lys, Enfants de Saint - Ange, Persévérantes, Enfants de Marie9, Rayons Sportifs Féminins10, coexistent dans les grandes paroisses. Les Enfants de Marie constituent l’œuvre la plus répandue. Les filles y adhèrent massivement. Mais contrairement au guidisme, elles sont totalement dépendantes du clergé. Entre 1936 et 1948, elles fédèrent 13,11 % de l'ensemble des filles des paroisses du diocèse (Graphique n°2). Sur la même période, à PAP elles représentent 28 % de la totalité des filles inscrites au catéchisme (graphique n°3). A Port - Louis, elles constituent 14,6% des filles ; à Saint - Claude, 13,3 %. Si nous comparons l'accroissement de leurs effectifs sur la période, nous constatons qu'elles ont la progression la plus importante de toutes les organisations de jeunesse avec 187,5 % d'augmentation ! Les RSF ont aussi un taux

8 Précisons que le nombre d'habitants des communes de Guadeloupe (statistiques de l'INSEE) est identique au nombre de catholiques par paroisse (répertoriés dans les recensements diocésains). On peut donc supposer que le nombre de filles inscrites au catéchisme correspond au nombre total des filles d'une paroisse.

9 Ces groupements sont des "œuvres" et ont donc pour vocation essentielle l'évangélisation, la prière et la piété, aspects secondaires dans le scoutisme, comme dans les sociétés sportives.

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de progression supérieur aux GDF dans cette période, en triplant leurs adhérantes. Mais les RSF n'occupent pas les mêmes paroisses que les GDF. Les Enfants de Marie restent donc l'œuvre la plus fréquentée par les jeunes guadeloupéennes. Il faut ici considérer l'hypothèse qui voudrait que les filles soient moins autorisées par leurs familles à pratiquer des activités sportives ou le scoutisme, d'autant plus que les GDF affichent de véritables orientations militaires. Sans doute, la spiritualité offerte par des patronages davantage sous la tutelle de l'Eglise que les Guides, donne aux parents des garanties éducatives plus conformes à ce que la société recherche dans l'éducation féminine. C'est en partie pour ces raisons que les jeunes Guadeloupéennes adhèrent majoritairement aux Enfants de Marie. Les Eclaireurs de France (EDF), laïcs, fédèrent aussi des filles, dont une forte proportion de cheftaines. Les témoignages d'anciens EDF nous fournissent quelques indications. Ainsi, Victor Lacrosil11, mentionne l'existence d'une branche féminine au sein des éclaireurs pointois, "la Créole Sportive", ainsi que chez les éclaireurs basse - terriens, "la Radieuse Jeunesse". Camille Trébert12, éclaireur pointois nous signale l'existence de louvettes, "les Petites Ailes"13.

2 . 2ème période. 1950-51 / 1970-71 : "l'âge d'or" des guides guadeloupéennes

De 1950 à 1971, les GDF connaissent leur période "faste", avec des effectifs qui progressent d'abord de 188 % entre 1950 et 195614, puis de 13 % entre 1958 et 1964 ; pour atteindre 1266 membres. Si une baise s'amorce entre 1965 et 1971, elle touche essentiellement les paroisses d'implantation ancienne comme St. - Pierre et St. - Paul dont la compagnie perd 79 % de ses effectifs entre 1969 et 197015 (cartes n°1 et 2). Sur l'ensemble de la période, les GDF fédèrent 1,45 % de l'ensemble des filles des paroisses16 (graphique n°4). Certaines paroisses sont significatives quant au nombre d'adhérentes. Ainsi, entre 1950 et 1971, l'unité de PAP concerne 16,3 % des filles de la paroisse de St. - Pierre et St. - Paul (graphique n°5) ; Saint - Claude, 6,44 % des filles. Mais si le guidisme accroît son audience durant cette seconde période, il reste d'un impact toujours inférieur aux Enfants de Marie, qui fédèrent encore cinq

10 Les Rayons Sportifs Féminins (RSF) sont des sociétés sportives affiliées à la Fédération Gymnastique et Sportive des Patronages de France, et contrairement aux autres œuvres de jeunesse, elle pratiquent essentiellement du sport.

11 Ancien éclaireur de la Troupe Pichon de PAP, ancien Commissaire de District de 1942 à 1945. Entretien du 12 mai 1999. PAP.

12 Entretien avec Camille Trébert. 30 avril 1999. Petit - Bourg.

13 Pour les différentes branches du scoutisme, ce sont toutefois les GDF qui fédèrent le plus de filles.

14 Les effectifs passent des 430 membre à 1123.

15 La même année, celle de Grand - Bourg régresse de 30 %. Saint - Claude chute de 26 % entre 1965 et 1966, et de 74 % entre 1966 et 1968.

16 Les années 1950-1957 marquent la période la plus représentative du guidisme local avec 1,66% de l'ensemble des filles du diocèse.

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fois plus de filles, pour l'ensemble de la colonie, malgré un taux de fréquentation qui régresse à 5,2 %17. Certaines paroisses voient toutefois le rapport s'inverser. Ainsi à St. - Pierre et St. - Paul les guides fédèrent 16,3 % des filles, et les Enfants de Marie, 15,6 %. A BT les guides représentent 6,3 %, contre 3,3 % pour les Enfants de Marie (Graphique n°6). Ces dernières, sur l'ensemble de la colonie voient leurs effectifs reculer à partir de 1957. Entre 1957-58 et 1963-64, la baisse est de 44,7 %. Elle est de 98,7 % entre 1950-51 et 1969-70, l'œuvre disparaissant du diocèse en 1970. Si les GDF occupent une place croissante dans l'éducation des jeunes filles, les Ames Vaillantes (AV) prennent aussi de l'importance pour devenir l'organisation de jeunesse féminine la plus représentative de Guadeloupe. Entre 1950 et 1957, elles progressent de 93,5 %, fédérant 12 % de l'ensemble des filles du diocèse. A St. Pierre et St. Paul de PAP, les AV représentent 21% des filles (pour 13 % de GDF) ; à Saint - Claude, 10,3 % (pour 11,6 % de GDF) ; et BT, 11,3 % (pour 9,8 % de GDF). Signalons enfin que les mouvements laïcs fédèrent aussi des jeunes filles. C'est le cas de la Fédération des Eclaireuses, qui, en 1949, comptabilise 218 membres ; 110 en 1950 ; et 148 en 195118.

3. 3ème période. 1971-72 / 1975-76 : Le déclin du mouvement

A partir de 1971-72, les effectifs chutent19. Entre 1970 et 1976 la baisse totale des effectifs sur toute la Guadeloupe est de 51,5 %. En 1976 subsistent 158 guides réparties dans les paroisses où elles étaient bien implantées depuis la Seconde Guerre Mondiale : Moule et St. - Pierre et St. - Paul. Les AV restent l'organisation de jeunesse féminine la plus représentative des paroisses, fédérant aussi d'anciennes guides, bien que leurs effectifs baissent par rapport à la période précédente : elle ne concernent plus que 9,5 % des Guadeloupéennes20. Entre 1966 et 1976 leur recul est de 15 %. Les Enfants de Marie ont disparu depuis 1969-70 ; les RSF ne fédèrent plus que 0,37 % des filles, leurs effectifs régressant de 56 % entre 1964 et 1976. Mais ces proportions sont à nuancer si l'on considère l'évolution du taux d'inscription des filles au catéchisme durant cette période (Comptes rendus paroissiaux). Celui - ci régresse de 26,3 % entre 1971 et 1976, alors qu'il avait progressé de 74,5 % entre 1950 et 1970. La désaffection de la religiosité des filles dans cette période accroît la place occupée par les AV dans l'espace éducatif de l'Eglise locale.

17 Il était de 13 % en première période.

18 Archives Nationales, CARAN. F44/75. Paris

19 Par exemple, entre 1968 et 1976 Gosier voit ses effectifs chuter de 53,6 % ; Pointe - à - Pitre de 72 %.

20 Les AV de Sainte - Rose s'adressent à 20,6 % des filles de la paroisse ; celles du Moule, à 7,8 % ; celles de Capesterre Belle - Eau, à 6 %.

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II . DISCUSSION

1 . 1936 - 1948. Naissance du mouvement A. Un contexte métropolitain plus large

A l'image des guides métropolitaines, la naissance du guidisme local est étroitement liée aux patronages féminins qui en constituent "le terreau". En France, suivant l'engouement pour cette nouvelle méthode éducative qu'est le scoutisme dans les années 1920, et face à la nécessité de revitaliser les patronages, Mme Duhamel fonde les Guides de France en 1923 (M.T. Cheroutre, 198821). Investie dans les œuvres catholiques pour les jeunes filles, elle est séduite par l'approche pédagogique qu'offre le scoutisme pour la jeunesse de cet après guerre (jeux, vie en pleine nature, service d'autrui…). Encouragée par le Chanoine Cornette (M.T.Cheroutre, 198522), aumônier général des Scouts de France, la nouvelle association est déclarée à la préfecture de la Seine le 26 mai 1923. Les grands patronages parisiens vont très vite créer en leur sein des groupes de guides. La 1ère compagnie voit le jour au sein du Patronage de Montcalm dans le quartier de Clignancourt ; la seconde, dans la paroisse Saint Thomas d'Aquin, dans le VIIème arrondissement. Dès la fin la décennie 1920 des compagnies vont se monter dans la plupart des paroisses métropolitaines, mais aussi dans les colonies. En Guadeloupe, la première compagnie est créée dans la paroisse du Moule en 1936, en simultanéité avec la troupe de garçons à l'instigation de l'Abbé Durand, curé de cette paroisse.

Celle - ci restera la seule de la colonie jusqu'en 1941, date à laquelle la paroisse de St - Pierre et St - Paul de PAP monte une unité qui deviendra la plus importante de l'archipel, dépassant les 150 membres entre 1960 et 1962.

B . Un contexte social local favorable à la diffusion du guidisme

Tout comme pour les Scouts masculins de Guadeloupe, le mouvement scout féminin prend naissance dans un contexte de développement des organisations de jeunesse et du sport impulsé d'abord par une opposition de l'Eglise catholique aux lois laïques de la IIIème République (Portier, 199323) ; puis par le Front Populaire dès 1936 ; et relayé par le Gouvernement de Vichy à partir de l'été 1940. Mais au - delà de cette politique favorable, la diffusion du guidisme repose aussi sur la nouveauté qu'il propose. Dans une société où les

21 Cheroutre M.T., "Guidisme et patronage", in G. Cholvy, Le patronage ghetto ou vivier. Actes du colloque des 11 et 12 mars 1987, Paris, Nouvelle cité, 1988, 277-292.

22 Cheroutre M.T., "Les débuts du Guidisme en France (1923-1927)", in G. Cholvy, Mouvements de jeunesse.

1799-1968, Paris, Cerf 1985, 187-205.

23 Portier P., Eglise et politique en France au XIXème siècle, Paris, Montchrétien, collection "Clefs politiques", 1993.

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loisirs sont rares, principalement pour les filles, le scoutisme féminin offre des activités culturelles et sportives inexistantes dans la colonie.

Dans les années quarante, il n'y avait pas de loisir ; ça n'existait pas. Alors le jeudi après - midi, quand il y avait une réunion à 4 heures, c'était très bien ! Le dimanche, les gens ne sortaient pas comme maintenant. Il n'y avait pas de voiture, on allait pas pique - niquer à droite et à gauche. Avec les guides nous avions une sortie d'une journée, une fois par mois… 24

Le guidisme ouvre des horizons nouveaux pour les jeunes filles. Il leur permet de se réunir régulièrement et d'entreprendre des projets communs. Les réunions au local sont hebdomadaires. Elles donnent lieu à des discussions, des jeux, des chants ou des danses, autant d'activités que l'on a peu l'occasion de pratiquer chez soi. Il permet aussi l'évasion dans la nature et la découverte de l'archipel guadeloupéen. Les sorties d'une journée ont lieu une ou deux fois par mois. Les camps sont organisés à chaque vacance, soit pour les unités, soit pour l'encadrement. Si le mouvement permet l'évasion, il favorise aussi la découverte des îles de la caraïbe. Les déplacements à l'extérieur de la Guadeloupe vont se multiplier ; les échanges avec la métropole, puis avec les îles caribéennes vont devenir plus fréquents, surtout à partir des années cinquante : Martinique, Antigua, Dominique … Ces déplacements sont des occasions souvent uniques pour des jeunes filles de quitter la Guadeloupe. C'est aussi le cas des camps de formation que beaucoup de cadres feront en métropole. Ces possibilités d'évasion vers l'extérieur confèrent aux guides des privilèges que beaucoup de guadeloupéennes ne peuvent obtenir. "On allait au camp, c'était quelque chose d'extraordinaire. Tous les petits copains nous regardaient avec des yeux, vraiment !" 25 Les filles, soumises à une éducation très surveillée, voient dans le guidisme une possibilité de liberté. Il constitue souvent la seule possibilité qu'ont les jeunes filles de s'évader du bourg, de la famille, de rencontrer d'autres filles et de pratiquer des activités corporelles. On envie ce que les guides peuvent faire de différent et de nouveau : l'attrait de l'équipe, la vie de plein air et de camp, l'initiative et la créativité, la responsabilité… Le mouvement devient l'occasion pour les filles de sortir du "carcan" familial ; de s'émanciper de la tutelle parentale ; de couper avec une éducation parfois rigide, comme en témoigne certaines attitudes éducatives qui diffèrent de celles des garçons, plus souples : "On était des filles alors… Quand on allait faire une course à Baillif, les parents crachaient par terre et il fallait que nous soyons rentrées

24 Entretien avec Mme Nissida LAMO, ancienne guide de PAP, à l'origine de la fondation de la compagnie de la paroisse Saint - Pierre et Saint - Paul en octobre 1941. Entretien du 13 août 1999. Pointe - à - Pitre.

25 Entretien avec Mme Michèle Numa. 13 août 1999. Pointe - à - Pitre.

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avant que le crachat ne sèche !…"26 D'autre part, les activités pratiquées et notamment les activités corporelles, sont offertes aux jeunes filles dans un cadre éducatif qui rassure les familles. La discipline, le respect de la hiérarchie, l'organisation quasi militaire du mouvement, sont autant de facteurs qui favorisent la confiance des parents lorsqu'il s'agit de l'éducation des filles27. Le cadre paroissial est aussi un facteur de confiance auprès des familles. Le guidisme trouve au sein de la paroisse un cadre correspondant à ses besoins : local, cour, lieu de catéchèse, lieu de culte... L'écho favorable qu'obtient le guidisme auprès de la société réside aussi dans la relation étroite entre le mouvement et les familles. Au - delà d'un simple encadrement d'activités, le guidisme se positionne comme un système d'éducation de l'ensemble de l'individu. Les cheftaines guides ont droit de regard sur les comportements des jeunes filles en dehors du cadre du mouvement, et notamment sur le cursus scolaire.

Ainsi, N. Lamo se souvient de deux camarades qui sont passées en Cour d'honneur28 pour avoir obtenu le "prix de mauvaises notes" à l'école. "Le mouvement avait un regard important sur la vie des filles. Si on savait qu'il y avait un problème quelque part, on intervenait ; ça éduquait complètement" 29. Cette emprise du mouvement sur l'éducation est à l'image du comportement social des guadeloupéens :

C'était comme la société, les voisins s'occupaient de nous aussi. Les enfants étaient éduqués par tout le monde, à l'époque. L'éducation était faite par les parents, les amis, la marraine, les voisins. Tout le monde participait ! 30

Les Eclaireuses de France, laïques, adoptent une démarche identique: "les éclaireuses coopèrent avec la famille ; elles aident la famille à suivre l'enfant dans l'école, dans sa progression sur le plan social, tout ça." 31 Le scoutisme masculin suit aussi cette logique :

On corrigeait les écarts des garçons, leurs erreurs. On faisait du rattrapage scolaire. Bien sûr, on n'était pas des professeurs, mais les chefs avaient une culture qui leur permettait d'aider les jeunes." 32

Le scoutisme fonctionne ici comme un "observatoire social" qui, à l'image des écoles chrétiennes33, permet de surveiller l'enfant, mais aussi de surveiller la famille et de s'informer sur la manière qu'elle a d'éduquer les enfants. L'Eglise ne trouve - t - elle pas là aussi le moyen de se rendre compte de la piété des parents et de la qualité de l'éducation religieuse

26 Entretien avec Mme Eliane Minos. 28.02.1999. Baillif.

27 Education moins "souple" que celle des garçons.

28 Equivalant à un Conseil de Discipline.

29 Entretien avec Mme Ena Cigar, ancienne guide de PAP. 13 août 1999. Pointe à Pitre.

30 Idem.

31 Entretien avec Mme Hildvert, éclaireuse de PAP. 5 mars 1999. PAP.

32 Entretien avec M. L. Rainette, éclaireur de PAP. 5 mars 1999. PAP.

33 Voir à ce sujet Michel Foucault, Surveiller et punir. Paris, Gallimard, 1975, p. 246.

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qu'ils donnent à leurs enfants ? Cette surveillance permanente du mouvement sur les jeunes guides assure un complément de formation à l'éducation familiale et scolaire.

C . Sociologie du recrutement : une marque d'assimilation

Les guides recrutent majoritairement dans les milieux bourgeois, plutôt aisés. Le père de N. Lamo est notaire. Elle fera elle - même des études d'infirmière. Le père de M. Numa est employé à l'institut Pasteur. L'adhésion au mouvement scout demande des dépenses non négligeables ; cotisation, assurance, uniforme, matériel, camps et sorties, doivent être supportées par les familles argentées, excluant de fait les milieux ouvriers et ruraux, pourtant majoritaires dans la colonie34. Dans le système social colonial où classe est synonyme de couleur de peau, blancs et mulâtres constituent le recrutement principal des guides. Les GDF s'implantent ainsi dans les milieux aisés des zones urbaines, centres commerciaux et administratifs de l'archipel35, recrutant chez les petits commerçants, les fonctionnaires, les professions libérales, et les enseignants. L'enseignement des filles, majoritairement congréganiste dans la colonie va induire un recrutement dans les établissements catholiques.

Les Jeannettes et les guides recrutent dans les écoles confessionnelles telles que l'externat des Sœurs de Saint Joseph de Cluny, derrière la Cathédrale de PAP, puis au cours Michelet. Le Pensionnat de Versailles à BT, dirigé par cette même congrégation, constitue aussi une aire de recrutement privilégiée. Lié aux patronages, le guidisme apparaît aux yeux des religieuses comme un complément à l'éducation scolaire. A la fois morale et physique, l'éducation scoute a "bonne presse" auprès des congrégations religieuses. Elle constitue une garantie contre une éducation laïque dispensée par les clubs sportifs ou les EDF. Monter des compagnies de guide dans les paroisses, c'est soustraire les filles aux associations laïques qui se développent dans l'archipel dans la même période.

34 C. Celma distingue les grands propriétaires terriens et les maîtres des usines (blancs locaux et industriels français ; 8 à 10 % de la population totale), qui tirent leur puissance de la terre. Cette classe blanche contrôle l'appareil financier et domine le commerce. Elle emploie la quasi - totalité de la classe ouvrière de la colonie.

Constituée essentiellement de noirs, ouvriers urbains (charbonniers, ouvriers du bâtiment), et ouvriers de la canne (60 000 ouvriers agricoles, 25 000 ouvriers dans les usines à sucre. Rapport Moretti, 1937), cette classe ouvrière forme la majorité de la population. S'ajoute une classe moyenne de couleur constituée de mulâtres ou de noirs, qui forme la moyenne et petite bourgeoisie. C. Celma (1980). "Le mouvement ouvrier aux Antilles de la 1ère. Guerre Mondiale à 1939", in Historial Antillais, volume V, Fort de France, 171.

35 Pointe - à - Pitre, Basse - Terre, Saint - Claude, Moule

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D . Le guidisme guadeloupéen : un support d'assimilation a . Un mouvement importé

Le mouvement des guides guadeloupéennes est résolument métropolitain. "C'était entièrement calqué sur la métropole ; les activités, les épreuves, tout. On ne cherchait pas plus loin. On faisait ce qui était demandé officiellement. On appliquait le programme annuel métropolitain". 36 Le guidisme guadeloupéen se structure à partir des directives parisiennes.

Soumis au siège national, il en applique les principes éducatifs. L'application d'un système éducatif né en Europe aux jeunes filles des colonies participe de la volonté de l'Eglise d'inculquer les normes et les valeurs de la population blanche dominante. La discipline militaire véhiculée dans les unités témoigne de cette orientation assimilationniste. Levers et descentes des couleurs, au garde à vous, sont quotidiens aux camps. Inspections des uniformes et des tentes font parties des rituels fréquents chez les guides. Ils participent à l'éducation morale des jeunes filles, à partir du modèle français où rigueur et discipline sont censés forger le caractère. Dans un ouvrage autobiographique, Maryse Condé laisse transparaître la rigidité disciplinaire qui accompagne la formation des guides. Alors Jeannette aux Guides de PAP au milieu de la décennie 1950, l'auteur brosse un tableau des camps qui témoigne de la dureté du système :

Au camp, impossible de rêvasser, une fois réveillées et habillées, il nous était défendu de revenir sous les tentes. Mouvement perpétuel. Nous étions constamment de corvée. De ménage : le balai à la main. De vaisselle : des piles de gamelles et des quarts à laver. De cuisine : des montagnes de racines à éplucher. De ramassage de bois : les mamzel - marie37 nous zébraient les mollets dans les savanes.38

Le guidisme constitue un puissant moyen d'éducation disciplinaire. La hiérarchie interne au mouvement confère à certaines39 le statut de "corvéable à merci", dont témoigne M. Condé, et qui lui laisse un souvenir amer. Ce statut est un passage obligé qui sera dépassé lorsque la jeune fille passera sa promesse, obtiendra des badges, et lorsqu'une nouvelle prendra sa place.

C'est à ce prix que la formation permet à la jeune recrue de s'intégrer totalement dans le groupe. Ici, la logique militaire prévaut, comme dans les troupes de l'armée française. La formation patriotique n'est pas non plus étrangère à l'éducation guide. Elles sont régulièrement associées aux commémorations civiles ; elles défilent pour le 14 juillet ou le 11 novembre, accompagnant le dépôt de la gerbe au monument aux morts de la commune. "On était un peu les majorettes de l'époque…" nous dit Ena Cigar avec un rire moqueur.

36 E. Cigar.

37 Hautes herbes coupantes.

38 Maryse Condé, Le cœur à rire et à pleurer, contes vrais de mon enfance, Paris, Robert Laffont, 1998, p. 59-60.

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b . L'ancrage catholique : une preuve de la volonté assimilationniste

L'origine des premiers cadres du mouvement témoigne de la dépendance à l'Eglise, et à la classe blanche dominante. La création des guides guadeloupéennes est à l'instigation des prêtres blancs des paroisses. Issus des patronages, le guidisme des premiers temps est soumis aux religieux des paroisses, prêtres ou sœurs. La plupart des premières cheftaines sont d'anciennes "Enfants de Marie", mouvement spirituel, sous la tutelle du clergé, et recrutant dans la bourgeoisie locale, blanche et mulâtre. C'est le cas de la fondatrice des guides de St - Pierre et St - Paul à PAP, Raphaëlle Meltéor, ancienne Enfant de Marie. Témoignage de son attachement à la doctrine catholique : elle quittera le mouvement pour fonder une congrégation religieuse. L'orientation catholique du guidisme, surtout dans les premières années, est clairement affichée. Un dimanche par mois, en uniforme impeccable, les guides chantent la messe. Certaines Jeannettes font leur communion au sein de l'Unité. E. Cigar se souvient de la communion de Malou : toutes les Jeannettes étaient à la messe, en tenue. Lors des camps, la journée commence par la prière et se termine par des chants religieux lors de la veillée. La promesse elle - même fait référence à la foi chrétienne : "Avec la grâce de Dieu, je m'engage…" La "relation à Dieu" fait partie de la Loi scoute. Mais si l'imprégnation catholique des guides est marquée, le mouvement se détache progressivement de la tutelle ecclésiastique. Cela a causé des tensions au début du mouvement, le clergé voulant avoir la main mise sur le guidisme, qui se veut indépendant de l'église, même s'il s'agit d'un mouvement catholique. Depuis 1930, aucune sœur ne peut être cheftaine ; elles sont

"conseillères morales" et participent aux réunions annuelles des responsables de province.

Comme dans tout le scoutisme catholique, la sœur ou l'aumônier sont des guides spirituels dont le rôle est de susciter la réflexion chez les jeunes filles, sur des thèmes tels que le mariage ou la maternité. Dans les camps, il y a ainsi des plages de discussion avec l'aumônier.

c. L'uniforme : un signe de dépendance au siège parisien

L'uniforme marque aussi la dépendance du mouvement à la métropole. Il est à la fois témoignage de l'allégeance à la patrie française et aux dogmes catholiques. Jupe bleue marine, chemisier blanc et cravate aux couleurs de l'unité, on retrouve ici les couleurs fondamentales du christianisme. Le blanc, symbole de la pureté de l'Immaculée Conception, rappelle aussi la tenue coloniale de lin blanc. Le bleu, seconde couleur de la Vierge, est, comme le blanc,

39 Les dernières arrivées, nommées "culs de patte".

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parmi les teintes du drapeau tricolore de la mère - patrie. Les Jeannettes sont, elles, toutes en bleu, et ne peuvent porter le blanc que lorsque leur âge et leur maturité leur auront permis d'entrer dans une compagnie de guides. La robe de camp que l'on porte pour les activités est bleue elle aussi.

d . Une réalité locale occultée

L'absence totale de prise en compte des réalités locales renforce la dépendance à une conception française du guidisme. "On n'avait aucune idée de la culture guadeloupéenne. On vivait pour la France ; ça ne nous inquiétait pas. On suivait, on suivait…" 40 De par les milieux de recrutement, l'éducation aux valeurs métropolitaines s'impose. Devenir plus

"français" assure la reconnaissance sociale et les possibilités de métiers. Dans les familles des guides on parle français. Au mouvement aussi, même si le créole n'est pas interdit. Cela ne vient pas à l'idée de penser autrement ; la France reste le seul référent de l'éducation antillaise.

Il faut attendre les années 60 pour que la culture créole commence à être prise en compte, suivant ainsi les évolutions sociales.

E . La formation des cadres : une priorité et une garantie d'assimilation

Le mouvement développe une politique de formation de l'encadrement. La nécessité de former les plus âgées afin qu'elles enseignent ensuite aux plus jeunes s'impose dès la naissance des guides guadeloupéennes. En 1941 un accord est passé avec Jeanne Buisson cheftaine martiniquaise pour qu'elle vienne dispenser une formation aux premières guides guadeloupéennes. N. Lamo devient ainsi immédiatement cheftaine aux "Elytres" de PAP. Les vacances donnent lieu à des camps de formation de cheftaines. Les formations en camps nationaux, en métropole, sont fréquentes. Cette nécessité d'avoir des cheftaines formées participe à la dépendance du mouvement local au siège métropolitain. Le National envoie ainsi toutes les fiches de formation, les carnets d'épreuves, les badges, la revue mensuelle

"Guide de France". Des cheftaines métropolitaines viennent faire des camps en Guadeloupe.

Avoir la "licence de camp", qui permet l'encadrement des compagnies en camps, devient le garant du sérieux du guidisme ; le label de reconnaissance de compétences face aux familles, mais aussi face au siège parisien. Lorsque N. Lamo arrive en Normandie pour effectuer ses études, les guides normandes la sollicitent pour les encadrer et les former, car elle seule

40 N. Lamo.

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possède la licence de camp. La reconnaissance du sérieux du guidisme guadeloupéen dépasse le cadre étroit de l'archipel pour faire écho en métropole. Bel exemple d'assimilation !

F . Des objectifs et des activités identiques aux scoutisme métropolitain

Les guides locales sont identiques aux guides métropolitaines, dans les objectifs poursuivis, l'organisation du mouvement, et les activités pratiquées. Elles suivent la promesse édictée par Baden Powell (photo n°1). Loyauté, service d'autrui, de Dieu et de la patrie restent les objectifs centraux du mouvement, l'éducation par le jeu en pleine nature, le moyen de base. Noms et cris d'équipes ; fanions et uniformes ; totémisation41 et hiérarchie des unités ; on retrouve chez les guides guadeloupéennes les principes et les directives mis en avant par Baden Powell dès 190742. L'éducation guide est avant tout une éducation morale et physique.

La place de l'éducation corporelle est importante. Hébertisme, marches et activités physiques ludiques constituent l'ossature de la formation. Le "dérouillage" à base de Méthode Naturelle, se pratique tous les matins au camp. Danses folkloriques métropolitaines (photo n°2) et mouvements gymniques d'ensemble présentés lors des rassemblements sont fréquents (photo n°3). Mais ce sont les explorations qui constituent les activités physiques les plus pratiquées.

Les filles entreprennent la découverte de l'archipel avec carte et boussole. Les Elytres de Pointe à Pitre seront les premières à effectuer la "Traversée" entre Vernou et Pointe - Noire.

Elles ouvrent ainsi la trace qui traverse d'Est en Ouest la Basse Terre43. Mais dans les années 40, effectuer une telle exploration nécessite de bivouaquer en forêt, et de faire sa trace au coupe - coupe44. Les guides guadeloupéennes font aussi la "Trace Victor Hugues" de Matouba à Montebello, ainsi que la Trace Karukéra qui relie la "Savane à Mulet", au pied de la Soufrière, aux Chutes du Carbet, au - dessus de la ville de Capesterre Belle - Eau. Les grands jeux (jeux de piste, de nuit, de foulard…) sont aussi des activités très pratiquées.

Régulièrement les guides pointoises se rendent à Gosier sur le terrain vague devant la croix du bourg pour y faire ces grands jeux. Les activités sportives comme la natation ou les courses de relais peuvent aussi faire partie de la formation, en ne recouvrant toutefois jamais une dimension compétitive individuelle, mais collective. Les épreuves et les badges jalonnent les années de formation. Les filles franchissent ainsi des "étapes". La formation morale est aussi assurée par l'enseignement de la religion catholique. Le guidisme reste un mouvement de

41 La totémisation est un rituel qui consiste à donner à la jeune guide un nom d'animal associé à un qualificatif qui reflète son caractère.

42 Baden Powell, "Scouting for boys", 1907.

43 Dans les années 70 une route sera ouverte à la circulation automobile par le col des Mamelles rendant ainsi les communications plus aisées entre la Grande Terre et la côte sous le vent

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jeunesse catholique. Elles participent aux processions et aux manifestations religieuses importantes (photo n°4). Les guides se réunissent régulièrement, les jeudis après - midi. Les Jeannettes pointoises se rendent fréquemment au morne de l'hôpital à la sortie de la ville, où après une demi - heure de marche en rang par deux, sous le chaud soleil des tropiques, elles passent l'après - midi à courir, à découvrir des signes de piste ou à chanter. Les plus âgées, quant à elles se réunissent le jeudi soir à 16 heures au local. Le camp vient couronner les activités hebdomadaires (photos n°5 et 6). Pour les jeunes âgées de 9 à 10 ans, les camps se déroulent aux environs de Petit Bourg ; à Bergette, Juston, Carrère ou Montebello. Les plus grandes campent plus loin dans le massif de la Soufrière ou sur la Grande Terre, et pratiquent fréquemment des explorations.

2 . 1950-51 / 1970-71 : le guidisme guadeloupéen, entre ouverture et tradition

A partir du milieu de la décennie 1950, le guidisme s'ouvre timidement aux spécificités locales. Le froissartage45 en est un exemple. Il peut donner lieu au thème support du camp, comme c'est la cas pour le "camp mains habiles" de Saint - François, totalement aménagé en matériaux locaux tel que le bambou : tables, autels, vaisseliers… Lors des camps, les "journées découvertes" permettent aux jeunes guides de participer aux travaux des guadeloupéens (coupe de la canne, travail en usine…). L'immersion des équipes dans l'environnement humain guadeloupéen se fait plus fréquent. Les camps sont l'occasion de mettre en scène la vie quotidienne locale. Ainsi, au camp de Saint - François, un son et lumière retrace les différentes étapes de la transformation de la canne, de la coupe à la pression. Les charrettes de canne arrivent au vieux moulin à proximité duquel est monté le campement ; les cannes y sont déversées et pressées jusqu'à en récolter le jus dans des rigoles aménagées dans les ruines. Coupeuses et broyeuses de canne, vêtues de treillis et de chapeaux de paille ou de casques coloniaux, s'affairent dans un décor naturel de champs de canne et de moulins à vent. En 1961 le XXème anniversaire de la fondation officielle des guides Guadeloupéennes au Moule est l'occasion de journées culturelles organisées par les délégations martiniquaise et guadeloupéenne. "Décolage"46 matinal au coco ; colombo47 cuit au feu de bois, pris dans des calebasses en guise de bol, à l'image des indiens arawaks et caraïbes, premiers habitants de la Guadeloupe précolombienne ; sketchs et contes créoles durant les veillées… La participation au carnaval constitue une autre voie d'entrée dans la

44 Grand coutelas utilisé pour la coupe de la canne à sucre.

45 Travail du bois.

46 "Décolage" : boisson prise le matin, à jeun. S'emploie en général pour le rhum.

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culture guadeloupéenne. Ainsi, pour la carnaval 1958, les guides Pointoises confectionnent deux chars et des tableaux humains retraçant des scènes de la vie antillaise. Le "local"

s'immisce peu à peu dans les activités des guides, d'abord sous l'angle folklorique, avant que la prise de conscience d'une réelle culture Guadeloupéenne soit effective. Mais les anciennes témoignent qu'il s'agit là d'un simple folklore, loin de toute affirmation identitaire. Ici, le culturel n'est pas encore un vecteur de revendication de la créolité.

3. 1971-72 / 1975-76 : Le déclin du mouvement

Si le guidisme guadeloupéen subit la crise du guidisme français des années 1970, l'absence de cadres fixes est un problème local. Les premières guides travaillent sur place, mais très vite les plus jeunes sont amenées à poursuivre leurs études en métropole, en l'absence d'établissements d'études supérieures dans l'île, jusque dans les années soixante. Les transformations de la société guadeloupéenne entre 1960 et 1980 ont aussi pesé sur la disparition du mouvement scout féminin. La rigidité et la discipline sont remises en cause, tout comme les uniformes que les filles ne veulent plus porter. Les camps d'unités dans les années 1970-75 sont de plus en plus mal vécus par les anciennes du mouvement. Lors d'un camp aux Saintes, les filles quittent le campement de nuit pour aller danser au bourg, attitude que les responsables ne peuvent tolérer, car en opposition avec les préceptes moraux du guidisme. De plus, l'accroissement des possibilités de loisir va rendre le scoutisme quelque peu obsolète dans son organisation rigide et ses activités démodées48. "Mais les anciennes guides ont gardé leur éducation. C'est pas les guides qui auraient fait bouger la société, c'est le contraire ! Les guides sont restés très traditionnels." 49 L'ancrage trop marqué dans la tradition scoute, et le décalage qu'il produit avec les transformations sociales, semble être un facteur important de la désaffection du mouvement.

CONCLUSION

Les GDF guadeloupéennes se créent dans le sillage du mouvement scout masculin, dans les mêmes années, et dans les mêmes paroisses. Elles profitent de la non - mixité de ce dernier et de son impact croissant sur la population, pour se développer. Proposant des activités nouvelles dans la colonie, les GDF offrent une possibilité de loisir féminin, encore

47 Plat traditionnel à base de viande et d'épices.

48 L'explosion des clubs sportifs, des activités culturelles, des voyages… accentuera le phénomène. Ainsi, entre 1970 et 1976, la progression des licenciés sportifs Guadeloupéens est de 146 %. Elle est de 116 % entre 1976 et 1983 (Annuaires statistiques de la Guadeloupe 1981 et 1985).

49 Entretien avec E. Cigar, idem..

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rare à l'époque. En ce sens elles sont synonymes d'une certaine liberté par rapport au "carcan"

éducatif familial, représentant une possibilité d'émancipation des jeunes Guadeloupéennes.

Mais le guidisme local profite aussi des impulsions de l'Etat en matière d'éducation de la jeunesse. Importé, le mouvement scout féminin s'organise sur le modèle métropolitain.

Objectifs, activités et organisation sont directement issus des directives du siège national, et la formation des cadres en assure l'adéquation. Dans cette logique d'imitation, les guides deviennent des outils d'assimilation à la mère patrie dans les mains de l'Eglise. Elles assurent une double fonction dans l'éducation des jeunes Guadeloupéennes : une fonction d'assimilation aux valeurs et aux normes de la civilisation métropolitaine ; et une fonction d'inculcation de l'idéologie catholique et de ses préceptes. Mais à partir du début de la décennie 1970, le mouvement verra ses effectifs chuter jusqu'à disparaître. La timide ouverture sur les spécificités culturelles de la région n'aura pas permis au mouvement de se maintenir. Il sera absorbé par les scouts masculins qui deviennent mixtes dès le début de la décennie 1980.

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SOURCES

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ARCHIVES DE L'EVECHE DE GUADELOUPE (Basse - Terre) Dossiers

Père Durand

Périodiques

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Recensements des effectifs des œuvres et organisations de jeunesse du Diocèse Comptes rendus annuels à la Sainte Congrégation de la Propagande 1927 - 1976.

Brochures

Guadeloupe 1946 - 1971. 25 années de départementalisation.

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F 44 / 54 Eclaireurs de France. Guides de France. Scouts de France.

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L. Rainette.

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SPORT ET LOISIR DANS LES COLONIES XIX – XXème SIECLE

RESUME

LES GDF DE GUADELOUPE : UN EXEMPLE D'ASSIMILATION PAR L'EDUCATION SCOUTE

Philippe GASTAUD Professeur agrégé d'EPS Docteur en STAPS UPPA

Département STAPS 55, av. Azereix 65000 Tarbes Tel. 05 62 34 81 69

L'article traite des Guides de France de Guadeloupe entre 1939 et 1976, période d'existence du mouvement local. Il s'intègre dans la thématique "sport et loisir comme facteur d'assimilation des populations locales." La Guadeloupe, d'abord coloniale, puis département d'outre mer, constitue un contexte particulier. Les sources sont multiples : effectifs des GDF, par paroisse ; entretiens menés auprès d'anciennes guides guadeloupéennes ; archives de l'Evêché et Départementales de la Guadeloupe. La méthodologie repose sur une analyse qualitative des effectifs des adhérentes aux GDF, et sur une analyse sémantique des entretiens.

Les résultats permettent de dégager les axes d'assimilation de l'éducation guide : une dépendance au siège parisien ; une application stricte de la méthode d'origine ; une éducation centrée sur les valeurs de la Métropole ; des activités corporelles importées d'Europe ; un recrutement dans les classes sociales aisées blanches ou mulâtres. Les GDF agissent comme des outils d'assimilation au service de l'Eglise et de la société blanche dominante.

Guidisme, Guadeloupe, assimilation, éducation, activités corporelles.

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