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LES GRANDS DOSSIERS DE L'HISTOIRE CONTEMPORAINE

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LES GRANDS DOSSIERS

DE L'HISTOIRE

CONTEMPORAINE

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OUVRAGES DU MEME AUTEUR : Essais politiques

DECADENCE DE LA NATION FRANÇAISE (en collaboratio avec Arnaud Dandieu)

Rieder 1931 (épuisé) LE CANCER AMERICAIN

(en collaboration avec Arnaud Dandieu)

Rieder 1931 (épuisé) LA REVOLUTION NECESSAIRE

(en collaboration avec Arnaud Dandieu)

Grasset 1933 PRINCIPES DU FEDERALISME

(en équipe avec Alexandre Marc)

Le Portulan 1948 CHARLES DE GAULLE

Essais religieux

RETOUR A L'ETERNEL

Albin Michel 1946 (épuisé) LES FRONTALIERS DU NEANT

Editions de Flore 1949 PORTRAIT DE JESUS

(reconstitution et présentation d'un texte de P.J. Proudhon) Editions de Flore 1951 CE QUE JE CROIS

Grasset 1955 LES ANNEES OBSCURES DE JESUS

Grasset 1960 Histoire

VICTOIRE A WATERLOO

Plon 1968 LE PIEGE OU NOUS A PRIS L'HISTOIRE

(chronique de 1940-1944)

Albin Michel 1950 (épuisé) HISTOIRE DE VICHY (1940-1944)

(en équipe avec Georgette Elgey)

Fayard 1954 HISTOIRE DE LA LIBERATION DE LA FRANCE

(juin 1944 — mai 1945)

Fayard 1959 LES GRANDS DOSSIERS DE L'HISTOIRE CONTEMPORAINE Librairie Académique Perrin 1962 LES ORIGINES DE LA GUERRE D'ALGERIE

(en équipe avec Janine Feller, François Lavagne, Y. Garnier Rizet) Fayard 1962 NOUVEAUX GRANDS DOSSIERS DE L'HISTOIRE CONTEM-

PORAINE

Librairie Académique Perrin 1964

(4)

"-Il

ROBERT ARON

LES

GRANDS DOSSIERS DE L'HISTOIRE CONTEMPORAINE

Nouvelle édition augmentée d'un chapitre inédit

LIBRAIRIE ACADEMIQUE PERRIN

PARIS

(5)

(Ç) LIBRAIRIE ACADÉMIQUE PERRIN, 1962.

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AVANT-PROPOS

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/S. l'exception de l'un d'entre eux, qui se situe hors de jpÉIce, à Jersey et à Guernesey, et du massacre d'Oradour, mftt l'horreur fut ressentie par l'unanimité des Français, les

|Ép relatés dans ce livre ont divisé nos compatriotes et wm$êht les divisent encore.

général de Lattre de Tassigny a été, en 1942, consi- 'Égé par beaucoup comme un officier félon et en outre peu pour -avoir été le seul à tenter de sauver l'honneur wmM'é 1"occuPation de la zone libre par les Allemands.

W^^qtges Mandel a été apprécié comme un factieux par comme un héros par les autres, pour avoir refusé wSmfâtice de juin 1940.

Que dire '-alors, dans l'autre bord, de Pierre Pucheu, de

Robert Brasillach, et même de Pierre Laval — que dire

du maréchal Pétain, dont les procès et les con-

damnations sembleht pour certains des actes de stricte

justice, pour d'autres des iniquités ? Quant au dernier de ces

là rébellion algérienne; c'est peu de constater

des désaccords entre Français : c'est à une vé-

able désagrégation de tunité nationale qu'il semble expo-

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Dans les temps révolutionnaires que nous vivons depuis un quart de siècle, de tels schismes sont explicables : ils n'en sont pas moins néfastes, et on voudrait y remédier.

Que de confusion se cache au fond sous ces rudesses ap- parentes. Que de faiblesses sous ces rigueurs. Quelle in- firmité n'est-ce pas, dans un parti comme dans l'autre, que de continuer, de bonne foi, à excommunier ceux qui se sont situés à l'opposé ou différemment de vous ? Comment la France survit-elle en se payant, à chaque tournant de son histoire, le luxe insensé et affreux d'ajouter un nouvel écar- tèlement à ceux qui déjà l'affaiblissent ? Quelle dislocation, quelle folie.

La seule efficacité que puisse présenter l'histoire pour tenter de remédier à cette situation, n'est évidemment d'ab- soudre, ni de prêcher quoi que ce soit. Elle ne peut être que d'expliquer les données réelles des drames, les motifs véritables qui décidèrent, dans un sens ou bien dans l'autre, des hommes en proie aux fatalités d'une époque.

Les récits que l'on va lire s'abstiennent volontairement de conclure, mais cherchent seulement à exposer objective- ment les faits et les intentions. Ils ne suggèrent ni n'impo- sent aucun verdict. Puissent-ils seulement, en aidant à établir impartialement quelques grands dossiers de l'histoire contemporaine, préserver nos compatriotes de la tentation la plus contraire au génie et à l'intérêt de notre pays, celle du sectarisme qui finit souvent par mener à la perte des liber- tés.

Toute réalité humaine est complexe : c'est faire le jeu de l'esprit totalitaire que de vouloir l'ignorer, même au nom de la liberté.

Ceci dit, pourquoi, en ce recueil consacré à l'histoire de

France, avoir inséré un chapitre se situant à l'étranger, dans

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le seul territoire britannique occupé par les Allemands et où cependant nulle querelle ne suivit la libération ? C'est peut-être que pour aider à diagnostiquer un malaise, il est parfois efficace d'avoir l'exemple de ceux qui ont su y échapper.

Sans colère, ni complaisance... «sine ira nec studio», com- me a dit l'historien romain, telle est l'intention de ce livre.

R.A.

le 27 novembre 1961.

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L'EVASION DE

DE LATTRE DE TASSIGNY

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En novembre 1942, le gouvernement de Vichy et la France vivent des heures décisives. Le dimanche 8, à lh 30 du matin, un débarquement de troupes américaines et anglaises commence en Afrique du Nord sur les côtes de l'Algérie et du Maroc.

En présence d'une telle opération, en présence aussi de la mollesse des réactions françaises, que vont décider les Allemands ? Dès le 9 novembre on s'attend à ce que, en rupture de la convention d'armistice, la Wehrmacht se met- te en mouvement en France et occupe la zone libre, afin de s'assurer le contrôle des côtes méditerranéennes.

L'armée française dite «armée d'armistice» se prépare à résister à l'avance ennemie, dans la limite de ses forces.

Celles-ci sont très restreintes. L'armistice a autorisé la France à conserver sur le sol métropolitain des effectifs de 100 000 hommes : encore ceux-ci n'ont-ils pas été recrutés au complet. Les huit divisions dont se compose l'armée française, avec leur artillerie hippomobile et leur infanterie qui se déplace à pied, sont d'un modèle anachronique, bon seulement pour assurer l'ordre intérieur.

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Sans doute l'état-major de l'armée a-t-il mis au point secrètement un plan de mobilisation clandestin, qui permet- trait de tripler le nombre de divisions et d'améliorer quel- que peu leur armement en utilisant du matériel camouflé au moment de l'armistice. Mais même ainsi renforcée, l'armée française ne pourrait s'opposer seule à la progression des Allemands. Tout au plus pourrait-elle la retarder quelque peu. Mais surtout, elle pourrait servir d'appoint à un débar- quement allié en France, si le général Giraud, qui en est partisan, réussissait à l'obtenir des Américains.

Ce que veut avant tout éviter l'état-major, c'est que l'ar- mée française ne soit faite prisonnière par la Wehrmacht et dissoute, comme ce fut le cas pour l'armée tchèque en

1939, lors de l'invasion nazie.

A cet effet, le chef d'état-major de l'armée, le général Verneau, a mis au point un plan de mobilisation. Les uni- tés françaises doivent quitter leurs cantonnements et faire mouvement vers les régions montagneuses : Jura, Massif Central, Alpes, Montagne Noire, Pyrénées. L'état-major aura son Q. G. à Mende, au centre du dispositif. Des dé- pôts de matériel camouflés sont préparés près des centres de résistance. L'appel de réservistes est prévu.

Dans la nuit du 8 au 9, le général Verneau envoie à chaque commandant de division militaire, par code secret inconnu des Allemands, un message chiffré prescrivant la mise en marche des troupes, dès le franchissement de la ligne de démarcation par la Wehrmacht. C'est l'ordre N° 128/EMA/3 que le général de Lattre de Tassigny, comman- dant la 16e division militaire, recevra à Montpellier le 10 no- vembre à 1 h 30.

«1) En vue d'éviter contact entre troupes armistice et troupes étrangères, les généraux commandant les divisions

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militaires doivent être prêts en cas d'avance allemande au delà de la ligne de démarcation à exécuter déplacements des troupes et états-majors en dehors des garnisons et des axes principaux de pénétration. Toutes munitions seront prises.

2) Mesures d'exécution décidées à l'initiative des com- mandants de divisions militaires uniquement sur renseigne- ment certain de franchissement de la ligne de démarcation.

3) Contact sera conservé avec état-major de l'armée par postes radio-électriques mobiles dont vous disposez avec in- dicatifs et fréquences du réseau radio-sécurité.»

Dans la nuit du 9 au 10 novembre, l'état-major de l'ar- mée quitte Vichy et établit son G.Q.G. provisoire à la fer- me de la Rapine, près de Leroux, petite ville située à une trentaine de kilomètres de l'Allier. Le général Verneau y passe la nuit, attendant les deux informations qui déclen- cheraient la mise en route de l'armée d'armistice : entrée de la Wehrmacht en zone sud, débarquement allié sur la côte méditerranéenne.

Le lendemain matin, toujours rien, sinon une nouvelle inattendue venant de Vichy. Le général Bridoux, ministre de la Guerre, dont on connaît les sentiments germanophiles, vitupère les «officiers factieux» qui veulent entraîner l'ar- mée en dissidence, menace de faire attaquer la Rapine par la garde mobile et exige l'évacuation immédiate du nouveau P. C. 9

A Montpellier, dès qu'il a eu connaissance de l'ordre N° 128, le général de Lattre de Tassigny, commandant la 16e division militaire, réunit ses officiers d'état-major et ses chefs de corps.

Le général de Lattre de Tassigny, parmi les huit com- mandants de division militaire, était le seul à qui le gouver-

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nement de Vichy n'avait pas jugé opportun de décerner la francisque. Le «Service d ' O r d r e légionnaire» de Montpellier, qui groupe, à l'intérieur de la Légion des com- battants, les éléments extrémistes, le signale comme un sympathisant gaulliste et s'indigne qu'on ait «remarqué son absence et celle de tout officier délégué aux conférences données par M. Philippe Henriot, par M. l'amiral Abrial, et (naturellement) par le professeur allemand Grimm».

En réalité, le général de Lattre se soucie moins de politi- que que de rester fidèle à son devoir militaire. C'est, dans toute l'acceptation du mot, un soldat. «Ne pas subir» est sa devise. Dès sa première affectation, à sa sortie de Saint- Cyr, le colonel du 12e dragon le note comme «plein d'en- train, de fougue et de passion dans tout ce qu'il fait».

Il terminera la guerre de 1914 avec cinq blessures, huit citations, la Légion d'honneur et la Military Cross. Trois nouvelles citations, une blessure supplémentaire et la rosette d'officier marqueront, en 1926, sa participation à la guerre du Riff au Maroc. Passage à l'Ecole de Guerre, où il est chef de promotion. Le 23 mars 1939, il reçoit ses deux premières étoiles : c'est le plus jeune général de France.

Pendant la guerre, il est chef d'état-major de l'armée d'Al- sace, puis commande la 14e division d'infanterie. Le 13 mai, la division de Lattre est face à l'ennemi : à Rethel, il repousse les assauts des Allemands, très supérieurs en nombre, qu'il rejette par trois fois dans l'Aisne. Constam- ment maître de son champ de bataille, il ne se replie sur la Marne, puis sur la Loire, qu'après le décrochage des unités voisines et peut encore présenter, lorsque l'armistice arrive, une des rares divisions françaises qui ait conservé son mo- ral et sa valeur combattante. Par deux fois, avec l'autorisa- tion du général Georges, il tentera de faire passer sa grande

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unité en Afrique du Nord.

Après l'armistice, il prendra le commandement supérieur des troupes en Tunisie, jusqu'au moment où, après le li- mogeage par Vichy du général Weygand, proconsul en Afri- que du Nord, il refusera de faciliter le ravitaillement de l'Afrika Korps allemand, en opération contre les Anglais. Re- venu en France à la demande des Allemands, il est nommé à Montpellier, commandant de la 16e division militaire.

Dans le même temps, le général Olleris, sous-chef d'état- major de l'armée, pense à lui pour une autre mission, celle- là clandestine, qui hélas ne se réalisera pas mais qui en dit long sur l'estime où, dans les milieux militaires, on tient le général de Lattre. Le 3e bureau de l'état-major de l'armée poursuivait dans le secret le plus absolu «l'étude des dispo- sitions à prendre pour réoccuper Paris dans le cas où les forces allemandes seraient amenées à évacuer la France».

C'est à de Lattre que serait confié «le commandement de l'armée chargée de cette opération», armée qui com- prendrait les trois quarts des troupes existantes.

Avec de tels états de service, animé d'un tel idéal, on imagine facilement dans quel esprit le général commandant la 16e division militaire réunit ses officiers le 10 novembre à Montpellier.

Il y a là les chefs de corps des unités cantonnées à Montpellier, les officiers d'état-major et le général Bonnet de La Tour, son adjoint. De Lattre met au point les directi- ves préparatoires du mouvement qui devra être effectué dès le franchissement de la ligne de démarcation. La division devra se regrouper dans les Corbières. Les unités de Montpellier, Sète, Castres, Albi et Rodez devront se rendre au sud-ouest de Narbonne, vers Glein-Thézan. Celles de Carcassonne et de Castelnaudary à Axat et celles de Per-

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pignan à Estagel-la-Tour-de-France.

Ces instructions, qui sont données aux chefs de corps de Montpellier, vont être transmises aux autres garnisons par le commandant de Camas, chef du 3e bureau. A tous il est précisé que l'exécution devra se faire au reçu d'un message téléphoné par le général ou par son chef d'état-major.

«Exécutez mesure d'ordre du 1 1 novembre.»

En même temps, un autre officier d'état-major, le com- mandant Maurice Tabouis, se rend à Toulouse pour établir la liaison avec le général Bérard, qui commande la 15e di- vision, et pour l'informer du plan établi par de Lattre.

Le 10 novembre, au milieu de la journée, tout est donc au point pour que, sitôt les Allemands entrés en zone libre, l'ordre N° 128 soit mis à exécution dans la région de Montpellier.

Le même jour, à 19 h 30, arrive, venant de Vichy, le commandant de Bermond de Vaux, de l'état-major de l'ar- mée, porteur d'instructions verbales confirmant l'ordre N° 128.

«Il faut, précise-t-il, s'attendre d'un moment à l'autre au franchissement de la ligne de démarcation.»

Les zones de stationnement sont laissées au choix des commandants de divisions militaires. Elles devront répondre aux conditions suivantes :

— Etre en dehors des grands axes de communications;

— Permettre un ravitaillement facile;

— Permettre éventuellement de résister si l'ordre en est donné.

Il reste donc au général de Lattre à s'assurer qu'il sera prévenu immédiatement du franchissement de la ligne.

Comment cette nouvelle lui parviendra-t-elle ? Par la voie

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hiérarchique ? Il en doute, à la suite d'un coup de téléphone qu'il a donné l'après-midi même à Vichy, au général Re- vers, chef d'état-major du commandant en chef. Quand on l'appelle de Montpellier, le général Revers se trouve dans le bureau du général Delmotte, chef de cabinet du secrétaire d'Etat à la Guerre, Bridoux. C'est Delmotte qui répond à l'appareil :

«Mais, mon général, dit-il à de Lattre, c'est de l'hallu- cination collective... Je vous assure que les Allemands n'ont aucune intention de bouger...»

Ce qui paraît surprenant à de Lattre, et l'inquiète sur l'état d'esprit qui règne au Secrétariat d'Etat à la Guerre.

A défaut de la voie hiérarchique, de Lattre s'assure des informations directes en provenance d'unités stationnées près de la ligne, ou de postes frontaliers de la région de Toulouse.

Le lendemain, 11 novembre, à 7 heures du matin, des coups de téléphone successifs émanant de Bourg-en-Bresse et de Toulouse l'informent que la ligne est franchie.

Le général de Lattre réveille lui-même son chef d'état- major, le colonel Albord : «On exécute...»

A la minute, le message convenu est passé à tous les chefs de corps. Après quoi, le colonel Albord met sur pied le détachement de protection qui devra accompagner le gé- néral : quelques éléments de l'Ecole de cadres de Carnon, quatre sections d'infanterie sur camion, une section de deux canons antichars: au total 140 hommes, commandés par le capitaine Quinche.

Un autre détachement comprenant les secrétaires d'état- major avec le poste radio est organisé sous les ordres du commandant de Camas.

A 8 h 30, de Lattre est appelé au téléphone, de Vichy,

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par le général Delmotte, qui lui passe le général Bridoux, secrétaire d'Etat à la Guerre.

— Allô ! de Latti*e, les troupes ne doivent pas bouger.

— Il est bien exact que les Allemands ont franchi la ligne ?

— Oui...

— Je vous remercie...

Et de Lattre en sachant assez raccroche sans ajouter un mot. Stupéfiant contrordre, par lequel le ministre annule verbalement l'ordre No 128 du commandant en chef, au moment même où se produisent les circonstànces prévues pour son application.

Irrégulière, déshonorante, telle apparaît à de Lattre cette décision ministérielle. Il gagne son bureau à l'état-major et s'assure que les instructions données et confirmées la veille sont en voie d'accomplissement et que les régiments com- menceront leur mouvement à midi.

A 9 h 45, il reçoit confirmation dti contrordre, transmis d'Avignon par le général Langlois, commandant le 1er groupe de divisions militaires dont fait partie la 16e D. M.

«Par ordre secrétaire d'Etat à la Guerre :

1) Aucun mouvement de regroupement jusqu'à nouvel ordre.

2) Troupes et états-majors dans casernements normaux.

3) Mouvements commencés seront annulés. Troupes ren- treront dans garnisons normales.

4) But : assurer maintien de l'ordre, etc. Accord avec préfets. Eviter tout incident de contact.

5) Troupes consignées : commandants de divisions mili- taires prendront toutes dispositions pour expliquer chefs de corps nécessité maintenir armée française...» Signé : Langlois.

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A peine reçu par de Lattre, ce télégramme N° 1261/3, dont la dernière phrase apparaîtra seize jours plus tard d'une ironie singulière, prend le chemin de sa corbeille à papier. Il n'a pour lui d'autre intérêt que de montrer que Vichy est maintenant sous l'influence allemande, ce qui ren- force encore la valeur des instructions antérieures : «Je maintiens les ordres, je pars», dit-il simplement.

A 10 h 30, le général fait ses adieux à sa femme : «Tu es bien d'accord, il est encore temps, lui dit-il. J'ai reçu l'ordre écrit de Bridoux (le contrordre), je l'ai déchiré. Je ne peux pourtant pas me rendre avec ma troupe. Evidem- ment, nous allons sûrement à la prison... à la mort peut- être... On ne peut guère concevoir une autre solution que de se battre jusqu'au dernier. La situation géographique est bonne : on pourra les embêter longtemps... J'aimerais me confesser : téléphone au Père Bureau à Saint-Clément de ve- nir tout de suite.»

Dix minutes plus tard, le Père Bureau est là. Le prêtre et son pénitent s'isolent.

Au moment du départ, s'adressant une dernière fois à sa femme : «Tu m'approuves bien ?» lui dit le général. Puis il monte dans sa voiture au fanion largement déployé, pour bien montrer qu'il n'agit pas en clandestin et, suivi d'une autre auto pour les officiers de son état-major, il passe par la caserne du 8e Régiment d'infanterie, où il s'assure que l'on prépare le mouvement; à midi, il prend la route vers la zone de concentration à Villerouge, où il veut préparer les positions de ses unités, qui, au même moment, doivent quitter leurs cantonnements.

Ce qu'il ignore, en cet instant décisif, c'est que, depuis une heure et demie, son adjoint et plusieurs de ses chefs de corps se sont mis directement en rapport avec le général

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Langlois, qui, d'après l'ordre N° 128, n'aurait pas à inter- venir dans les mouvements de la division.

Dans un rapport adressé le 12 novembre au général Bri- doux, Langlois fait état de ces contacts, au moins, surpre- nants :

«A 10 h 30, le général Bonnet de la Tour, adjoint pour le commandement des troupes, me signale qu'il a l'impres- sion que le général de Lattre a l'intention de ne pas exé- cuter les ordres du gouvernement et que des mouvements sont prescrits.

«A 11 heures, le colonel Clark, commandant le 15e Ré- giment d'artillerie, à 11 h 45, le colonel Amanrich, com- mandant le 3e Régiment de dragons, à 11 h 50, le colonel Hautecœur, commandant du 51e Régiment d'infanterie me téléphonent leurs angoisses et leur désir de rester dans le cadre des ordres supérieurs.

«Je leur confirme les ordres reçus et leur prescris de ne pas exécuter les ordres du commandant de la division.

«Je vous ai appelé aussitôt au téléphone pour vous faire part de la gravité de la situation de la 16e division.

«A 12 h 10, vous me donnerez l'ordre d'aller régler sur place cette question de commandement.»

Deux heures plus tard, le général Langlois est à Montpellier au Q. G. de la 16e division. Il confie le com- mandement de la division au général Bonnet de la Tour; il convoque le colonel Guillaut du 8e d'infanterie et le «remet dans le droit chemin». Il réunit les officiers d'état-major et les rappelle au devoir... qui consiste évidemment à attendre, l arme au pied, l'arrivée des Allemands. Il passe en revue le 15e Régiment d'artillerie, qui lui fait une «bonne im- pression».

Et voici la conclusion du rapport :

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«J'ai l'honneur de vous en rendre compte, j'estime que maintenant la 16e D. M. est entre des mains sûres.»

Cependant, de Lattre, ignorant tout de ces rtianœuvres, arrive à 14 h 30 à Saint-Pons. A 17 h 45, il est au carre- four de Villerouge à proximité duquel il veut installer son P. C. De là, il envoie immédiatement des officiers de liaison aux différentes unités qu'il croit en train de le rejoindre.

Puis il se rend à Padern.

A 21 heures, les officiers de liaison ne sont pas de re- tour. Le général envoie le capitaine André Tabouis sur l'axe de Saint-Paul-de-Fenouillet, Caudiès, Axat, Quillan, Limoux, avec mission d'y rechercher les éléments de la co- lonne légère et ceux de la garnison de Carcassonne (2e R.I.C. et 15e R.A.).

Le capitaine Tabouis part à 21 h 25, laisse au passage un sous-officier à Saint-Paul-de-Fenouillet et trouve à Caudiès un barrage. Il décide d'en rendre compte au général, mais par suite de, deux crevaisons il ne peut arriver à Padern qu'à 1 h 45, après avoir fait 6 kilomètres à pied.

Le général décide d'attendre encore jusqu'à 2 h 30 à Padern l'arrivée des premières troupes.

Le 12 novembre à 2 h 45, il se met en route en direc- tion de Saint-Pons afin de se porter au-devant du détache- ment de commandement et de protection du P. C.

Il arrive à 6 heures à Saint-Pons, où il trouve un poste de gendarmerie qui lui rend compte d'avoir à téléphoner d'urgence au préfet régional de Montpellier. Celui-ci, M. Hontebeyrie, dont il connaît les sentiments patriotiques, le supplie de revenir à Montpellier en lui promettant qu'il retrouvera son commandement : «J'ai refusé, écrit-il une heure plus tard à sa femme. On fera de moi ce qu'on voudra. Rien ne compte pour moi que ce que j'ai essayé de

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faire : sauver l'honneur de notre pauvre armée. Ma liberté, ma vie ne sont rien à côté.»

De Lattre, arrêté par les gendarmes, sera transféré le soir même à la prison militaire de Toulouse.

Il y occupe seul une chambre, cependant que ses offi- ciers adjoints, le colonel Morel, le capitaine Tabouis, le ca- pitaine Constans, le lieutenant Perpère occupent la chambre à côté.

Le 13, il y reçoit la visite de la générale, à qui il con- seille de demander, par le préfet régional Hontebeyrie, une audience à Laval, chef du gouvernement. De Lattre, qui n'a aucune requête à adresser au Premier ministre, veut simple- ment que celui-ci sache les raisons précises de son départ en opérations.

• D'où, pour la générale, nécessité de faire deux démarches dont le récit n'est pas sans saveur.

«J'arrivais, écrira-t-elle, dans le bureau du préfet régional au moment où son chef de Cabinet, grimpé sur un esca- beau, décrochait le portrait de l'amiral Darlan, le « Dau- phin » (qui avait pris la tête du gouvernement dissident d'Afrique du Nord).

«On ne sait jamais, dit en souriant le préfet, nous le mettons de côté. Pour l'instant, le «Dauphin» est en dissi- dence, mais il peut revenir. En ce moment, il faut s'at- tendre à tout...»

Hontebeyrie et son préfet-délégué Benedetti lui obtien- nent une audience de Pierre Laval :

«A trois heures et demie, raconte-t-elle, je me présentai à l'Hôtel du Parc et presque aussitôt, après avoir attendu quelques minutes dans un couloir, je fus introduite dans la chambre, transformée en bureau, du président du Conseil.

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— Que voulez-vous ?... Si je vous reçois, c'est seulement parce que vous êtes la fille de Calary de Lamazière, qui fut mon ami au début de ma vie politique. J'avais beaucoup d'admiration pour votre père.

«Je me lançai aussitôt dans une phrase préparée à l'avance : — Je ne veux rien vous demander. Je veux seule- ment que vous sachiez pourquoi mon mari et quatre offi- ciers de son état-major ont été arrêtés. Les services de l'In- formation ont donné un communiqué qui n'était pas con- forme à la vérité. Mon mari a obéi à un ordre du maréchal Pétain et de l'état-major de l'armée. Il a désobéi à un con- trordre donné par le gouvernement, alors que celui-ci n'était plus libre, puisque Vichy était occupé par les Alle- mands. S'il est en prison, c'est sur votre ordre, mais il veut que vous sachiez qu'il n'a pas failli à son honneur d'officier français.

«Il m'écouta sans répondre, puis se leva de son bureau et fit mine de chercher des papiers dans un classeur. Me tournant le dos, il me dit alors :

— Vraiment, vous n'avez rien à me demander ?

— Non, je n'ai rien à vous demander, seulement que vous ne le livriez jamais aux Allemands.

«Me tournant toujours le dos, il me répondit :

— Je vous le promets.

«Et au même instant, M. Guérard, secrétaire général du gouvernement, entrouvrit la porte pour lui rappeler un ren- dez-vous.

«Je me levai et pris congé.»

Le général de Lattre de Tassigny demeura à Toulouse du 13 novembre au 11 décembre 1942. Première détention d'un mois qui fut marquée pour lui par des événements bouleversants.

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Tout d'abord, il a connaissance du communiqué ten- dancieux par lequel les services d'information de Vichy an- noncèrent, le 15 novembre, son arrestation.

«Les services de l'Information communiquent :

«Le général de Lattre de Tassigny, qui commandait la région militaire de Montpellier a, le 11 novembre dernier, lorsqu'il apprit le départ du général Giraud pour l'Afrique, abandonné son poste et entraîné avec lui quelques officiers, quelques hommes et deux canons en vue de constituer en France une formation dissidente.

«Après avoir erré dans la campagne, inquiet des mesures qui avaient été prises pour assurer l'ordre, il s'est rendu au premier officier de gendarmerie qu'il a rencontré.

«Ses partisans sont dispersés. Il a été arrêté. La person- nalité du général n'est pas inconnue. Son ambition était de devenir le chef d'état-major des rebelles.

«Sa carrière de factieux aura été courte. Il appartient maintenant à la justice militaire.»

En même temps que ce texte, destiné à ridiculiser le gé- néral de Lattre, est abondamment reproduit et commenté par les journaux aux ordres de Vichy ou de l'occupant, d'autres événements se préparent.

Le 27 novembre au matin, les Allemands qui, depuis l'occupation de la zone libre, semblaient cohabiter paisible- ment avec l'armée d'armistice,- décident d'en finir avec celle-ci.

Ils envahissent tous les bâtiments militaires, ils gardent à vue certains officiers et faisant irruption dans les casernes, ils obligent les militaires de tous grades à se vêtir en civil : après quoi, ils les renvoient dans leurs foyers.

Que va-t-il advenir des détenus de la prison militaire ? Deux officiers subalternes ont, tout d'abord, un réflexe

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patriotique : le gardien-chef de la prison, le lieutenant Petit, ainsi que le lieutenant d'administration Villemain, prévenus que la prison passait sous le commandement allemand, n'ont qu'une idée : éviter de livrer les détenus militaires in- carcérés pour gaullisme ou délit d'opinions. Ils font habiller les prisonniers en civil et leur ouvrent les portes de la geôle.

Le général se rend chez Maître Punthous, l'avocat qui avait été désigné pour assurer sa défense.

Mais au début de l'après-midi, le général commandant la 15e division militaire, donne l'ordre de se saisir de son an- cien collègue de la 16e D. M. Sous bonne garde, il le fait ramener en prison, où cette fois il sera sous la surveillance des Allemands.

«Je ne comprends pas, lui dira la générale de Lattre, qu'un général français ait pu ainsi livrer aux Allemands un général qui, il y a quinze jours, avait un commandement semblable au sien.»

Le 4 décembre, les Allemands sont remplacés à la prison militaire par des Français qui assurent de nouveau la garde du général, mais, le 9, l'enquête terminée et le général Dc- beney, qui en était chargé, parti à Vichy pour porter son rapport, le général de Lattre est transféré au fort Montluc, à Lyon, pour être jugé, en cette ville, par une juridiction d'exception, qui est le Tribunal d'Etat.

A Montluc, le général de Lattre est le seul prisonnier du pavillon E, réservé aux officiers. La fenêtre de sa cellule est de taille ordinaire avec barreaux et grillages et donne sur une petite cour qui semble un stand de tir avec cibles peintes sur les murs : perspectives peu agréables. De même, à son intention, on vient de percer, au milieu de la porte, un trou, ouvert en permanence afin que les G. M. R. puis-

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sent le surveiller sans interruption à partir du poste de gar- de en face.

Le 1er janvier 1943, l'intendant de police de Lyon, M. Marchais, entre dans la cellule du général : «Je viens vous prévenir, mon général, que depuis ce matin la prison du fort Montluc est occupée par les Allemands. Jusqu'à la dernière minute nous avons essayé d'éviter cette mesure.

Nous avons envisagé de vous transférer à Saint-Paul ou à Saint-Joseph. Mais la date de votre jugement, le 9 janvier, étant proche, nous avons obtenu de maintenir jusque-là un peloton de gardes français et des commissaires de police qui assureront la garde du pavillon E.»

Pendant les huit jours que le général doit encore passer à Montluc avant son jugement, le pavillon E reste le seul bâ- timent de la prison à ne pas être administré par les occu- pants : deux gardiens français demeurent au greffe à côté des «feldgrau» qui contrôlent les entrées.

Le général aura pour avocats Maître Punthous, qui plaidera sur le fond et sur les événements du 11 novembre, et Maître François Valentin, lequel, ayant servi en 1940 sous ses ordres, présentera l'aspect moral du procès et parlera spécialement du passé militaire de de Lattre et de son attitude depuis 1940.

Sur sa demande, le général est autorisé à être jugé en te- nue, mais comment récupérer celle-ci qui est déposée en Touraine dans une propriété de famille ?

La seule solution est d'y envoyer le fils du général, Ber- nard de Lattre, âgé de quinze ans, et son ordonnance, La- dessous Georges, qui vont faire le voyage avec les clefs et la liste des objets nécessaires. Par malchance, au cours d'un arrêt à Montluçon, Bernard de Lattre descend acheter un sandwich et manque le train, qui repart sans lui.

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Arrivé à destination, l'ordonnance doit forcer les serrures des malles; le 8 au matin, veille du procès, il revient avec les différentes pièces d'uniforme, sauf le ceinturon et la plaque de grand-officier de la Légion d'honneur, qu'il n'a pu récupérer.

Comment faire en si peu de temps pour retrouver ces in- signes ?

On s'adresse au général Frère, qui réside à Clermont- Ferrand, lui demandant de prêter son ceinturon et sa croix et de les faire parvenir par le train de nuit à Lyon. D'autre part, le frère de la générale, Raoul, se met en quête d'une plaque à achetér, ce qui, à l'époque, n'était pas commode.

«Cette plaque trop neuve et trop brillante à son gré fut

«culottée» par les soins du général qui finit par la mettre dans les braises de son poêle, ce qui réussit à la dessouder en partie.» Mais elle n'eut pas à servir, car le 9 à 8 heures du matin, la plaque du général Frère arrivait au fort Montluc, une demi-heure avant que le général de Lattre ne le quittât sous escorte et en grande tenue pour se rendre au Palais de Justice.

Le Tribunal d'Etat devant lequel il avait à comparaître, était une de ces juridictions d'exception, que les régimes autoritaires créent pour juger leurs adversaires, avec plus de docilité et de rapidité que les tribunaux ordinaires. Il était présidé par un magistrat, M. Malaspina, président de chambre à la Cour d'Aix, assisté de quatre jurés désignés par le gouvernement : le général Touchon, l'amiral Cadar, M. Vié, préfet honoraire, Joseph Darnand, chef des S. O. L. Un juré suppléant, M. Champsaur, inspecteur gé- néral des P. T. T., n'eut pas à intervenir.

Le procès eut lieu à huis-clos dans une petite salle de la cour d'appel. L'accusé, en se défendant, dépasse son cas

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personnel, il expose sa doctrine de commandement et sa conception du rôle de l'armée.

«Seule force organisée restant au pays, l'armée a pour mission de demeurer farouchement gardienne de nos tradi- tions militaires et de symboliser les ardeurs de notre patriotisme.

«Notre armée, cellule essentielle de notre résurrection, ne peut avoir qu'une mystique : résister à l'agression.»

Passant à l'ordre 128, il en expose la raison d'être et la signification morale :

«En sortant les troupes de leurs garnisons, nous nous ré- servions un moyen de prolonger notre liberté de discussion et de décision. Des troupes libres, c'était encore une carte à jouer; des troupes encasernées, une carte abattue — et le

déshonneur.

«On me dit : «C'était de la folie.» Quels sont ceux qui le disent ? Ceux-là qui ont trouvé raisonnable que, pour le principe, nos détachements squelettiques de Madagascar ré- sistent aux Anglais, que nos unités désarmées d'Afrique du Nord résistent aux Américains : se faire tuer pour le prin- cipe, est-ce raisonnable quand on se bat contre les alliés, est-ce fou quand on se bat contre nos ennemis ? Est-ce raisonnable outre-mer ? Est-ce fou quand il s'agit du vieux sol de la patrie ? Ce qui est fou, c'est d'oublier le sens du sacrifice. A quoi sert une armée, si on lui tient à crime de le posséder encore ?»

C'est là, dans cette brève intervention d'un quart d'heure, le nœud même du procès, auquel ni les deux témoins, ci- tés, l'un par la défense, le colonel Albord, l'autre par l'ac- cusation, le général Bonnet de la Tour, n'auront rien d'essentiel à ajouter.

Le commissaire du gouvernement, M. Souppe, substitut

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général à Lyon, prononce le réquisitoire dans lequel il abandonne (et pour cause) l'inculpation de trahison pour se borner à celle d'abandon de poste : celle-ci peut entraîner deux sanctions : dix ans de prison et la perte du grade.

C'est sur cette seconde peine que la défense va se battre.

En évoquant le passé du général, elle ne manquera pas d'arguments. A 16 heures, le tribunal se retire pour délibé- rer. A 16 h 45, il rentre en séance. Le président annonce la sentence : dix ans de prison, soit le maximum de la peine prévue pour abandon de poste. Mais la peine accessoire de perte du grade n'est pas prononcée.

Lorsqu'il apprendra ce verdict, la réaction de Bernard de Lattre sera immédiate : «J'aurai donc vingt-cinq ans quand papa sortira de prison... il faut le faire évader.»

Et cet enfant fut, en effet, avec sa mère le principal arti- san de l'évasion de son père.

Avant que l'évasion ne réussît dans la nuit du 2 au 3 septembre 1943, sur l'initiative de Bernard et de sa mère, deux tentatives mettant en jeu des complicités nom- breuses avaient échoué.

La première date de janvier 1943 : le général est encore incarcéré à Lyon. Un ami de Jacques Robert, en liaison avec des organisations de Résistance, informe la générale que l'inspecteur Faucheux, qui, un jour sur deux, est de garde auprès du prisonnier, fait partie de son réseau.

Le 20 janvier, au cours d'un mariage familial, deux membres de l'équipe de Jacques Robert, Claude Bigot et François Ousset, préviennent la générale qu'une tentative d'évasion aura lieu la semaine suivante et lui conseillent de regagner immédiatement Lyon. Tout est prévu, non seule- ment pour le prisonnier, mais aussi pour elle et son fils,

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afin qu'ils puissent rejoindre le général en Suisse; le sous- préfet de Saint-Julien, en Savoie, M. Carcasses, les emmè- nera tous deux en zone franche, dans le coffre de sa voiture. Deux jours se passent sans que la générale reçoive une nouvelle. Elle apprend alors que l'on a renoncé à l'éva- sion. Au cours de la prochaine visite qu'elle rend à la pri- son, un jour où, par bonheur, c'est Faucheux qui est de garde et où il laisse le général et sa femme libres de con- verser, de Lattre lui explique les raisons de cet échec :

«Ne t'étonne pas, lui dit-il, si je ne me suis pas lancé dans cette tentative. L'affaire était mal préparée et ne pou- vait réussir que si on tuait deux gardiens... Toute la nuit, la pièce octogonale qui sert de carrefour à tous les pa- villons de la prison est gardée par deux plantons. Ces gar- diens sont des Français. Il n'était pas possible de passer sans les assommer. Au dernier moment, quand j'ai été fixé, j'ai fait savoir que je refusais de partir à ce prix-là.»

La seconde tentative eut lieu le 15 mai 1943.

Après son jugement, le général avait été transféré à la maison d'arrêt de Riom, où il avait occupé successivement les cellules que Léon Blum et Daladier avaient habitées deux ans plus tôt pendant les séances de leur procès devant la Cour de Riom. La première était misérable, une sorte de boyau étroit et obscur, avec deux vasistas verrouillés, bouchés par des hottes extérieures qui laissaient à peine fil- trer un peu de jour. Le mobilier se composait d'une paillasse, d'une table, d'une chaise, d'un pichet à eau et d'une tinette. La seconde était plus vaste, et comprenait quatre vasistas verrouillés dont deux, donnant sur le chemin de ronde, laissaient passer quelques rayons de soleil l'après- midi. Le mobilier, peu différent de celui de la première cellule, comprenait en outre une grande table-bureau, une

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petite table de chevet, deux chaises et un fauteuil de paille.

C'est de cette installation, au confort relatif, qu'il s'agissait de faire évader le général.

Le projet mis au point par Jean-Louis Vigier, qui mi- litait alors dans un mouvement de résistance en liaison avec le 2e bureau de l'état-major Giraud, semblait de réalisation facile. Il consistait à entrer en contact avec le gardien-chef Dumas et à l'acheter, en lui assurant, après l'évasion, une retraite sûre pour sa famille et pour lui, ce qui aurait été fait sans difficulté.

«Un ultime rendez-vous avec un des conjurés à l'église de Marthuret, raconte la générale, permet de régler les der- niers détails, de fournir les photos pour les fausses cartes d'identité du trio. Et enfin le jour arriva... (le 15 mars).

Mais alors que je sortais de ma visite quotidienne à la pri- son, quelques heures avant l'heure H, M. Dumas s'ap- procha de moi et me murmura : «Rien ne va plus. Dans une heure, je reçois un contingent de G. M. R. qui vient renforcer la garde et s'installer dans la prison.» En effet, dans l'après-midi, trente G. M. R., armés de mitraillettes, pénétraient en renfort dans la prison.

Il s'agissait donc de prévenir les deux agents de Jean- Louis Vigier, avec lesquels un rendez-vous était prévu le soir même pour minuit et quart.

En attendant cette heure, Bernard de Lattre propose à sa mère, pour tuer le temps, d'aller au cinéma. Cette sugges- tion permit de sauver tous les conjurés qui, autrement, auraient été pris comme dans un guet-apens, au rendez- vous de minuit.

En effet, dans la salle pleine, la générale reconnaît à un rang proche du sien, M. Pernot, qu'elle avait rencontré à l'église de Marthuret. Elle le désigne à Bernard et lui dit :

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« Ne me demande pas d'explications. Tu aperçois ce mon- sieur ? Dès que le grand film débutera, tu vas près de lui et tu lui diras : Je suis Bernard de Lattre. Maman demande que vous sortiez. Elle vous rejoindra dans quelques instants dehors, devant le cinéma.»

Ainsi fut fait. La générale informe Pernot de l'arrivée des G. M. R. et de l'obligation de renoncer au projet...

Pendant qu'ils marchent de long en large sur le boulevard, ils voient qu'une activité inhabituelle règne à la gendarme- rie : un panier à salade stationne devant la porte, les gen- darmes vont et viennent.

A 11 heures, un groupe de gendarmes se dirigent vers le carrefour du boulevard et de la rue sous l'esplanade — c'est-à-dire au point exact du rendez-vous de minuit et quart; le panier à salade les y rejoint.

«Seuls, écrit la générale, Jean-Louis Vigier, ses deux complices et le gardien-chef Dumas connaissent le point de ralliement.

«Aucun doute n'était plus permis, nous avions été trahis et presque sûrement par Dumas. Mais il n'y avait plus de temps à perdre.»

En une heure les conjurés furent prévenus et pour une fois, le panier à salade s'en retourna à vide.

Après ce nouvel échec, ce fut Bernard de Lattre qui re- fusa de désespérer et qui conçut les moyens de réussir la li- bération de son père.^Au cours de l'une des longues pro- menades à pied qu'il faisait avec sa mère autour de Riom, il s'ouvrit à elle du projet qui le préoccupait. «Ma petite maman, tous deux nous voulons absolument faire évader papa; chaque fois que quelque chose a été tenté, ça a man- qué par imprudence, par indiscrétion. Moi, j'ai bien réfléchi : lorsque tu as plusieurs personnes dans le coup, ça

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ne peut pas coller. Il ne faut plus compter sur aucun gar- dien. Mais nous deux, nous pouvons tout préparer et il faut pour que papa s'évade, comme dans les romans policiers :

«Scier les barreaux et sauter le mur.» Et, comme sa mère reste sceptique : «Alors, tu ne veux pas travailler avec moi ? Toutes les organisations, ça n'a pas été sérieux. Il faut des gens qui risquent tout, même leur vie : toi, moi et, si tu veux, Louis. Tiens, pour la scie, je suis sûr qu'il pourrait en trouver une.»

La foi de Bernard de Lattre va finir par avoir raison des inquiétudes de sa mère. Elle prend contact avec Louis Rœtsch, ancien chauffeur de son mari, qui habite mainte- nant Clermont-Ferrand, où, sous le nom de Louis Roche, il vend des articles de parfumerie. Louis Rœtsch, avec en- thousiasme, promet son concours. Il se procurera les outils.

Le problème policier, imaginé par Bernard de Lattre et dont la solution devait être l'évasion de son père, com- portait six données.

En premier, il fallait que le général pût scier le barreau de la fenêtre à travers laquelle il passerait. Louis Rœtsch fournit l'outil nécessaire, une scie à métaux. Mais, avant de parvenir au barreau, le prisonnier rencontrerait le châssis de la fenêtre avec un pilier central très épais, sur lequel s'ou- vraient de part et d'autre deux vasistas. Il n'était pas possi- ble de scier le barreau sans avoir au préalable ôté ce mon- tant de bois.

La générale et Bernard apportèrent au prisonnier quel- ques vrilles, afin d'ébranler le montant, ainsi qu'un peu de mastic, un rouleau d'albuplast et quelques petits tubes d'aquarelle pour camoufler les dégâts.

En second lieu, il fallait que le général disposât d'une corde pour descendre dans le fossé d'enceinte, d'où il pour-

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rait franchir le deuxième mur. Ce fut Bernard de Lattre qui, dans son cartable de lycéen, entre un cahier de géométrie et quelques livres d'algèbre, de physique et d'histoire, apporta le nécessaire.

Troisièmement, il fallait tromper la surveillance des gar- diens. Ceux-ci composaient trois équipes. Des gardes de l'administration pénitentiaire qui effectuaient chaque nuit à travers la prison trois rondes à des heures variables, fixées la veille au soir, vers 18 heures, par le gardien-chef. Dix- huit G. M. R. qui couchaient à l'intérieur de la prison, dans la cellule voisine de celle du général et qui assuraient en permanence la surveillance dans le fossé. Ils formaient des groupes de six, relevés toutes les trois heures. Le géné- ral avait observé que leurs relèves de nuit étaient mal faites : au lieu d'attendre ses camarades dans le fossé, la garde descendante allait réveiller la garde montante dans son cantonnement et prenait même un petit quart d'heure pour plaisanter avec elle et fumer une cigarette. Ainsi, à chaque relève qui s'effectuait à une heure fixe, le fossé restait vide pendant un quart d'heure. Enfin, des gendarmes de Riom, au nombre de quatre, assuraient la surveillance autour du mur d'enceinte de la prison.

Quatrièmement, afin de ne pas éveiller l'attention des voisins, il fallait que l'évasion se fît par une nuit sans lune.

Cinquièmement, il fallait disposer, à quelque distance de la prison, d'un moyen de locomotion pour emmener le gé- néral.

Sixièmement, il fallait que ce moyen de locomotion con- duisît l'évadé dans un lieu de retraite où il pourrait at- tendre le temps nécessaire pour gagner l'Afrique du Nord.

Le problème ainsi posé, la solution des divers points né- cessita un mélange constant de ruse, de courage et de pa-

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tience, dignes du meilleur roman policier. En voici quelques exemples.

Il fallait assurer un minimum de complicité dans le per- sonnel de garde. Louis Rœtsch apprend opportunément que parmi les G. M. R. de Riom se trouve un nommé Leblanc dont la seule ambition est de gagner l'Afrique du Nord et qui sera favorable au projet du général. Par chance, il se trouve que Leblanc connaît personnellement un des gen- darmes de Riom, Courset dit «Bouboule», qui n'aime pas les Allemands. Les deux hommes pressentis donnent leur accord. La générale, Bernard et Louis disposent de deux complices sûrs, l'un parmi la garde du fossé, l'autre parmi la garde extérieure.

Il fallait ensuite que le général de Lattre pût préparer son passage à travers les barreaux et le châssis de la fe- nêtre, de façon à ce que, le moment venu, il n'eût qu'à s'engager dans l'intervalle qu'il aurait frayé. Mais comment scier le barreau, comment déplacer le châssis de façon à ce que personne ne surprît le général, en train d'effectuer ces opérations insolites ? Si elles avaient lieu de nuit, les gardes auraient sûrement entendu les grincements de la scie. De jour, ceux-ci seraient dissimulés par l'ensemble des bruits de la maison, mais le risque était que le gardien-chef Du- mas ne pénétrât dans la cellule, comme il le faisait souvent, sous le prétexte de donner à son prisonnier des nouvelles de la radio de Londres. Après mûre réflexion, on décida que le général effectuerait son travail pendant la durée d'une visite de sa femme. Dès que celle-ci fut entrée dans sa cellule, le 26 août, le général fit demander à Dumas de venir immédiatement le voir, en alléguant leur impatience de connaître les informations. Dumas arrive aussitôt, reste quelques instants, repart. Dès sa sortie, le général se met à

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l'œuvre. Avec sa femme, ils dressent une sorte d'écha- faudage composé d'une petite table et d'une chaise super- posées : le général au sommet de cet édifice fragile, com- mence à scier un des barreaux du centre des vasistas. «Il avait chaud, raconte la générale, ne disait rien, n'arrêtait pas. Et moi, je parlais sans arrêt de tout et de n'importe quoi à haute voix, faisant les demandes et les réponses.

J'étais décidée, si un gardien avait fait mine d'entrer, à crier pour qu'on me laisse tranquille quelques minutes, afin de «satisfaire un besoin naturel». Après trois quarts d'heure de travail acharné, de Lattre, triomphalement, présente le barreau qu'il avait descellé du haut. L'ouverture ainsi faite mesure 29 cm de large et 65 cm de haut. C'était à peine suffisant. Mais on ne pouvait sans trop de risques desceller un deuxième barreau.

Avant le départ de la générale, le barreau est remis en place, sa base entourée d'albuplast, noirci avec de la cen- dre. Le vasistas également est réinstallé.

Quatre jours plus tard, le 30 août, nouvelle visite de la générale à son mari. Cette fois, elle lui apporte un canif et du tissu pour faire un petit coussinet qu'elle acheva et remplit dans la prison. Il devait être posé sur le bord de la hotte, pour que la corde ne grince pas sur le bois.

L'évasion était prévue pour le 3 septembre, à une heure du matin. La veille au soir, à 18 heures, Leblanc fit savoir que Bouboule s'était porté volontaire pour remplacer un ca- marade. Il n'y aura donc rien à craindre de la garde exté- rieure pendant le quart d'heure fatidique où la surveillance du fossé sera interrompue en raison de la relève.

Une heure du matin : le général a revêtu un vêtement sombre; devant sa porte, il pousse son matelas et le cale par une planche, afin d'amortir tout bruit. Une dernière

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fois il installe l'échafaudage des tables. Arrivé à la hauteur du vasistas, il fixe à l'un des barreaux la corde lisse et se hisse par les poignets à la hauteur de la lucarne. Il se faufile à travers les trente centimètres de la brèche, il passe. Puis, à l'extérieur, les mains brûlantes, il glisse le long de la corde. Soudain, il entend du bruit. Dans le couloir du rez-de-chaussée, qui se termine par une fenêtre devant laquelle il doit descendre, un gardien effectue une ronde et vient pointer un «mouchard» fixé dans le mur. Le général s'arc-boute. Le gardien s'éloigne sans rien voir. Le prisonnier recommence alors la descente.

Le voici dans le chemin de ronde, qu'il suit jusqu'à l'en- droit où le mur est le plus facile à granchir et où Bouboule doit être de faction. Il n'est pas là, ayant eu l'idée astu- cieuse de regagner le poste de garde devant la porte princi- pale de la maison d'arrêt en jouant l'homme ivre. Ainsi, non seulement il laisse le passage libre, mais il détourne l'attention de ses camarades.

Le général arrive donc à l'endroit du mur derrière lequel doivent se trouver ses complices, parmi lesquels Ber- nard et Louis. Au bout de quelques secondes qui lui semblent interminables, une échelle de corde est jetée par- dessus le mur. Le général en gravit les échelons, puis du faîte, il se laisse tomber dans les bras de son fils, à qui, pour la plus grande part, il doit sa liberté.

La petite troupe s'engouffre dans le jardin d'une maison presque contiguë à la prison, où madame de Lattre et son fils avaient élu domicile. Le jardin a plusieurs portes; après l'avoir traversé, le général et son fils, accompagnés de Louis Rœtsch et d'un de ses complices, sortent d'un autre côté. Une auto les attend, dont des gendarmes indiscrets sont en train d'inspecter les papiers. Tout leur paraît en

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règle, et le véhicule démarre, emmenant à son bord un cer- tain M. Charles Dequenne, instituteur libre, et son fils, qui vont se reposer dans une petite ferme du Puy-de-Dôme, à Compains.

Six semaines plus tard, le 17 octobre 1943, c'est l'épi- logue de cette retentissante évasion. Par une nuit pluvieuse, un ronronnement dans le ciel. Quelques lampes de poche jalonnent un terrain d'atterrissage de fortune. Un avion s'y pose quelques instants, puis s'envole à nouveau pour l'Angleterre, emmenant M. Charles Dequenne qui, dès cet instant, redevient le général de Lattre de Tassigny.

Malheureusement son fils, jugé trop jeune pour l'aven- ture, n'a pas pu l'accompagner. Il lui faudra sept mois plus tard, avec sa mère, franchir à pied les Pyrénées et gagner l'Afrique du Nord où, à seize ans, il obtiendra de s'engager au 2e dragons.

Le 16 août 1944, à la tête de la Première armée française, le général de Lattre de Tassigny débarque sur les côtes de Provence. Il ne porte sur sa chemise d'uniforme qu'une seule décoration, le ruban vert et orange de la mé- daille des évadés.

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BIBLIOGRAPHIE

LIVRES :

Un destin h é r o ï q u e : Bernard de Lattre, récits et lettres recueillis et présentés par Robert G a r r i c (Plon, 1953).

Jean de Lattre, maréchal de France. Le soldat, l'homme, le politique (Plon, 1953).

De Lattre, Bernard Simiot (Flammarion).

Histoire de Vichy, Robert A r o n (Fayard, 1954).

Les principaux renseignements sont dus à des documents inédits que M m e la maréchale de Lattre de Tassigny a bien voulu nous communi- quer et dont nous lui sommes reconnaissants.

Documentation réunie par Y. Garnier-Rizet.

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Références

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