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Comment on devient franc-maçon

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Comment on devient franc-maçon

Cooptation, réseautage : n'entre pas qui veut en maçonnerie. S'ils sont plusieurs milliers à vouloir franchir le pas chaque année, la sélection est semée

d'embûches. Enquête sur les procédures d'admission et le monde secret de

l'initiation.

Par Vincent Nouzille

Publié le 10/10/2014 à 11:53

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«Nous approchons plutôt des quadragénaires, des gens déjà installés professionnellement et familialement, dont on sent

qu'ils se posent des questions sur eux-mêmes ou sur leur rôle dans la société», confirme un haut gradé du GODF

Moura / Alpaca / Andia.fr

Un jour, mon frère m'a avoué qu'il était franc-maçon et m'a demandé si cela

m'intéressait. Je cherchais une nouvelle forme d'engagement. J'ai pris le temps de réfléchir, avant d'envoyer un courrier au Grand Orient de France, qui m'a ensuite

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mis en relation avec une personne que j'ai rencontrée dans un café.» Michel, 40 ans, cadre administratif dans un collège de la région de Troyes, parle ainsi de son

premier contact avec la franc-maçonnerie.

En quelques mois, lui qui se définit

comme «athée» a été accepté dans cette

«société secrète», où il fait actuellement ses premiers pas comme «apprenti». «Je m'y sens bien, avec une vraie

communauté de valeurs», dit-il. Il

apprécie aussi le secret d'appartenance, qui lui permet d'être un frère sans le dire ouvertement à ses proches. De son côté, Yann, fonctionnaire dans un service de protection de la jeunesse en Poitou-

Charentes, a été démarché par son

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supérieur hiérarchique. «Il m'a dit que j'étais presque un franc-maçon sans le savoir. Cela m'a intrigué!» confie ce

membre du Grand Orient de France, dont l'épouse a également été initiée dans une loge mixte d'une autre obédience, Le

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Une hausse des effectifs

d'environ 10 % en cinq ans

Comme Michel et Yann, des milliers de profanes sont ainsi approchés chaque année par des francs-maçons de leur entourage. Et certains frappent

spontanément à la porte des temples

pour y être initiés. Résultat: en dépit d'une image un peu désuète, la franc-

maçonnerie française n'a jamais compté autant de membres, avec 175.000 frères et sœurs répartis dans une vingtaine

d'obédiences, soit une hausse des

effectifs d'environ 10 % en cinq ans. Ce qui les attire? «Un besoin de sociabilité dans une société individualiste, un

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ensemble de rites qui structurent la réflexion, et la recherche de réseaux, même s'ils risquent d'être déçus en la matière car la franc-maçonnerie a perdu beaucoup de son influence», estime

Roger Dachez, historien et auteur,

notamment, d'une Histoire de la franc- maçonnerie française (PUF). Le Grand Orient de France (GODF), la première obédience française (50.000 membres), accueille ainsi quelque 3000 nouveaux initiés chaque année. Son grand maître, Daniel Keller, un normalien, énarque et chef d'entreprise de 55 ans, se souvient avoir été marqué dans sa jeunesse par l'engagement maçonnique d'un parent, avant de franchir le pas il y a dix-neuf

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ans. «C'était pour moi une forme de conscience citoyenne, un engagement

politique au sens noble du mot», explique ce sympathisant de gauche, qui n'a

jamais été encarté.

Aujourd'hui, il récuse tout prosélytisme

trop voyant: «Nous cherchons simplement à renouveler notre organisation», précise- t-il. Cependant, le grand maître passe une partie de son temps à faire connaître les idées - «laïques et républicaines», dit-il - du GODF auprès d'un public de plus en plus jeune. «Je suis allé rencontrer les étudiants de Sciences-Po à Lille ou ceux de l'école de commerce de Pau. J'y vais pour démythifier la franc-maçonnerie,

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expliquer que nous ne sommes pas une secte, mais une société de pensée de liberté et qu'on n'y entre pas pour faire carrière.» Ancien grand maître de la

même obédience, le criminologue Alain Bauer, ex-militant socialiste, se rappelle pour sa part avoir été attiré par «cette

étrange association où l'on pouvait parler sans être interrompu». «Un jour, j'ai visité le petit musée du Grand Orient, rue

Cadet, et j'ai décidé de me présenter tout seul», explique-t-il.

Un sésame officieux

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Une «tenue» est une réunion de francs-maçons. Ici au temple du Grand Orient de France, à Lyon. Eric

Soudan/ALPACA/Andia

Néanmoins, en dépit des affirmations officielles, le pouvoir présumé des

réseaux maçonniques demeure un aimant puissant. Car, dans certaines

administrations et grandes entreprises, des banques du secteur mutualiste à

EDF, le fait d'être franc-maçon constitue un sésame officieux. «Cela peut servir à

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des tas de choses y compris pour la carrière», a reconnu publiquement sur France 3 un représentant du syndicat de police Alliance, dans le Nord. Dans son ouvrage J'étais franc-maçon (Salvator, 2014), l'ancien médecin Maurice Caillet raconte que pour être promu au sein de la Sécurité sociale, il valait mieux être frère et adhérer au syndicat Force ouvrière.

«On m'a laissé entendre que mon appartenance à la franc-maçonnerie pourrait faciliter mon intégration et cela m'a un peu surpris», confie un ancien

militaire, qui a postulé pour entrer dans un service de la DGSE, il y a une quinzaine d'années. Les profanes, eux, sont exclus de ces jeux d'influences souterraines, qui

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peuvent se traduire par des promotions

bloquées, voire des évictions. «J'ai fini par comprendre que mon licenciement brutal était lié au souhait de la nouvelle

direction, très franc-maçonne, de placer un des leurs», témoigne ainsi Claire,

éjectée il y a quelques années d'un poste clé dans une banque mutualiste.

« Nous cherchons une plus grande diversité de profils, mais la cooptation ne la

facilite pas naturellement »

Grand Orient de France

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Mais n'entre pas qui veut en maçonnerie.

La cooptation est la règle de base. Elle conforte l'endogamie, le côté «réunion de notables» que nombre de loges de

province continuent de préserver

jalousement, afin de rester «entre soi».

«Nous cherchons une plus grande

diversité de profils, mais la cooptation ne la facilite pas naturellement», admet-on au GODF. Les recrutements d'artisans ou d'ouvriers sont rares. «C'est un ami forain franc-maçon qui m'a incité à le devenir », témoigne l'un d'entre eux, Frédéric,

boulanger dans l'Aube, initié il y a neuf mois.

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La plupart des recrues sont plutôt des fonctionnaires et des membres des

professions intellectuelles, déjà fortement représentés dans les loges. La fonction publique, les professions libérales et les militants syndicaux ou politiques, souvent désillusionnés par leur engagement,

demeurent des viviers de choix. «On m'a introduit dans un atelier à Marseille où il n'y avait presque que des hommes de loi et des élus. Je ne me sentais pas très

dépaysé», s'amuse un édile de la ville, lui- même avocat au barreau et ancien adjoint au maire. Le penchant endogamique va même plus loin. Les francs-maçons ont toujours aimé recruter des enfants de maçons. Patrice Hernu, fils de l'ancien

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ministre socialiste de la Défense Charles Hernu, franc-maçon notoire, l'a vécu très tôt: «Je suis tombé dedans quand j'étais petit, se souvient-il. J'ai été reçu à 6 ans pour une cérémonie spéciale dédiée aux enfants de maçons dans une loge de

Saint-Germain-en-Laye, ce qui m'a donné le droit d'entrer directement dans une loge quand j'en ai exprimé l'envie, bien plus

tard.» Poussé par des «frères» amis de son père, tels le dentiste Guy Penne,

l'avocat Roland Dumas ou le grand maître Fred Zeller, Patrice Hernu a vite grimpé les échelles dans la maçonnerie du

GODF, qu'il juge «très politisée», avant de passer par la Grande Loge nationale

française (GLNF) puis de se réfugier dans

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la plus discrète Grande Loge des cultures et des spiritualités. Son parcours lui

inspire ce jugement: «La franc-

maçonnerie est restée trop enfermée sur elle-même et ses méthodes de

recrutement sont un peu dépassées.» Un avis que nuance Alain Bauer: «Au début, on trouve toujours ce processus un peu lourd et poussiéreux ; puis, le temps

passant, on lui trouve beaucoup de qualités. Mais il faudrait sans doute trouver un espace pour accueillir les moins de 40 ans.»

Une course d'obstacles

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Il est vrai que le chemin vers l'initiation a des allures de course d'obstacles, qui limite les intrus et freine l'ouverture. De quoi décourager même des candidats motivés. Curieusement, la France fait figure d'exception au sein de la

maçonnerie mondiale, qui compte près de 5 millions d'adeptes: «Dans les pays

anglo-saxons comme l'Angleterre ou les Etats-Unis, l'admission est restée très simple, comme au début de la franc-

maçonnerie aux XVIIe et XVIIIe siècles. Il suffit qu'un membre introduise le candidat dans la loge et qu'un comité de sages le valide. La loge demande au parrain s'il répond de l'impétrant, lequel peut être ensuite initié le mois suivant,

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pratiquement à visage découvert»,

explique Roger Dachez. Rien de tel en France, où les frères ont cultivé l'art du secret et de la complication. Au XIXe

siècle, craignant d'être infiltrées par des partisans cléricaux, assimilés alors aux ennemis de la République, les principales obédiences françaises ont édicté des

règles strictes pour filtrer les candidats et renforcer la discrétion. Depuis lors, les procédures, qui durent entre six mois et un an, sont restées un brin mystérieuses et semées d'embûches.

Première étape : le

recrutement

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La plupart du temps, ce sont les frères qui prennent discrètement langue avec des profanes qu'ils estiment proches de leurs idées ou intéressés par la démarche

initiatique. «On est choisi plus qu'on ne choisit», résume un expert. Les

recrutements commencent généralement à partir de 35-40 ans. Les loges se

méfient des initiés trop jeunes, dont

«l'assiduité n'est pas toujours très

bonne», selon Magali Aimé, auteur du livre Entrer en maçonnerie: quel profil?

(Dervy). «Nous approchons plutôt des quadragénaires, des gens déjà installés professionnellement et familialement, dont on sent qu'ils se posent des

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questions sur eux-mêmes ou sur leur rôle dans la société», confirme un haut gradé du GODF, où l'âge moyen des entrants est de 45 ans, en légère hausse. Si la personne repérée émet le souhait d'aller plus loin, elle est mise en relation avec un responsable d'une loge près de son

domicile.

Ces dernières années, la Grande Loge nationale française (GLNF), obédience la plus spiritualiste, a été beaucoup plus

conquérante: ses dirigeants voulant

absolument piloter la première obédience française et gagner en influence, ils se

sont mis à recruter à tout-va, en ciblant les milieux socioprofessionnels aisés et

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les élites, ce qui a alimenté des soupçons de collusion et d'affairisme. «Cette course à la taille, dérisoire et consternante, s'est mal terminée, avec une grave crise

interne», déplore Roger Dachez. Depuis 2011, la GLNF a perdu, en effet, la moitié de ses effectifs, qui sont retombés à

25.000 membres. Plus prudentes, les autres obédiences jouent la carte d'un recrutement contrôlé. «De toute façon, nous ne pouvons pas grossir trop vite.

Nos murs ne sont pas extensibles et nos loges ne peuvent pas accueillir trop

d'apprentis en même temps», avance un responsable du Droit humain, obédience mixte de 17.000 adhérents.

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Des candidatures spontanées

Pourtant, la pression s'accentue devant les portes des temples. Car des candidats se manifestent désormais directement.

«Beaucoup de personnes intéressées viennent aux Journées européennes du patrimoine, à nos conférences publiques ou aux salons du livre maçonnique.

D'autres écrivent directement sur notre site internet en nous exprimant leur

souhait de nous rejoindre», explique Marc Henry, le grand maître de la Grande Loge de France, la deuxième obédience de

l'Hexagone, dont les effectifs (33.000 frères) progressent de 500 à 1000

membres chaque année. Toutes ces

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candidatures spontanées font l'objet d'un suivi: les profanes sont orientés vers une loge de leur région, pour un premier

rendez-vous discret avec un gradé,

souvent le responsable de la loge, appelé Vénérable. Principale question posée: le profane est-il prêt, selon le jargon

maçonnique, à «travailler sur soi, tailler sa propre pierre, avant de construire le

temple de l'humanité»? Contrairement à une idée reçue, le fait d'être croyant ne constitue pas un frein à l'entrée, puisque, hormis le très laïc GODF, la plupart des obédiences invoquent un «Grand

Architecte de l'Univers» indéfini, la GLNF parlant même ouvertement de Dieu dans ses travaux. «Selon les motivations du

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candidat, spiritualistes ou sociétales, le Vénérable peut donc conseiller à la

personne d'aller vers l'obédience qui lui correspond le mieux, dit-on à la Grande Loge de France. Sinon, il désigne un frère qui sera le parrain du candidat dans sa

loge.» Ce parrain doit être un «maître», c'est-à-dire un franc-maçon expérimenté, qui a suivi le parcours initiatique

d'apprenti, puis de compagnon avant de devenir maître.

Deuxième étape : les

enquêtes

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Une fois franchi le premier pas, le néophyte doit fournir des éléments

détaillés: une lettre de motivation, des photos, un curriculum vitæ, un extrait de casier judiciaire prouvant qu'il n'a pas été condamné. Le parrain peut apposer son paraphe sur ces documents, qui sont

présentés et lus dans la loge, afin qu'elle émette un premier avis de principe. En général, il s'agit d'une formalité, puisque la candidature a déjà été adoubée par le Vénérable et le parrain. Mais le vote, qui se déroule avec des boules blanches et noires, doit être acquis avec une majorité qualifiée, souvent les trois quarts des

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voix. Il suffit donc qu'un peu plus de 25 % des frères refusent un profane pour qu'il soit «blackboulé».

Passé ce premier scrutin, la liste des candidats est affichée dans la loge quelque temps, afin de susciter

d'éventuelles remarques. Dans la plupart des obédiences, le Vénérable demande surtout à trois membres de la loge de procéder, de manière séparée et

confidentielle, à des interrogatoires du candidat. «Cela a duré des mois. On m'a juste prévenu que trois personnes me

contacteraient pour me poser des

questions. Je les ai vues dans des lieux différents, près de mon travail, dans un

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bar et à mon domicile. Franchement, je ne savais pas toujours quoi répondre et il était très difficile de savoir ce qu'elles

pensaient vraiment de moi», raconte Marc, un enseignant parisien.

«Libre et de bonnes mœurs»

Selon les textes maçonniques fondateurs du XVIIIe siècle, il s'agit de vérifier que le candidat est «libre et de bonnes mœurs», autrement dit qu'il agit de sa propre

volonté, sans être inféodé à une idéologie totalitaire, tout en étant un homme

d'honneur et de probité. Aujourd'hui, les questions de ces enquêteurs spéciaux portent sur le parcours personnel,

professionnel et spirituel des candidats,

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ainsi que sur leurs valeurs et leurs

opinions politiques. «C'est une mise à nu, assez intrusive, et c'est normal que cela le soit», estime l'avocat et écrivain

Emmanuel Pierrat, Vénérable d'une loge du GODF, entré en maçonnerie il y a vingt ans. «Il s'agit juste de vérifier la sincérité des gens et d'éviter des infiltrations de mouvements extrémistes prônant la

discrimination», précise Daniel Keller, le grand maître du GODF. Dans cette

obédience, comme dans la plupart des autres, l'appartenance au Front national ou l'expression d'idées racistes

conduisent immédiatement à des veto.

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En réalité, cette phase d'interrogatoire est déterminante, puisque les trois

enquêteurs rédigent chacun leur rapport.

«La première fois, j'ai été refusée parce que je n'avais pas réussi à les convaincre de mes motivations», confie Elodie, une quadragénaire fonctionnaire dans une collectivité locale en Alsace, qui a été blackboulée à la Grande Loge féminine de France, avant d'être admise quelques années plus tard au GODF, désormais

mixte. «Durant ces entretiens, j'ai compris que je ne pouvais pas tricher, car tous

mes propos seraient conservés», ajoute Denis, un informaticien de 55 ans, initié il y a vingt-trois ans. Les rapports sont

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effectivement lus au sein de la loge, qui se prononce à nouveau, par un deuxième vote, sur la poursuite de la démarche.

Troisième étape : le grand oral

Après des mois d'attente et deux votes, le candidat est convié à une étrange

épreuve qui s'appelle le «passage sous le bandeau». Le profane doit se rendre les yeux bandés dans un lieu qui lui est

inconnu pour répondre aux questions

d'une assemblée de francs-maçons qu'il ne voit pas. Le bandeau symbolise «l'état

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d'aveuglement dans lequel est plongé le candidat, et sert aussi à empêcher celui-ci de voir le temple et ses assistants, par

souci de discrétion et de protection», décrypte Irène Mainguy, dans son

ouvrage La Symbolique maçonnique du troisième millénaire (Dervy, 2001). «C'est théâtral et impressionnant, parce qu'on ne sait pas où l'on est, ni qui parle», admet Denis, qui se souvient avoir eu

l'impression d'être questionné dans une très grande salle. Cette épreuve orale, qui dure entre trente et soixante minutes,

porte sur les motivations du candidat, mais aussi sur ses lectures, ou ses

opinions, que ce soit sur l'euthanasie, la procréation médicalement assistée,

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l'immigration ou la politique. «On m'a même demandé pourquoi j'aimais lire Sade», se rappelle un initié, un peu

choqué. «Je redoutais ce moment, mais cela n'a rien à voir avec un grand oral de l'ENA. Il suffit d'être sincère», nuance

Yann. «En fait, il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses. Tout est basé sur la confiance. Nous ne sommes pas la police judiciaire», plaide Marc Henry, de la Grande Loge de France. Pourtant, les

sujets abordés ont de quoi désarçonner des profanes peu habitués à parler en public, et encore moins dans le noir!

«C'est finalement une épreuve

socialement très discriminante. Car les

gens simples n'ont pas toujours la repartie

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ni l'aisance souhaitée», confie un habitué.

Après ce passage sous le bandeau, la loge se prononce à nouveau sur la

candidature. Si les boules blanches sont ultra-majoritaires, l'impétrant est enfin

accepté. Il peut alors être initié. «A

l'arrivée, 85 % des candidats sont admis, ce n'est donc pas très sélectif», tient à préciser Daniel Keller.

Les recalés ont le droit de retenter leur chance

Mais qu'arrive-t-il aux candidats recalés?

Un petit mystère plane sur le sujet.

Officiellement, à moins d'un veto définitif, un profane retoqué dans une loge peut

théoriquement postuler une deuxième fois

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un peu plus tard, ou tenter sa chance

dans une autre obédience. Cependant, il doit mentionner tout son parcours. S'il

l'omet, son «cas» risque de toute façon d'être repéré. Car les obédiences

échangent parfois discrètement des renseignements sur des personnes

blackboulées. «Si quelqu'un a été refusé quelque part pour un motif sérieux, il n'est pas inutile que nous partagions

l'information. Ces échanges se pratiquent ainsi de manière informelle entre les

différentes obédiences», révèle un haut gradé de la Grande Loge de France. Seul problème: ces discussions peuvent

inclure des renseignements personnels sur les candidats, qui ne sont pas

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forcément au courant de ces pratiques.

Interrogé sur le sujet, le grand maître du GODF, Daniel Keller, dément l'existence d'un «fichier des blackboulés». «En

revanche, nous échangeons bien avec les autres obédiences, dans le cadre de ce qu'on appelle des “observations

fraternelles”, des informations sur les frères qui ont été radiés de nos rangs, pour divers motifs», avance-t-il.

Quatrième étape : la

cérémonie de l'initiation

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Elle varie selon les rites pratiqués. Très codifié, ce passage du profane «vers la lumière» débute par un enfermement

dans une petite pièce close peinte en noir, appelée cabinet de réflexion, symbole de la mort. Le candidat est invité à méditer seul quelques instants sur son

engagement. Entouré d'une tête de mort, d'une faux, d'un sablier, d'un miroir, d'une bougie, d'une cruche d'eau, d'un morceau de pain, de coupelles de sel, de soufre et de mercure, il doit rédiger son «testament philosophique». «De quelle chair faut-il être pétri pour ne pas reculer devant cet accueil glaçant comme un tiroir de

morgue?» ironise Isabelle Duquesnoy,

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une sœur dépitée de son expérience

maçonnique, qui a raconté son itinéraire dans un Journal insolent.

Puis le futur initié, qui a dû déposer ses

«métaux» (bijoux, montre, clés, argent, téléphone…) au seuil du temple comme geste de dépouillement, franchit ses

portes. Il y pénètre les yeux bandés, une corde autour du cou ou les mains

enchaînées, la chemise entrouverte, un pan de pantalon remonté et une

chaussure en moins, en avançant les pieds en équerre. Une manière de

signifier au profane sa fragilité et son

asservissement. «Il a besoin d'être guidé pour avancer. Dans les ténèbres, il

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recherche la lumière», analyse Irène Mainguy. Après avoir subi de nouvelles questions, le néophyte doit avaler une eau amère, «breuvage d'amertume», jusqu'à la lie, faire des «voyages»

ponctués d'épreuves «purificatrices»

symbolisant les éléments (air, eau, feu), écouter l'énumération de ses devoirs, avant de prêter serment. Ce pacte

comporte un engagement de solidarité

avec les frères ainsi qu'un respect total du secret sur ce qui se passe en loge. En

cas de manquement, les sanctions

prévues sont terribles: «Je préférerais avoir la gorge coupée plutôt que de

révéler les secrets qui m'ont été confiés»

ou «si je deviens parjure, je consens à

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avoir la gorge tranchée». Les textes anciens parlent aussi de langue

arrachée… Même si cela reste théorique, ce sont autant de signes de l'inviolabilité des secrets.

Une fois ces serments prononcés, le nouvel initié peut enlever son bandeau, ce qui symbolise sa nouvelle naissance au milieu des autres maçons. Ceux-ci

l'acclament avec des applaudissements et des mots comme «Houzzé», «Vivat», ou

«Liberté, Egalité, Fraternité». On lui révèle quelques secrets, comme les

gestes de reconnaissance, ainsi que des mots sacrés et des mots de passe pour les apprentis: Jakin et Boaz, noms des

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deux colonnes d'entrée du mythique temple de Salomon. Commence alors l'apprentissage, qui dure généralement une année, durant laquelle le jeune franc- maçon est prié de se taire. «C'est une

bonne chose, cela permet d'apprendre et d'écouter», juge Michel, en cours

d'apprentissage au GODF. Le droit à la parole revient quand on accède au grade de compagnon, puis de maître. Pour les bavards, les mécontents et les déçus, une issue demeure ouverte: le départ. «C'est compliqué d'entrer en maçonnerie, mais facile d'en sortir. Il suffit d'envoyer une lettre de démission», assure un habitué des temples. Mais on reste initié toute sa vie…

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