EFFET D’UNE SÉLECTION AVEC TRONCATURE SUR DES GÈNES
«IMPORTANTS » OU NON :
QUELQUES ILLUSTRATIONS NUMÉRIQUES
BASÉES SUR DES RELATIONS APPROXIMATIVES DANS LA LOI NORMALE
P. MÉRAT
Laboratoire de Génétique factorielle,
Centre national de Recherches zootechniques, I. N. R. A., 78 - Jouy-en-Josas
RÉSUMÉ
Faisant suite à un article antérieur (MÉRAT, i969), nous avons voulu préciser numériquement
les cas où la réponse d’un gène à effet important (« majeur ») vis-à-vis d’une sélection avec tron- cature sur un caractère quantitatif diffère réellement de celle d’un gène à petit effet (« polygène ») : fréquence d’équilibre dépendant de l’intensité de sélection dans le cas d’un gène « majeur »
avec « overdominance » ; interaction mutuelle de gènes « majeurs » entre eux et avec les « poly- gènes » résiduels pour l’évolution de leurs fréquences.
En utilisant des relations linéaires approchées dans certains intervalles pour la loi normale,
on précise que ces différences théoriquement prévisibles suivant l’importance de l’effet individuel d’un gène peuvent en première approximation grossière être négligées lorsque les différences entre génotypes au locus « majeur » considéré ne sont pas extrêmes (ne dépassant pas 1 à 1,5
écart-type résiduel) et lorsque, de plus, le pourcentage global d’individus gardés comme repro- ducteurs est au moins égal à 20 ou 30 p. 100, sans excéder 80 à 90 p. 100. En dehors de ces condi- tions, la prévision concernant la fréquence d’un gène « majeur » ne peut plus être assimilée à celle concernant un gène d’effet petit.
INTRODUCTION
Dans un article antérieur
(MÉ RAT , 19 6 9 ),
nous avonssouligné
certaines diffé-rences de
comportement
entregènes
d’effet «important
o ou non vis-à-vis d’une sélection avec troncature sur un caractèrequantitatif.
Enparticulier,
dans les casenvisagés d’équilibre
desfréquences alléliques,
cetéquilibre
nedépend
de l’intensitéde sélection que pour les
gènes
dupremier type.
Nousappellerons
par convention«
majeurs
» ces loci pourlesquels
les différences moyennes entregénotypes
ne sontpas
petites
devantl’écart-type
« résiduel », le terme de «polygènes
»désignant
lesautres loci.
D’autre
part,
cesgènes « majeurs
», lors d’une sélection avecpourcentage global
constant d’individus
gardés
commereproducteurs,
sont nécessairement en inter- actionmutuelle,
ainsiqu’avec
les «polygènes
»résiduels,
pour l’évolution de leursfréquences. Réciproquement,
l’intensité de la sélection exercée sur lesgènes
« rési-duels » est modifiée par la
présence
d’uneségrégation
pour ungène
«majeur
».Il est souhaitable de
préciser davantage jusqu’à quel point
et dansquelles
conditions
(pression
desélection, importance
de l’effet moyen d’ungène
relative-ment à la variance
résiduelle...)
ces différences établiesthéoriquement
entregènes
à effet individuel
appréciable
etgènes
àpetit
effet revêtent uneimportance pratique
réelle.
I
. -
FRÉQUENCE D’ÉQUILIBRE
POUR UN LOCUSAVEC « OVERDOMINANCE » :
: DEPENDANCE
OU NONVIS-A-VIS DU POURCENTAGE DE
GARDÉS
a)
Pour mieux circonscrire cesconditions,
nous nous aiderons de relations linéairesapproximatives
obtenuesempiriquement
dans la loi normale.Dans une distribution normale réduite soumise à une sélection par troncature, soit t l’abscisse du
point
de troncature, v lepourcentage
degardés,
i leur valeur moyenne ou « intensité de sélection »(F AMONER , ig6o).
Plusieurs auteurs ont fait état de relations
algébriques approchées
entre cesvariables : t en fonction de v et de i
(LATTER, ig65),
i en fonction de v(S MI T H , rg6g);
mais la relation la
plus simple, linéaire,
estproposée
par TiKU( 19 6 7 , 19 68)
entrei et t dans des intervalles
d’amplitude
limitée.On
peut
vérifierempiriquement
l’existence d’une relation linéaireapproxima-
tive non seulement dans ce dernier cas, mais entre les trois variables
prises
deux àdeux,
pour des intervalles assezlarges
si l’on ne cherche pas uneprécision
extrême.- Entre v et t, la
relation, symétrique
parrapport
aupoint (t
= o, v =0 ,5)
avoisinela linéarité dans l’intervalle 0,3-0,7 pour v
(erreurs
absolues maxima sur v de l’ordre deo,oo5)
ou même0 , 2 - 0 ,8 (erreurs
absolues nedépassant
pas0 , 01 ).
Dans ce derniercas, on
peut
écrire : v - -0 , 37 t
+ 0,50.- Entre i et v, on
peut appliquer
la relation :pour des valeurs non extrêmes de v.
L’approximation
est bonne dans l’intervalle0
,5- 0 ,
9
pourv (erreurs
sur i nedépassant
pas la troisièmedécimale), plus grossière
pour v
compris
entre 0,3 ou même o,2 et o,9.- Entre i et t, la relation
proposée
par TIKU( 19 68)
ne conduit pas à des erreurstrès
grandes
encore pourv compris
entre o,2 eto,8
ou o,g.Pour une
comparaison
entrecomportement
des« gènes majeurs
» et des «poly-
gènes
», il n’est pas nécessaire d’être extrêmementexigeant
sur laqualité
desapproxi-
mations
indiquées ci-dessus,
dès lors que nous voulonssimplement
situer les cas oùce
comportement
diffèrebeaucoup
ou peu. C’est en ce sens que nous pouvons encorenous servir
d’approximations comportant
une erreur absolue de l’ordre de 0,01.b)
Utilisation de ces relations.Nous avons
indiqué (MÉ RAT , 19 6 9 )
que, pour unpourcentage global
fixe vd’individus
gardés
pour lareproduction
dans unegrande population,
lafréquence d’équilibre p o
pour ungène « majeur
» à deux allèles A eta présentant
unesupériorité
de
l’hétérozygote
pour le caractèrequantitatif
sélectionné vérifie les deuxéquations
en
appelant
VAA, etc., lespourcentages
degardés
relatifs àchaque génotype
aulocus A. Cette
fréquence dépend
de l’intensité de sélectionexercée,
alors que, pourun
gène
dont l’effet individuel estpetit
enregard
del’écart-type
résiduelsupposé
constant,
p o
estpratiquement indépendant
de cette intensité.Supposons
que nous soyons dans l’intervalle convenable pourexprimer
linéai-rement chacun des v ci-dessus en fonction de l’abscisse du
point
de troncature dans dans la distributioncorrespondante.
Appelons
t l’écart-réduit dupoint
de troncature pour les Aa. Il luicorrespondra
t
-E-
d pour les AA et t -! d’ pour les aa, d et d’ étantrespectivement
la différence de la valeur moyenne des Aa avec celle des AA et celle des aa.Notons par v - at
+ ! (3 la
relation linéaireapproximative
utilisée.L’équation (z)
deviendra
On obtient
ainsi,
ycompris
pour ungène
d’effet relativementimportant,
c’est-à-dire pour des valeurs
appréciables
de d etd’,
unefréquence d’équilibre
à peuprès
constante,indépendante
de l’intensité de sélection.L’influence
de cette dernière ne sera donc vraiment sensible quelorsque
l’unou l’autre des
pourcentages
degardés
relatifs aux diversgénotypes
seratrop
extrême- grosso modo hors de l’intervalle 20 p. 100-80 p. 100- pour
permettre l’approxi-
mation linéaire
employée.
Ceci seproduira,
soit si l’intensité de sélectionglobale
est très élevée ou très
faible,
soit si les différences moyennes entregénotypes
sonttrop importantes, exprimées
enécart-type
résiduel(supérieures
à l ou 1,5 pourfixer les
idées).
Numériquement,
ces considérations se vérifient dans le tableau i de notre articleprécédent (MÉ RAT , i 9 6 9 ).
Dansquatre
situationsenvisagées
pour les valeurs de d etd’,
lafréquence d’équilibre fi o = d + d , d’ qui correspondrait
au cas « poly- génique » (d
et d’ petits,
mais dans le même rapport)
est respectivement
0,750,
0,857, 0,857
et 0 ,66 7 .
On vérifie qu’on
ne s’en écarte de façon importante,
pour
d et
d’ ayant
des valeursappréciables,
que pour unpourcentage global
degardés
faible,
inférieur à 20-30 p. 100. Ce sera seulement dans ces cas que, comme nous l’avonssignalé,
la variance « additive » associée au locus enquestion
restera sensi-blement différente de zéro à
l’équilibre,
etqu’une
intensification de la sélection pourra diminuer la moyenned’équilibre.
On
montrerait,
demême,
que, pour ungène
«majeur
» influant sur lavariance,
l’intensité de sélection n’influe pas sur les
fréquences d’équilibre possibles,
de mêmeque pour un
gène
àpetit effet,
si les vpeuvent s’exprimer
linéairement en fonction des t.D’une
façon plus générale,
onpeut conjecturer
quel’interdépendance « obligée
»de
gènes
«majeurs
» non allèles dans leurréponse
à la sélection(MÉ RAT , ig6g)
nesera réellement à considérer que dans les conditions où les
approximations
linéaires ci-dessus nepeuvent s’appliquer.
On
pourrait
aboutir aux mêmes conclusions defaçon indirecte,
en considérantAp,
variation de lafréquence
de A d’unegénération
à la suivante. Pour ungène
à effet
important, O P s’exprime
en fonctionde !
et despourcentages
degardés
vna, etc. danschaque génotype.
Si l’onpeut appliquer l’approximation
linéairev rr ai -!
b,
on en tirel’expression
deA
en fonctionde !
et des intensités de sélec- tioni AA ,
etc., et vérifie que l’on retombeapproximativement
sur la formule utilisée dans le caspolygénique.
II. - EFFET DE LA
SÉLECTION
SUR LES «POL YGÈNES
»COMPARÉE
ENL’ABSENCE
OU ENPRÉSENCE D’UNE SÉGRÉGATION
POUR UN
GÈNE MAJEUR
Nous ferons cette
comparaison
àpourcentage
degardés
végal.
A v
correspond,
en l’absence deségrégation
pour ungène majeur,
une intensitéde sélection
i,
écart entre moyenne desgardés
et moyennegénérale.
En
présence
d’uneségrégation
pour ungène « majeur
» à deux allèlesA,
a donnant troisphénotypes distincts,
on a, pour un même vglobal :
en
appelant !
lafréquence
dugène,
VA A, etc.. lespourcentages
degardés
pourchaque génotype
au locus A.Soit i’ l’intensité
globale
de sélection sur les «polygènes
» dans cette situation.En
appelant i A n,
etc. les intensités« partielles
» de sélection sur cespolygènes
dansles distributions des individus
AA, etc.., i’
sera défini parL’utilisation de
l’approximation
linéaire des v en fonction des i montrequ’en général i’
est différent de i(alors
que dans les mêmes conditions concernant les intensités de sélection on vérifie que i ! i’ si la sélection est faite àpoint
de tron-cature
fixe).
On vérifie sur des
exemples numériques
que laprésence
d’uneségrégation
àun locus «
majeur » peut
diminuer defaçon
assezimportante,
dans certains cas, l’intensité de sélection sur les autresgènes.
Ainsi,
prenonsl’exemple simple
du maintien d’unpolymorphisme
au locus Aavec
supériorité
moyenne del’hétérozygote
Aa etégalité
des moyennes des deuxgénotypes
AA et aa. Al’équilibre,
lapopulation
se compose enproportion égale
de deux
distributions,
celle deshétérozygotes,
celle deshomozygotes
des deuxgéno- types.
I,e tableau suivant donne l’intensité de sélection
comparée
sur les« polygènes
»dans la
population
enquestion
et dans unepopulation
sansségrégation
pour A et de même variancerésiduelle, lorsque
la différence moyenne d entre leshétérozygotes
Aa et les
homozygotes
AA ou aa estégale
à i ou à 2écarts-types
des distributions résiduelles.On voit que la diminution d’intensité de la sélection «
polygénique
», sensiblemais encore limitée pour une différence d’un
écart-type
entregénotypes
au locus« majeur
»,peut
être d’un tiers à presque moitiélorsque
cette différence atteint deuxécarts-types.
Ainsi,
le maintien d’unéquilibre
desfréquences géniques
pour ungène
à effetimportant, qui correspond déjà
par lui-même au maintien d’une variabilitégéné- tique
« non sélectionnable» ; peut
ausurplus
« freiner » defaçon appréciable
la sélec-tion aux autres
loci,
diminuant encore d’autant laréponse possible
à cette sélection.CONCLUSION
Concernant la
dépendance
de lafréquence d’équilibre
vis-à-vis de l’intensité de sélection pour ungène
d’effetimportant présentant
unesupériorité
de l’hétéro-zygote
dans unegrande population
enpanmixie,
la relationapproximative
utiliséemontre que cette
dépendance peut
êtrepratiquement négligée lorsque
les diffé-rences entre
génotypes
au locus considéré ne sont pas extrêmes(ne dépassant
pasI ou 1,5
écart-type résiduel)
etlorsque
deplus,
lepourcentage global
d’individusgardés
commereproducteurs
a une valeur d’au moins 20ou 30 p. 100, sans excéder 80à go p. 100. En dehors de ces
conditions,
nos conclusions antérieures sur le compor- tementparticulier
desgènes
«majeurs » peuvent
avoir uneportée pratique.
Le deuxième
point
illustrénumériquement
montre la mesure nonnégligeable
dans
laquelle
l’intensité de sélection sur la variabilitégénétique
résiduellepeut
êtrediminuée
lorsqu’une ségrégation
est maintenue pour ungène majeur.
Cela confirme dans des cas
précis
le rôlespécial pouvant
êtrejoué
en sélectionpar la
présence
degènes
à effetimportant.
Reçu pour publication en aoilt 1971.
SUMMARY
EFFECT OF A TRUNCATION SELECTION ON GENES WITH OR WITHOUT « LARGE &dquo; EFFECT : I SOME NUMERICAL EXAMPLES BASED ON APPROXIMATE RELATIONS
IN THE NORMAL DISTRIBUTION
Following a previous paper (MTRAT, ig6g), we attempted to specify numerically the cases
when the response of a large effect (« major ») gene to truncation selection on a quantitative
trait differs from that of a small effect gene (·c polygene ») : Equilibrium frequency depending
on selection intensity in the case of a « major » gene with overdominance ; mutual interaction of « major genes &dquo; with each other and with the residual « polygenes » for the evolution of their
frequencies.
Making use of approximate linear relationships in certain intervals for the normal distribu- tion, it is specified that these theoretically anticipated differences depending on the magnitude
of the individual effect of a gene may be neglected as a very rough approximation when differences between genotypes at the « major n locus considered are not too large (inferior to 1-1,5 residual standard deviation) and when the overall percentage of selected individuals is superior to 20-
3
o p. 100without exceeding 80-go p. 100. Outside this set of conditions, the expectation for
the frequency of a « major gene can no more be assimilated to that concerning a small effect gene.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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I. Changes in gene frequency at an additive locus. Aust. J. Biol. Sci., 18, 585-598.
MÉ
RAT P., 1969. Rôle de l’intensité d’une sélection artificielle en présence de gènes à effet individuel
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