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Academic year: 2022

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Sujet de dissertation :

«

Je t’aime !

».

Que les amoureux peinent à trouver des mots suffisants et adéquats pour exprimer leur passion amoureuse, ceci relève indéniablement d’un topo. Mais, un autre topo se dresse devant eux lorsqu’ils profèrent le célèbre « Je t’aime ». Cette formule typiquement française et habituellement scandée par les chanteurs, poètes, entre autres, requière une importance particulière afin de sonder ses secrets ainsi que ses limites. En effet, cette phrase brève apparait comme la formule idoine par laquelle un amoureux témoigne sincèrement, semble-t-il, de la passion qu’il a envers son amant. Elle se distingue par cette particularité de mettre en fonctionnement, en vie et à l’exécution le verbe principal donné cette année comme thème à étudier. En embrassant dans ce moule grammatical tous les ingrédients d’un amour fusionnel,

« je t’aime » est souvent reçue comme ayant un effet performatif selon quoi la parole traduit et concrétise des actes. Toutefois, cette formule ne doit pas leurrer d’autant plus qu’à force de la répéter à tort et à travers elle se trouve laminée : elle inspire de la méfiance car grevée d’effets rhétoriques, de sous-entendus nocifs qui tuent l’amour au lieu de le sublimer. Serait-il alors possible de discréditer une expression souvent donnée comme porteuse du sceau de la sincérité et de la passion romantique ? Le « je t’aime », passé au crible de l’analyse linguistique et littéraire, garde-il tout son charme et sa magie malgré tous les usages banalisants et stéréotypés? Pour ce faire, il importe d’abord d’explorer la teneur qui fait de l’expression la meilleure formule cristallisant le sentiment d’aimer. Ensuite, il convient d’interroger les limites de cette formule devenue un simple cliché susceptible de tuer l’amour. C’est pourquoi il faudra plutôt placer le « je t’aime » dans sa dimension poétique capable de ressortir toute sa magie inépuisable.

En réalité, « je t’aime » s’avère être une expression incontournable pour les amoureux, laquelle expression concentre les mots et les effets d’une déclaration sans fard d’amour tendre et profond.

A en croire les statistiques relevées à l’occasion de la Fête de La Francophonie, « je t’aime » vient en tête comme l’expression la plus utilisée dans le monde par les non- francophones dans le contexte de la déclaration d’amour. Cette expression, des plus habituelles, s’impose aux locuteurs comme une expression universelle véhiculant les traits de l’amour les plus profonds et les plus transparents sans besoin de traduction. Tout amoureux s’y reconnait alors comme une devise commune ou comme une maxime a-temporelle à partir de ce que promet le jeu des pronoms personnels : le « je » et le « te » sont permutables et applicables sciemment à chacun. D’ailleurs, le présent dans « je t’aime », à valeur gnomique, traverse les temps et installe la déclaration d’amour dans un temps soustrait aux limites et à la finitude.

Chaque amoureux (amis, parents…) a le droit d’en user inlassablement sous tous les cieux, le « e t’aime » devient alors un signifié universel, indéfiniment humain qui écrase les frontières locales, culturelles, grammaticales.

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A cette universalité s’ajoute également l’ampleur significative accordée par la cohérence de « je t’aime » par rapport à la nature du sentiment d’aimer. En fait, cette formule aussi laconique et limpide concentre tous les traits d’amour parfait et profond. A ce propos, Roland Barthes fournit, dans Fragments de discours amoureux des éléments d’analyse intéressants : « Je t’aime » dévoile ce que ce sentiment de fusion et d’union doit établir : la proximité ou fusion entre les deux pôles que rien ne sépare ici ! Ce rapprochement qui frise l’accouplement se réalise davantage quand la formule se prononce « jt’aime », au grand bonheur des couples fusionnels qui constituent ainsi sujet/objet unifiés dans une seule syllabe.

Mieux encore, Barthes révèle par là une réalisation de l’amour avant l’amour d’autant plus que l’accent est mis d’abord sur le sujet et COD « te » mis en avant de mentionner l’amour. La soudure s’effectue donc sans attendre que l’amour s’installe comme couronnement. A la suite d’André Breton pour qui « les mots font l’amour », les deux pôles « je » et « te » s’accouplent immédiatement avant de mentionner l’amour. Le mythe de l’Androgyne trouve alors dans cette formule son incarnation parfaite traduite sur le plan grammatical et linguistique.

Par conséquent et par cette signification, « je t’aime » joint l’acte à la parole. Il y a justement dans cette phrase un pouvoir performatif : c’est-à-dire qu’en la prononçant l’amoureux locuteur agit, s’exécute et fait un acte. Dans ce sens, « je t’aime » fonctionne comme une pleine prise de décision ou action capable de bouleverser une situation jusqu’ici calme, de dénouer une autre imbriquée qui attend une issue, scelle des destins ou introduit des catastrophes. Les cinéastes et dramaturges entourent le moment de proférer cette phrase d’une aura et d’effet particuliers : il ressemble au moment d’une gifle, d’une apparition féérique ou ayant l’effet d’une bombe, c’est pourquoi souvent des arrêts sur image, du silence ou autres effets sont mis en œuvre pour donner au lecteur/spectateur comme pour les protagonistes le moment de savourer, de méditer un moment locutoire lourd de conséquence. En somme, le temps semble se figer lorsque « je t’aime » est proclamée pour imprégner les esprits car « je t’aime » devient non une phrase, des mots, mais plutôt un véritable « évènement » tel un miracle, un exploit, une naissance ou accident…

Vu ainsi à travers sa structure et sa signification, « je t’aime » embrasse tous les aspects de l’aveu et des traits de l’amour. Cependant, n’y aurait-il pas dans le « je t’aime » inlassablement ressassé des traces du cliché rébarbatif, insignifiant ?

Contrairement à tout effet enchanteur, « je t’aime » ne contient ni mystère ni lustre pour des individus lassés par des clichés et des rhétoriques de pacotille.

En réalité, il s’agit essentiellement d’une suite de mots décontextualisés, sans accent particulier, ce que les bouches peuvent mâcher facilement sans qu’elle traduise un signifiant ou charge émotionnelle particulière. A force de la répéter, disait encore Roland Barthes, « passé le premier aveu, « je t’aime » ne veut plus rien dire (…) Je le répète hors de toute pertinence; il sort du langage, il divague, où? ». Tout sens ou charme semblent voler en éclat car la répétition, hostile à l’originalité, finit par laminer la portée romantique et l’aveu intrinsèque à cette expression. Les amoureux (surtout les modernes souffrant de carences linguistiques, d’inventivité) se trouvent alors devant une impasse : par quelle autre formule confesser son

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esprits ? La présence obsessionnelle de ce « je t’aime » réduit à néant les tentatives de la substituer et élimine toute envie de créativité. Paul Valéry résume cette situation à sa façon : « Amour - Aimer - c'est imiter. On l'apprend. Les mots, les actes, les «sentiments» mêmes sont appris. - Rôle des livres et des poèmes. L'amour original doit être rarissime ». Autrement dit, cette expression, largement utilisée et donc banalisée, réitère les clichés linguistiques et rhétoriques employés sans réel effet, ni empreinte intime et sincère. Elle s’inscrit dans la littérature livresque, dans les manœuvres de séductions éculées qui servent plus à tromper, à « séduire » au premier sens du verbe, plus qu’à avouer.

« Je t’aime » ne se métamorphose-t-il pas en « banal stratagème ? C’est justement ce qu’affirme Nicolas Grimaldi dans les Métamorphoses de l’amour. Cette expression s’entend aujourd’hui sans aucun charme d’autant plus que son usage fréquent lui enlève son caractère surprenant comme le souhaitaient les galants, les précieuses ou les rhéteurs. Elle véhicule alors le contraire de ce qu’elle doit confesser. L’analyse littéraire s’ouvre ici sur des interprétations susceptibles de décevoir ceux/celles qui espérer l’entendre un jour. Par la pronominalisation du COD qui se trouve élidé et « écrasé » au milieu de l’expression, l’objet d’amour se réduit au minima, se rétrécit forcément pour permettre aux deux pôles centraux de s’imposer « Je » et « aimer ». Roland Barthes, en fin limier du langage, livre une sentence lancinante à ce propos : « Annulation: Bouffée de langage au cours de laquelle le sujet en vient à annuler l'objet aimé sous le volume de l'amour lui-même: par une perversion proprement amoureuse, c'est l'amour que le sujet aime, non l'objet». Quel statut garde le « te » alors devant cette confession ? La déclaration d’amour par « je t’aime » (l’accent étant surtout mis sur celui qui parle) véhicule les sèmes de la possession, de l’asservissement et de la réification d’autrui, tout ce qu’aimer ne devrait pas, peut-être, dire et signifier pour celui à qui « je t’aime » est adressé. La formule inspire de la méfiance plus qu’autre chose.

Il y a donc lieu de dire que par « je t’aime » le sentiment d’amour se trouve piétiné, banalisé par une expression dont le commun des mortels use pour et dans une intention autre.

Une fois les mots lancés, un champ infini d’interprétation s’ouvre pour ne rien retenir. « Je t’aime » s’emploie comme un simple refrain pour des poètes et simples chanteurs en mal d’inspiration, comme un compliment inscrit dans les usages fréquents à quoi on ne prête aucune attention particulière. Contrairement aux convenances, c’est par « je t’aime » qu’il ne faudra plus exprimer et déclarer sa flamme pour éviter le cliché, voire le ridicule. En réalité, à l’instar de cette expression, il est clair que les mots sont incapables de dire l’amour dans sa complexité et dans son intensité. C’est pourquoi d’autres ajouts doivent accompagner le « je t’aime » pour bien nourrir une situation de communication et pour faire dissiper les insinuations ou les limites du langage. Lara Fabian dans sa célèbre chanson se plait de reprendre la formule en lui donnant à chaque couplet une suite « Je t'aime, je t'aime /Comme un fou, comme un soldat /Comme une star de cinéma/Je t'aime, je t'aime/Comme un loup, comme un roi/Comme un homme que je ne suis pas/Tu vois, je t'aime comme ça ». La reprise du mot révèlerait l’incapacité à fixer un signifiant précis, à délimiter le champ sémantique de la formule qui « part en vrille » avant de se fixer sur une expression une nouvelle fois sans consistance, sur un non-sens : « je t’aime comme ça ».

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A la lumière de cette analyse, « je t’aime » s’avère incapable d’illustrer et de mettre en exergue la passion amoureuse. Alors, en quoi consiste en réalité son charme lui conférant toujours une profonde dimension poétique incontestable ?

Phrase célèbre et ressassée mais jamais tombée en désuétude ! Sans conteste, il y un secret et une magie dans cette formule qui tient à sa dimension symbolique. A force de la répéter, « je t’aime » devient une véritable litanie, invitant les interlocuteurs à s’embarquer dans une sorte de rituel. Le moment et l’ambiance générale qui entourent la déclaration d’amour ressemblent à une expérience mystique poussant le corps et l’esprit à s’élever en psalmodiant cette formule magique devenant une véritable incantation. La magie de « je t’aime

» ne peut alors que s’opérer et se lire dans la gestuelle, dans les yeux, dans les palpitations, dans une communion générale entre l’être et ce qui l’entoure. Le « je t’aime » transfigure alors par son effet incantatoire : les poètes disent qu’il suffit de proférer cette suite simple des mots pour faire de chacun un poète. Remarquons que souvent la déclamation de cette formule se fait sur le mode anaphorique, qu’elle exige une posture et un timbre de la voix, une mise en scène, bref toutes les composantes d’une œuvre artistique. A l’instar de Paul Valéry affirmant que « d’un rien peut naufrager un beau poème », il suffit de dire « Je t’aime » que voilà l’on formule le vers/refrain d’un poème, et par la suite, on s’écarte de la réalité plate vers des étendues infinis.

Par extension, « Je t’aime » gagne en originalité, devient unique à chaque nouvelle utilisation quoique ressassée comme un leitmotiv. La cause en est la nature polysémique du verbe et en qualité du verbe d’action « aimer » qui échappe à une saisie unique et stable. Dans cette phrase atemporelle, « aimer » se mue à chaque fois le verbe est prononcé. « Aimer » couvre alors une infinité de significations et se plait à en accompagner même les plus inattendues. Sa reprise dans les poèmes et dans les chansons de variétés ne lassent pas ni le locuteur ni l’auditeur. Prenons par exemple le poème « je t’aime » de Paul Eluard extrait de Phénix. L’anaphore structure la cohérence musicale du poème, s’accorde avec « pour » comme avec « contre », tous les objets et compléments possibles sont les bienvenus. A chaque répétition c’est un nouveau sens qui est livré. Peut-on en déduire que même en le répétant plusieurs fois, on a l’impression de le dire pour une première et unique fois ? Une deuxième conquête et déclaration d’amour par « je t’aime » ravive l’ardeur d’aimer sans aucune impression du « déjà vu », ni « déjà entendu », ni « déjà dit ». Comme les jours, les « je t’aime

» succèdent mais ne se ressemblent jamais !

Pourquoi alors se parer de toutes ces significations? Parce que « je t’aime » parait plutôt comme un symbole. (L’expression est facilement concurrencée par le dessin du cœur qui saigne, le geste des mains figurant la forme du cœur, des emoji…). Il ne faut plus réduire l’expression à ces trois vocables sans céder à sa force suggestive. Le « je t’aime » ne livre pas toujours facilement ses secrets sans explorer plus ce qu’il suggère derrières les sons prononcés.

La déclaration d’amour se transforme en véritable séance d’herméneutique : les concernés s’interrogeront souvent sur la teneur des mots, les sous-entendus, sur ce qui dit, inter-dit et

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mots d’amour aux prises avec les conventions sociales, les règles de bienséance et l’adéquation entre ce qui dit et ce qui est senti. Ainsi, ce « je t’aime » signifierait, à la guise des fantasmes des amoureux, que « je t’adore », « j’ai envie de toi », « je te respecte », « je t’apprécie », « je te désire »…Une série de significations que rien ne puisse résumer. Il s’agit donc d’une expression à sens ouvert qui devient elle aussi par sa profération un objet d’amour.

N’aime-t-on pas d’ailleurs dire ou entendre parler d’amour?

A ce stade de l’analyse, il est possible qu’on ne se lasse pas de parler d’amour tant l’expression « je t’aime » semble réfractaire à une approche exhaustive. Prise d’après son usage ordinaire, « je t’aime » s’offre comme le lieu commun incontournable qui sied à une déclaration d’amour stéréotypée largement et conventionnellement adoptée en dehors des particularités culturelles ou linguistiques. « Je t’aime » s’adapte à toutes les situations, tous les registres et toutes les tonalités. C’est une formule capable de faire d’une scène de vie ordinaire un épisode artistique. Toutefois, « je t’aime » n’est pas sans susciter notre attention quant aux limites du langage incapable d’épouser les épanchements de l’âme, ni soucieuse de sincérité ou d’originalité, ni valable pour soustraire l’amour de ses complexes et dérives. Mais c’est à ce stade là que réside sa magie : en étant toujours la même, cette formule se pare et se mue dans tous les sens possibles. Elle pourrait fonctionner comme les formules magiques scandées par les chamans ou les sorciers avant de réaliser la transe vers des dimensions où la réalité n’est plus de mise. Vu ainsi, le « je t’aime » des gens lambda comme des poètes, nécessite de l’interpréter comme un véritable symbole, comme une réalité abstraite.

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