La peau ecorch ee en guise de torture sadique : le supplice de Sisamn es
R emi Maghia
Brest
r.maghia@cegetel.net
Avec son diptyque destinea la salle des
echevins de l'hôtel de ville de Bruges, le peintre primitif flamand Gerard David nous decrit toute l'histoire, de l'arrestation au supplice, du juge persan Sisamnès, châtie par le roi de Perse, un fou sadique nomme Cambyse.
L’histoire
Elle est narree par Herodote dans ses HistoiresV-XXV.
Le roi de Perse Cambyseetait un guerrier conquerant (il est devenu Pharaon d'Egypte), mais aussi un grand sadique.
Il avait a son actif nombre d'actes de cruaute hors norme pendant son règne, en 529-522 avant Jesus-Christ.
Un certain juge Sisamnès, de grande reputation, ayant accepte de se faire corrompre pour de l'argent, avait abuse de son pouvoir dans une affaire et
rendu un jugement inique en graciant le coupable et en punissant l'innocent.
Fort malheureusement, Cambyse apprend les faits et condamne le juge d'une horrible façon : a être ecorche vif puis
egorge. Mais ce n'est pas tout : par le plus grand des sadismes, il ordonne que les bandelettes de la peau ainsi meticuleusement recuperees servent a confectionner des bandes de cuir des- tinees a tapisser le fauteuil du juge.
Ce faisant, il intime aufils de Sisamnès, Otanès, de sieger sur la peau de son père en reprenant la fonction de ce dernier, afin de se rappeler comment bien se comporter. . .Justice assise sur la peau de son père. . .Un aide-memoire d'horreur.
L’ceuvre, le diptypique
Commande par la municipalite de Bruges en 1487/1488, destine au cabinet du bourgmestre, il servaita rappeler aux magistrats les règles de probite liees a leur charge.
Le premier tableau montre l'arresta- tion du juge : assis en habit de fonction,
l'air absent, il ecoute le monarque Cambyse qui enumère sur ses doigts les charges retenues contre lui, devant toute une assemblee de notables (figure 1).
Le decoupage methodique de la peau : le second volet montre l'effrayant sup- plice(figure 2).
La scène est très realiste, impression- nante. Tout se fait dans le plus grand calme et de façon très methodique. C'est comme dans une salle de chirurgie : avec beaucoup de sang-froid, de meticulosite, plusieurs personnages decoupent a vif dans la peau du supplicie en plusieurs sites cutanes.
Celui-ci, plaque sur une table en bois, grimace atrocement de douleur, le visage crispe et les dents serrees. La plus spectaculaire decoupe est celle operee par le personnage qui tient un couteau entre ses dents. Il a deja decolle toute la peau de la jambe gauche et s'apprête en passant la main sous le talona faire de même pour la peau du pied afin de la retourner comme une
doi:10.1684/dm.2018.4
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LE MAG CULTUREL
L'art dans la peau
chaussette. La description des muscles est très anatomique. Mais,etonnement, pratiquement pas de sang dans cette scène, hormis quelques gouttes. Un autre personnage a genou au premier plan commence une incision de la peau du bras droit, et celui debout de face fait de même sur le bras gauche.
Enfin un quatrième « operateur », a la tête du condamne, s'occupe d'ouvrir la peau au niveau du haut du torse.
Ces bourreaux ne temoignent d'aucune
emotion et se comportent comme des bouchers ou des sortes de chirur- giens-bouchers très professionnels.
L'assemblee tout autour est en majorite hautaine et indifferente a ce qui se passe, seul un personnage habille en rouge nous regarde avec un drôle d'air, peut-être comme pour nous prendre a temoin.
Que voit-on en haut et a droite du deuxième volet, en arrière-plan ? La suite de l'histoire, lefils du juge, Otanes,
siegeant sur le fauteuil recouvert de la peau de son père.
Le peintre
Il est ne Gheeraedt,a Oudewater près de Gouda, vers 1450. Il semblerait qu'il ait pris le prenom de son père David comme patronyme en 1484, peu après son inscriptiona la guilde des imagiers et selliers de Bruges. Gerard David est l'un des derniers representants des primitifsflamands de l'Ecole de Bruges, representee notamment par les presti- gieux Jan van Eyck, Hans Memling et Petrus Christus. Peintre, dessinateur et probablement miniaturiste, il est morta Bruges le 13 août 1523.
Epilogue
Après l'evocation de ce deuxième
ecorche dans cette rubrique, celui-ci dans le sadisme le plus raffine, je ne peux m'empêcher, au regard de l'actualite du jour où je boucle cet article, de faire le rapprochement avec l'inverse, le fait qu'on puisse (grâce en particulier au Pr Maurice Mimoun) sauver un homme qui a perdu 95 % de sa peau.
Notre condition humaine a fait côtoyer de tout temps les barbares (ceux qui
«ecorchent ») et les humanistes qui se battent pour reparer et sauver.
Figure 2.Le Jugement de Cambyse, detail.
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