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Corrigé - expliquer un texte de Heidegger, extrait de Qu est-ce que la métaphysique?

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Questionner sur le rien — ce qu’il est et comment il est, le rien — inverse en son contraire ce sur quoi l’on questionne. La question s’ôte à elle-même son propre objet. C’est pour cela que toute réponse à cette question est, dès le départ, impossible. Car elle s’articule nécessairement en cette forme : le rien « est » ceci et cela. Question et réponse sont, au regard du rien, en elles- mêmes pareillement à contresens. (…) La règle fondamentale et communément reçue de la 5

pensée en général, le principe de contradiction à éviter, la « logique » universelle, réduisent cette question à néant. Car la pensée, qui est toujours essentiellement pensée de quelque chose, devrait, comme pensée du rien, contrevenir à sa propre essence. (…)

Mais parlant ainsi, nous rangeons le rien sous la détermination plus haute de ce qui est soumis à négation et, par là, de ce qui est nié. Or la négation est, selon la doctrine régnante et 10

jamais contestée de la « logique », un acte [une catégorie] spécifique de l’entendement.

Comment, dès lors, pouvons-nous prétendre, dans la question portant sur le rien et même dans celle de savoir s’il peut être questionné, congédier l’entendement ? Pourtant, ce que nous présupposons là est-il si assuré ? Le ne-pas, l’être-nié et ainsi la négation représentent-ils la détermination plus haute sous laquelle le rien, comme une espèce particulière de ce qui est nié, 15

vient se ranger ? N’y a-t-il le rien que parce qu’il y a le ne-pas, c’est-à-dire la négation ? Ou est- ce l’inverse ? N’y a-t-il la négation et le ne-pas que parce qu’il y a le rien ? C’est ce qui n’est pas décidé, n’est pas même encore érigé expressément en question. Nous affirmons : le rien est plus originel que le ne-pas et la négation. Si cette thèse est fondée, alors la possibilité de la négation comme acte de l’entendement, et par-là l’entendement lui-même, dépendent en quelque façon 20

du rien. Comment l’entendement pourrait-il donc prétendre décider de celui-ci ? L’apparent contresens des question et réponse concernant le rien ne repose-t-il finalement que sur un entêtement aveugle de l’entendement pris de vertige ?

Heidegger, Qu’est-ce que la métaphysique ? 25

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Introduction :

Dans ce texte extrait de Qu’est-ce que la métaphysique ?, Heidegger cherche à déterminer la relation d’antériorité qui existe entre, d’un côté la pensée (ou l’entendement) et, d’un autre côté, l’être. Plus précisément il s’agit de savoir s’il y a d’abord la négation (ou le rien) et ensuite la capacité de l’entendement à penser la négation, ou si, au contraire, la négation serait seulement un outil transcendantal de la pensée, sans renvoyer à un statut ontologique. Le statut ontologique de la négation, ce serait le « rien », la négation absolue comme non-être. Selon l’auteur, la négation précède la catégorie de la négation car c’est le seul moyen de rendre raison de la contradiction apparente dans laquelle se trouve la pensée quand elle essaye de penser le rien. En effet, Il faut que le rien soit d’abord quelque chose ontologiquement pour que la pensée produise une telle catégorie, tout comme il faut qu’il y ait la qualité du bleu et toutes les qualités en général pour que la pensée pense la qualité en général, ce qui semble aller de soi.

Cependant, dire que le rien serait quelque chose, n’a pas de sens. Dire qu’il y a quelque chose comme le rien demeure une contradiction puisque l’expression « quelque chose » présuppose « quelque chose qui est », alors que le rien est la qualité de ne pas être et, plus encore, la qualité de ne pas être de toute chose : rien, c’est l’absence totale d’être. Aussi, dire que le rien est, est illogique. Ainsi, d’un côté il semble impossible de parler du rien bien que, d’un autre côté, il semble que le rien soit une catégorie de la pensée, et est donc nécessairement quelque chose comme cogitatum ou, autrement dit, comme objet intentionnel.

C’est afin de résoudre ce problème que l’auteur repart du paradoxe classique du non-être, tel qu’on le trouvait déjà chez les anciens. Nous verrons alors, comme le fait Heidegger, en quoi la contradiction ainsi posée va jusqu’à contrarier l’essence même de la conscience au sens, ici, clairement husserlien posé par l’auteur, comme conscience de quelque chose. Si, en effet, la conscience est forcément conscience de quelque chose, alors elle ne peut pas être conscience de rien. Néanmoins, nous verrons que c’est là en fait une contradiction qui tient dans les règles de la logique elle-même et non une contradiction au sens d’une erreur de la pensée : ce serait, donc, la logique elle-même qui, en quelque sorte, se contredirait, se tromperait ; la logique, en quelque sorte, aurait tort. Il n’est pas illogique, en effet, de parler du rien puisque le rien est négation de l’être et que la négation est, selon la même science formelle de la logique, une catégorie de l’entendement. C’est sur la base de cet argument par l’absurde que l’auteur va pouvoir affirmer, en définitive, la nécessité que l’entendement dépende de la négation, plutôt que l’inverse, posant ainsi une limite incontestable de la logique formelle classique, cette même logique qui fait autorité dans toutes les disciplines rationnelles, scientifiques en particulier.

La contradiction performative des questionnements sur le non-être provient de la

« logique » classique, laquelle comprend la contradiction comme une erreur de la pensée.

Pourtant, l’auteur rappelle que selon la même « logique », la négation est une catégorie comprise comme « un acte spécifique de l’entendement ». Donc, en vérité, c’est la logique elle-même qui se contredit quand d’un côté elle dit que le rien n’est pas connaissable alors que, d’un autre côté, elle pose la négation comme une catégorie de l’entendement et, donc, comme l’un de ses

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fondements. La logique atteint une limite, ce qui veut dire qu’il faut repenser la relation de la conscience à l’être où celle-ci « [dépend] en quelque façon du rien ». Il faut donc que le rien soit quelque chose pour que la conscience construise cette catégorie de l’entendement et donc il faut que le rien précède la catégorie par laquelle il est décrit, la négation.

Ce problème, toutefois, n’est pas nouveau. En effet, dans le dialogue de Platon, Le sophiste, l’un des interlocuteurs de Socrate, Théétète, se trouve obligé d’admettre, contre l’affirmation de Parménide (qui disait que « le non-être n’est pas ») que, « en quelque manière », « le non-être est ». Il va de soi, en effet, que si le verre cassé est le non-être du verre, il faut admettre que le verre cassé (donc le non-être du verre) est bien quelque chose. Ainsi, de ce point de vue et contre l’affirmation « le non-être n’est pas » de Parménide, on doit admettre que le non-être est quelque chose. Ne pas admettre cela ce serait, en vérité, selon Hegel dans Science de la logique, in « Doctrine de l’être », renoncer à la possibilité même du devenir, du changement et du temps : il faut que ce qui est puisse ne pas être pour que ce qui est, un jour, ne soit plus et, donc, pour qu’il y ait changement, temps.

Aussi, c’est dans cette longue discussion ontologique qui a commencé il y a plus de 25 siècles, que le texte de Heidegger se positionne. Sa position, nous l’avons vue, semble consister à se tenir en quelque sorte du côté du constat de Théétète selon lequel le non-être est forcément en lui- même quelque chose qui existe. Pourtant, quand on connaît la doctrine de la connaissance de l’auteur du Sophiste dans le livre VI de La république, on est tenté de dire qu’il y aurait là quelque forme de contradiction puisque, pour Platon, ce qui est véritablement, c’est bien l’être en-soi des formes intelligibles : le cercle est nécessaire dans sa définition et ses rapports, pas la forme circulaire que je trace, par exemple, sur le sable. Aussi, comment peut-on penser que le non-être puisse être s’il faut aussi admettre que ce qui est véritablement c’est ce qui est nécessairement et, donc, ce qui ne peut pas ne pas être ?

Cette contradiction, Platon ne la résout pas, même s’il affirme, dans Le sophiste, ceci : « Le non-être, en quelque façon, est (…) Mais non véritablement » comme pour dire que si le non-être est, il est non-véritable, parce qu’il est l’opposé du nécessaire, l’opposé de ce qui est nécessairement, l’opposé, donc, du vrai. Ce qui manque cruellement chez Platon, c’est une compréhension du temps ; pour lui, la vérité est atemporelle. Pourtant, la vérité doit nous dire ce que sont les choses. Or les choses passent, elles sont, puis ne sont plus, ce qui lui permettait précisément de voir que le non-être est forcément, en tant que tel, quelque chose. Mais plutôt que d’admettre qu’il devrait y avoir une logique de la vérité qui comprendrait l’être comme passage, comme devenir, il fallait que Platon relègue la temporalité de l’être (le passage dans le non-être), au simple statut d’illusion : nous prenons pour véritable ce que notre nature nous montre comme tel et c’est notre nature qui est mauvaise et fausse, la vérité est « ailleurs ».

Cet embarras de la pensée classique, comme le souligne Heidegger dans ce texte, vient du fait que « la règle fondamentale (…) de la pensée en général, le principe de contradiction à éviter, la « logique universelle », réduisent cette question à néant ». En effet, poser la question du non- être, ou du rien, c’est inévitablement se retrouver prisonnier des apories de la pensée auxquelles se sont confrontés les philosophes depuis l’antiquité, tel Platon qui, posant la nécessité de l’être

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en-soi, finit par se retrouver coincé avec l’ineffabilité du principe de toute chose (qui ne peut être dit puisqu’il est le principe de tout ce qui peut être dit) tout en étant forcé d’admettre – tel un problème – que le non-être est quelque chose, ce qui contredit toute sa doctrine qui rejette la contingence des choses et, donc, la possibilité même qu’une chose qui est, ne soit pas.

C’est pourquoi « Questionner sur le rien », nous dit l’auteur, est une question qui « s’ôte à elle-même son propre objet ». Questionner, en effet, c’est toujours questionner quelque chose.

Maintenant, si ce quelque chose est, dans sa définition, l’absence même de quelque chose, on comprend que la pensée se heurte à une impossibilité, un « contresens ».

Pourtant, on serait en droit, comme le faisait précisément Théétète dans Le sophiste, d’admettre que la suppression de toutes les choses et, même, l’absence de toute chose, serait encore quelque chose.

Cette difficulté provient, d’après Heidegger dans ce texte, du fait que la pensée « est toujours essentiellement pensée de quelque chose », si bien que l’on ne peut pas même désigner le rien sans en faire quelque chose et donc sans se contredire aussi bien dans la question que dans la réponse : Si je fais du rien le sujet d’un prédicat, cela veut dire que je dis quelque chose au sujet de ce qui n’est pas quelque chose. Si je demande, pareillement, ce qu’est le rien, alors je demande si ce qui n’est pas quelque chose est quelque chose. Le rien est donc ineffable dans et par sa définition même, la définition elle-même étant, en vérité, un non-sens. Je ne peux rien dire du rien et donc, comme Parménide, je suis contraint de dire que « le non-être n’est pas ».

Or, si le non-être n’est pas, c’est que seul l’être est, ce qui explique sa définition sans prédicat de l’être : « l’être est ».

Cependant, comment peut-on alors rendre raison du fait que les mêmes règles de la logique qui nous interdisent de penser ou même de questionner le rien, posent son corrélat logique, la catégorie de l’entendement, comme une catégorie de l’entendement ? C’est là le cœur de l’argument de l’auteur dans ce texte.

En effet, la négation est absolument indispensable à toutes les opérations logiques de l’entendement. Ainsi, cela voudrait dire que la même faculté qui nous interdit de penser la négation, nous oblige à utiliser la négation, ce qui semble a priori absurde.

Toutefois, nous devons nous rappeler, avec Kant dans Critique de la raison pure, (in

« dialectique de la raison pure »), que toute spéculation sur les catégories de l’entendement consiste en un mauvais usage de celles-ci. Les catégories sont des canons de connaissance, pas des connaissances elles-mêmes. Elles servent à définir ce qui fait qu’un raisonnement est faux, mais elles ne disent pas ce qui est. Ainsi, par exemple, si je dis que A précède B mais que B est la cause de A, je sais que je me trompe parce que la catégorie de la causalité interdit qu’une cause (B) succède son effet (A) : la cause doit toujours précéder l’effet. La logique ne me dit pas, toutefois, si tout est causalement déterminé (elle ne dit rien sur ce que sont les choses, mais seulement ce qui ne peut pas être). De même, la logique seule, prise isolément comme auraient aimé pouvoir le faire Platon et les idéalistes en général, ne me dit pas non plus si A est la cause de B sans faire appel à l’expérience car, pour que je puisse parler d’une relation de cause à effet,

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il faut une relation dans le temps et dans l’espace entre deux phénomènes contigus (par exemple deux boules de billard qui se percutent). En effet, seuls l’espace et le temps, comme intuitions nécessaires et comme cadre de toute observation, fournissent la nécessité suffisante pour dire qu’il y a bien une relation nécessaire (définition catégorique de la causalité comme relation et comme modalité) entre deux observations, entre deux phénomènes.

Donc, si on en croit la leçon kantienne, on ne devrait pas pouvoir suivre l’argument de Heidegger qui consiste à dire que, pour qu’il y ait la catégorie de la négation, il faut qu’il y ait quelque chose comme le négatif car, alors, on serait en train de parler de la négation comme d’une chose, au lieu de simplement s’en servir pour parler des choses.

En effet, tout comme la catégorie de la causalité permet d’affirmer pour tous phénomènes contigus (dans l’espace) et consécutifs (dans le temps) des relation nécessaires (ce que l’on nomme alors des lois de la nature), la catégorie de la négation permet, également, d’affirmer, pour tout phénomène, son opposé ou son contraire : le contraire d’un capital positif sera l’absence de capital, l’opposé d’un capital positif sera un capital négatif, une dette. Le capital positif ou négatif sont tous deux des phénomènes, quelque chose dont je peux affirmer, donc, l’existence. Je peux utiliser la négation pour dire que sans pluie, il n’y aura pas de récolte cette année, mais je ne peux pas dire que la non-pluie serait quelque chose en tant que négation de la pluie. Aussi, contrairement à ce qu’on croyait pouvoir dire plus haut avec le personnage du dialogue de Platon, Théétète qui reprenait les mots de Parménide, dire que le verre cassé est un non-verre, est absurde : le verre n’est plus et je ne fais que dire qu’il n’est plus quand je dis cela, pas qu’il est quelque chose en tant que cassé, ce qui n’est, au point de vue kantien, qu’un verbiage inutile, un jeu avec le langage. Les tessons de verre ne sont pas un verre cassé, mais juste des tessons de verre.

Ainsi, la catégorie de la négation n’est pas plus ontologiquement déterminée dans les choses que trois pommes contiennent le nombre trois. Le concept de la chose n’est pas la chose, le concept de couteau ne coupe pas et, de même, le concept de négation n’est pas la suppression ou l’opposition : dire que 2 est le négatif de -2 c’est bien utiliser la catégorie de la négation pour définir une relation de négation, mais il n’y pas quelque chose comme le négatif. La négation, comme concept, n’est pas elle-même une grandeur négative, tout comme le concept de couteau ne coupe pas.

Pourtant, Il semble que Heidegger ne tienne absolument pas compte de l’interdiction kantienne de faire un tel usage dialectique et spéculatif des catégories. Pour comprendre cela on peut noter qu’il semble aussi clairement se positionner d’un point de vue phénoménologique, puisqu’on retrouve la thèse Husserlienne de la pensée comme étant toujours corrélée à son cogitatum dans la dernière phrase du premier paragraphe. Aussi, probablement que la solution à cette difficulté doit se trouver dans cette description phénoménologique husserlienne de la pensée que fait Heidegger.

En effet, si la pensée est forcément pensée de quelque chose, c’est qu’il ne peut pas y avoir la pensée sans quelque chose, sans son corrélat (ou cogitatum) et, réciproquement, s’il y a corrélat, c’est qu’il y a la pensée de ce corrélat comme chose. Certes, le concept de couteau ne coupe pas, mais sans le concept de couteau il n’y a pas de couteau et sans coupure réelle il n’y a pas de concept de coupure.

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Soit, mais cela ne veut pas dire qu’il y ait corrélat du rien car il n’y a pas, semble-t-il, de pensée du rien, du fait même de cette définition husserlienne, précisément : la conscience ne peut pas être conscience de rien, car elle est toujours conscience de quelque chose selon Husserl dans Méditations cartésiennes, ce qui nous fait retomber sur notre problème de départ. En effet, le problème reste entier, car comment pourrait-il y avoir le rien, si le rien ne peut pas même être un corrélat de la pensée ?

La solution à cette question se trouve peut-être dans la dernière phrase du texte, lorsque l’auteur parle de « vertige ». Quel est ce vertige de l’entendement face à la question du rien ? La réponse se situe à la fin du texte sous la forme de deux questions rhétoriques :

D’abord, l’auteur demande comment l’entendement pourrait concevoir la négation s’il n’y avait pas négation dans l’être (de même qu’il ne peut pas y avoir de concept de couteau sans couteau). En effet, sans négation réelle, dans les choses, on ne saurait d’où proviendrait cette catégorie de la négation. De la même manière qu’il faut qu’il y ait les qualités du bleu, du rouge, de la beauté, de la grandeur et toute qualité en général, pour que la pensée fasse de ces qualités des corrélats et construise ainsi la catégorie de la qualité, il faut qu’il y ait le négatif pour que la pensée construise la négation comme catégorie : à quoi servirait une catégorie sans son corrélat ? Comment la pensée pourrait-elle être, en effet, pensée de quelque chose s’il n’y a pas quelque chose dont elle est, précisément, la pensée de ? La négation doit exister comme corrélat pour être conçue comme telle, les catégories de l’entendement ne peuvent pas simplement venir de nulle part.

La pensée fait partie de cet univers, nous sommes tous littéralement de la poussière d’étoile, comme le disait Stephen Hawkins, si bien qu’il n’y a objectivement et formellement aucune raison justifiant le fait que la conscience ne soit pas elle-même une modalité de l’être, de l’univers et donc, si la catégorie de la négation est nécessaire pour la pensée, elle doit l’être pour ses corrélats, donc dans les choses, dans l’être.

Mais, d’où viennent alors les apories de la pensée lorsqu’elle questionne le rien ? C’est ce que Heidegger tente d’éclaircir lorsque, ensuite, la seconde question qu’il pose, à la toute fin du texte, consiste à demander dans quelle mesure les apories de la pensée que nous avons vues au sujet du questionnement du rien, ne reposeraient pas simplement sur le fait que l’entendement soit « pris de vertige ». Lorsque l’entendement questionne le rien, il se retrouve prisonnier de sa propre contradiction : dire ce que sont les choses étant son rôle, sa fonction, il ne peut pas dire ce que serait le néant. Cela produit en lui, nous dit l’auteur, un « vertige ».

Or, ce vertige, on l’entend clairement dans ce texte, est relatif au néant, au non-être et donc à ce dont la conscience ne peut pas être conscience car elle peut seulement être conscience de quelque chose (sous-entendu : quelque chose qui est). La pensée atteindrait par là la limite de toute signification possible.

Cependant, au lieu de reléguer cela à un espace infranchissable de la pensée, une limite par le haut que la pensée atteindrait à force de s’exercer et de se questionner, l’auteur définit cette limite de signification comme une limite par le bas, comme un fondement duquel l’entendement

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dépend, comme il le dit à la fin du texte (ligne 20). La dépendance signifiant ce qui est nécessaire pour qu’une chose soit ce qu’elle est, cette définition étant elle-même la définition du fondement, on comprend aisément en quoi l’auteur pose ici la négation réelle comme fondement de la catégorie de la négation.

Aussi, parce que l’objet en question est le rien, négation absolue, nous pouvons dire que le rien est le sujet d’un vertige compris comme une angoisse de la pensée qui, finalement, applique cette même catégorie de la négation à elle-même quand elle refuse de voir que le néant est premier pour toute chose.

Au départ, il doit y avoir le rien, sans quoi ce qui est ne serait jamais advenu comme ce qui est bien que, d’abord, il fallait qu’il ne soit pas. Il faut une pensée du rien pour avoir une pensée de quelque chose, sans quoi l’idée même d’une chose en général n’a pas de sens, elle est juste là, posée comme telle, sans origine, sans cause. Certes, on pourrait tel Kant penser que c’est ainsi et ainsi seulement qu’il faut accepter les limites de notre connaissance finie des choses comme phénomènes, donc comme ce qui est simplement donné à la conscience sans qu’elle puisse, alors, questionner ce qu’il y a derrière.

Toutefois, poser les choses ainsi reviendrait alors à poser des phénomènes sans devenir et sans changement car il faudrait nier le fait même que nous observons toujours la négation comme passage de l’être dans le non-être, comme temporalité. En vérité, l’intuition du temps, au sens kantien du terme, nous force à penser la négation comme phénomène objectif et, comme nous savons désormais que la conscience n’a pas de sens sans son corrélat (sans ce dont elle est la conscience, sans les choses), nous devons admettre que la conscience de la négation (par exemple le verre qui se casse) est bien conscience d’un corrélat objectif, la négation elle-même comme quelque chose.

En effet, le quelque chose dont la pensée dépend pour être pensée de quelque chose, ne peut pas être quelque chose sans n’avoir, d’abord, pas été. Sans le rien, le cogito n’aurait pas de cogitatum et comme les deux vont de pair, la pensée ne serait pas. Sans le rien, sans le néant, la pensée ne serait rien puisque tout ce qui est quelque chose doit d’abord ne pas être et doit pouvoir ne plus être. La raison pour laquelle l’entendement est pris de vertige, selon Heidegger, autour de la question du rien, tient simplement au fait qu’elle renvoie au fondement même de la pensée avant qu’elle ne soit, précisément, pensée ; et dont elle dépend, forcément, pour être pensée.

De même que la charge négative n’a pas de sens sans la charge positive, le quelque chose n’a pas de sens sans son opposé, le rien. Comme la pensée est forcément pensée de quelque chose, alors la pensée du rien est forcément négation de la pensée par la pensée, d’où le vertige et les apories. Mais ce que Heidegger ajoute à ceci est le fait que ce vertige, c’est la pensée qui touche là à son fondement comme limite de toute signification, de toute pensée ; du même coup, c’est aussi la pensée qui flirte avec sa vérité comme négation, cette même négation qui lui permet de procéder comme pouvoir d’abstraction : le concept de couteau ne coupe pas (le concept est donc abstrait, négation comme non-chose), mais il faut la coupure (bien réelle) pour penser le couteau qui coupe quelque chose.

On peut donc dire que le rien, c’est le concept de l’être comme le non-couteau est le concept du couteau et c’est pour ça que questionner le rien et/ou l’être, c’était toujours tomber sur une forme d’ineffabilité : l’être est, le non-être n’est pas, c’était bien tout ce que l’on pouvait donc

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dire, mais nous en connaissons désormais – contrairement à tous les prédécesseurs de Heidegger, la raison : c’est là le premier couple catégoriel absolu ; l’être, c’est la première catégorie et comme pour définir on doit utiliser des catégories, les expressions « l’être est » et

« l’être n’est pas » de Parménide étaient absolument vraies. Si Hegel a su le premier les articuler en étant le premier à noter que l’être est temporalité, passage de l’être dans le non-être, Heidegger aura été le premier à comprendre que le non-être est l’horizon de signification de toute chose car il est le fondement de l’acte simple de penser ou, dit autrement, de procéder par abstraction : le concept de couteau n’est pas un couteau, mais on comprend que pour qu’il y ait concept d’un couteau, il faut qu’il y ait quelque chose comme le couteau.

Cela veut-il dire qu’il faudrait donner raison à la preuve de l’existence de Dieu de Descartes : il ne peut pas y avoir le concept d’infini sans l’infini réel ? Le concept de perfection sans la perfection réelle ? Non, car il ne s’agit pas pour Heidegger de dire que tout ce qu’on pense existe du simple fait qu’on puisse y penser, mais de dire, comme Kant le faisait déjà à la fin de la Critique de la raison pure, que s’il y a la représentation d’une chose, c’est qu’il y a quelque chose qui permet cette représentation et qui lui donne droit de cité. La représentation du rien ne dit pas qu’il y a le rien comme ce qui serait juste là, rien, mais qu’il doit y avoir quelque chose qui permet de penser le rien et, cette chose, c’est le temps comme passage de l’être dans le non-être. Mais alors cela signifie-t-il que s’il y a le concept d’infini, c’est qu’il y a quelque chose comme l’infini ? Cela veut seulement dire qu’il y a quelque chose qui fait qu’on pense forcément l’infini et, on le voit ici assez clairement, c’est précisément, là encore, le fait que l’être passe dans le non- être qui permet de penser le fait que ce passage n’a jamais fini de passer. Mais qu’en est-il alors de la perfection ? Pouvoir penser la perfection, d’où cela provient-il si ce n’est de l’être parfait lui-même ?

Là encore, nous serions dans l’erreur de croire que Heidegger démontre que l’idée fonde la chose ; il faut simplement admettre que si nous pensons le concept de perfection c’est parce qu’il y a quelque chose dans l’être qui produit la forme de la perfection et l’homme n’a aucun mal à produire cela, en mathématiques par exemple.

Il n’y a donc plus de mystère ou d’ineffabilité du rien (pas plus que de l’être) quand on comprend ce texte de Heidegger. De même qu’on n’a pas besoin d’une figure paternelle du divin pour penser la perfection ou l’infini, car nous sommes ce processus de perfectionnement infini de l’être nous-mêmes, de même le rien n’a rien de si mystérieux, une fois qu’on comprend ces représentations de la conscience comme de simples corrélats phénoménologiques et qu’on se débarrasse de l’ancien dualisme entre la pensée et l’être.

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