LE TRAVAIL COLLECTIF, DE QUOI S’AGIT-IL ?
Regard d’un sociologue
PLAN
Définitions du travail collectif
1. Une tendance à la panacée (sciences de l’éducation)
2. Une pincée de désenchantement (sociologie)
3. Que faire du travail collectif ? (méthodologie)
Définitions du travail collectif
« Travail partagé » (Marcel et alii 2007)
Travail impliquant plusieurs adultes ayant un objectif commun.
Coordination<collaboration<coopération
Définitions du travail collectif
Coordination : collectif traditionnel.
La gestion des emplois du temps, les conseils de classe, etc. sont de la
coordination.
On travaille les uns par rapport aux autres mais pas « avec » les autres.
Définitions du travail collectif
Collaboration : collectif plus innovant.
Exemples : préparation d’épreuves
communes, partage de l’élaboration de séquences, production de matériau
pédagogique.
On travaille au moins partiellement
« avec » les autres.
Définitions du travail collectif
Coopération : collectif très innovant.
Exemple : le team teaching, qui rompt la frontière de la classe
On travaille presque complètement
« avec » les autres et on accepte de se montrer en action.
Définitions du travail collectif
En pratique, on parle le plus souvent de collaboration.
Elle est à la fois plus fréquente que la coopération et plus
innovante que la coordination.
Les oppositions classiques de la collaboration
Collaboration choisie/subie (Marcel et alii 2009)
La collaboration subie ne serait
d’aucun effet.
Les oppositions classiques de la collaboration
« Groupe de
travail »(autoritairement réuni) vs
« collectif » (Marcel, 2006)
Les oppositions classiques de la collaboration
Collaboration
institutionnelle/centrée sur le cœur de métier.
Exemple: concertations vs
préparations conjointes
Les oppositions classiques de la collaboration
« Commande réformiste » (Tardif 2007)/collaboration informelle.
Exemple: réunions obligatoires vs conversations informelles avec
partenaires choisis.
LE TRAVAIL COLLECTIF EN SCIENCES DE
L’ÉDUCATION
Une tendance à la panacée
Partie 1
Un tendance à la panacée
Valorisation aujourd’hui du travail
collaboratif, dans la plupart des lois de l’éducation et des rapports dans la
plupat des pays industrialisés.
Selon Lessard (et alii 2009) :
l’intérêt de la collaboration « n’est plus à démontrer » (?)
Une tendance à la panacée
Le travail collaboratif est censé être plus efficace pour les élèves en difficultés.
Il permet la « mobilisation » de
« l’équipe » (ou de la « communauté ») pédagogique contre l’échec scolaire.
Une tendance à la panacée
Le travail collaboratif permet
l’élaboration de normes communes fortes, utiles dans les établissements difficiles (Duru-Bellat, 2003).
Une tendance à la panacée
Il y aurait un « isomorphisme » entre les pratiques organisationnelles et les
pratiques pédagogiques (Dupriez, 2010).
Si la collaboration est « choisie » par les enseignants et non « subie » elle
transfère une culture collaborative (recours au « conflit socio-cognitif ») dans les classes (Marcel et Garcia 2009).
La formation
La formation des enseignants aujourd’hui est devenue plus collaborative.
Une enquête vaudoise (Amendola et alii 2015) montre que les enseignants-
novices continuent à collaborer en
réseaux après leur diplôme pendant les 2 ou 3 premières années de leur entrée dans le métier.
Le développement professionnel
Le travail collaboratif n’a de sens pour les enseignants que s’il est rapporté à la classe.
Les analyses de pratiques permettent de se décentrer par rapport à la classe et de « découvrir » sa pratique de classe (Charrat 2006).
Le développement professionnel
D’une manière générale, les moments hors-routines « scolaires » permettent de se développer professionnellement car ils marquent la mémoire et permettre de se voir se développer (Losego et alii 2011).
La recherche collaborative
Le paradigme de la recherche-action étant moribond, on parle aujourd’hui de recherche collaborative.
Elle implique des chercheurs et des enseignants pour élaborer des
recherches incrémentales.
Exemple : les lesson studies
UNE PINCEE DE
« DÉSENCHANTEM ENT »
Le regard sociologique
Partie 2
D’où vient le travail collectif ?
Mise en œuvre de l’autonomie des établissements scolaires
Le directeur n’a aucun pouvoir si les enseignants restent seuls face à leur classe (Barrère 2006).
L’établissement « n’existe pas » si la variabilité des pratiques intra est plus forte que celle des pratiques inter-
établissements.
D’où vient le travail collectif ?
Les curricula, plus flous qu’avant…
…forcent les enseignants à la
renormalisation (Gather-Thurler &
Perrenoud 2005, Tardif, 2007)
D’où vient le travail collectif ?
Avec la culture de l’évaluation de plus en plus prégnante, les
enseignants ressentent l’anxiété du « niveau ». Ils collaborent
souvent pour savoir quel est « le
niveau ».
D’où vient le travail collectif ?
Dans les ZEP, la collaboration est plus fréquente.
Pour le bien des élèves ou pour se
protéger des élèves ?
D’où vient le travail collectif ?
Les enseignants collaborent aussi pour se protéger contre les contestations
parentales.
Ils« bétonnent » les évaluations et les enseignements afférents.
D’où vient le travail collectif ?
L’idée que le travail collectif est plus
efficace est probablement vraie mais on ne peut pas dire que les recherches qui le montrent soient légion.
La plupart des recherches portent sur la question : pourquoi le travail collectif
n’est-il pas plus fréquent (Barrère, Lessard, Dupriez…)?
D’où vient le travail collectif ?
Hypothèses classiques sur les
« résistances » professionnelles à
l’innovation, sur la peur de se montrer, etc.
L’idée que beaucoup de collaborations sont liées à des injonctions de la
commande politique et ne
correspondent pas aux préoccupations des enseignants.
Qui collabore ?
Une enquête menée par un de mes étudiants dans un gymnase vaudois montre qu’un simple postulat de
rationalité peut expliquer que la
préparation collective de séquences intéressent les nouveaux enseignants qui ont peu de matériau et non les
anciens qui ont déjà leur matériau.
Les contradictions de la professionnalisation
L’idée que le travail collectif est un corollaire de la professionnalisation introduit une contradiction.
La professionnalisation suppose une
autonomie de l’enseignant et une mise à distance des « routines ». En même
temps, le travail collectif suppose l’établissement de routines.
Une pincée de
désenchantement...
L’efficacité des établissements, que l’on attribue à des effets de mobilisation
collective dans le travail, est très
variable d’une année à l’autre (Duru- Bellat 2003).
L’opposition collaboration subie/choisie (voir notamment Marcel) est plutôt
collaboration factice/acceptée.
La collaboration vraiment « choisie » en l’absence d’injonction est relativement faible.
UN EXEMPLE : LA COLLABORATION CHEZ LES NOVICES
Le cas de l’enseignement
primaire vaudois
Triple contexte :
Réforme HarmoS (2007)
Plan d’étude romand (2010)
Loi sur l’Enseignement Obligatoire (2013)
Triple contexte
Le plan d’études romand (PER), est plus flou et moins prescriptif que le plan
précédent (cantonal), afin de convenir à tous les cantons romand.
Déclenchement d’un gros travail de concertation au niveau des
établissements pour définir évaluations et contenus (renormalisation)
Contexte
Réforme HarmoS pour harmoniser les scolarités entre cantons.
A pour effet dans le canton de Vaud d’allonger le primaire (+ 2ans) et de réduire le secondaire obligatoire (-2 ans).
Déplace l’orientation du secondaire vers le primaire.
Contexte
Loi sur l’enseignement obligatoire (LEO)
Réduit le nombre de voies secondaires à 2 au lieu de 3.
L’orientation autrefois très qualitative (portfolio) et négociée avec les parents devient purement mathématique
(moyenne pondérée).
La collaboration chez les novices du primaire
Les négociations avec les parents étant supprimées, les pressions des parents se reportent sur les évaluations en
amont.
Les novices sont particulièrement
anxieuses de connaître la « norme » ou le « bon niveau ».
La collaboration chez les novices du primaire
Les motivations pour collaborer :
1ère année : gagner du temps
2e année : s’intégrer
3e année : trouver du sens
La collaboration chez les novices du primaire
1ère année : gagner du temps
Les novices recherchent surtout la division du travail dans l’élaboration de matériaux pédagogiques et de séquences.
Elles collaborent beaucoup dans leur réseau personnel hors école.
La collaboration chez les novices du primaire
2ème année : s’intégrer
Les novices recherchent surtout la
« norme » : quel est le niveau requis pour leurs élèves? Elles commencent à
collaborer à l’interne.
La collaboration chez les novices du primaire
L’angoisse de renormalisation (le niveau)
« Ça nous permet d'être sûres que l'on soit juste. On est en tout cas deux, ou alors deux à être fausses (rires), mais c'est rassurant. » Laure, enseignante débutante.
« C'est un soutien de savoir que si l'on fait erreur, on est deux à se tromper. » Véronique, enseignante débutante.
La collaboration chez les novices du primaire
3ème année : trouver du sens Les novices recherchent
« l’enrichissement » de leurs tâches.
La collaboration chez les novices du primaire
On constate par ailleurs que les novices collaborent surtout entre elles ou avec de jeunes maîtresses, très peu avec les
« anciennes ».
QUE FAIRE DU TRAVAIL COLLECTIF ?
Point méthodologique
Partie 3
Le travail collectif,
qu’est-ce que c’est ?
La notion de « collectif » suppose deux notions :
La diversité
La dynamique relationnelle
La diversité
Désigne :
Les différences socio-démographiques des individus : genre, âge, ancienneté, discipline d’appartenance, niveau de diplôme, capital culturel.
Les possibilités de domination qu’elles supposent.
La diversité
Ainsi, les rapports de genre, d’origines, d’appartenances disciplinaires sont
toujours structurés par des potentialités de conflits, de domination et d’intérêts divergents.
La diversité
Exemples :
Les collaborations entre technologues, physiciens et mathématiciens
(domination).
Les collaborations entre chercheurs et enseignants (différences d’intérêts)
La dynamique relationnelle
Les collectifs sont le résultat d’alliances, d’amitiés et d’inimitiés qui constituent
autant de ressources et de contraintes.
On peut en rendre compte par l’analyse des réseaux sociaux (ARS) qui utilise la théorie des graphes.
Ces réseaux se forment et se déforment de manière très dynamique.
Un exemple d’enquête
Lanéelle & Harlé, E&D (2011)
Analysent un double cas d’innovation
pédagogique (échec puis réussite) dans un établissement.
Utilisent la méthode des narrations (Grossetti 2008) et l’analyse des réseaux.
Un exemple d’enquête
L’analyse des narrations permet de comprendre les rapports entre
personnes en fonction de leur
caractéristiques professionnelles
(statuts et disciplines d’appartenance).
Elle permet d’analyser les différences de leadership entre les deux cas (échec et réussite).
Un exemple d’enquête
L’analyse des réseaux sociaux permet de qualifier les relations (obstacles vs ressources) et d’en quantifier les
réseaux.
On constate que l’étendue et la densité du réseau de l’innovation réussie sont supérieures à celles du réseau de
l’innovation qui a échoué.
Le travail, qu’est-ce que c’est ?
On a tendance, ces dernières années, a confondre travail et activité.
L’activité, ce sont les tâches accomplies, et l’une des grille d’analyse désormais classique est l’opposition entre activité prescrite (tâches) et activité réelle
(gestes), sachant que les prescriptions du travail sont de plus en plus floues et complexes à la fois.
Le travail, qu’est-ce que c’est ?
Le travail contient aussi les rapports de sociaux de production et donc des
questions du type…
Qui travaille pour qui?
Comment s’effectue la division du travail ?
Qui retire les bénéfices (y compris symboliques) du travail ?
Le travail, qu’est-ce que c’est ?
Du côté de l’activité, on voit fleurir
beaucoup de théories ergonomiques, mais elle tendent à masquer l’activité réelle.
Il est vrai que c’est très fastidieux de relever des activités. Mais cela est beaucoup plus intéressant que les discours sur l’activité.
Le travail, qu’est-ce que c’est ?
L’activité est généralement polyfonctionnelle.
L’idée qu’un geste remplit une fonction résiste mal à l’analyse. De nombreux
gestes n’ont aucune fonction et d’autres remplissent plusieurs fonctions.
Il est impossible de catégoriser le travail à l’avance.
Le travail, qu’est-ce que c’est ?
Un exemple : le travail de directeur d’établissement scolaire.
Une enquête avec semainiers (environ 40) et observations pendant une
semaine (18).
Analyse rapport entre tâches autoprescrites et activités.
Le travail, qu’est-ce que c’est ?
réunions (2 j/semaine),
Communication (9 h/semaine)
Interruptions : (7h/semaines)
Sans observations, on n’aurait pu évaluer le temps d’interruption.
La méthode est inductive. Catégoriser le travail à l’avance est impossible.