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La néolithisation : impact de l'innovation culturelle sur la biologie et la dynamique des populations

MENK, Roland

MENK, Roland. La néolithisation : impact de l'innovation culturelle sur la biologie et la

dynamique des populations. Archives suisses d'anthropologie générale , 1977, vol. 41, no.

1, p. 31-36

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:95647

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La néolithisation: impact de l'innovation culturelle sur la biologie et la dynamique des populations

par

Roland MENK

I. Introduction

Malgré son apparence éminemment culturelle, le phénomène de la néolithisation - comme celui du Néolithique tout entier - est en premier lieu un phénomène humain.

En tant que tel il comporte toute une gamme de facettes (souvent négligées dans la littéra- ture) qui rappellent la nature biologique de l'être humain, ainsi que son insertion dans un milieu naturel complexe et changeant. L'importance que prennent ces éléments anthropo- écologiques quant à la compréhension (modélisation) du processus de néolithisation n'est sans doute pas moindre que celle que ces mêmes éléments revêtaient, sur le plan physique, pour les populations préhistoriques dans leur lutte quotidienne pour la survie.

Jugée d'après la littérature archéologique du passé, cette comparaison paraît démesurée.

Dans l'optique de cet article elle paraît entièrement justifiée car - partant de la définition que le culturel est l'appareil médiateur entre l'homme et son milieu, véhiculant les échanges (interactions matérielles et non-matérielles) - l'homme de la fin du Mésolithique est encore beaucoup plus un être biologique qu'un être culturel. Par cette définition élémentaire du terme de culture on entend exprimer, en plus, l'orientation quelque peu cybernétique de ces réflexions: on tâchera de dégager les réseaux d'interactions, aussi bien au niveau des faits et de leurs causes qu'au niveau des sciences qui sont appelées à les analyser. Ceci est un point crucial, car le manque de conceptualisation des schèmes d'interaction des éléments à examiner, et de systématisation de la démarche scientifique, est le principal responsable de conclusions aberrantes.

II. Historique des modèles de la néolithisation

Puisqu'on proposera un nouveau modèle pour résumer et expliquer le processus de la néolithisation, il paraît opportun de présenter un bref historique des conceptions anté- rieures, ainsi que des projections faites au sujet des conditions de vie pendant la période initiale du Néolithique. Il s'agira d'un historique non pas chronologique, mais plutôt épistémologique, dont l'accent sera mis avant tout sur la démarche conceptuelle.

Un premier type d'approche - en vigueur à l'époque héroïque de l'archéologie et de la paléanthropologie (cette dernière étant dominée par l'évolutionnisme darwinien) - consistait à supposer un rapport direct entre le raffinement technologique observable dès le Néolithique avec l'évolution de l'intelligence humaine. Selon cette vue très simpliste, le progrès technico-culturel est perçu comme étant une émanation directe des processus bio- logiques d'hominisation et de cérébralisation qui, dans leur phase finale, amènent l'homme (biologique et culturel) au seuil du présent: « ... man ... had changed ... from the low savage hunter to the half-civilized farmer. .. » (Brown 1892).

Dans cette conception anthropocentrique - l'homme préhistorique est perçu de manière téléologique, dans son ascension rapide et constante vers l'homme actuel - l'élément

«culture», dont on essaie de relever le rôle actif, est réduit à servir de témoin de l'évolution de l'intelligence humaine.

Le second type d'approche, plus ou moins exclusivement archéologique, gravite autour du concept du diffusionnisme. Le succès que ce dernier a rencontré dans le monde archéolo- gique est dû- mise à part l'autorité de son promoteur G. V. Childe - aux facteurs suivants:

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l'impuissance par principe de l'archéologie à saisir, à elle seule, l'identité biologique des populations porteuses des civilisations,

- le désintérêt relatif de l'archéologie quant à la nature du substrat biologique des civi- lisations,

la discrétion de l'anthropologie physique devant ces mêmes problèmes,

la fragmentation ou spécialisation géographique et chronologique des archéologues.

Le principe même du diffusionnisme - absence de mouvements substantiels de popu- lations - implique presque automatiquement un mode d'expansion culturelle harmonieux et paisible, ainsi qu'une projection très positiviste de la paléoécologie. C'est ainsi que Childe (1929) postule, pour le Néolithique, les améliorations suivantes:

- supériorité du mode de subsistance de production;

- libération de l'homme des corvées de la subsistance, dans une large mesure;

- créativité technico-culturelle par le gain de temps de loisir;

- croissance démographique équilibrée.

Ce modèle diffusionniste paraît très inadéquat et ceci non seulement du point de vue de sa fidélité historique (voir plus loin), mais encore de celui de la cohérence de sa logique interne. Si, pour la phase initiale de la néolithisation, Childe (1951) 1 interprète les variations mésologiques et culturelles selon un schéma de causalité directe, il abandonne cette vue pour les phases ultérieures, où l'évolution culturelle développe une dynamique propre à elle, qui ne dépend plus que d'un seul facteur, intrinsèque de surcroît: le développement culturel serait conditionné avant tout par l'augmentation du temps de loisir qui, lui, dépen- drait directement du premier. Au lieu d'intervenir activement dans la régulation de l'équi- libre homme-milieu, le culturel devient presque un but en soi. Ceci est aberrant, bien sûr, mais néanmoins typique de la façon dont certains archéologues ont tendance à concevoir la signification du culturel.

Un troisième type d'approche - très ouvert et global dans sa conceptualisation - doit son existence dans une large mesure à Childe qui, en proposant sa vision qu'on vient de décrire, s'était basé sur toute une série d'intuitions et de suppositions non vérifiables en son temps. Ces lacunes trop manifestes ont incité toute une génération d'archéologues, anglo- saxons surtout, à entreprendre des investigations minutieuses et approfondies et, avec l'élargissement de l'horizon de l'archéologie, à faire un grand effort d'intégration et de réflexion aboutissant aussi à une maîtrise de l'appareil conceptuel et formel élargi de cette science.

Sur le plan concret, ces investigations ont conduit à rejeter la plupart des suppositions de Childe, dont

- l'hypothèse de la supériorité du mode de subsistance de production sur celui de pré- lèvement qui est erronée, aussi bien du point de vue de l'investissement de temps que du point de vue de la quantité et de la qualité diététique,

- le fait qu'il n'y a pas eu de libération de l'homme de ses corvées de subsistance, bien au contraire,

l'accélération (s'il y en a eu) de l'évolution culturelle qui n'est pas en relation avec le temps de loisir.

Sur le plan théorique, Binford (1968) a mis en évidence, par une analyse de systèmes in abstracto, le rôle éminent que doivent avoir joué les mécanismes de la régulation de l'équilibre démographique pendant - et pour - la période de la genèse et de l'expansion du Néolithique.

1 « Théorie de l'oasis».

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m.

Un nouveau modèle

Ce type d'approche nouvelle et globale fournit un cadre conceptuel et factuel parfait pour y intégrer des résultats obtenus dans un autre travail (Menk 1977), qui porte sur la crâniométrie de l'Europe préhistorique. Il convient d'en relever deux points qui intéressent très directement le problème de la néolithisation, car ils sont susceptibles de donner une réponse tranchée aux questions, si souvent évitées, qui touchent au diffusionnisme.

Primo : la quantification des affinités phénotypiques 1 entre les civilisations préhisto- riques a permis de mettre en évidence, pour le Néolithique ancien, un bloc morphologique- ment très homogène qui englobe tous les groupes des complexes méditerranéen et balkano- danubien. Ce bloc est en même temps fortement différencié des divers substrats mésoli- thiques. Devant ces arguments, il paraît opportun d'admettre que la néolithisation du continent européen se soit faite par immigration massive, soutenue et orientée.

Secundo : l'étude des tendances diachroniques des grandeurs corporelles 2 permet de distinguer trois phases, dont chacune est «doublée» d'une coïncidence d'ordre culturel.

La première phase est une phase de réduction qui dure pendant tout le Néolithique ancien. Elle coïncide donc avec la phase de migration.

La seconde phase montre un arrêt, puis un renversement de la tendance antérieure de réduction des dimensions corporelles. Sur le plan culturel ceci correspond à la phase de consolidation et de la particularisation locale des civilisations.

La troisième phase est celle d'une récupération rapide et complète. En termes culturels elle correspond à une période d'épanouissement, où des civilisations commencent à déve- lopper un dynamisme d'envergure parfois considérable.

Comment concilier le paradoxe né de la coexistence de migration et de sédentarisme (ce dernier étant souvent considéré comme étant une des premières réalisations du Néoli- thique)? Ainsi que l'avait postulé Binford (1968), la réponse réside dans l'instabilité de l'équilibre démographique, amenée par l'introduction du nouveau mode de subsistance.

Dans la société à économie de type chasse-cueillette, l'utilisation des ressources natu- relles est largement sous-optimale : l'homéostase anthropo-écologique est maintenue de manière stable par adaptation de la densité démographique à la quantité minimum de nourriture disponible pendant la mauvaise saison (Piggott 1965). Notons en passant que ce facteur d'adaptation a une périodicité d'une année.

Dans la société à subsistance de production, par contre, ce facteur limitatif est écarté par la capacité de l'homme de créer des réserves. Dans ces conditions nouvelles - impliquant aussi des transformations très profondes aux niveaux sociologique, psychologique, géné- tique, etc. - il y a un accroissement immédiat de la densité de population, de sorte que les ressources alimentaires sont exposées à une exploitation maximale, voire même critique.

Un tel système est extrêmement vulnérable et sensible aux moindres perturbations, telles que mauvaises récoltes, intempéries, épidémies. Si, à l'époque paléolithique, la régulation de l'équilibre démographique pouvait encore se faire par des mécanismes culturels courants (tabous, abstinence, infanticide, etc.), il fallait d'autres moyens pour faire face à ces situa- tions dramatiques, que le Néolithique a dû connaître au moins dans sa phase initiale. Le seul remède était l'émigration.

Il est certain que l'introduction de la technologie néolithique constituait une révolu- tion (sic Childe 1935). Mais il importe d'ajouter que toute révolution signifie tout d'abord

1 Basée essentiellement sur une matrice de distances morphologiques généralisées (type D 2 de Mahalanobis), confrontée à une matrice de distances géographiques entre les barycentres des civilisations.

2 On résume ici les grandeurs corporelles par le module crânien qui entretient des corrélations hautement signifi- catives avec les longueurs de tous les os longs, etc. On tient à éviter ici les termes de« gracilisation » et de « dégracilisation » qui - quoique ayant été employés dans des contextes semblables pour décrire des faits similaires - ont une consonnance trop morphoscopique.

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une rupturelbrutale!d'un état]d'équilibre préexistant. Une période plus ou moins longue d'adaption et de rééquilibration est requise. Dans le cas de la révolution néolithique cette période:dura:1a:bagatelle:de 1500:ans environ (fig. 1; voir Tringham 1976).

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FIG. 1. - Variation diachronique du module crânien chez 58 groupes culturels (en % de xm):

1 = Tardenoisien. - 2 = StarCevo. - 3 = Karanovo It II. - 4 = Cardial. - 5 = Rubané.

6 = Dniepr~Donetz.

Pourquoi les émigrants néolithiques ne se sont-ils pas reconvertis alors à l'ancien type de subsistance, puisque celui-ci semble être si avantageux? Il y a deux réponses à cette question.

La première est que cela s'est effectivement produit, dans le cas des chasseurs-pêcheurs du Dniepr-Donetz. Ceux-ci ont trouvé une niche écologique à prédation, disponible et riche en gibier, ce qui a eu des conséquences évidentes sur le plan de la morphologie (fig. 1;

voir Dolukhanov 1973).

La seconde est que la grande majorité des migrants étaient contraints de persévérer dans leur technologie si capricieuse dans les grandes plaines loessiques - seul biotope non soumis à la compétition par les chasseurs de tradition mésolithique (Tringham 1971,

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1976) - et de remettre en équilibre tout le jeu des facteurs biologiques, sociaux, économiques, culturels, etc., touchés par cette innovation technologique à double tranchant.

Il ne fait pas de doute - et les arguments qu'on vient d'énoncer le confirment - que

!"économie de production, de type néolithique initial, de surcroît, ne présente aucun attrait pour une société pratiquant la prédation de façon efficace (Piggott 1965). Cet argu- ment est susceptible d'expliquer, à titre d'hypothèse, la persistance des traditions méso- lithiques dans l'Europe septentrionale (civilisations dites« sub-néolithiques » du Danemark) et leur relève très tardive par des formes néolithiques efficaces.

BIBLIOGRAPHIE

BROWN, J. A. 1892. On the continuity of the Palaeolithic and Neolithic periods. JRAI, 22 (1, 2), 66-98.

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- - 1951. Man makes himself. New York, Mentor Books, New American Library.

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MENK, R. 1977. Anthropologie du Néolithique européen. Analyse multivariée et essai de synthèse.

Thèse, Université de Genève.

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TRINGHAM, R. 1971. Hunters, Fishers and Farmers of Eastern Europe 6000-3000 BC. London, Hutchinson University Library.

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Département d'anthropologie de l'Université de Genève

Références

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