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Île de la Réunion, Mars 2010

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Île de la Réunion, Mars 2010

Le bateau quitte le port. Le temps se re- ferme sur nous, la mer reprend possession du navire, les mains qui nous saluaient il y a quelques minutes à peine semblent bien lointaines.

Les passagers se tournent vers l’horizon.

Les yeux ont un éclat particulier, la pro- messe sans doute que constitue pour cha- cun de nous ce voyage. Le voyage est en nous, dans nous et s’y installe intensément au fur et à mesure que tombe la lumière.

Je n’ai d’yeux que pour ces mains, suspen-

dues au bastinguage. Comme une promes-

se...

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Le Marion file vers Crozet dans le bleu outremer de l’océan. Je me penche au bastingage happé par le spectacle continu du ferme et doux déchirement que l’étrave fait subir à la mer. Les points de lumière et d’ombre rayent mes pupilles comme ils le font de l’océan. C’est dans ces moments que le mot photographie prend du sens : écrire avec la lumière.

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Quatre jours, cinq nuits.

Quatre jours sur le pont, à regarder cette incroyable lumière. L’horizon est vide. Le temps s’allonge, palpable et doux.

Nous franchissons les quarantièmes et la li- gne de convergence, là où les eaux chaudes de l’océan Indien rencontrent les eaux ve- nant de l’antarctique.

Le bleu de la mer devient métallique, La

température chute d’une dizaine de degrés

dans la nuit.

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6 heures du matin, Archipel de Crozet - 46° 30’ S

Après cinq jours de navigation, l’île de la Possession, apparaît dans la brume Au loin brillent les lumières de la base Alfred Faure. Les hivernants doivent déjà nous attendre...

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A bord du Marion, la relève des hivernants s’apprête à embarquer dans l’hélicoptère qui les amènera sur la base. Là, ces hommes vivront en communauté d’une vingtaine de personnes pendant 8 à 12 mois. Le grand saut...

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La base Alfred Faure, seul ilot de couleur et d’humanité... à mille milles de toute terre habitée. Île de la Possession, Archipel de Crozet.

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En l’absence de port, c’est l’hélicoptère qui effectue le déchargement du fret. Les fenêtres météo laissées par le vent sont brèves. Les marins doivent aller vite. Les produits frais sont très attendus des hivernants. Sur les bases, pas de culture. On tente au maximum d’éviter l’introduction de nouvelles espèces dans ces zones où la biodiversité est extrêmement protégée.

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L’Île de la Possession, découverte par un officier malouin de la Compagnie des Indes, Marion Dufresne, en janvier 1772 est aujourd’hui classée réserve naturelle.

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«BUS», la Baie Américaine et son lac

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Les princes de l’île rejoignent leur manchotière. C’est ainsi qu’on appelle ici la plage sur laquelle ont élu domicile les manchots. Ils partagent avec quel- ques autres espèces animales (les éléphants de mer, les otaries, les albatros et les chats...) l’inestimable privilège de vivre à l’année dans l’archipel.

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Notre présence sur la manchotière semble à peine perturber les manchots. Ici, l’homme n’est pas un prédateur. Ils viennent vers nous, et nous auscultent du bec. Et si les animaux que nous sommes font un geste un peu brusque, ils esquissent alors un petit pas en arrière et retournent dans l’eau.

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Les yeux grand ouverts, je marche sur la man- chotière comme sur la lune. Ai-je réellement at- terri ? Entouré de manchots et de pétrels géants, le ronflement discontinu d’un moteur diesel me fait tourner la tête. Ni route, ni voiture à l’hori- zon.

J’épluche la plage du regard, à la recherche d’un improbable engin mécanique et de son conduc- teur... Des rochers au loin se soulèvent, le vacar- me du diesel s’amplifie. Les pierres se fendent de rouge et s’ouvrent, baveuses, en de fumantes gueules béantes. Les éléphants de mer.

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L’inaccessible Île de l’Est vue de la base Alfred Faure

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L’île de l’Est est classée réserve intégrale. Seules les activités liées à la recherche scientifique y sont autorisées.

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Le Marion à l’ancre devant l’Île de la Possession

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Quatre jours auprès des hivernants. Quand nous arrivons dans le foyer de la base, il y a dans l’entrée des petits bancs sous les- quels se tiennent les bottes de ceux qui sont rentrés et les charentaises de ce ceux qui ne le sont pas encore.

Quatre jours à partager cette parenthèse du monde.

Même si j’ai conscience de ne faire qu’effleurer l’es- prit des bases, cette brève escale est intense.

Le jour du départ, nous attendons, avec les hiver- nants partants, le vol qui doit nous ramener à bord, entre deux chargements du navire, dans le ballet de

l’hélico, au milieu des caisses qui volent au-dessus de nos têtes. Une exci- tation mêlée de joie et de tristesse. Derniers baisers, dernières étreintes, le départ sourd, en chacun d’eux et la séparation imminente.

J’ai senti leurs regards inquiets dans ce moment qu’ils auraient sans doute voulu vivre sans partage, sans d’autres yeux que ceux de leur compagnons.

Ceux avec qui ils venaient de vivre une partie si in- tense de leur existence.

J’ai pensé à cette phrase de Didier Lefèvre dans son livre Le photographe : « mieux photographier, c’est s’améliorer humai- nement ». Alors, j’ai dé- posé mon appareil.

L’hélico nous a finale- ment embarqué, une mi- nute à peine avant de re- tomber brutalement dans la coursive du Marion, puis dans la cabine. Je me suis assis sur ma bannette, hébété et muet. La porte s’est violemment refermée.

Il reste un rai de lumière, qui ne s’évanouit pas, un songe.

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Réveil brumeux. Agitation sur le pont. Une fenêtre météo vient de s’ouvrir pour permettre les opérations de déchargement du gasoil. Ce ravitaillement, seule source d’énergie de la base, se fait au moyen d’une manche à gasoil tractée par une vedette jusqu’à la côte. Il faut parfois attendre plusieurs jours pour que des conditions nécessaires à ce type d’opération soient réunies.

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Un homme d’équipage récupère la manche à gasoil. Elle sera ensuite raccordée au système de stockage de la base.

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La manche gavée de pétrole est lourde et peu manipulable. Le propulseur d’étrave - qui permet au Marion de garder sa position - décroche. Le navire chasse, la manche est arrachée pour la troisième fois. Il faut réparer. Tous les marins sont sur le pont. La manoeuvre est délicate, un homme est légèrement blessé.

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Le temps presse, le Marion doit rejoindre Kerguelen et poursuivre sa mission. Inquiétude et frustration. Tout le gasoil n’a pu être livré. Et pourtant, il faut partir.

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Nous appareillons pour les 50ème, le jour décline. Le vent du sud se lève. Dans la passerelle la lumière rouge s’allume. Dans l’ombre, comme s’ils voulaient échapper aux regards, les hivernants s’accrochent à la radio, échangent les derniers mots avec ceux qui sont restés à terre. Tristesse joyeuse, bouffonne pour étouffer les larmes. Je me sens si proche d’eux, étrangement proche.

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Vers les cinquantièmes hurlants

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Un fort roulis perturbe le service. Dans les cuisines, on entend la vaisselle se briser alors que dans le salle à manger les convives glissent d’une table à l’autre sur leur chaise.

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L’attente... Au bar du Marion, à travers les hublots, les ombres m’accompagnent. Peuple fidéle de ce voyage intérieur. Elles me par- lent de la mer et de la météo. Nous changeons de fuseaux et d’horaires sans bien savoir pourquoi, le départ semble déjà si lointain.

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Après quelques jours de navigation, les premiers albatros sont dans le sillage du navire. Kerguelen approche...

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Je me suis réveillé en sursaut. Etait-ce un bruit d’ancre ou tout simplement une légère modifica- tion dans le ronronnement des moteurs, le roulis du bateau. Six heures. J’ai sauté dans mon ca- leçon chaud et ma veste de quart, monté quatre à quatre les escaliers qui me séparent du pont supérieur. J’ai fait basculer la lourde porte mé- tallique, que le vent glacial repousse vers l’inté- rieur.

Un lever de soleil rose et brumeux frappe mes pupilles encore endormies. Je fais un pas sur le pont et me tourne vers l’étrave du navire. De hau- tes falaises de basalte nous barrent la route. Tout à coup, le bateau semble minuscule, comme un jeu d’enfant flottant dans une baignoire de lait bleu glacier. Je n’ai jamais rien vu de compara- ble. Le mot sauvage prend une densité nouvelle.

Pour la première fois, je touche du doigt ce sen- timent de bout du monde. Est-ce cette pensée ou le spectacle autour de moi qui rend cet instant si saisissant ?

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6 heures du matin, arrivée dans l’Archipel des Kerguelen - 49° 20’S

40 noeuds de vent - les hommes préparent les conteneurs sur le pont avant en espèrant que l’hélicoptère pourra décoller.

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A la passerelle, un officier repère sur une vieille carte la route que le Marion devra emprunter entre les îles de l’archipel.

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Le Marion naviguant entre les îles de l’archipel des Kerguelen

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Je pense au navigateur Rallier du Baty qui écrivit en 1908, dans le récit qu’il fit de sa découverte des îles de la Désolation :

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« Cela me fit penser à une promenade à travers l’enfer de Dante (...) . A travers le crachin, elle avait vraiment l’air diabolique dans sa sinistre laideur, terre de désolation sauvage et dénudée qu’anges et mortels devaient fuir.» Aventures aux Kerguelen R. Rallier du Baty.

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Nous longeons lentement les côtes de l’archipel. Et ces mots montent en moi, comme une évidence : Kerguelen, le pays des hommes allongés qui hurlent vers le ciel...

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« Par une belle journée, avec le soleil étincelant, tout est différent. La beauté de Kerguelen s’insinue dans les coeurs...». Aventures aux Kerguelen R.

Rallier du Baty.

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Navigation dans l’archipel des Kerguelen

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La Baie de la Table, Archipel des Kerguelen

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Seule station baleinière sur le territoire français, Port Jeanne d’Arc fut construite à l’initiative des armateurs havrais, les frères Henry et René Bossière, en 1907.

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Le développement des huiles de synthèse et de l’électricité rendra la production d’huile de baleine obsolète. L’usine sera abandonnée dès les années 20.

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Le vent se lève brutalement sur Kerguelen. Dévalant les glaciers de l’Antarctique, il ne trouve sur son chemin aucune terre pour l’arrêter. Dans sa violence et sa soudaineté, il ne laisse pas même à la mer le temps de se former. Arrachant ses flots par paquet, il les traîne vers le ciel.

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C’est le matin plein de tempête au cœur de l’automne austral. Je pense à Neruda . «Comme des blancs mouchoirs d’adieu, les nuages voltigent et le vent les agite de ces mains voyageuses. Innombrables, le coeur du vent bat sur notre silence amoureux.... ».

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Sur la base de Port-Aux-Français, Archipel de Kerguelen

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L’arbec de la Mortadelle au pied du glacier Cook. Ces cabanes sont appelées aussi fillods - du nom de leur inventeur, Ferdinand Fillod, un chaudronnier qui se lança dans les années 30 dans la construction de ces préfabriqués métalliques. Elles sont déposées en certains points stratégiques des îles et sont ravitaillées par hélicoptère du Marion. Elles permettent aux scientifiques de mener les manips, des missions de plusieurs jours en dehors de la base.

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Résident de l’Anse du Pacha, Kerguelen L’éléphant de mer.

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Le chaland est la seule embarcation disponible toute l’année dans l’archipel. Il assure le convoyage des hivernants sur certaines parties de l’île et le trans- bordement du fret du Marion à terre.

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Le chaland à couple du Marion

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Les deux Seb et le bosco, Franck, sur les conteneurs à couple du Marion. Le vent s’est levé et le chaland fait des bonds le long de la coque du navire.

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Le Marion, à l’ancre devant Kerguelen, s’apprête à appareiller pour Saint-Paul et Amsterdam.

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En mer, entre Kerguelen et l’Île Saint-Paul

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6 heures du matin, le jour se lève sur l’Ile Saint-Paul - 38° 43’S Le cratère ouvert sur les flots s’illumine.

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Nous ne descendrons pas sur l’île. La houle est trop forte et ses terres très protégées. Si proche pourtant et si mystérieuse. Je regarde ses côtes et imagine l’enfer qu’a dû vivre cette poignée d’hommes et de femmes, venus de Concarneau dans les années 30, pour y installer une conserverie de langouste.

S’étant portés volontaires pour y passer un hiver, ils y furent abandonnés. Un autre rêve brisé des frères Bossière.

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L’île d’Amsterdam - 38° 43’ S

Le jardin austral. Dernière étape de la rotation. Quelle étrange sensation, cette herbe verte et onctueuse. Il y a des arbres. Tout semble très familier. Même l’accueil. On se croirait presque à la maison.

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10 avril 2010, le jour se lève sur Amsterdam. Aujourd’hui j’ai 40 ans.

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Je ne verrais rien d’Amsterdam. Depuis la cale, je guette le moment où la portière du Marion Dufresne fera sa première apparition. Le radeau, traîné par une vedette semble venu d’un autre âge.

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On travaille ici comme ailleurs, mais il faut savoir s’adapter à l’environnement.

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Avant d’appareiller pour la Réunion, le Marion croise le langoustier l’Austral.

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Allongés sur le pont, immobiles, nous avons regardé une dernière fois le grand bal de la galaxie s’agiter autour de nous. La tourelle orange du Marion balance en faisant des huit avec les étoiles. Sur nos pupilles dilatées - comme sur nos coeurs – s’accrochent ces bribes d‘une lumière infinie.

Mais déjà la lueur lointaine de la Réunion voudrait assombrit notre nuit. Nous nous échappons par la grande porte étanche qui donne sur le pont et la refer- mons délicatement. Garder intact notre rêve.

16 avril 2010, grand théatre de l’Océan Indien.

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