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La famille esclave à Bourbon

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Academic year: 2021

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Submitted on 23 Jul 2014

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La famille esclave à Bourbon

Gilles Gérard

To cite this version:

Gilles Gérard. La famille esclave à Bourbon. Histoire. Université de la Réunion, 2011. Français.

�NNT : 2011LARE0029�. �tel-01038011�

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UNIVERSITE DE LA REUNION.

Faculté des Lettres et Sciences Humaines Département d’Histoire

LA FAMILLE ESCLAVE A BOURBON

Thèse de Doctorat d’Histoire Présentée et soutenue publiquement par

Gilles GERARD

VOLUME I

Membres du jury:

Mr. Ivan COMBEAU Mr. Sudel FUMA

Mr. Barthélemy MANJAKAHERY Mme Lucile RABEARIMANANA

Directeur de recherche :

Monsieur Sudel FUMA Avril 2011

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REMERCIEMENTS

Ce travail de recherche s’est étalé sur plus de dix ans, à la suite d’une recherche en anthropologie sociale sur le choix du conjoint à la Réunion. Le contact quotidien avec les familles réunionnaises, grâce à mon activité professionnelle, m’a amené à poursuivre mes recherches sur les origines de cette société qui ont conduit, dans la perception des individus, à la revendication de « tout y tonm famiy ».

C’est donc d’abord à ces personnes, anonymes ici, que vont mes remerciements.

Cette recherche n’aurait jamais pu se conclure sans la participation, à tout instant et à tous niveaux, de Martine Grimaud qui a effectué une très grande partie des relevés d’état civil et qui a surtout systématiquement questionné mes approches.

Mon directeur de thèse, Sudel Fuma, a dès le départ de mes travaux, montré son intérêt pour l’approche que je comptais développer et m’a régulièrement encouragé à finaliser mes recherches. Qu’il soit remercié également pour la liberté qu’il m’a donnée de suivre ma démarche.

Outre la plupart du personnel des Archives Départementales de La Réunion, que je côtoie depuis 1986, il convient de citer Pierrette et Bernard Nourigat qui ont accepté de me communiquer systématiquement leurs relevés des actes d’affranchissements, parfois même avant publication.

Je remercie également Marie-Hélène Hilaire et Jean-Michel Lambert pour leurs lectures de ce document et leurs observations pertinentes.

Je suis redevable également aux chercheurs réunionnais qui, soit par leurs écrits, soit lors de rencontres, ont manifesté quelque intérêt pour mes travaux.

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INTRODUCTION GENERALE

« L’histoire a une dette envers les morts », Paul Ricoeur.

« Il n’y aurait pas de sociétés sans familles mais il n’y aurait pas non plus de familles s’il n’y avait pas déjà une société. » Claude Lévi-Strauss

Etres humains ou non ? Est-il nécessaire de répondre à cette question pour étudier la problématique de l’esclavage, ses caractéristiques, son mode de fonctionnement, son économie ? L’idéologie dominante des siècles précédents justifiait aisément, en

particulier en milieu colonial, l’instauration du système esclavagiste appliqué aux Noirs victimes de la Traite. Le taux de mélanine, les comportements païens, le physique, les rites, servaient de justificatifs à l’exclusion du monde des humains, civilisés, les soi- disant « sauvages ». Les philosophes des Lumières, dans la « patrie des Droits de l’homme » s’inscrivaient pour la plupart dans ce courant.

La seconde partie du XXème siècle a vu apparaître une dénonciation idéologique de cette exclusion, aboutissant à la proclamation, par l’Etat français, de l’esclavage comme crime contre l’humanité. Ce pas important, pour la reconnaissance de la qualité d’être humain des esclaves, apporte donc, partiellement, une réponse à la question initiale.

On peut suivre, à travers les écrits des différents pouvoirs, coloniaux, religieux, économiques, intellectuels, les arguments justifiant l’une ou l’autre des positions idéologiques.

Les matériaux dont dispose l’historien pour analyser et expliciter l’enchaînement des comportements et les règlementations caractérisant l’instauration, le fonctionnement puis la disparition du système esclavagiste dans les colonies françaises, ces matériaux sont essentiellement ceux produits par ces différents pouvoirs.

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« L’histoire du silence »1, doit dès lors, non pas ignorer ni minorer l’importance de ces regards, mais en déceler la cécité et la surdité afin de mettre en évidence le caractère profondément humain des personnes réduites en esclavage.

Nous avons voulu, à travers cette étude, mettre en évidence ce bruissement incessant de l’humanité fondamentale des esclaves qui apparaît, se distingue, émerge, s’amplifie jusqu’à la fin du XIXème siècle. Ce crissement, rarement un cri, s’entend, entre autres, dans la forme d’organisation humaine la plus fondamentale, l’inscription dans une famille, une lignée et une parenté.

Nous verrons que bien souvent, il ne faut pas chercher dans les déclarations et écrits des différents pouvoirs2 l’écho de ces bruissements. Il apparaît, en misouk 3, bien souvent à leur insu.

Pour plagier Aimé Césaire, le plus incroyable c’est que les esclaves aient tenu.

Il s’agit dès lors de « débusquer » dans les écrits des uns et des autres, dans les diverses déclarations, en particulier d’état civil, des mentions et informations justifiant et

accréditant l’idée d’une famille esclave.

C. Meillassoux4 résume de manière synthétique la problématique qui est la nôtre :

« Par la capture, il était arraché à sa société d’origine et désocialisé. Par le mode d’insertion dans la société d’accueil et les liens qu’il entretenait avec ses maîtres, il était ensuite dé-civilisé et dépersonnalisé, voire dé-sexualisé, lorsque des tâches ne correspondaient pas habituellement à celles tenues par les représentants de son sexe lui étaient confiées. »

Pour O. Patterson5 l’esclavage est une mort sociale. L’esclave ne naît pas, ne meurt pas par lui-même, mais toujours dans l’approche du maître.

Selon H. Gerbeau6, « L’histoire trahit toujours l’esclave. Même lorsqu’elle parle de lui, c’est sous un faux nom, un nom de cirque, un nom volé, puis elle l’abandonne en cours de route. Orphelins de vacation et pères d’orphelins, les esclaves ne naissent ni ne

1 En référence aux approches de Mr. Hubert Gerbeau. L’esclavage et son ombre, l’île Bourbon aux XIXe et XXe siècles. 2005.

2 Plusieurs mentions, de-ci de-là sont faites sur l’importance de la famille chez les esclaves ; nous les retrouverons en cours d’étude. Elles ne sont souvent que peu considérées.

3 En cachette, en créole réunionnais.

4 Meillassoux, Claude. Anthropologie de l’esclavage. 1998. p. 100

5 Paterson, O. Paterson, Orlando. Slavery and Social Death, 1982.

6 Gerbeau, Hubert. Les esclaves noirs. 1970. p.16 et 56

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4 meurent. » Un peu plus loin, cet historien précise cette notion de perte d’identité et d’inscription dans un groupe de filiation:

« Les mères que l’on déracine de leurs enfants perdent souvent le goût de la nourriture.

L’arrachement au village natal creuse dans le ventre un puits de solitude où vont se noyer ancêtres et descendance. »

Parmi les dénis de l’humanité des esclaves, M. Péina7 relève, outre le libre arbitre et les capacités de se mouvoir librement, le droit de fonder une famille. Elle précise :

« il n’existe pour l’esclave ni naissance, ni mariage, ni décès… pour être exact, tout se passe comme s’il n’existait, ou ne devait exister pour l’esclave, ni naissance, ni

mariage, ni décès. Car il s’agit bien de la négation de ce qui, de toute évidence, existe malgré tout dans l’univers esclavagiste. »

Notre recherche, dans cette optique, a porté sur cette réalité : en effet, les esclaves naissent, s’unissent et décèdent. Nous verrons que les conditions pour que ces trois actes se réalisent ne sont pas remplies pour chaque esclave, en particulier, pour le second.

La naissance biologique est certes évidente. Par contre, la naissance sociale, c’est-à-dire la reconnaissance par le groupe, d’une intégration dans une société caractérisée par une inscription dans la parenté, sera complexe dans les sociétés esclavagistes.

La mort biologique est elle aussi inhérente à l’espèce humaine. Mais la mort, naturelle ou non, est aussi caractérisée dans toute société humaine par une inscription dans une conception du monde et de la vie propre à chaque société.

Naissances et morts des esclaves ne rempliront que peu ces fonctions sociales et culturelles.

Pour tout peuple, la connaissance généalogique, c'est-à-dire le souvenir, la mémoire de ses ancêtres, la revendication de ses descendants, l’affirmation de ses choix d’alliance constituent la base de son existence sociale, son inscription dans le monde des humains.

C’est là où la volonté de destruction et de négation par les pouvoirs esclavagistes s’est exercée à l’origine.

Cela s’observe par la Traite des Noirs tout d’abord, par la rupture violente avec le monde de la parenté des esclaves issus du continent africain et de Madagascar, pour l’essentiel à l’île Bourbon. Les conséquences de ces pratiques expliquent en partie l’évolution sociale de La Réunion.

7 Péona, Mickaëlla. Terres d’esclavages, société de plantation, de la race comme marqueur social. In Déraison, esclavage et droit. Op. cit. p.261

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5 Puis, par l’ignorance, la mise à l’écart, volontaire bien souvent, du père des enfants créoles, c'est-à-dire nés dans l’île, et son remplacement symbolique par le maître ou une puissance religieuse.

Enfin, par l’attitude du corps social dominant, par sa négation, par son déni ou par son indifférence des formes d’organisation familiales mises en place par les esclaves.

Il s’agit donc ici d’essayer d’attester de l’existence d’un processus de structuration familiale, en résistance à la déshumanisation de l’esclave, base d’organisation du système esclavagiste.

Nous ne tenons pas pour quantité négligeable, loin s’en faut, les autres formes de résistance plus criantes, telles que le marronnage, les révoltes collectives ou

individuelles d’esclaves, d’éventuelles pratiques abortives ou les suicides. Nous verrons toutefois, que ce soit dans la révolte des esclaves de Saint-Leu en 1811 ou dans l’étude des crimes de sang, que la question de la famille esclave est également présente.

Il nous apparaît cependant que la forme la plus permanente de résistante servile, concernant des milliers d’esclaves, a été, à travers de ce que nous appellerons les familles marrons, la création – (re)création de formes d’organisations familiales. Celles- ci ont abouti à la permanence d’une société créole.

V. Schoelcher8, constatant le refus du mariage religieux par les esclaves, écrivait en 1842 :

« Il ne faudrait pas conclure … que les nègres des colonies vivent dans une promiscuité absolue, sans lois ni ordre. Ils n’ont pas le mariage comme leurs maîtres, mais ils ont des liaisons ou se retrouve la fixité des relations conjugales, auquel viennent le plus souvent se rattacher les obligations du mariage. Même dans l’état bestial auquel ils sont condamnés, le sentiment de la famille s’est développé chez eux à un très haut degré. Ils conservent sur leurs enfans toute l’autorité compatible avec la servitude, ils honorent profondément leur père, leur mère ... Parmi les nègres … les liens de famille, tout aussi illégitimes qu’ils puissent être selon le Code sont légitimés et sanctionnés par la moralité naturelle de leur cœur. Les affections paternelles et filiales restent vivaces. » On peut, en écho, citer un article du milieu du XXème siècle qui montre la permanence de l’association de la bestialité et du « libertinage » dans la population réunionnaise :

8 Schoelcher, Victor. Des colonies françaises. Abolition immédiate de l’esclavage 1842. P.80-81

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6

« C’est dans le camp des propriétés et d’usines que la situation de l’enfant fait peine à voir. Dans ce milieu, des sangs étrangers se sont mélangés pour imposer une ambiance, comment dire ? … spéciale, monde bestial où l’individu croupit dans la saleté et la misère. Ici la femme enfante comme la bête met bas. Une bande d’enfants grouillent, nés souvent d’unions passagères.»9

Le tableau de la société servile, tel que nous le présentons ici, se doit également de faire apparaître les exclus de cette structuration. Nous verrons comment les esclaves victimes de la Traite, en particulier celle illégale à partir de 1817, ont eu le plus de mal à se réinsérer dans une organisation familiale, eux qui avaient connu la destruction de leur structure antérieure. De plus, en raison d’un sex ratio déséquilibré chez les esclaves, principalement ceux venant de la côte Est de l’Afrique, un grand nombre d’esclaves, dit Cafres, ne connaîtront pas ces formes de résilience que peuvent constituer l’alliance, la maternité et la paternité, pratiques qui engagent l’individu dans une autre existence.

La base de ce travail est constituée d’une recherche pour la reconstitution10 de ces familles à travers l’étude croisée de documents d’archives, du début du peuplement de l’île Bourbon, dans le sud-ouest de l’océan Indien, vers 1665 jusqu’à l’abolition officielle de l’esclavage en 1848.

Une autre partie s’efforcera d’avancer des données et des hypothèses sur la

composition, l’organisation, le fonctionnement de ces structures familiales durant la période de l’esclavage.

Il conviendra de mettre dès lors en question la « viabilité » de ces familles esclaves ; dans quelle mesure pouvaient-elles ou non assurer le maintien, voire une croissance démographique naturelle dans une société « artificielle » basée, dès son origine, sur le recours à des « bras » – mais aussi à des corps -, notion contestée par certains

historiens.11

9 Béry, Paul. Autour du recensement de 1954 in Recueil et documents pour servir à l’histoire de La Réunion. Tome 3 ; p.109. A.D.R. 2 PER 693

10 Nous reprenons cette expression dans la définition suivante : attestation de filiations, alliances et ascendances pour une population donnée, dans une zone géographique limitée et pour une période précise.

11 Voir en particulier la thèse de Mme Audrey Carotenuto, celle d’Hubert Gerbeau, les travaux de Sudel Fuma et Prosper Eve pour La Réunion, mais également les recherches dans d’autres aires géographiques, aux Antilles et aux Amériques.

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7 Cette étude s’efforce de croiser les regards et les démarches analytiques par la rencontre de l’histoire et de l’anthropologie. Il conviendra ainsi de faire appel tant à la

démographie historique, à l’histoire des mentalités qu’à l’étude des phénomènes d’acculturation et à la déclinaison de certains universaux.

Le thème de notre recherche n’est pas inédit à La Réunion. En effet, quelques historiens travaillant sur le thème de l’esclavage se sont penchés sur la problématique de la famille esclave. La fin du XVIIIème et le début du XIXème ont été étudiés, dans une approche essentiellement en démographie historique, par R. Bousquet12. Le XIXème siècle a fait l’objet d’une recherche sur « Esclavage et vie familiale »13 qui pose de nombreux problèmes méthodologiques. Rappeler le « silence du monde servile » dans les sources ne doit pas impliquer de l’acter, et surtout pas en privilégiant le discours des Blancs, esclavagistes ou abolitionnistes, ce qui occulte les lieux d’expression cachés des esclaves. De manière générale, on peut déjà signaler que la quasi-totalité de ces recherches minimisent l’existence et le rôle de ces structures familiales. Aucune étude approfondie n’a, à ce jour, été menée sur ce thème qui est pourtant implicitement présent dans de nombreux travaux.

Trois éléments sont en général mis en avant pour minimiser l’importance de la famille esclave et son rôle dans la structuration de la société créole. Le premier concerne les fondements du système esclavagiste, par la négation de la parenté chez les esclaves. Le second argument porte sur la faible natalité chez les esclaves, avec parfois une analyse portant sur le refus de reproduction comme résistance à l’esclavage. Le troisième point sur lequel s’appuient certains chercheurs concerne la rareté de structures légitimes, les mariages religieux.

Nous aborderons ces trois arguments de la manière la plus objective, ayant la prétention de ne pas « fantasmer », pour des raisons idéologiques ou autres, sur l’importance de la famille.

Il convient d’affirmer que toute approche qui établit la confusion entre famille et mariage est marquée d’un ethnocentrisme évident. L’alliance chez les esclaves, à Bourbon et ailleurs, se caractérise, quantitativement, par sa non légitimation par les maîtres. Ne chercher la famille esclave que dans ses formes socialement reconnues et/ou organisées par les maîtres implique d’ajouter au silence la cécité.

12 Robert Bousquet, Les esclaves et leur maître, 1992

13 D’Abrigeon Marie –Pierre, Esclavage et vie familiale : l’île Bourbon au XIX° siècle ; 1988.

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8 Ce n’est pas parce que le Code Noir déniait toute possibilité de structuration familiale aux esclaves que, en pratique, sur les habitations, cela s’est déroulé ainsi. L’acceptation des formes familiales imposées ou autorisées parfois par les maîtres ne doit pas

dissimuler, aux yeux des chercheurs, le vécu au quotidien de très nombreux esclaves.

On retrouve la même problématique dans la catégorisation des naissances entre légitimes et illégitimes. Cela n’a bien entendu de sens que dans la perception des

différents pouvoirs, mais dans celle des esclaves, rien ne permet de supposer qu’ils aient perçu leurs enfants de cette manière. Le poids très relatif durant de nombreuses

décennies de l’Eglise sur les représentations des esclaves laisse penser que la légitimation des enfants ne correspondait pas à une démarche des esclaves. Les

conjoints et les enfants existaient quelle que soit l’attitude du maître. La réalité de leur structure familiale s’imposait aux esclaves.

Quant à la fertilité des femmes esclaves, les résultats de notre recherche permettent d’approcher sa juste place dans une société quelque peu « irréelle » dans son développement démographique.

L’expression de l’humanité des esclaves doit s’entendre au-delà de ce cadre moral et religieux imposé.

On doit retenir les travaux de P. Eve14 qui s’intéresse à l’ensemble de la période de l’esclavage à Bourbon, de 1667 à 1848, dans une approche en démographie historique et en histoire des mentalités ainsi que ceux de H. Gerbeau, deux historiens auxquels nous nous référerons souvent, parfois avec un regard divergent du leur.

Les travaux universitaires, les thèses en particulier, centrés sur l’esclavage à Bourbon, sont rares. Certes, de nombreuses publications depuis les années 80 s’intéressent à cette problématique. Sudel Fuma, en 1987, avec une recherche sur les « Mutations

sociologiques et économiques dans une île à sucre » 15 ou Jean François Géraud16, en 2002, avec un travail sur les usines sucrières, ont abordé ce thème mais leur travail est focalisé, me semble t-il, davantage sur l’économie sucrière, son organisation et les conséquences de son développement.

14 Eve, Prosper, Naître et mourir à l’île Bourbon à l’époque de l’esclavage, 1999 A; Variations sur le thème de l’amour à Bourbon à l’époque de l’esclavage B;

15 Fuma, Sudel, Mutations sociologiques et économiques dans une île à sucre : La Réunion au dix- neuvième siècle. 1987 ; Université d’Aix-Marseille

16 Géraud, Jean-François. Des habitation-sucreries aux usines sucrières : la mise en sucre de l’île Bourbon , 1783-1848. 2002 ; Université de La Réunion

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9 Les liens entre la poursuite de la venue d’esclaves durant la Traite illégale, les grands propriétaire/usiniers, leurs amitiés et intérêts avec les négociants de Nantes, Bordeaux ou Lorient, le discours officiel systématique sur l’impossibilité du monde des esclaves à se reproduire naturellement, les enjeux financiers et l’endettement « programmé » de certains planteurs, méritent à notre avis une étude approfondie dont une des hypothèses serait l’éventuelle entente de milieux financiers et industriels afin de maintenir une permanence de la Traite des esclaves pour d’autres buts que le maintien de la main d’œuvre servile.17

La recherche ne peut ignorer les motifs et les acteurs locaux de la Traite illégale. Il conviendrait de mieux connaître dans quelles propriétés se retrouvent ces esclaves arrivés après 1817 et également après 1830. H. Gerbeau18 émet quelques hypothèses, à vérifier, sur les liens entre les différents pouvoirs :

«L’indulgence dont font preuve certains représentants de l’autorité, quand ils ont à réprimer les pratiques négrières, incite à se demander si cette attitude n’est que le fruit de l’indifférence et du laisser-aller. Bourbon offre des exemples nombreux de

négligences, qu’on peut souvent expliquer par le manque de moyens et par la tentation éprouvée par les détenteurs de l’autorité de se sentir proches des propriétaires - surtout quand, comme certains magistrats, ils sont eux-mêmes de riches habitants Ombline Desbassayns est la plus grande propriétaire d’esclaves de l’île. Son pouvoir est

renforcé par le mariage d’une de ses filles qui épouse Villèle. Dans les documents que j’ai consultés, son nom n’apparaît pas directement lié à la traite illégale. Certaines sources orales associent pourtant le nom d’Ombline au trafic mais, curieusement, présentent celui-ci comme licite… quelques autres indices font penser qu’à Bourbon un lien existe peut-être entre les bénéfices procurés par la traite. »

Les liens de cette famille avec les négociants et armateurs de Lorient en particulier, sont avérés.19

Nous verrons, dans les zones que nous étudierons par la suite, que grâce à la

connaissance des âges des esclaves dits Cafres ou Malgaches, vers 1846, ces derniers ne se trouvent que peu dans les petites et moyennes propriétés. Le rôle des propriétaires-

17 Géraud J.F., op. cit. p.820, aborde ponctuellement ce lien entre négociants et propriétaires.

18 Gerbeau, Hubert. L'Océan Indien n’est pas l’Atlantique. La traite illégale à Bourbon au XIXe siècle. in Outre-Mers, 2002, Paris,

19 En particulier avec Jean Gérard, accusé de trafic d’armes et assassiné « par la populace lorientaise » en octobre 1792 quelques jours avant l’embarquement de C. Desbassayns depuis Lorient pour Bourbon.

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10 usiniers dans la Traite illégale est une hypothèse sur laquelle il convient d’approfondir les recherches. Nous nous interrogerons également sur les âges attribués à ces esclaves et les manipulations éventuelles sous jacentes aux pratiques des maîtres dans les recensements et actes d’enregistrement des naissances et décès des esclaves afin de contourner l’interdiction de la Traite.

Nous signalons, pour mémoire, puisque cet accord ne fut pas validé par le

gouvernement, la convention signée le 1er avril 1846 entre l’iman de Mascate, Saïd-Bin et un agent du gouverneur de Bourbon portant sur des affranchissements d’esclaves achetés au nord du Cap Delgado sur la côte du Mozambique, réalisés simultanément avec des contrats d’engagements de ces affranchis d’un jour, contrats dont la spécificité était de ne définir aucune limite dans le temps de la période d’engagement et aucune estimation de salaire. Cette forme d’engagisme fut assimilée à une nouvelle forme de Traite. Elle avait cependant l’aval du Gouverneur de l’île et devait répondre sans aucun doute à la demande de propriétaires.

Une thèse récente, celle d’Hubert Gerbeau20, en 2005, réinscrit ce thème de l’esclavage dans une perspective plus large, temporellement et spatialement, tandis que la recherche d’Audrey Carotenuto21, en 2006, étudie les phénomènes d’oppositions serviles à

Bourbon entre 1750 et 1848 à partir des sources judiciaires. Nous étudierons plus loin, dans le détail, ces deux recherches.

A cela, il convient d’ajouter le travail de J.M. Filliot22 sur la traite des esclaves vers les Mascareignes.

Si notre étude s’arrête en 1848, cela ne doit pas être considéré comme une validation de nombreuses analyses qui voient dans cette date, pour les colonies françaises, une réelle disparition de l’esclavage23.

20 Gerbeau, Hubert. L’esclavage et son ombre Op. cit. 2005.

21 Carotenuto Audrey. Les résistances serviles dans la société coloniale de l’île Bourbon (1750-1848).

2006 ; Université d’Aix-Marseille

22 Filliot, Jean-Marie. La traite des esclaves vers les Mascareignes au XIIIe siècle. 1974 ; ORSTOM

23 A la suite de S. Fuma, nous estimons que l’engagisme, qui implique la notion juridique de

consentement, qui va se développer après 1848, s’apparente davantage à du « servilisme », en particulier pour les engagés africains, polynésiens et chinois. L’arrivée à La Réunion, en1867, d’un enfant de 10 ans,

« de caste cafre », avec un contrat d’engagement sous le nom typiquement africain de « Grain de riz » témoigne à la fois de formes de servilité sous le vocable d’engagisme et d’un recours à des « bras » encore bien jeunes. Les registresd’état civil pour les décès recèlent également des informations

discréditant l’idée d’abolition effective de l’esclavage et de la traite : ainsi, à Saint-Leu, en 1854, décès de Toupaye, 12 ans, Kalaquer, 9 ans, Safrane 9 ans, Omala 12 ans, tous Cafres, de père et mère inconnu, sur

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11 Notre ambition se limite à apporter à la connaissance de la période de l’esclavage à La Réunion des éléments, et des analyses, sur la nature des relations familiales créées par les esclaves eux-mêmes, preuve première, mais non pas évidente dans les divers regards, de leur inscription dans la parenté et donc de leur humanité.

Notre démarche consiste alors à mettre en évidence les échos de la résistance

quotidienne des esclaves à la déshumanisation en nous appuyant sur des sources – et leur critique – dont l’objet premier n’était nullement un intérêt pour la famille esclave.

Nous utiliserons, à maintes reprises, la notion d’inscription dans la parenté.

Si le domaine de la parenté est un champ de recherches classique de l’anthropologie, il convient de rappeler l’étendue de cette notion. Elle recouvre tous les liens familiaux rattachant un individu à d’autres. Cela comprend bien évidemment les ascendants et les descendants qui s’inscrivent dans des liens de filiation et également les liens d’alliance, tels que le mariage les organise, mais également des formes d’union plus ou moins reconnues selon les époques. Ce que l’on appelle communément , dans les sociétés occidentales, le concubinage ainsi que d’autres formes d’alliance, reconnues ou non par le groupe social et son organisation, appartiennent également au domaine de la parenté, de même que les formes anciennes de recomposition familiale telles qu’elles sont signalées, à Bourbon, lors des mariages d’esclaves à partir de 1838 et qui se

caractérisent par la reconnaissance ou l’adoption d’enfants provenant d’un autre parent, en général décédé.

La période sur laquelle porte notre recherche, du début du peuplement à 1848 à

Bourbon, devenue La Réunion, se signale, aux deux extrémités, par cette problématique de la formation de familles esclaves.

J.M. Filliot24 rappelle qu’en 1665, selon F. Martin,

« les nègres avaient fui à la montagne après avoir manqué une conjuration qu’ils avaient faites d’assassiner les deux Français ; le sujet … était pour avoir à leur dévotion des négresses que les deux Français avaient amenées avec eux … dont une était fort bien faite car il faut aux noirs des femmes. »

la propriété de A. Lesport. A noter qu’H. Gerbeau, dans sa thèse, sur l’esclavage, prolonge son analyse jusqu’aux années 1930.

24 Filliot, Jean-Marie. Op.cit p.24 ; citation de François Martin in Mémoires sur l’Isle de Madagascar, 1665-1668.

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12 En 1848, l’inscription dans les registres d’affranchissements, avec mention de filiation et d’ascendance, ainsi que les multiples mariages avec reconnaissances d’enfants, indiquent la permanence de cette volonté d’alliance et de parenté chez les esclaves.

Sur l’ensemble de la période durant laquelle l’esclavage est légal, nous estimons que des formes d’organisation familiale ont concerné un nombre conséquent des esclaves au XVIIIème siècle pour atteindre 60 à 70 % de ceux-ci à la veille de l’abolition. La partie principale de notre recherche justifiera ces estimations.

Notre réflexion s’insère dans les recherches et les études sur l’esclavage à l’époque moderne, en lien avec le phénomène de la Traite négrière. Que ce soit en Amérique du Sud, dans un premier temps, puis du Nord, dans les Caraïbes ou les Mascareignes, la question de la famille esclave, sur un plan économique ou sur un plan social, est très présente dans les interrogations des chercheurs. Les travaux de Frazier25 puis ceux de Gutman26, d’Engerman et Fogel27, de Lovejoy28 ou Paterson29, de Meillassoux30, Daget31, Debien32, Pétré-Grenouilleau33 ou Sala-Molins34, pour n’en citer que quelques uns, se confrontent, dans des approches pourtant différentes, à cette même question de l’existence, de la viabilité, de l’organisation de la famille esclave, et ce dans des espaces différents et à des époques plus ou moins proches.

La complexité du sujet nécessite de faire appel à des historiens mais également des anthropologues, des sociologues, des économistes ou des philosophes. Ce

rapprochement ne peut être que fécond.

Nous avons fait le choix de ne pas recourir aux sources orales, à la mémoire collective.

De nos travaux précédents35, nous avons tiré des enseignements sur la grande richesse que pouvaient apporter différentes formes d’entretien et de récoltes de récits de vie pour la compréhension des représentations sur tel ou tel sujet. Dans la problématique qui est

25 Frazier, E. Franklin. La famille noire aux Etats-Unis. 1939

26 Gutman, Herbert G. the black Family in slavery and Freedom. 1976

27 Fogel, Robert William, Engerman, Stanley. Time on the cross. 1974

28 Lovejoy, Paul E. Transformation in slavery. 1983

29 Paterson, Orlando. Slavery and Social Death ,1982.

30 Meillassoux, Claude. Anthropologie de l’esclavage. 1986.

31 Daget, Serge. La traite des Noirs. 1990

32 Debien, Gabriel. Les esclaves aux Antilles françaises (XVIIe-XVIIIe siècles

33 Pétré-Grenouilleau. Les traites négrières. 2004

34 Sala-Molins, Louis. Le Code noir, ou le calvaire de Canaan, 1987.

35 Gérard, Gilles. Le choix du conjoint …. Op. cit. 1997. Arthus-Bertrand, Yann, Gérard, Gilles Visages de l’usine. 1994

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13 la nôtre ici, la famille esclave, la fiabilité des informations orales, au regard de l’espace temps qui nous sépare désormais de la période de l’esclavage, ne nous a pas semblé permettre une utilisation pertinente de telles données.

Nous faisons nôtres les définitions de P. Nora :

« la mémoire est la vie, un lien vécu au présent éternel et installe le souvenir dans le sacré, susceptible de toutes les déformations et amnésie … elle est la marque d’un pays particulier alors que l’Histoire désacralise mais reconstruit dans une quête jamais complète, on peut avancer l’idée que la société a la double exigence de reconstruire ce qui n’est plus (la fonction de l’histoire) et celle d’ancrer la mémoire, notamment par les lieux, comme facteur de cohésion par le groupe. »36

Avant d’aborder longuement la réalité des pratiques familiales chez les esclaves à Bourbon, nous nous intéresserons aux perceptions de l’esclave et de son identité au sein des groupes dominants, à savoir les pouvoirs civils et religieux, ainsi que parmi les divers observateurs, chroniqueurs, voyageurs ou écrivains en les confrontant, chaque fois que cela sera possible aux approches des chercheurs.

36 Nora, Pierre. Lieux de mémoire. 1984

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14 A/ Réflexions sur la question de la famille esclave

Il convient d’approcher les différentes analyses et perceptions, non seulement à travers le temps, mais également d’après les chercheurs et observateurs. La question de la famille esclave est omni présente dans les sociétés ayant connu l’esclavage. Certes, nous le verrons, elle a été rarement abordée directement mais elle est sous-jacente aussi bien dans la réglementation, dans la Traite, dans l’organisation des sociétés que dans les travaux des chercheurs et récits des voyageurs. Enfin, et surtout, elle est, à notre avis, au centre des préoccupations des esclaves eux-mêmes. La moindre parcelle de liberté octroyée ou acquise aura son pendant dans la sphère familiale.

1/ Famille et esclavage : l’état des savoirs et perceptions à travers le monde.

Il s’agit ici, brièvement, d’aborder la diversité des analyses sur ce sujet. La

bibliographie sur l’esclavage dans ses diverses déclinaisons, philosophique, économique ou sociale, est bien trop importante pour envisager une quelconque exhaustivité. Il s’agit, plus modestement, d’indiquer que le thème qui est le nôtre, est au cœur, ou à la marge, de la plupart des travaux sur l’esclavage. A l’universalité de la structure

familiale correspond tout naturellement sa prise en compte par les chercheurs appliqués à comprendre et analyser le phénomène de l’esclavage. A un autre niveau, les différents pouvoirs, dans leur justification de l’existence et du maintien de la servitude ou lors de leur combat abolitionniste, ont également eu à considérer cette question de

l’appartenance ou non de l’esclave à l’espèce humaine.

Car si l’esclave n’est pas un être humain à part entière, quelle est sa nature ? Nous ne nous interrogerons pas, à notre tour, pour savoir s’il possède une âme mais les

comparaisons, plus ou moins violentes, et la proximité avec le monde animal si souvent mise en avant par les philosophes, les religieux et autres détenteurs de pouvoirs,

expliquent en partie les théories justifiant l’esclavage.

Par dérision, on pourrait s’interroger, au vu des pratiques maintes fois observées, sur le fait que les comportements bestiaux étaient sans doute davantage du côté des maîtres que de celui des esclaves.

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15 Cette approche sur l’identification de l’esclave au monde animal est une constante que l’on observe déjà chez Xénophon37 :

¨Pour les esclaves, la méthode d’éducation qui semble particulièrement convenir pour les bêtes est un très bon moyen pour leur apprendre à obéir… il existe pour les hommes et les chevaux un âge où ils rendent immédiatement des services et s’améliorent

progressivement. »

Pour Aristote : « Il y a par nature des gens qui sont libres, d’autres qui sont esclaves et que pour ces derniers, demeurer dans l’esclavage est à la fois bienfaisant et juste. »38 Selon lui, le barbare – l’esclave- se caractérise par sa proximité avec les animaux :

« Il n'y a d'ailleurs, dans les services rendus, qu'une mince différence : nous recevons des uns et des autres, des esclaves et des animaux domestiques, l'aide de leur corps pour les nécessités de la vie… Le bœuf, en effet, tient lieu d’esclave pour le pauvre »

Cette opposition, humanité et bestialité, est récurrente dans tout les discours des défenseurs de l’esclavage. La référence aux bovidés est également une constante.

« Les Noirs appartiennent aux peuples à caractère bestial. Ce sont des sous hommes anthropophages et leur place est plus proche du stade animal. Les Noirs sont les seuls peuples adaptés à l’esclavage, en raison d’un degré inférieur d’humanité… Au sud de ce Nil existe un peuple noir que l'on désigne par le nom de Lemlem... Au delà du pays des Lemlem, dans la direction du sud, on rencontre une population peu considérable;

les hommes qui la composent ressemblent plutôt à des animaux sauvages qu'à des êtres raisonnables. Ils habitent les marécages boisés et les cavernes; leur nourriture consiste en herbes et en graines qui n'ont subi aucune préparation; quelquefois même ils se dévorent les uns les autres : aussi ne méritent-ils pas d'être comptés parmi les hommes. »39

Pour l’écrivain persan du XIIIème siècle, Nasir Al-Din Tusi40, ils ne différent des animaux que parce que « leurs deux mains sont levées au-dessus du sol.»

« Les nègres esclaves ? Socialement : des bêtes, voire des objets. Individuellement : des créatures humaines, susceptibles de salut par le baptême. »41

37 Xénophon. Economique.

38 Aristote. Politique I. 1254b25

39 Ibn Khaldoun. Prolègomènes. 1377. Tr. par M. De Slane, 1863, t. 1, p. 115.

40 Cité par Pétré-Grenouilleau. Op.cit. p.37.

41 Sala-Molins, Louis ; op.cit. Lire en particulier le chapitre I sur la malédiction liminaire ; p.20-72

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16 Cette approche se vérifie constamment dans l’attitude des organisateurs de la Traite et de l’esclavage à partir de la fin du XVème siècle.

En 1812, c’est G. Cuvier42, fondateur de la géologie et de la paléontologie, qui écrit :

« L’africain est la race humaine la plus vile dont la forme se rapproche de l’animal. » Quelques années auparavant, en 1781, c’était Camper qui :

« inventait la mesure de l’angle facial. Celle-ci servit bientôt à laisser croire que plus prononcé vers l’avant que celui de l’homme, et, de fait plus proche du singe, le menton de l’Africain témoignait de son animalité. »43

A la Révolution, des agents de la Traite, pour conserver leurs privilèges soutiennent que :

« Leurs connaissances intellectuelles [des Nègres] ne surpassent pas de beaucoup celles des animaux qui cohabitent avec eux dans le désert. »44

Certains, argumentant sur les bienfaits qu’apportent la déportation et la mise en esclavage des Africains, déclarent :

« Ils naissent et vivent chez eux comme des bêtes. … L’homme du commun [le maître]

traite son esclave avec le même intérêt et le même ménagement qu’il a pour ses animaux. »45

Les arguments de certains abolitionnistes reprendront également cette comparaison.

Rappelant que l’esclave ne peut devenir époux et père que selon le bon plaisir de son maître, le député H. Carnot46 précise:

« Malgré leur état de minorité intellectuelle et leurs abandons aux passions animales, les esclaves conservent une bonté de cœur profonde. »

En 1845, les délégués des quatre colonies s’opposent à la loi de juillet 1845 en

argumentant sur les conséquences de l’affranchissement des esclaves, compte tenu de ce qui s’était passé à Saint-Domingue :

42 Cuvier, Georges. Le règne animal. 1812

43 Cité par Pétré-Grenouilleau. Op.cit. p.278

44 Ecrit de Mr Lamiral, cités par Amadou Mahtar M’Bow :Les théories esclavagistes à travers la

présentation du cahier de doléances de Saint-Louis du Sénégal aux Etats-Généraux de 1789. in Déraison, esclavage et droit, les fondements idéologiques et juridiques de la traite négrière et de l’esclavage ; Unesco 2002. P.296

45 Deslozières, Louis. Les égarements du nigrophilisme. 1802. P.30 & 54

46 Carnot, Hippolyte. De l’esclavage colonial ; Paris 1842 ; p.65

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17

« quel degré d’abrutissement, de pauvreté, de démoralisation peuvent descendre les noirs, quand ils retournent, suivant une pente trop naturelle, vers leur état primitif de sauvages africains. »47

Cette perception des esclaves, noirs, persistera longtemps48. En 1910, Howard Odum, cité par Frazier, déclare :

« Dans sa vie privée, le noir est sale, négligent et indécent … aussi dépourvu de moralité que beaucoup d’animaux inférieurs. »49

A La Réunion, J. Barassin décrit la déportation à Bourbon en 1654 de « Thaureau avec sept compatriotes, six nègres, cinq vaches pleines et un petit taureau. »50. La proximité des dénominations est troublante.

A. Billiard51 dans les années 1820, dans sa description des types d’esclaves, définit le Cafre :

« Le sentiment de sa liberté ne se développe de nouveau que par l’excès de mauvais traitements ; c’est un bon serviteur ; c’est le Nègre par excellence ; celui, puisqu’il faut le dire, par qui le cheval et le mulet sont le plus avantageusement remplacés. »

S. Brunet, opposé à une émancipation rapide des esclaves, ne niait certes pas

formellement la qualité d’humain des esclaves mais restait dans la même philosophie quand il écrivait en 184052 :

« Le caractère de l’Africain exporté présente une infériorité relative si manifeste, que pendant de longues années, après son implantation sur le sol colonial, il ne se montre sensible qu’aux châtiments corporels et aux passions brutales ; à peine articule-t-il quelques monosyllabes pour indiquer ses besoins. Le Cafre est le dernier degré de l’espèce humaine. »

H. Gerbeau53 rappelle qu’à l’époque de la Traite illégale, la dénomination utilisée le plus souvent par les négriers pour les captifs était celle de « bœufs ».

47 Mémoire sur le travail des affranchis dans les colonies françaises. Conseil des délégués des colonies au Ministre de la Marine et des colonies. Paris. 1847. p,9

48 A La Réunion, en 1926, sur le domaine des frères Giraud à Saint-Benoît, un recensement regroupe

« Engagés et animaux » soit, « 2 hommes Malabare, 12 hommes malgaches, 3 femmes malgaches et un enfant malgache ainsi que 32 bœufs, 20 porcs, 250 poules,… ». A.D.R. ; voir annexe n°2.

49 Odum, Howard. Social and Mental Traits of the Negro,1910. Cite par Frazier, op. cit.

50 Barassin, Jean. Bourbon, des origines jusqu’en 1714. p.32

51 Billard, Auguste. Voyage aux colonies orientales. Paris : Ladvocat Editeur. 1822. p.306

52 Brunet, Sully. Considérations sur le système colonial et plan d’abolition de l’esclavage. P.21 ;

53 Gerbeau, Hubert, 2005. Op. cit. p.520

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18 Pendant des décennies, le recensement des esclaves à Bourbon les situera entre les productions agricoles et l’évaluation du cheptel animal54. Nous verrons que les dénominations affectées aux esclaves, de faux « patronymes » se rapprochent aussi souvent bien plus d’une appellation pour un animal domestique que pour un être humain.

En 1846, dans son compte rendu des travaux de la Commission du rachat et des

engagements, E. Pajot, membre du Conseil colonial de l’île Bourbon, mentionne dans la colonne d’observations, à côté du nom d’Elésine :

« Sujet-race, sous les rapports physiques. »

V. Schoelcher qui relate ce rapport55 signale que l’emploi de ce terme n’est nullement en usage ordinaire à Bourbon et qu’il correspond :

« à ce qu’on appelle dans les animaux domestiques un étalon …il paraît que la demoiselle Elésine est une négresse remarquablement belle et que pour cette unique raison on lui a fait payer sa liberté au prix énorme de 4000fr. comme ces chevaux pur- sang… »

En 1863, V. Focard56 décrit ainsi une scène lors des élections de 1848 :

« nous voyons encore un grand Yambanne dont l’œil enflammé suivait tous les

mouvements du cocher. Il y avait dans son attitude quelque chose de sauvage. C’était le vieil homme de la côte d’Afrique qui retrouvait ses instincts… Arcbouté sur ses pieds, prêt à bondir, il nous représentait un de ces molosses dont les élans sont enchaînés à un pieu. Pour ce molosse yambanne le collier de retenue c’était nous. »

De cette proximité présupposée avec les animaux, découlaient chez de nombreux observateurs, des regards négatifs sur la sexualité des esclaves et sur leur vie

personnelle. C’est en cela que ces approches se rattachent à notre sujet. On leur prêtait communément des comportements empreints de bestialité dans ce domaine :

« Voyons ... que sait le Noir des obligations du lien conjugal ? Pas plus, Monsieur, que le taureau et la génisse du village… Les planteurs ne pouvaient plus obliger les parents noirs à empêcher leur progéniture de courir en liberté comme de jeunes animaux. »57

54 Le 23 janvier 1845, la vente des biens d’Adrien Bellier, liste ses biens dans cet ordre : 1er les biens immobiliers, 2ème les mulets et bovins, 3ème les esclaves. A.D.R. 4Q 564. En 1926, un recensement de Giraud Frères à Saint-Benoît, regroupe les « engagés et animaux » ; A.D.R. 6M1296 (voir annexe 2)

55 Schoelcher, Victor. . Histoire de l’esclavage pendant les deux dernières années. P.124-125.

56 Focard, Volsey. Dix-huit mois de République à l’île Bourbon. p.346.

57 Cité par Herbert Gutman. Normes et déviances.

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« Quand ils ont faim, ils volent, quand ils sont rassasié, ils forniquent.»58 A Bourbon, en 1740 :

« De tous les Noirs de nos maisons ce sont ceux de Sainte-Suzanne qui sont pires pour leurs libertinages ; voleurs, raisonneurs et mutins, impudiques comme des chiens… Il n’i a pas jusqu’à des enfans de sept ou huit ans qu’on atrape fesant ce qu’ils apelle malice. »59

La commission chargé d’étudier les conditions de travail des esclaves de l’Atelier Colonial, en 182760 voit la famille esclave comme une structure dangereuse :

« C’est encore près de leurs mères et dans la corruption d’un désordre habituel que les négrillons des deux sexes puisent ce goût effréné de libertinage. »

Elle propose de retirer les enfants d’esclaves, dès l’âge de deux ans, à leurs mères pour les former à l’hôpital de Saint-Paul sous le contrôle des sœurs de l’établissement.

On mentionnera également le caractère « volage » des partenaires et leur multiplicité.

« Les esclaves sont aussi libertins. Le curé Teste est obligé de construire un magasin bien clos pour renfermer la nuit ses jeunes négresses et une case pour les négrillons. »61 L’Eglise, en particulier, fondera son action auprès des populations serviles sur

l’ambition de moraliser la vie intime de ces derniers. Selon les lieux et les époques, elle s’efforcera – ou non – de régulariser les unions des esclaves afin à la fois de les rendre conformes à la morale chrétienne et dans le même temps de contrôler cette population.

B. Champion62 nous rappelle que :

« l’entreprise colonisatrice engage (notamment) une conversion au système de parenté du colonisateur et que c’est cela, au fond, porter la bonne parole…La parenté, en effet, ne porte pas seulement nos évidences familiales et comportementales : elle fonde nos croyances religieuses… Comment conquérir les âmes ? En imposant un nouveau système de parenté. La leçon du missionnaire était une leçon de parenté dispensée à travers le filtre moral … cette leçon de parenté est une leçon d’économie »

A Bourbon, la position des maîtres sera elle aussi variable. Encourager la stabilité familiale des esclaves pouvait permettre, selon certains, de les fixer à la propriété, de les

58 Selon un Haddiths, Cité par Pétré-Grenouilleau. Op.cit. p.37.

59 Frère lazariste ; recueil trimestriel tome 3, p.263-266 ; cité par Hubert Gerbeau : Les esclaves noirs.

P.132-133

60 Cité par P. Eve ; Les esclaves de Bourbon, la mer et la montagne. p,9

61 Eve, Prosper. Un quartier du Bon Pays, Sainte Suzanne, de 1646 à nos jours. 1996. p.76

62 Champion, Bernard. Que signifie porter la bonne parole ? Mission et colonisation in Idées et représentations coloniales dans l’océan Indien.. PUPS. 2009. p.364-375

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20 empêcher de partir « marron ». Pour d’autres, favoriser la famille esclave devait

correspondre à l’attribution de droits et de pouvoirs contraires aux intérêts des possédants.

Ce débat autour de la question de la famille esclave s’est bien sûr signalé dans tous les espaces où l’esclavagisme a sévi. Il a été bien souvent posé sur le plan de la rentabilité économique par les maîtres, et les chercheurs ont dû intégrer cette dimension à leurs travaux.

La question se posait dès l’organisation de la Traite. Fallait-il, et dans quels buts,

introduire des femmes parmi les esclaves dans les espaces que les différentes puissances coloniales voulaient exploiter ? Le déséquilibre du sex ratio fut une constante, à

quelques exceptions près, dans l’histoire de l’esclavage. Celui organisé pour leurs propres besoins par les sociétés à esclaves musulmanes favorisait parfois la traite des femmes comme domestiques ou concubines. L’esclavage pratiqué dans la péninsule ibérique aux XVIIème et XVIIIème siècles, s’en approche également.

En Afrique, certains ont soutenu l’idée que l’organisation du travail et la polygamie justifiait la traite des hommes principalement afin de maintenir la production agricole, apanage des femmes.

S. Daget 63 s’interroge sur certaines contradictions :

« Il est plus hypothétique de trouver un élément d’explication au fait que les navires négriers chargent une quantité notable de femmes, en, langage négrier : des femelles, en principe beaucoup moins demandées et recherchées à la côte, moins rentables comme productrices dans les terres esclavagistes, comme l’observent certains auteurs, d’ailleurs contredits par d’autres. »

A Bourbon, les propriétaires selon Hébert en 1708 :

« demandent plutôt des femelles ; à cause des enfants qu’elles peuvent avoir, qui étant créoles de l’isle leur sont plus soumis. »64

Une des grandes questions qui se pose au système esclavagiste est celle de la

reproduction des esclaves. Il ne s’agit pas de la reproduction sociale65 de ce groupe mais bien entendu de sa reproduction en tant que force de travail. Deux options sont dès lors

63 Daget, Serge. Op.cit. p. 129

64 Hébert, George. In Recueil Trimestriel de documents et travaux. Tome V ; 1940. p.71

65 Selon C. Meillassoux, op.cit, celle-ci est impossible dans le système de l’esclavage, car juridiquement, l’esclave ne peut être parent.

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21 possibles : soit le recours à la Traite pour renouveler le « cheptel » soit la reproduction biologique.

« Un de mes étonnements, écrivait en 1764 le gouverneur de la Martinique, Fénélon, a toujours été que la population de cette espèce n’ait pas produit, depuis que les colonies sont fondées, non pas de quoi se passer absolument des envois de la côte d’Afrique, mais au moins de quoi former un fond, dont la reproduction continuelle n’exposerait pas à être toujours à la merci de ces envois. »66

La non croissance naturelle de la population servile – nous reviendrons sur la pertinence de certains concepts de démographie historique dans des sociétés peuplées

« artificiellement » - a longtemps été explicitée par un fort taux de mortalité chez les esclaves, en raison soit de l’inadaptation au climat soit par les effets désastreux d’épidémies. D’après les études de H.S. Klein67, c’est la méconnaissance que :

«L’âge et le rapport inégal entre les sexes de ces Africains constituaient le facteur déterminant de la croissance négative de la force de travail servile … lorsque les arrivées nouvelles d’Africains déportés par la Traite cessèrent d’influencer la répartition par sexe et par âge de la population résidente, il devint possible pour la population esclave de commencer à augmenter par croît naturel. »

Pour O. Patterson, de nombreuses sociétés à esclaves ont compté sur un accroissement naturel des populations serviles pour se maintenir et se développer. Celles ayant recours régulièrement à la Traite devaient donc, soit avoir choisi pour des raisons économiques de privilégier cette forme de maintien de la main d’œuvre servile, soit être confrontées à un problème d’impossibilité de la population esclave à se reproduire biologiquement.

« Dans toutes les sociétés où l’institution [l’esclavage] persista plus que le temps de deux ou trois générations, la naissance devint la seule source véritablement importante d’esclaves. »68

Aux Etats-Unis, selon O. Pétré-Grenouilleau69:

« entre cette période [1820] et le début de la guerre de Sécession, la population servile fut multipliée par trois, essentiellement par accroissement naturel. »

66 Roncière, Charles de La. Nègres et négriers. Vers 1930. p.194

67 Klein, H.S. The Atlantic Slave Trade. p,170-173

68 Patterson, Orlando. Slavery and social Death : a comparative study. 1982. p.132

69 Pétré-Grenouilleau. Op.cit. p.448

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22 L’idée que l’accroissement naturel de la population esclave – comme celle du cheptel animal - était possible a été défendue à diverses époques. Les calculs économiques sur la rentabilité de l’une ou l’autre des solutions sont aussi contradictoires que ceux sur les effets de la Traite sur la population africaine.

Déjà aux XVème et XVIème siècles, les femmes esclaves valaient plus cher que les hommes car elles auraient été appréciées pour leur capacité reproductive70, selon certains chercheurs, alors que pour d’autres, le faible taux de natalité et l’émancipation de nombreux nouveau-nés, rendaient cette explication non pertinente.

Les analyses plus récentes n’évitent pas toujours le rapprochement entre humanité et bestialité, en particulier dans l’approche économique de l’augmentation de la population esclave :

« Proponents of the breeding thesis have been misled by their failure to recongnize the difference between human beings and animals. That eugénic manipulation increases the fertility of animals does not to mean it would have the same effect on human beings. »71 Aux Antilles, à la fin du XVIIème siècle, selon Pétré-Grenouilleau72 :

« Leur reproduction était encouragée, ou du moins non entravée… A partir du moment où, avec la révolution sucrière, l’on privilégia l’utilisation massive d’une main d’œuvre rapidement amortie … la rentabilité immédiate étant privilégiée, la reproduction sur place n’intéressait plus. Parfois, on y était même carrément hostile, car la femme enceinte perdait de son efficacité au travail et l’on ne pouvait attendre la montée en âge des enfants. »

Pour cet auteur, si dans les îles françaises, anglaises et espagnoles, des décrets et codes avaient pour but, à la fin du XVIIIème siècle73, de favoriser la reproduction des esclaves sur place, cela ne fut que de courte durée avant de préférer à nouveau la traite

d’hommes. Il précise également :

« Chez la plupart des planteurs, l’incitation à la maternité prit plus la forme d’une répression de l’avortement que celle d’encouragements positifs, plus coûteux. »

70 Martin-Casarès, Aurélia. Esclavage et rapports sociaux de sexe in Les Cahiers de la mémoire, n°5.

2003

71 Fogel, Robert, Engerman, Stanley. Op. cit. p.84

72 Pétré-Grenouilleau. Op.cit, p.229-230

73 Selon Arlette Gautier, « de 1650 à 1680, les maîtres français décidèrent d’acheter autant d’hommes que de femmes pour permettre la constitution de couples dans un but explicitement nataliste, avec succès. » in Les esclaves …Op. cit. ; 2001

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23 D’après Y. Behanzin74 :

« Le roi du Danemark Christain II pratiqua une autre politique quand il décréta l’abolition de la traite dans les colonies danoises des Petites Antilles, Saint-Thomas et Sainte-Croix : des mesures furent prises pour assurer un nombre suffisant d’esclaves avant son entrée en application prévue pour le début de l’année 1803. Parmi celles-ci, le gouvernement, pour favoriser dans l’intervalle l’augmentation de la population féminine, renonça à percevoir les droits sur les importations d’esclaves femmes. ».

Le même auteur signale par ailleurs l’existence d’une politique nataliste pour les colonies françaises suite aux conséquences sur la Traite de la guerre de Sept Ans (1756- 1763).

L’évolution de la recherche sur les familles esclaves se constate un peu partout. Pour Porto-Rico75 :

« Les thèses traditionnelles selon lesquelles la vie familiale des esclaves des Antilles non-hispaniques, pendant la période antérieure aux grandes plantations, était

nécessairement instable sont discréditées par les recherches récentes. Si les mariages d'esclaves à Caguas, Cayey, San Germán et Yauco (quatre paroisses de Porto Rico) ne constituent qu'une partie de l'ensemble des mariages célébrés dans ces villages, ils sont beaucoup plus fréquents qu'on ne l'a supposé jusqu'à présent. Les familles esclaves portoricaines du dix-huitième siècle semblent avoir été très stables, comme en témoigne la reconstruction des intervalles inter génésiques des femmes mariées et des femmes célibataires. Ces deux catégories de femmes ont les mêmes comportements de fécondité.

Ceci indique que la majorité des mères esclaves non mariées vivaient dans des unions non officialisées mais néanmoins stables, leur calendrier de fécondité étant en grande partie identique à celui des femmes mariées. »

Selon certains analystes, les prémisses des abolitions n’incitèrent pas les colons à favoriser la naissance d’enfants voués à devenir prochainement libres. Pour d’autres, il n’était pas financièrement intéressant d’acheter des esclaves adultes ayant le même avenir. Il est bien difficile de saisir une ligne directrice dans les pratiques des

74 Behanzin, Yolande. Femmes esclaves dans les Amériques (XVIème-XIXème siècles) in Cahier des Anneaux de la mémoire . n°5 ; 2003. p. 45.

75 Clark, David M. Discovering the invisible Puerto Rican slave family: Demographic evidence from the eighteenth century. in Journal of History Family . Octobre 1996. volume 21, n°4 . p.395-418.

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24 propriétaires. On peur envisager - l’étude reste à faire – que les intérêts financiers en jeu ne soient pas étrangers à la diversité des incitations à l’une ou l’autre des démarches76. Toujours aux Antilles, un dominicain, le Père Dutertre77, signale vers 1635:

« nos François ont soin de les marier le plustost qu’ils peuv t pour en avoir des enfans qui, dans la suite du temps prennent la place de leurs Peres, font le mesme travail &

leur rendent mesme assistance. »

Pour le même espace, G. Debien78 donne des exemples à Saint-Domingue, en 1704, sur une propriété où vivent 42 esclaves:

« Six ménages sont présentés qui regroupent 35 esclaves. Il est une famille dont la mère disparue, le père reste avec trois enfants. Trois mères demeurent avec 4, 2 et un enfants, familles maternelles, les autres paraissent conjugales … La proportion de familles est donc considérable. »

Comme à Bourbon, les autorités tant civiles que religieuses déplorent la rareté des légitimations d’unions d’esclaves. Que ce soit en raison du refus du maître ou à cause d’une supposée aversion des esclaves au mariage, le constat est le même : peu de pratiques religieuses, donc pas de moralisation possible pour les esclaves :

« Il est déplorable d’être obligé de dire que le nombre des mariages parmi les esclaves est infiniment petit dans la colonie et qu’il n’augmente pas…»79

« Le concubinage est tellement naturel chez eux, que le mariage n’est qu’une gêne sans compensation … du reste, dans l’état de promiscuité où vivent presque tous les noirs, les liens de parenté naturelle sont reconnus et fort respectés. »80

Dans la première moitié du XVIIIème siècle, la traite organisée par la Compagnie des Indes, depuis Madagascar vers les Mascareignes, demandaient aux capitaines négriers de :

« longer la côte du 20° au 26° pour trouver le choix de nègres et de négresses … bien faits et de corporance, qui indique de la force et de l’âge. »81

76 La question des indemnités versées aux colons après 1848 est sans doute une des éléments importants dans la compréhension des choix de tel type de propriétaires.

77 Dutertre, J.B. Histoire générale des Ant-isles habités par les François Tome II.p.507

78 Debien, Gabriel. Op. cit. p.350

79 Rapport du procureur général de la Martinique, en date du 1 juillet 1842

80 Rapport du procureur de Fort-Royal, mai et juin 1841

81 Cité par Filliot, Jean-Marie. Op. cit. p.122

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25 S’il est difficile, voire inutile, de chiffrer avec précision les esclaves traités depuis Madagascar, selon le sexe, on constatera cependant la diversité des « cargaisons ». On relève ainsi des bateaux tels que l’Athalante qui, en 1735, ramène :

« 48 testes d’esclaves noirs et négresses traittés de Madasgacar » 82 répartis en « 23 noirs pièces d’Inde, 11 négresses, 11 négrillons et 3 négrittes. », soit 70 % d’esclaves masculins.

La même année, la frégate L’Astrée83 introduit 117 esclaves dont 54 femmes, deux ayant un enfant « à la mamelle », soit plus de 46 % d’éléments féminins.

Quelques années plus tôt, en 1729, « la vente et la distribution de Noirs de Madagascar de la seconde traite du vaisseau La Sirenne »84 concernent 348 esclaves dont 231 seront affectés à Saint-Paul. Cette traite comprend 56 % d’esclaves féminines.

Dans l’étude détaillée de la population en 1735, nous pourrons observer à Bourbon un relatif équilibre du sex ratio.

En 1767, la Compagnie organise une vente à l’encan d’esclaves « de castre judaïque » arrivés par une frégate commandée par le capitaine Delaval. Ces esclaves, non baptisés, ont encore un patronyme « païen »85. La répartition, par sexe et âge, indique là aussi la diversité des esclaves traités:

« 13 noirs, 12 négresses (dont une avec un enfant à la mamelle), 9 négrillons et 4 négrittes ».

Il convient de noter que l’âge estimé des hommes va de 17 à 40 ans, celui des femmes de 17 à 30, celui des garçons se situe entre 8 et 12 ans et celui des filles entre 8 et 14 ans.

En 1770, une vente à l’encan pour les biens de P. Martin décédé, propose, outre « un millier de sel »:

« un noir âgé d’environ sept ans de caste malgache adjugé à Mr Delanux pour 352 livres. »86

Vendu séparément d’autres esclaves, on ignore si l’âge estimé correspond aux

« obligations » des Lettres Patentes sur la non séparation des enfants de leur mère avant

82 A.D.R. C°1533

83 Idem ; voir annexe n°5.

84 A.D.R. C° 1527 voir annexe n°3.

85 A.D.R. C° 1551 ; voir annexe n°4.

86 A.D.R. 34 C ; Décembre 1770.

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