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Les politiques d'éducation prioritaire sont-elles efficaces?: le cas du réseau d'enseignement prioritaire (REP) à Genève

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Texte intégral

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Thesis

Reference

Les politiques d'éducation prioritaire sont-elles efficaces?: le cas du réseau d'enseignement prioritaire (REP) à Genève

SOUSSI, Anne

Abstract

La présente thèse sur articles a pour thème "Les politiques d'éducation prioritaire sont-elles efficaces? Le cas du Réseau d'enseignement prioritaire (REP) à Genève". Cette politique mise en place en 2006 à l'école primaire s'inscrit dans le courant des politiques d'éducation prioritaire (PEP) instaurées dans les années 60 en Amérique du Nord et en Europe. Les articles composant cette thèse cherchent à répondre à différentes questions: les effets des PEP et du REP en particulier sont-ils les mêmes? En quoi se distingue le REP? Comment peut-on mesurer le mieux possible les effets du REP? Des effets modérés ou une absence d'effets peuvent s'expliquer par des mesures peu adaptées ou par d'autres éléments tels qu'une évaluation incomplète, des transformations du système éducatif ou de l'économie en parallèle?

SOUSSI, Anne. Les politiques d'éducation prioritaire sont-elles efficaces?: le cas du réseau d'enseignement prioritaire (REP) à Genève. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2016, no. FPSE 648

URN : urn:nbn:ch:unige-912520

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:91252

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Section des Sciences de l’éducation Sous la direction de Marcel Crahay et de Georges Felouzis

Les politiques d’éducation prioritaire sont-elles efficaces ? Le cas du réseau d’enseignement prioritaire (REP) à Genève

THESE

Présentée à la

Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève

pour obtenir le grade de Docteur en Sciences de l’Education par

Anne SOUSSI de Genève Thèse No 648

GENEVE Décembre 2016

73-327-116 Membres du Jury :

Marcel Crahay, directeur de thèse, Université de Genève Georges Felouzis, co-directeur de thèse, Université de Genève Marion Dutrévis, Université de Genève

Marc Demeuse, Université de Mons

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A mes parents

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Remerciements

Mes remerciements s'adressent à Marcel Crahay, mon directeur de thèse, qui a accepté une doctorante pas comme les autres et m'a guidée, accompagnée, surprise par sa culture et son expérience mais aussi sa créativité en matière de recherche. Un grand merci à Georges Felouzis qui a été d'accord de s'investir en tant que co-directeur après le départ à la retraite de mon directeur de thèse et qui m'a permis d'élargir mes horizons de chercheuse par des lectures (tardives) en sociologie. Je remercie bien sûr, Marion Dutrévis pour son aide de tous les instants, ses questions pertinentes et ses conseils avisés.

Merci également à Gianreto Pini qui m'a aidée dans les analyses statistiques et avec qui j'ai eu le plaisir de collaborer et de rédiger un article.

Je remercie aussi Bernard Riedweg, à l'époque responsable du REP à la direction de l'enseignement primaire puis directeur d'un établissement, qui non seulement m'a fourni des documents importants mais avec qui j'ai eu des discussions animées sur le REP et ses effets.

Un grand merci aussi à la direction du Service de la recherche en éducation qui m'a permis de m'intéresser à cette belle thématique et m'a autorisée à utiliser les données.

Merci également à mon collègue Narain Jagasia pour sa relecture attentive et son aide dans l'édition de ce manuscrit.

Enfin, mes remerciements s'adressent à Christian, mon compagnon, confronté à mes doutes et mes nombreuses demandes de relecture qui m'a soutenu patiemment au fil des années.

Il y a bien sûr encore tous ceux et celles qui m'ont encouragée quand j'avais envie de tout abandonner et sans qui je n'en serai pas là aujourd'hui.

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Table des matières

Remerciements ... 5

Introduction ... 9

Clarification de quelques concepts-clés en lien avec l’éducation prioritaire ... 10

Échec scolaire, rôle de l’école et construction des inégalités ... 10

Inégalités scolaires : quelle justice pour l’école ? ... 13

Faut-il délaisser le concept d’égalité au profit de celui d’équité ? ... 20

Définition de l’éducation prioritaire : ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas ... 24

L’émergence progressive de l’éducation prioritaire à Genève ... 26

Problématique, questions de recherche et hypothèses ... 32

Organisation de la thèse ... 34

Démarche retenue et méthodologie ... 38

Chapitre 1 Approche sociohistorique des PEP ... 43

L’éducaation prioritaire à Genève au regard d’autres expériences de pays voisins ... 43

Introduction ... 43

État de la question concernant les politiques d’éducation prioritaire ... 46

Objectifs de ces politiques et étapes ... 47

Quelques exemples de PEP ... 50

La situation à Genève ... 56

Le REP par rapport aux autres PEP: différences et similitudes ... 60

Discussion et conclusion ... 62

Bibliographie ... 66

Chapitre 2 Les effets du REP ... 71

2.1 Le Réseau d’Enseignement Prioritaire à Genève : quels effets sur les élèves et comment les mesurer? ... 72

Introduction ... 72

Résultats des premières évaluations des effets du REP ... 75

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Evaluation des effets du REP sur les compétences des élèves au bout de sept ans

d'existence ... 77

Effets du contexte sur les performances des élèves: les résultats des analyses multiniveaux ... 85

Synthèse et discussion ... 88

Références bibliographiques ... 91

2.2 Un réseau d’enseignement prioritaire dans le canton de Genève : quels effets sur les élèves ? ... 94

La situation des PEP en Europe ... 95

La situation genevoise : pourquoi introduire un réseau d’enseignement prioritaire ? ... 96

Le REP genevois : un réseau hétérogène ... 101

Questions de recherche ... 103

Méthodes et instruments utilisés ... 104

Résultats des différentes comparaisons ... 105

Synthèse et discussion ... 110

Bibliographie ... 113

2.3 Effet du Réseau d'enseignement prioritaire à Genève: Comment mesurer les effets d'un dispositif implanté en plusieurs phases ? ... 117

Méthode... 120

Résultats ... 124

Discussion et conclusion ... 132

Références bibliographiques ... 136

Synthèse et discussion ... 139

Discussion ... 150

Conclusion ... 158

Références bibliographiques (introduction et conclusion) ... 163

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Introduction

Dans tous les systèmes scolaires, il existe des inégalités sociales de réussite et des échecs scolaires. Les études PISA ont montré, depuis la première enquête en 2000, la présence dans tous les pays de l’OCDE d’élèves de 15 ans ayant des compétences en compréhension de l’écrit, mathématiques et sciences, ne leur permettant pas de mener à bien leur scolarité et faire face aux exigences de la vie quotidienne. Or, dans la majorité des pays, ce qu’on pourrait qualifier d’échec scolaire est fortement lié à l’origine sociale des élèves. Il en va de même pour l’échec scolaire au sens large. Deux des principaux indicateurs de l’échec scolaire sont le taux de redoublement (ou le retard scolaire) et le décrochage scolaire présents également dans de nombreux pays : par exemple, en 2007-2008, le taux de redoublement au niveau secondaire inférieur se montait à près de 19% en France et à 13% en Belgique francophone, mais à 6% en Allemagne (Eurydice, 2011). En Europe, le décrochage scolaire était en moyenne de 12% en 2012 (Eurostat)1. Aussi bien le retard que le décrochage scolaire sont aussi fortement liés à l’origine socioéconomique des élèves.

Ces constats ne sont pas neufs. Les premiers datent des années 1960 au moins, notamment avec le rapport Coleman (1966), le Plowden Report (1967) et en France les travaux de Bourdieu (en particulier, son ouvrage La Reproduction co-écrit avec Passeron, 1970) et de Boudon (1973). Ceux-ci ont conduit à prendre des mesures pour lutter contre ce qui est considéré comme deux fléaux qui entravent l’idéal de donner à tous les élèves une instruction de base de qualité. Ainsi, dès les années 1960, plusieurs pays (e.g. Angleterre, USA, Australie, Pays-Bas) ont introduit des mesures d’éducation compensatoire afin de réduire les inégalités (cf. Meuret, 1994). La discrimination positive est née aux États-Unis en 1965 avec le projet Head Start qui s’inscrivait dans un mouvement de guerre contre la pauvreté (cf.

notamment Dutrévis et Crahay, 2009 ; Jencks, 1972 ; Lee, 2006) et avait pour but de compenser les inégalités sociales ou économiques afin de rétablir l’égalité des chances pour tous les élèves. À partir de là, la plupart des pays européens et d’Amérique du Nord ont mis en place des politiques d’éducation prioritaire (PEP) afin de lutter contre l’échec scolaire et garantir à tous l’égalité des chances. La Suisse et le canton de Genève en particulier sont entrés dans ce mouvement, mais assez tardivement. En effet, face à ce type de préoccupations,

1 En 2007, un rapport de l’OCDE montrait que dans 17 pays de l’OCDE, un jeune sur dix entre 20 et 24 ans n’avait pas terminé le deuxième cycle du secondaire et quitté le système scolaire (année 2012).

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le Réseau d’enseignement prioritaire (REP) a été créé en 2006. Il constitue le thème de la présente thèse sur articles.

Afin de comprendre le REP, sa spécificité, il convient d’essayer dans un premier temps de clarifier quelques concepts importants véhiculés par l’éducation prioritaire et de la définir.

Dans un deuxième temps, nous rappellerons les prémisses de l’éducation prioritaire à Genève avant de décrire brièvement le contexte genevois et la politique mise en place depuis 2006, le réseau d’enseignement prioritaire (REP). Ensuite, nous évoquerons les questions de recherche et les hypothèses. Enfin, nous présenterons l’organisation de la thèse et la méthodologie employée.

Clarification de quelques concepts-clés en lien avec l’éducation prioritaire

Échec scolaire, rôle de l’école et construction des inégalités

Malgré la présence d’échecs scolaires dans la plupart des systèmes scolaires, la responsabilité de l’école dans la construction de ce phénomène n’a pas toujours été reconnue, comme le rappelle Meuret (2000). Le rapport Coleman, mais aussi, en France, l’ouvrage de Bourdieu et Passeron La Reproduction vont contribuer à cette reconnaissance.

Ainsi, en 1966, le rapport Coleman mettait en évidence que la réussite scolaire des élèves dépendait surtout de facteurs extrascolaires ou individuels tels que l’origine sociale, les variations intra-écoles étant plus importantes que celles inter-écoles. Comme le souligne Cherkaoui (1978), « la plus grande partie de la variation inter-écoles de la réussite semble être une conséquence des effets non de déterminants scolaires, mais plutôt de variables familiales et individuelles » (p. 243).

Ces résultats signifiaient que l'école était incapable de lutter valablement contre ces inégalités d'ordre extrascolaire, constat confirmé par des analyses plus approfondies de Jencks (1972).

De nombreux chercheurs (Bourdieu et Passeron, 1964, 1970 ; Perrenoud, 1984, notamment) ont montré la responsabilité de l’école dans la production d’échecs scolaires. Pour Bourdieu et Passeron, l’école par son indifférence aux différences ne fait que reproduire les inégalités et la hiérarchie sociale. De plus, la valorisation et l’utilisation importante du langage, signes des classes sociales favorisées, renforcent les écarts entre élèves selon leur origine sociale.

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sociale des élèves (Bain, 1979, 1988 ; Crahay, 1996 ; Pini, 1991). L’école s’avère impuissante par rapport à l’héritage familial si l’on en croit le lien important existant entre la réussite scolaire et le milieu d’origine des élèves (Crahay, 2000).

Comme le souligne Felouzis dans sa synthèse sur les inégalités scolaires (2014), leur construction a des sources multiples : l’influence de la famille et de l’école (rôle du capital social et de l’habitus, les discriminations et l’effet Matthieu), leur construction tout au long de la scolarité, leurs liens avec l’organisation des systèmes éducatifs (effet des filières, des marchés scolaires, liens avec certaines méthodes pédagogiques, etc.).

Selon lui, l’école devrait résoudre le problème de la contradiction entre l’égalité de droit des élèves et l’inégalité de fait. Or, elle joue un rôle important dans la construction de ces inégalités. En effet, comme le relève Felouzis, « l’école ne se contente pas d’ignorer des inégalités qui lui préexistent, elle en produit de spécifiques en lien avec son organisation et son fonctionnement. (…) Elle reproduit également les inégalités sociales en reproduisant les inégalités culturelles entre les enfants et en cristallisant ces inégalités par et dans les jugements scolaires (notes, appréciation, décision de redoublement et d’orientation, attribution de diplômes, ...) » (p. 69). Le langage et le rapport au savoir constituent des éléments importants à considérer dans cette construction conjointe de l’école et de la famille.

Par ailleurs, il existe également des discriminations négatives et un effet Matthieu dans le fonctionnement des écoles et des classes : on observe une qualité et une quantité d’instruction plus grande et meilleure dans certaines écoles fréquentées par les élèves déjà les plus favorisés. Or, comme le souligne Felouzis s’appuyant sur la méta-analyse de Wang (1990),

« la qualité des écoles est un des éléments déterminants pour expliquer les apprentissages et leur variation est un facteur explicatif fort des inégalités scolaires » (p. 75).

Contrairement à ce que pensaient Bourdieu et Passeron, l’école n’est pas indifférente aux différences : elle ne corrige pas les inégalités liées à l’origine sociale mais les amplifie (Crahay, ib.). Cela profite davantage aux élèves les plus favorisés (effet Matthieu de Merton) : on donne davantage à ceux qui sont déjà les mieux dotés (meilleures écoles, meilleurs enseignants, etc.).

Mayeske (1972) mettait en évidence un phénomène circulaire : une fréquentation des meilleures écoles par les enfants issus de milieux favorisés, écoles d'ailleurs considérées comme meilleures parce qu'elles sont fréquentées par ce type d'élèves. Perrenoud souligne que l'école n'est pas indifférente aux différences, étant donné qu'elle induit des discriminations

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souvent négatives et parfois positives. Il serait important de connaitre les facteurs engendrant une discrimination négative et de rechercher les moyens d'éviter leurs effets.

Il y aurait un effet d’interaction entre l’origine sociale des élèves et les processus de différenciation de l’école (redoublement, filières notamment). Comme le souligne Felouzis (2014), famille et école jouent donc un rôle dans la production des inégalités scolaires en transformant les inégalités sociales initiales en inégalités scolaires.

Les travaux de Jencks (1972) à la suite du rapport Coleman ont également montré des effets d’agrégation et le rôle de la ségrégation raciale et socioéconomique. De nombreux chercheurs (Crahay, 2000 ; Grisay, 1993 notamment) ont mis en évidence l’effet négatif de la ségrégation sociale et de l’homogénéité des niveaux : ainsi, dans des classes homogènes de niveau faible, la dynamique scolaire s’en trouve affectée (Duru-Bellat et Mingat, 1997 ; Van Zanten, 2001, 2012). Par contre, Grisay (1993) relève, dans son étude, un effet positif de l’hétérogénéité (notamment au niveau de la population au Collège).

Cette ségrégation scolaire provoque également des effets négatifs (effet Pygmalion, Rosenthal et Jacobson, 1968 ; Merle, 2012) et de la stigmatisation.

Les inégalités se construisent tout au long de la scolarité, même si les premiers échecs ont un effet majeur sur la suite des études. Un élève qui redouble au primaire voit ses chances d’accéder au secondaire puis à des filières valorisantes réduites (cf. notamment Duru-Bellat, Jarousse et Mingat, 1993).

L’organisation des systèmes scolaires joue également un rôle : les filières ont tendance à accroitre les inégalités scolaires étant donné que les élèves se répartissent différemment dans ces filières selon leur origine sociale.

Les méthodes d’enseignement peuvent également avoir un effet sur les élèves au niveau des modes de transmission, certaines manières d’enseigner générant beaucoup d’implicites pédagogiques qui donnent lieu à des malentendus chez les élèves plus éloignés de la culture scolaire par leur milieu familial (Bautier et Rayou, 2009 ; Rochex et Crinon, 2012).

La lutte contre l’échec scolaire est liée à celle contre les inégalités mais également aux effets de contexte, à la ségrégation sociale et à la ghettoïsation. C’est pourquoi nous allons nous

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Inégalités scolaires : quelle justice pour l’école ?

Échec, inégalités, efficacité, justice : tous ces concepts brassés dans les textes relatifs aux réformes scolaires sont souvent mal définis, tout en étant entrelacés. Il est nécessaire d’en tenter une clarification. D’emblée, il convient de souligner que la tentative ne peut aboutir totalement car des conceptions différentes s’opposent.

L'échec scolaire, notion importante, est toutefois difficile à cerner. De Landsheere (1992) en donne la définition suivante : « situation où un objectif éducatif n'a pas été atteint » (p. 91). Si cette définition parait simple, il est néanmoins complexe d'observer cet échec scolaire. La plupart du temps, il se manifeste par un retard scolaire couplé de redoublement(s), d'orientation dans des filières de relégation, voire de décrochage scolaire après la scolarité obligatoire. Hutmacher, Cochrane et Bottani (2001) donnent une définition très générale de l’inégalité ; selon eux il s’agit d’« une différence, une disparité ou un écart en termes d’avantage ou de désavantage dans des ressources matérielles ou symboliques, telles que la santé, la reconnaissance sociale, le prestige, le pouvoir ou l’influence » (p. 7).

Cette définition très générale n’aidant guère à la réflexion sur les inégalités scolaires, il est justifié de tenter de la compléter, notamment en recensant et analysant les inégalités liées à la réussite scolaire couramment dénoncées. Celles-ci renvoient à des idéaux d’égalité et, partant, à des principes de justice. Toutes ces inégalités ne sont pas de même nature.

De nos jours, dans les pays industrialisés, il est devenu obsolète de dénoncer les inégalités d’accès à l’école, du moins en ce qui concerne l’école fondamentale. En revanche, dans de nombreux pays de l’hémisphère sud, l’égalité d’accès à l’école est encore loin d’être réalisée.

Cependant, il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas si longtemps, les filles arrêtaient leur scolarité au seuil de l’enseignement secondaire et, aujourd’hui encore, à l’université, les études scientifiques (à l’exception de la médecine et de la pharmacie) sont majoritairement fréquentées par des hommes (OFS, 2013), la réalité des chiffres confirmant ainsi un stéréotype de genre (les filles seraient rétives aux sciences). Désormais, dans nos pays à nouveau, il paraît légitime de viser l’égalité entre genres dans tous les domaines, cet objectif ciblant tout particulièrement les études supérieures (universités et hautes écoles). Bien sûr, de l’idéal à la réalité, il y a une marge qui est encore loin d’être comblée, mais le principe de droit des hommes et des femmes à l’égalité d’accès à toutes les études est accepté, d’où la

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légitimité des dénonciations des inégalités de genre et de certaines mesures (cf. la politique des quotas2) visant à les résorber.

Par l’exemple discuté ci-dessus, nous voulons poser une sorte d’équation entre plusieurs faits sociaux, lesquels ont nourri la réflexion des philosophes concernant la justice ; nous y viendrons plus loin. Dans un pays ou une culture donnée, la dénonciation de certaines inégalités est légitime, alors que celle d’autres ne l’est pas3. Plus généralement, on dira que l’inacceptabilité des inégalités est affaire de lieu et de temps. Ainsi, les inégalités de genre sont aujourd’hui encore légitimes et même paraissent souhaitables et/ou naturelles dans de nombreux pays.

Il serait erroné de prétendre que, dans nos pays, l’égalité d’accès est parfaitement réalisée. En effet, concernant l’enseignement secondaire, dans de nombreux pays européens subsiste une inégalité d’accès aux filières les plus nobles. Ainsi, si l’on considère l’Allemagne, la fréquentation du Gymnasium reste un privilège réservé majoritairement aux enfants de classes sociales socio-économiquement favorisées (Duru-Bellat, Kieffer et Reimer, 2010)4. Dans les pays où le choix de l’école est laissé libre et même là où existe une carte scolaire, on peut désigner des écoles ghettos et des écoles sanctuaires. C’est ce constat, considéré comme une inégalité illégitime, qui a amené Felouzis, Liot et Perroton (2005) à dénoncer l’apartheid scolaire qui sévit au sein du système éducatif français5. Notons que des chercheurs belges font un constat analogue pour le système éducatif de la Fédération Wallonie Bruxelles (FWB) et

2 Rappelons qu’au sein de l’Université de Genève, mais aussi d’autres universités, il existe une commission pour l’égalité des genres.

3 Ainsi, à l’Université de Genève, il n’y a pas de commission visant à assurer l’égalité entre professeurs autochtones et étrangers. Celui ou celle qui ferait pareille suggestion rencontrerait très probablement l’opposition de la communauté scientifique alors que la création d’une commission pour l’égalité entre hommes et femmes a été acceptée.

4 Soulignons toutefois que le système allemand, comme le système suisse, donne la part belle à l’enseignement professionnel. Ainsi, en Suisse alémanique, ce sont plus des deux tiers des élèves qui s’orientent vers une formation professionnelle. La ségrégation sociale s’opère alors davantage au niveau des professions, certaines étant plus exigeantes scolairement que d’autres. Les élèves peuvent également poursuivre des

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prononcent la même dénonciation : l’inégal accès à certains établissement de prestige est injuste et, donc, inacceptable. C’est d’ailleurs la légitimité de cette dénonciation qui a conduit le gouvernement de cette fédération à tenter à plusieurs reprises d’imposer un Décret Inscription, visant à générer une plus grande hétérogénéité sociale au sein de tous les établissements et, plus particulièrement, à l’intérieur des plus prestigieux.

On notera au passage que la problématique des inégalités scolaires est inévitablement liée aux catégories reconnues comme légitimes pour distinguer les individus au sein d’une culture donnée. À cet égard, les sociologues ont fortement contribué à construire le concept de classes sociales et à le rendre socialement légitime. Il est aujourd’hui devenu un outil incontournable d’analyse des inégalités scolaires. La psychologie, une autre science de l’homme (Piaget, 1972), a eu moins de succès à ce propos, mais on verra plus loin qu’avec l’émergence du concept d’élèves à besoins particuliers et, plus particulièrement, celui de jeunes à haut potentiel, cette discipline semble « prendre sa revanche ».

Les mésaventures du Décret Inscription en FWB méritent qu’on s’y attarde car elles permettent de nourrir notre réflexion sur la problématique des inégalités. Comme indiqué ci- dessus, ce (ou ces) décret(s)6 a (ou ont) pour but de réguler l’accès aux établissements par une réglementation portant sur les modalités d’inscription dans les établissements d’enseignement secondaire ; car les conditions imposées par ce décret limitent la liberté des parents eu égard au choix de l’école, un principe qui est par ailleurs inscrit dans la Constitution. Dans les faits, cette liberté n’a jamais réellement existé puisqu’en Belgique, il était (et il reste) notoire que certains établissements sont réservés à une clientèle socio-économiquement favorisée, alors que d’autres sont destinés aux « enfants du peuple ». Ceci se vérifie quel que soit le réseau d’enseignement7 considéré. Ainsi, dans le réseau dit libre (c’est-à-dire catholique), le Collège

6 Vu l’opposition rencontrée par le premier Décret Inscription porté en 2007 par la Ministre Marie Arena, il y eut en effet une deuxième et une troisième version, la dernière restant contestée principalement par le public ayant traditionnellement accès aux établissements les plus prestigieux. Nous utiliserons par la suite le singulier car c’est le même décret qui mue en fonction des rapports de force entre différents groupes d’acteurs de ce système éducatif.

7 Rappelons que ce système comporte plusieurs « réseaux » d’enseignement définis par le Pacte scolaire : le réseau officiel géré par l’État, la province ou la commune, le réseau libre à grande majorité catholique et un réseau privé très minoritaire.

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Saint-Michel à Bruxelles8 est l’établissement réservé aux enfants de l’aristocratie, y compris les fils et filles de la famille royale ; pour un enfant du Quart-monde ou du quartier des Marolles tout proche, l’accès à ce prestigieux Collège a déjà été de l’ordre de l’utopie. Nourri d’un principe de justice égalitaire, le décret a ceci de problématique qu’il inscrit dans la loi des prescriptions qui, juridiquement, sont en opposition avec le principe de liberté de choix de l’école par les parents9. Bref, un conflit entre deux valeurs cardinales : la liberté des parents eu égard au destin de leurs enfants, et l’égalité eu égard à l’instruction considérée comme un bien et un droit fondamental.

Les débats autour du Décret Inscription en FWB permettent également d’illustrer le caractère entrelacé des conceptions de l’égalité. Car ceux qui ont voulu et/ou défendu le Décret Inscription l’ont moins fait au nom de l’égalité d’accès qu’au nom de l’égalité de traitement et/ou de l’égalité des chances. En effet, il est évident aux yeux de ceux-ci que l’enseignement n’est pas de qualité égale dans toutes les écoles du système éducatif de la FWB (voir à ce sujet les différences au niveau de la gestion du temps d’enseignement dans le livre de Crahay, 2012). De plus, on sait que les élèves sortis du Collège Saint-Michel ont plus de chances de réussir à l’université (de préférence celle de Louvain) que les enfants issus d’un établissement fréquenté majoritairement par des enfants d’ouvriers. Bref, dans ce cas-ci, égalité d’accès, égalité de traitement et égalité des chances se superposent.

La superposition, voire la confusion de ces trois conceptions de l’égalité est fondatrice de l’obligation scolaire. Ils furent nombreux les humanistes français qui ont cru qu’en concrétisant le rêve de Condorcet, c’est-à-dire la création d’une école ouverte à tous les enfants quelles que soient leurs origines sociales, on réaliserait, par l’égalité d’accès, l’égalité de traitement et l’égalité des chances. Le philosophe Alain, de son vrai nom Chartier, en est

8 À Paris ou à Genève, il existe également des lycées ou des collèges particulièrement prestigieux comme le lycée Henri IV à Paris ou le Collège Calvin à Genève. Pour que leurs enfants y soient scolarisés, certains parents n’hésitent pas déménager. À Genève, 40% des élèves poursuivent une scolarité au secondaire II menant à une maturité générale dans un collège. Toutefois, le Collège Calvin et, dans une moindre mesure, le Collège de Candolle scolarisent une plus grande proportion d’élèves de milieux favorisés que les autres collèges. À la carte scolaire déterminant le lieu de scolarisation s’est ajouté le choix des options ou du type de

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une des plus éminentes illustrations. C’est sur la base de cette même superposition/confusion de ces trois principes d’égalité que le ministre Haby tentera d’installer le collège unique en France et qu’au Royaume-Uni, on essaie d’implanter les Comprehensive Schools.

C’est l’ouvrage de Bourdieu et Passeron, La Reproduction, qui détruit cette belle illusion.

Bourdieu et Passeron (1964, 1970) montrent que l’école pour tous reproduit les inégalités sociales : en traitant également des enfants inégaux par leurs origines sociales, l’école se révèle indifférente aux différences et, par cela même, reproduit les inégalités initiales. Bien sûr, la thèse bourdieusienne a été critiquée de différents côtés : pour ses détracteurs, l’école n’est pas indifférente aux différences ; comme le soutiennent Jencks (1972) mais aussi Perrenoud (1995) parmi d’autres, l’école fait des différences et, donnant plus à ceux qui ont le plus, produit un effet Mathieu. Quoiqu’il en soit de ces divergences d’analyse des mécanismes responsables des inégalités, tous les chercheurs en éducation, sociologues ou autres, s’accordent pour affirmer que l’école perpétue les inégalités de départ, ce qui autorise à parler d’inégalités sociales de réussite scolaire. En définitive, si l’on combine la thèse de Bourdieu et celle de Jencks, l’école ne réalise ni l’égalité de traitement, ni l’égalité des chances.

Selon Crahay (2000, puis 2012), le principe d’égalité dont est porteuse la Pédagogie de Maîtrise conceptualisée par Bloom (1979) introduit une véritable rupture conceptuelle par rapport à ces conceptions traditionnelles de l’égalité, conceptions qui, en quelque sorte, pouvaient faire bon ménage. Dès lors que l’on endosse l’idéal d’égalité des acquis de base10, on considère comme légitime une inégalité de traitement des élèves à condition que celle-ci aille dans le sens d’une justice corrective. Il faut donner plus à ceux qui ont le moins et, notamment, réussir à motiver ceux qui n’accordent guère d’intérêt à l’école. Alors que Bourdieu (1970) avait introduit le concept de violence symbolique pour expliquer la résistance des élèves dits défavorisés aux efforts de l’École pour les instruire, on pourrait dire que Bloom (1979) préconise une certaine violence pédagogique dès lors qu’il impose dans une certaine mesure une obligation de résultats à l’École. La notion de « socle commun de connaissances et compétences » s’inscrit clairement dans la foulée de cette conception de l’égalité. Il en va de même des notions d’évaluation formative et de pédagogie différenciée.

C’est aussi au nom de l’obligation de résultats, fondée sur le principe d’égalité des acquis de

10 Il est important d’ajouter « de base » au terme « acquis », car les défenseurs de cette conception de l’égalité ne jugent ni possible, ni souhaitable de réussir l’égalité de tous les acquis ; c’est en tout cas le point de vue de Crahay (2012).

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base qu’ont été mis en place dans plusieurs pays les dispositifs de pilotage des systèmes éducatifs. Et même la discutable innovation « No Child Left Behind » se réclame de cette conception de l’égalité.

C’est également au nom de l’égalité des acquis de base que Crahay (2007) combat l’échec scolaire et le redoublement. Curieux mélange lexical et méli-mélo conceptuel que ces deux termes : pour de nombreux enseignants, le redoublement est à la fois la conséquence

« normale » de l’échec scolaire au cours d’une année d’enseignement et le remède à cet échec scolaire (cf. notamment, Marcoux et Crahay, 2008), une seconde chance, une façon de stabiliser les bases ou les fondements. Conceptuellement, il y a une distinction à faire entre échec scolaire et redoublement. Dans son Dictionnaire de l'évaluation et de la recherche en éducation, de Landsheere (1992, p. 91) donne de l'échec la définition suivante : « Situation où un objectif éducatif n'a pas été atteint ». Il s'agit, nous semble-t-il, d'une définition conceptuellement exacte, mais il faut reconnaître que l'on ne dispose que de moyens indirects pour mesurer l'importance des échecs scolaires. Il est rarissime, en effet, que l'on dispose de statistiques précises indiquant le pourcentage d'élèves d'un âge donné qui ne maîtrisent pas tel objectif précis. Et quand bien même pareille statistique serait disponible, elle ne refléterait pas vraiment la réalité sociale qui est désignée par l'expression « échec scolaire ». Pour le grand public, lorsqu'on parle d'un élève en échec, on désigne une situation plus large que la non- maîtrise d'un objectif particulier. Un élève en échec, c'est un élève à la dérive, un élève qui ne peut plus suivre le rythme de l'enseignement. En définitive, le signe le plus tangible de l’échec scolaire est le redoublement ou le retard scolaire (qui résulte dans la plupart des cas de redoublement unique ou multiple) ou encore le décrochage scolaire. Bref, en général, on n’a pas de mesure de l’échec scolaire indépendante du taux de redoublement ou de retard.

Ce que montre Crahay dans plusieurs de ses publications, c’est que le redoublement n’est pas un moyen pour « remédier » à l’échec scolaire ou résoudre les difficultés d’apprentissages scolaires des élèves déclarés en échec. Les méta-analyses synthétisant les études dans lesquelles on a comparé des élèves en difficulté scolaire qui répètent l’année échouée avec d’autres élèves également en difficulté scolaire mais qui ne redoublent pas, montrent que les premiers progressent moins que les seconds. Le redoublement n’aide donc pas les élèves

« faibles » à récupérer leurs échecs d’apprentissages ; il les pénalise en freinant leur

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délétères produit de nouveaux échecs, lesquels diminuent encore la self-efficacy de l’élève en difficulté ; le redoublement est le meilleur prédicteur connu actuellement du décrochage scolaire. En outre, le redoublement dépendant principalement du jugement des enseignants est souvent arbitraire (cf. la recherche APER) et, probablement, de ce fait affecte prioritairement les enfants d’origine sociale modeste.

C’est enfin principalement sous la bannière de l’égalité des acquis de base, en tout cas du principe de justice correctif qui la sous-tend, qu’ont été développées les politiques d’éducation prioritaires, sur lesquelles nous reviendrons ci-dessous.

Est-ce que l’égalité des acquis de base rend l’école juste ? La réponse de Crahay est affirmative selon notre lecture de son ouvrage L’école peut-elle être juste et efficace ? Notons que cet auteur est principalement concerné par l’école de base. Or, comme l’indique Felouzis (2014), il est nécessaire de distinguer au niveau de l’égalité l’enseignement obligatoire et le post-obligatoire au niveau de leurs missions. Lors de la scolarité obligatoire, il est indispensable de faire acquérir aux élèves un socle commun de connaissances et de compétences indispensables pour la vie en société, la formation professionnelle et la poursuite de la scolarité. Concernant l’enseignement obligatoire, Felouzis s’accorde donc avec Crahay.

Pour le post-obligatoire, les filières et les formations se diversifient. La question des inégalités scolaires se pose de manière différente11. La réponse de Demeuse et al. (2005) à la question posée ci-dessus est plus nuancée. Ces chercheurs ajoutent une égalité de réalisation sociale12. Pour Crahay (communication personnelle), avec l’égalité de réalisation sociale, on sort de l’école. La réalisation de cette égalité dépendrait plus, selon lui, du monde économique que de

11 Notons que Dubet (2008), dans sa postface à l’ouvrage de Dupriez, Orianne et Verhoeven, reprenant des idées développées dès 2004 dans L’école des chances, rejoint ce point de vue lorsqu’il écrit : « Sous réserve d’un examen plus attentif, il semble que les pays qui s’en sortent le mieux choisissent l’égalité de base dans les premières étapes de la scolarité, celles de la scolarité obligatoire, et ouvrent l’espace méritocratique après que cette scolarité commune ait été pleinement commune. D’après les résultats des enquêtes Pisa, ce serait le cas des pays scandinaves, alors qu’un pays choisissant la sélection précoce, comme l’Allemagne, aboutit à la fois à un niveau de base faible, à une grande inégalité de résultats et à une forte reproduction des inégalités scolaires ».

12 Demeuse et Baye (2005) parlent d'équité de réalisation ou d'exploitation des produits qui peut se traduire par la question suivante : « une fois sortis du système, les personnes ou les groupes d'individus ont-ils les mêmes possibilités d'exploiter les compétences acquises, c'est-à-dire de se réaliser en tant que personne ou groupe dans la société, et de valoriser leurs compétences ? » (p. 160).

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l’école ; à elle seule, l’école ne peut réaliser cette égalité de réalisation sociale et professionnelle.

Faut-il délaisser le concept d’égalité au profit de celui d’équité ?

Demeuse et al. (2005) mais aussi d’autres chercheurs en Sciences de l'éducation préfèrent désormais le terme d’équité à celui d’égalité, alors que d’autres (Crahay, Dubet et Duru- Bellat) rechignent à ce changement lexical et conceptuel. Essayons dès lors de cerner les enjeux de cette opposition. Pour ce faire, il convient de saisir aussi bien que possible le concept d’équité, ce qu’il apporte et en quoi il diffère du concept d’égalité. Ensuite, nous chercherons à comprendre les arguments de ceux qui, en éducation, privilégient le terme d’équité et les contre-arguments de ceux qui rechignent à se convertir à l’équité. Sur ce dernier point, nous nous concentrerons principalement sur l’ouvrage de Duru-Bellat La justice contre le mérite, avant d’esquisser l’apport de Dubet et d’évoquer certaines théories de la justice.

Le dictionnaire Larousse donne plusieurs définitions du mot équité :

 Qualité consistant à attribuer à chacun ce qui lui est dû par référence aux principes de la justice naturelle ; impartialité : Manquer d'équité.

 Caractère de ce qui est fait avec justice et impartialité : L'équité d'un partage.

On trouve une définition similaire dans le Dictionnaire de l’Académie française, selon lequel l’équité est dérivée du principe d’égalité et peut être définie comme la « disposition de l’esprit consistant à accorder à chacun ce qui lui est dû ». Il est toutefois difficile de définir ce qui est dû à chacun et comment évaluer si un système y réussit ou non (Herbaut, 2011). D'après Demeuse et Baye (2005), « si l'équité est devenue l'une des exigences fondamentales des sociétés contemporaines, la définition du juste et de l'équitable peut varier » (p. 150). En définitive, le terme équité est quasiment synonyme des termes justice et égalité. Il a toutefois le mérite de contraindre à une réflexion sur les critères de ce qui est dû aux uns et aux autres.

C’est ce que soulignent Demeuse et Baye (2005) qui, relevant que faire appel à la notion d'équité n'est pas nouveau, renvoient à Aristote qui soutenait que l'équité allait plus dans le

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Demeuse et Baye (ibid.), l'équité serait préférée à l'égalité étant donné que l'égalité n'est pas strictement possible car les ressources sont limitées.

Duru-Bellat (2009) est réticente et même hostile à la substitution du concept d’égalité par celui d’équité. Selon elle, « on peut craindre que le glissement vers l'équité et l'égalité des chances doive son succès au fait qu'il conjugue un objectif de justice social fort consensuel et un conservatisme discret sur les inégalités tout court » (p. 139). Elle souligne que la promotion de l'équité a été explicitement justifiée au nom de l'efficacité économique, de la compétitivité. Citant Fitoussi et Rosanvallon (1996), Duru-Bellat indique que l’équité est

« une propriété du ou des critères d'égalité qu'on choisit ». L'équité conduit à évaluer les situations grâce aux sentiments de juste et d'injuste, ce qui introduit dans le débat à la fois plus de nuances et de subjectivité. Notamment, la notion d'équité autorise à penser « des inégalités (créées) par des processus de discrimination positive destinées à réduire ou compenser une inégalité initiale considérée comme plus injuste avec en ligne de mire la réalisation de l'égalité des chances et non pas de l'égalité des positions » (p. 98).

Plus fondamentalement, Duru-Bellat (2009) craint un retour en force de la méritocratie chère aux sociétés capitalistes. Conséquente avec elle-même, elle démonte un à un les arguments justifiant une société et une école basée sur la méritocratie. Elle reconnaît dans un premier temps que la méritocratie présente des avantages, notamment de résoudre certaines tensions (opposer le principe d'égalité de tous et la réalité des inégalités de fait). En sus, elle « permet de concilier efficacité et justice sociale ». Toutefois, étant donné que la méritocratie suppose une sélection basée sur les talents qui sont le fruit d'une transmission héréditaire, Duru-Bellat en conclut que « la réussite relève d'une loterie génétique » qui serait à l'opposé de la justice sociale. La méritocratie « privilégie l'égalité face aux règles de la sélection en acceptant les inégalités de position auxquelles conduit ladite sélection » (p. 15).

Le principal problème de la notion de méritocratie réside, toujours selon Duru-Bellat, dans son caractère multidimensionnel dépendant de paramètres sociaux sur lesquels les individus n'ont pas prise. Elle évoque ainsi de nombreux paliers de sélection et de décisions qui ne sont manifestement pas neutres : les inégalités s'accumulent très tôt, les élèves abordent les apprentissages scolaires de façon inégale, les écarts se creusent tout au long de la scolarité primaire, les acquis scolaires étant cumulatifs, etc. Par la suite, au collège, les inégalités vont encore se renforcer étant donné les choix familiaux intervenant dans les choix d'orientation et d'options. Si une grande majorité d'élèves obtiennent un diplôme à la fin du secondaire II, il n'a pas forcément la même « valeur » et est fortement lié à l'origine sociale. Duru-Bellat parle

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ainsi de « démocratisation ségrégative » qui aura un impact sur l'accès à l'enseignement supérieur car, pour elle, les choix qui sont « offerts » aux élèves et aux familles sont indument des occasions de sélectionner et/ou d’orienter les individus et donc de procéder à un triage social.

Pour Dubet (2011), il est illusoire de vouloir définir ce que serait une école juste à partir d’un seul principe de justice. Il défend, par conséquent, une perspective polyarchique des principes de justice. Bien plus, dans un texte intitulé À quoi sert vraiment un sociologue ?, il écrit :

« S’il est si difficile de dire ce que serait une société juste, c’est parce que la justice consiste à combiner des principes de justice différents et souvent opposés, mais dont chacun est aussi le complément nécessaire des autres : par exemple le mérite suppose que nous soyons fondamentalement égaux et également libres. C’est pour cette raison qu’il me semble préférable de se poser la question de savoir quelles sont les inégalités acceptables ou tolérables sinon parfaitement justes, plutôt que de privilégier un seul principe de justice, quitte à ce qu’il reste éternellement dans le ciel des idées. Ce choix relève aussi de "l’éthique de responsabilité" et de l’engagement que j’évoquais précédemment. En effet, on ne peut pas faire comme si les réflexions sur la justice sociale ne concernaient pas des classes sociales, des groupes sociaux, des modèles politiques, tout ce qui fait que l’on doit tenir compte des conséquences et l’on doit se placer dans un espace des possibles, bien que cela manque par trop de grandeur et d’élégance » (p. 119-120).

Cette longue citation est intéressante car, d’une part, elle reflète la tendance assez générale à assimiler, voire à confondre le débat de la justice à l’école et celui de la justice sociale et, d’autre part, elle met en avant la nécessité de combiner plusieurs principes de justice pour définir une société (et, sans doute, une école) juste. Le premier point n’est, à notre avis, pas assez discuté. Est-ce que la réflexion sur une société juste peut s’appliquer automatiquement à l’école ? Dit autrement et de façon plus concrète, les principes de justice énoncés par Rawls (1987) peuvent-ils être appliqués tels quels à l’école ? Ceci n’est pas évident et on le voit bien à la lecture de l’ouvrage édité par Dupriez, Oriane et Verhoeven (2011) : les différents contributeurs à cet ouvrage cherchent à la fois à comprendre et à discuter les diverses théories

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principes de justice peut (et doit) varier selon les domaines concernés13. C’est aussi ce qu’avait tenté Rawls, dont Waltenberg (2008) indique que sa théorie cherche à combiner les valeurs morales de trois théories précédentes : l’utilitarisme, l’égalitarisme, le libertarisme14. Cette tentative aboutit à la formulation d’une théorie reposant sur deux principes (le second en deux parties) : 1) le principe d’égale liberté, 2a) le principe de différence et 2b) le principe d’égalité équitable des chances. De ces principes, les chercheurs en éducation ont principalement retenu le troisième (2b) qui renvoie à un principe de justice corrective. En effet, selon Rawls (1987), « une société démocratique, pour être qualifiée de juste, doit limiter les inégalités sociales en offrant aux plus démunis un socle de ressources qui permettent l'intégration de chacun, en l'occurrence les ressources éducatives de l'enseignement obligatoire dans le champ de l'éducation » (p. 15). C’est sous l’inspiration de Rawls que Dubet tient la notion d’inégalités acceptables. Dans la perspective de l’égalité des acquis de base pour l’école fondamentale, certaines différences de traitement en faveur des plus démunis est une inégalité acceptable. Dans la même perspective, l’attribution de ressources supplémentaires pour les écoles situées dans des zones « défavorisées » est également une inégalité acceptable. En définitive, on retiendra de cette discussion qu’il est difficile, voire impossible, de définir de façon précise ce qu’est une école juste. En revanche, une question plus restreinte peut guider les actions à mener sur le terrain pour aller vers plus d’équité en éducation : elle consiste à s’interroger sur les inégalités acceptables et, de façon

13 Pour Walzer (1997), la réalisation de l’égalité en matière scolaire a une valeur intrinsèque. La société serait structurée selon des sphères distinctes qui produiraient des biens spécifiques. Il s’agit de considérer chaque sphère indépendamment. La juste distribution des biens doit être pensée à l’intérieur de chaque sphère et le système scolaire doit obéir à ses propres principes (en partie méritocratiques). Par conséquent, l’accès aux ressources éducatives ne doit pas être conditionné par la possession d’autres biens tels que la richesse ou le pouvoir.

14 Rappelons brièvement que :

Pour un utilitariste, l’objectif est de maximiser le bien-être total de la société, pas forcément en maximisant le niveau global d’éducation mais celui de l’utilité. L’impératif est l’efficience.

Les égalitaristes visent « l’égalisation d’un attribut entre individus sur des bases morales » (p. 35). Pour eux, l’inégalité est inacceptable.

Pour les libertariens, « une société juste est celle où les gens sont libres » (p. 41). Elle suppose trois principes : « la propriété de soi, la juste circulation de soi et la juste appropriation originelle des biens » (p. 41).

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complémentaires, sur celles qui ne le sont pas et, partant, qu’il faut combattre. Cette question est au cœur de la définition des politiques d’éducation prioritaire.

Définition de l’éducation prioritaire : ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas

Face aux inégalités et à l’échec scolaires sont nées les politiques d’éducation prioritaire. Au départ, il s’agissait de pédagogie compensatoire ou de discrimination positive dans l’idée de donner plus à ceux qui ont moins et en particulier aux élèves provenant de milieux défavorisés et de minorités ethniques ou linguistiques. En effet, depuis le rapport Coleman aux États-Unis (1966) puis le rapport Plowden au Royaume-Uni (1967), on a dû constater que les élèves de milieux sociaux modestes et, plus particulièrement, de certaines minorités ethniques ne tiraient pas complètement profit de ce qu’offrait l’école. Dans le contexte sociétal des années 1970, le constat de ces inégalités est devenu inacceptable. La question s’est alors posée de comprendre, d’expliquer et de combattre ces inégalités ethniques de réussite. L’inégalité de résultats étant établie par les rapports cités ci-dessus et bien d’autres à leur suite (cf.

notamment les études internationales de l’IEA et de PISA), diverses hypothèses ont été posées à ce propos en termes d’égalité des chances ou des acquis. Il devenait évident que donner la même chose à tous les élèves ne pouvait garantir la réussite de tous, y compris celle des élèves venant de milieux défavorisés socialement. La lutte contre les inégalités scolaires en visant la réussite de tous s’inscrivait pleinement dans le processus de démocratisation des systèmes scolaires. De plus, pour certains chercheurs comme Jencks, en réalité, on ne donnait pas la même chose à tous : tous les élèves ne bénéficiaient pas des mêmes conditions d'enseignement (professeurs, matériel, locaux, etc.). En d'autres termes, on donnait moins à ceux qui avaient le moins.

L’éducation prioritaire est basée sur l’hypothèse qu’en donnant plus à ceux qui ont le moins, il devrait être possible de lutter ou, du moins, de réduire les inégalités de réussite constatées entre groupes sociaux différents. Plus précisément encore, l’éducation « prioritaire » cible spécifiquement des groupes (milieux défavorisés, minorités ethniques, etc.), des établissements ou des zones et non des individus. Les aides individuelles accordées aux élèves comme des bourses ne sont généralement pas considérées comme faisant partie des politiques d’éducation prioritaire. Ce qui relève de l’enseignement spécialisé et du champ du handicap

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intégrer tous les élèves, y compris ceux à besoins spécifiques ou à besoins particuliers. Pour Rochex (2008), dans cette nouvelle étape des PEP (ce qu'il appelle le troisième âge des PEP), on cherche à maximiser les chances de réussite de chaque individu ou catégorie d'individus.

On assiste, d'après lui, à un recul du ciblage territorial au profit de nouveaux modes de ciblages (aussi bien des enfants de réfugiés ou demandeurs d'asile que d'enfants ayant des besoins éducatifs spéciaux ou encore « doués » ou talentueux). Contrairement aux âges précédents qui ciblaient des populations défavorisées, on observe ici un caractère composite ou hétéroclite. Certains des élèves ne sont plus définis par un désavantage mais par un avantage (élèves à haut potentiel p. ex.). Le but n'est plus de réduire les inégalités scolaires liées aux inégalités sociales et culturelles, mais de permettre à chaque élève de maximiser son développement et ses chances de réussite scolaire. Le cadre de référence de ces PEP ne serait plus, d'après Rochex, le rapport des différents milieux sociaux au système éducatif, mais une adaptation de celui-ci à la diversité des individus, de leurs talents, de leurs besoins et autres caractéristiques. Ce nouveau paradigme constitue un tournant avec le passage d'une logique de groupe à une logique individuelle, comme si la discipline de référence n’était plus la sociologie, mais la psychologie. La notion d’élèves à besoins particuliers nous semble indicative de cette mutation : une notion complexe et, pour nous, floue, qui regroupe sous une même étiquette les JHP (jeunes à haut potentiel), les enfants autistes, les dyslexiques, les élèves immigrés ne maîtrisant pas la langue d’enseignement, etc.

Les auteurs de l’étude européenne EUROPEP ont cherché une définition permettant de prendre en compte la diversité des expériences européennes en la matière. Ils définissent les politiques d’éducation prioritaire de la manière suivante : ce sont des « politiques visant à agir sur un désavantage scolaire à travers des dispositifs ou des programmes d'action ciblés (que ce ciblage soit opéré selon des critères ou des découpages socio-économiques, ethniques, linguistiques ou religieux, territoriaux ou scolaires) en proposant de donner aux populations ainsi déterminées quelque chose de plus (ou de 'mieux' ou de 'différent') » (Demeuse, Frandji, Greger et Rochex, 2008, p. 12). Ce sont des politiques qui ont en commun de donner plus de moyens à des groupes d’individus, aux structures scolaires ou à des zones et non à des individus. L’attribution de moyens repose sur l’identification de groupes-cibles.

Cette définition constitue un compromis de différentes politiques cherchant à agir sur un désavantage scolaire ou social. Un certain nombre de problématiques communes traversent ces politiques : le choix des groupes-cibles, l’action préventive ou l’éducation préscolaire, les

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mesures et aménagements pédagogiques et curriculaires ou encore le rôle de l’encadrement face aux difficultés scolaires ou la formation des enseignants.

Pour Robert (2009), ce sont des politiques volontaristes de correction des inégalités sociales.

Étant donné le rôle de l'école dans la fabrication des inégalités scolaires (ou en tout cas la difficulté à les combattre) liée notamment à l'hétérogénéité de l'offre de formation, l'éducation prioritaire cherche non seulement à lutter contre l'échec scolaire et les inégalités mais également à limiter les effets d'hétérogénéité de l'offre scolaire (et notamment la mauvaise qualité des écoles et de l'enseignement) par des allocations supplémentaires de moyens ou en donnant aux élèves scolarisés dans ces écoles la possibilité d'aller étudier ailleurs (« busing »).

Ces politiques ont évolué depuis leurs débuts dans les années 1960. Globalement, le modèle de la compensation a peu à peu laissé la place à un autre modèle, celui de l’école inclusive dans une logique d’action individuelle, où l’on reconnait la différence et la diversité. On cherche à intégrer tous les élèves, on adapte sans exclure mais sans cibler des populations spécifiques (p. ex. les élèves les plus défavorisés). Pour Thomazet (2006), on vise à la fois l'égalité et l'équité, et l'on passe d'une logique de protection à une logique de participation.

« L’éducation inclusive se préoccupe de tous les enfants, en portant un intérêt spécial à ceux qui traditionnellement n’ont pas d’opportunité éducative comme les enfants à besoins particuliers, avec incapacités, ou appartenant à des minorités ethniques ou linguistiques, entre autres » (UNESCO, 2001). L’école ordinaire doit s’adapter aux besoins de chacun et accueillir tous les élèves. Ce nouveau postulat peut faire craindre une perte de l'objectif central des PEP de réduire les inégalités « sociales » de réussite en construisant une école à la carte.

L’émergence progressive de l’éducation prioritaire à Genève

Nous allons maintenant essayer de montrer comment, à Genève, la lutte contre l’échec scolaire et les inégalités sociales s’est peu à peu transformée en éducation prioritaire.

Dans les années 1960, une enquête (Roller-Haramein, 1961) a permis de mettre en évidence l’ampleur du retard scolaire au travers du redoublement. L’étude montrait également qu’il y

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le cycle d’orientation intégrant tous les élèves après l’école primaire et le système d’allocation d’études. Partant du postulat que l’échec scolaire se construit dès les premiers degrés de l’école, la lutte contre l’échec scolaire s’est étendue à l’enseignement primaire au début des années 1960 avec la mise en place de différentes mesures, en particulier l’augmentation de l’ouverture des classes enfantines allant dans le sens de la préscolarisation. La scolarisation précoce est perçue comme un moyen permettant de lutter contre les inégalités sociales dues au milieu familial. Des réformes au niveau des méthodes d’enseignement et d’évaluation seront également introduites. Ces mesures vont avoir des effets positifs sur le retard scolaire et notamment sur les différences entre garçons et filles en les diminuant (Hutmacher, 1993).

Comme on le voit, à cette époque, à Genève, on essaie de lutter contre l’échec scolaire et les inégalités sociales par des réformes structurelles, sans ciblage de populations particulières.

Au milieu des années 1970 s’ouvre une nouvelle phase de la lutte contre l’échec scolaire et les inégalités sociales avec l’instauration d’une diminution des effectifs par classe dans tous les degrés de l’école primaire, afin de permettre une plus grande différenciation du travail pédagogique. Des mesures complémentaires vont être mises en place dans les petits degrés sous la forme d’un important dispositif de pédagogie compensatoire : Fluidité consiste à supprimer l’examen de lecture en fin de 1re année primaire et ainsi permettre un passage plus

« fluide » de tous les élèves dans le degré suivant. Un dispositif d’appui individuel destiné aux élèves en difficulté est également introduit et sera étendu à la 3e primaire. Ici apparaissent des mesures ciblées sur des individus, mais sans marquage social.

En 1977, la lutte contre l’inégalité sociale de réussite est formellement mise en place dans l’article 4 de la loi sur l’instruction publique : l’école « doit tendre à corriger les inégalités de chances et de réussite scolaire des élèves dès les premiers degrés de l’école ».

Un des principaux indicateurs de l’échec scolaire étant le redoublement, le dispositif de pédagogie compensatoire visera explicitement sa disparition, notamment au moment du passage de la première à la deuxième primaire. En effet, la première primaire (1P) constitue un moment important dans la scolarité avec l’apprentissage de la lecture, qui ne s’achève pas au terme de cette première année mais va se poursuivre tout au long du primaire et dont on connait l’importance prépondérante dans tous les apprentissages scolaires. Par ailleurs, de nombreuses études sur le redoublement (Hutmacher, 1993 ; Crahay, 2003, 2007 ; Bain, 1988 ; Pini, 1991 ; etc.) ont montré que le redoublement au primaire diminuait fortement les chances de réussite et d’entrée dans les filières les plus valorisantes. De plus, le redoublement est fortement entaché d’inégalité sociale : Hutmacher met en évidence qu’entre 1969 et 1988, la

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probabilité pour un enfant d’ouvrier de redoubler sa 1P va beaucoup augmenter, allant dans le sens d’un accroissement de la discrimination sociale. Il y aurait ainsi, d’après lui, une aggravation des conditions de réussite dans l’enseignement primaire genevois malgré une amélioration des conditions de travail (moins d’élèves par classe, passage de la 1P à la 2P plus fluide, appui individuel notamment). Pour Prost (1986), cela pourrait s’expliquer par la transformation de l’école et notamment, l’introduction de méthodes actives qui ont pour effet une évolution du métier d’élève. Ces méthodes demandent davantage d’autonomie de la part des élèves et seraient d’autant plus complexes pour certains enfants plus éloignés de la culture scolaire.

Dans un petit ouvrage qui eut d’importantes répercussions, Quand la réalité résiste à la lutte contre l’échec scolaire, Hutmacher (1993) montre que les mesures mises en place à Genève pour lutter contre l’échec scolaire et les inégalités scolaires ont bénéficié aux enfants de cadres ou de classes moyennes, mais pas aux enfants d’ouvriers. En particulier, la réduction des effectifs scolaires n’a pas engendré les effets escomptés. Il suggère que cet échec pourrait s’expliquer par une culture scolaire calquée sur certains modèles provenant de la classe moyenne, mais aussi sur certaines pratiques d’évaluation. Cette analyse critique d’une réforme dont les intentions étaient louables va susciter une prise de conscience accrue15 de l’impact de l’origine sociale et de son lien avec l’échec scolaire ; cette prise de conscience constitue un palier important vers l’éducation prioritaire.

Pour Hutmacher, augmenter les ressources du système pour lutter contre l’échec et l’inégalité ne suffit pas. Il est nécessaire de mieux connaitre l’usage de ces ressources et la méthode de mise en œuvre. Il est aussi indispensable de transformer les croyances des enseignants à propos de l’échec scolaire. Il convient avant tout que les enseignants arrêtent de se déresponsabiliser par rapport à l’échec scolaire. D’où cette phrase provocante : « Pour faire partie de la solution il faut accepter d'être partie du problème » (p. 127). Pour lui, il convient de rappeler que « réussite et échec (...) résultent en dernier ressort d'un jugement opéré par des acteurs scolaires et notamment par des maîtres » (p. 33). Cet auteur nous invite dès lors à

« déplacer le regard : des élèves aux systèmes d'action professionnels » (p. 89). Plus loin, le sociologue genevois explicite son propos. Il écrit : « Dans la réalité scolaire, si le redoublement sanctionne bien les difficultés de certains élèves, ce sont pourtant les

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enseignants (...) qui repèrent ces difficultés et qui, en dernière analyse décident d'un éventuel redoublement. On pourrait par conséquent, dans cette perspective, considérer tout aussi bien que la fréquence des redoublements n'est pas fonction du nombre d'élèves, mais du nombre d'enseignants qui en décident. Il faut dans ce cas s'intéresser moins aux élèves et à leurs caractéristiques qu'aux décideurs, c'est-à-dire aux enseignants, à leurs caractéristiques et au champ de rapports sociaux dans lequel ils décident de la promotion-relégation » (p. 94).

Ce petit ouvrage, renforcé par différents écrits de Perrenoud (1984, 1988) est – au moins en partie – à l’origine de ce que l’on a nommé la rénovation mise en œuvre à Genève dans les années 1990. Cette réforme, qui concerne uniquement l’enseignement primaire, est articulée autour de trois axes : individualiser les parcours de formation, apprendre à mieux travailler ensemble, placer les enfants au cœur de l’action pédagogique16. Il s’agissait d’une démarche bottom-up, profilée dans l’esprit d’une recherche-action, Rapsodie17, qui avait eu lieu auparavant. Une quinzaine d’écoles sont alors entrées en rénovation. Les critères de sélection étaient le volontariat et la mise au point d’un projet d’école. Les écoles étaient donc très différentes et ne comportaient pas forcément des proportions importantes de populations « à risque ».

Les principales transformations induites par la rénovation ont porté non seulement sur des aspects structurels, en introduisant des cycles de quatre ans puis de deux ans, mais également sur l’évaluation, par la suppression d’une évaluation notée au profit d’appréciations. Cette évaluation sans notes ayant fait l’objet d’une votation et ayant été refusée, la rénovation a pris fin. Il faut aussi souligner que ces premières expériences très hétérogènes n’ont pas apporté les effets escomptés (cf. Favre et al., 1999 ; Nidegger et al., 2003).

16 Direction de l’enseignement primaire (1994). Les trois axes de rénovation de l’école primaire genevoise.

Genève : Département de l’instruction publique.

17 Au début des années 1980, la recherche-action Rapsodie, menée en collaboration entre les services de recherche et les autorités scolaires, cherchait à promouvoir la pédagogie active et différenciée allant au-delà du soutien, et par le travail en équipe. Selon un des chercheurs du SRS impliqué dans le projet, Hadorn (1985), Rapsodie visait un double objectif : d'une part, « aller observer en classe les phénomènes susceptibles d'expliquer, à ce niveau, l'exploitation des différences et des inégalités entre élèves pour la fabrication de la réussite et de l'échec scolaire » (p. 44) ; d'autre part, tester une hypothèse concernant les facteurs d'échec : « celle qui met en jeu le capital culturel que l'enfant, étant donné son origine, est en mesure de réinvestir dans les activités scolaires ». La pédagogie différenciée devait permettre une certaine réduction des différences culturelles.

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