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Mise en oeuvre de la réparation des crimes de l'histoire : une possible (ré)conciliation des temps passés, présents et futurs?

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Mise en oeuvre de la réparation des crimes de l'histoire : une possible (ré)conciliation des temps passés, présents et futurs?

BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence, HEATHCOTE, Sarah

BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence, HEATHCOTE, Sarah. Mise en oeuvre de la

réparation des crimes de l'histoire : une possible (ré)conciliation des temps passés, présents et futurs? In: Boisson de Chazournes, Laurence, Quéguiner, Jean-François et Villalpando,

Santiago. Crimes de l'histoire et réparations : les réponses du droit et de la justice . Bruxelles : Bruylant, 2004. p. 99-130

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:12918

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MISE EN ŒUVRE DE LA RÉPARATION DES CRIMES DE L'HISTOIRE:

UNE POSSIBLE [RÉ]CONCILIA TION DES TEMPS PASSÉS, PRÉSENTS ET FUTURS?

PAR

LAURENCE BOISSON DE CHAZOURNES (*)

PROFESSEUR ET DIRECTRICE DU DÉPARTEMENT

DE DROIT INTERNATIONAL PUBLIC ET ORGANISATION INTERNATIONALE À LA FACULTÉ DE DROIT DE L'UNIVERSITÉ DE GENÈVE

ET

SARAH HEATHCOTE (*)

SOLICITOR AUPRÈS DE LA SUPREME COURT OF NEW SOUTH WALES ET ASSISTANTE D'ENSEIGNEMENT ET DE RECHEROHE AU DÉPARTEMENT

DE DROIT INTERNATIONAL PUBLIC ET ORGANISATION INTERNATIONALE DE LA FACULTÉ DE DROIT DE L'UNIVERSITÉ DE GENÈVE

1. - INTRODUCTION

La réparation des crimes de l'histoire, présente de multiples visa·

ges (1). Les formes qu'elle peut, pourrait, voire ne pourrait pas revê- tîr sont diverses. Si la réparation peut avoir lieu, il est alors impor- tant d'envisager les possibilités de mise en œuvre au travers de la pratique existante, que ce soit par des processus de négociation, des décisiong judiciaires ou encore l'établissement d'autres mécanismes.

Un esprit d'exploration doit également être de mise pour aborder cette question afin d'envisager des procédures de mise en œuvre qui pourraient voir le jour pour répondre aux attentes de ceux qui demandent que ces crimes soient absous p~r la réparation.

(*) Les auteurs souhaitent remereier Drazen Petrovic pour ses commentaires qui leur ont per- mis d'affiner certains propos.

(1) Pour une analyse historique et politique de cette question, voir BARKAN, Elazar, The Guilt of Nations, Restitution a'fUi Negotialing Historirol injustices, New York-Londres, 2000, 414p.

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)00 L. BOISSON DE CHAZOURNES ET S. HEATHCOTE

Les notions de respons .. bilité et de réparation '<<lliill.t_-'m.!..,ndllllsAe manière générique afin d'inclure toutes leurs manifestations, qu'elles se situent ou non sur le terrain de la commission d'un f .. it illicite, qu'elles découlent ou non de faits de guerre et qu'elles soient définies ou non au travers d'un accord conventionnel spécifique.

Certaines distinctions doivent toutefois être soulignées plus avant car elles revêtent dans le contexte des crimes de l'histoire une signi- fication particulière. Il faut ainsi différencier les mécanismes de res- ponsabilité juridique pour faits illicites des pratiques de paiements ex gratia (dénommées ci-après réparations ex gratia) (2). Les pre- miers sont déclenchés par la violation d'une norme juridique; il y a alors obligation de réparer le dommage qui en est issu (3). En cer- tajns cas, le profil du régime juridique peut être l'objet d'un accord.

S'agissant plus particulièrement des crimes de l'histoire, une ques- tion importante se pose quant à la. mise en œuvre de la responsabi- lité pour fait illicite, à savoir celle de l'identification de la norme en question. Il faut notamment s'interroger sur l'applicabilité de la norme à un moment donné de l'histoire et sur son opposabilité à ceux dont on voudrait mettre en cause la responsabilité. La ques- tion de l'application inter-temporelle du droit est en effet en arrière- fond de ces qnestions (4). La réparation devrait permettre d'effacer autant que possible un préjudice relevant de faits des temps passés dont les prolongements peuvent encore être ressentis aujourd'hui. ,

La pratique de paiements ex gratia repose sur une acceptation de réparer entendue au sens large, tout en ne reconnaissant pas au préalable l'existence d'une violation du droit_ Dans ces cas, il n'y a pas à s'interroger sur l'applicabilité d'une norme juridique à un moment donné de l'histoire puisque l'indemnisation est versée sa.ns adm.ission préa.lable d'une violation. Ces formes de paiements s'ins-

(2) Voir DO~I~ICF., Chngtian, ~La. réparation non-oontentieUlwt, in S/i'DJ. La responsooififi da1l8 le &ysteme international, Colloque du Mans, Pa.ns, 1991, pp. 191·223.

(3) Pour un ex!\men d~ la. responsabilité pour fait internationalement illicite en relation avec la reparat,ion dca crimes de l'llistoire, voir la contribution de Je!\n·Franyois QutGl.HNER et San- tia.go Vn,T.ALI'ANDO dans le present ouvrage.

(4) Nous pouvonll remarquer que da.ns [e contexte de ses Articles codifiant la responsabilit.é des Etats, la. Commission du droit international (CDJ), qui est. chargée par l'Assemblée générale de codifier et développer de manière progressive le droit, s'est référée il des exemples portant sur la traite d'esolat'es pour démontrer l'applicabilité du principe d'inter·temporalité du droit: une violat·ion du droit n'en est une que si l'obligation était en vigueur au moment de "action ou de J'omission pretendument. contraire au droit (Rapport de la C(}ffl.mi88ion d·u droit international sur le~ travaux de 8a oinquanlf-troisième session A/5B/JO (Supplément) (2001), p. 141, para. 2). Sur ce point, voir 6galement la contribution de Nerina BOSCHIERO dan.!! le present ouvrage.

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[RÉ)CONCILIATJON DES TEMPS PASSÉS, PRÉSENTS ET FUTURS 101 cri vent dans le temps présent tout en tentant de corriger certains dommages ressentis dans le passé, mais qui peuvent aussi, selon les cas, produire des effets dans le présent. Il n'y a toutefois pas d'ava- lisation juridique du passé, en ce sens que le paiement, versé à titre ex g·ratia, est lié à des faits ou à des a.llégations de faits qui se sont produits à un moment ou à un autre de l'histoire, sa·ns qu'il y ait une admission d'une responsabilité juridique.

Dans le contexte des crimes de l'histoire, on peut rencontrer une autre forme de responsabilité. Par la négociation d'un traité, un Etat tout en ne reconnaissant pas la commission de faits illicites dans le passé qui lui seraient imputables, accepte néanmoins de s'assujettir à une obligation d'indemniser des dommages. C'est en quelque sorte une responsabilité assumée.

èes formes de réparation se côtoient quand on explore le thème des crimes de l'histoire. Cela tient à l'évolution du droit interna- tional, lequel a condamné au fil du temps certains agissements qui ne l'étaient pas auparavant. Cela tient également aux décisions politiques prises pal' les Etats sur une question ou une autre. Cel- les-ci peuvent revêtir un caractère d'opportunité ou revendiquer une assise morale, politique ou juridique. Les Etats peu vent déci- der de réparer un crime de l'histoire en reconnaissant qu'ils sont liés à une obligation juridique d'agir ainsi, qu'il y ait ou non à l'ori- gine un fait illicite 'assumé de manière juridique duquel découle leur comportement. Ils peuvent aussi décider de verser une com- pensation en dehors de toute logique juridique obligataire en ce sens.

Dans le contexte des différentes formes de responsa.bilité, la répa- ration est composite. Comprise très souvent dans une acception matérielle, qu'il s'agisse de restitution ou d'indemnisation, elle peut également recoùvrir des comportements, telle la· reconnaissance de droits spoliés dans le passé ou encore la mise en place dè mécanis- mes de réconciliation faisant un~. large place à un mieux-être dans le futur. Ces derniers agissements s'apparentent à des excuses ou à Ides garanties de non-répétition (5). De manière indépendante ou non à. des procédures de réparation, des processus politiques peu-

(5) Il convient. de notor toutefois que la CDI, dans le cadre de~ Articles sur la. responsabilit.é des Etats, traite des garanties de non-répêtition dans le contexte de la cC88at,ion de l'acte illicite et non pas dans celui des réparationll, Rapport de la Commission. du droit inlernalionar 8ur les trcuoau:.:; de <'!lU cinquante-trouième $e,uion, op. cif.

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102 L. BOISSON DE CHAZOURNES ET S. HEATHCOTE

vent prendre pl&ce pour permettre la restauration d'un dialogue entre les parties prenantes, voire une réconciliation. Ceux-ci peu- vent s'inscrire en certaines circonstances dans )e cadre plus général des pratiques de réparations, ou s'en différencier en suivant leur propre voie.

L'attention sera principalement portée sur les divers visages de la réparation découlant de la responsabilité de l'Etat. Cela n'empêche pas, et la pratique le révèle, que d'autres acteurs tels que des entre- prises privées puissent voir leur responsabilité mise en cause en matière de réparation pour crimes de l' histoire.

La pratique issue de faits qui se sont produits pendant la Seconde Guerre mondiale permet d'appréhender les divers mécanismes de réparation mis en place, que ce soit immédiatement après la Guerre ou par la suite, ainsi que les conditions de leur établissement.

D'autres formes de mise en œuvre de réparation pour d)autres cri- mes de l'histoire - ceux liés notamment à 1& conquête du Nouve&u monde et à l'esclavage - seront ensuite analysées. Certains de ces thèmes font l'objet de contributions dans le présent ouvrage, aux- quelles il pourra être fait référence pour des développements plus approfondis.

2. - LES SÉQUELLES DE LA SECONDE GUEl<RE MONDIALE:

LES TEMPS PASSÉS ET PRÉSENTS RAPPROCHÉS AU TRAVERS D'ACTIONS JUDICIAIRES

Outre un grand travail de mémoire ayant pris différentes formes, les suites de la Seconde Guerre mondiale se déclinent également en termes de réparation et d'indemnisation.

Dans l'immédiat Après-Guerre, il y a eu, d'une part, des actions de répression et de punition au moyen de la création des tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, chargés tous deux de juger les grands criminels. Ce phénomène de droit pénal international était nouveau pour l'époque, une répression pénale supposant auparavant un recours aux ordres juridiques internes. Ainsi on a pu dire que .depuis longtemps, certains faits portant atteinte aux valeurs immatérielles étant patrimoine moral de l'humanité, comme par exemple la traite des blanches et des esclaves ... , méritaient d'être péniblement réprimés. Cependant, cette répression s'est opérée plu-

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[RÉ]CONCILIATION DES TEMPS PASSÉS, PRÉSENTS ET FUTURS 103

tôt en vertu du droit interne. (6). Ces formes de répression n'étant pas mutuellement exclusives, les tribunaux internes, suite à la Guerre, se sont occupés pour leur part des inculpés de rang subal- terne, tandis qu'en France, un tribunal spécial jugea notamment Pétain et Laval.

La question des réparations est plus difficile. Les indemnités octroyées à l'heure actuelle, qu'il s'agisse de paiements ad hoc, de versements de pensions ou de l'établissement de. fonds destinés à la promotion d'objectifs de type communantaire, sont issues d'une pratique à la fois complexe et prolongée. On peut néanmoins discer- ner deux périodes qui ma,rquent la pmtique, à savoir: la décennie qui suit la Seconde Guerre et la, période de l'après-Guerre froide, cette dernière étant notamment marquée à ses débuts par l'unifica- tion de l'Allemagne. La pratique issue de la seconde phase peut être considérée comme étant la plus proche de la notion de réparation des crimes de l'histoire, car elle vise une époque relativement loin- taine. Cette pratique est néanmoins conditionnée dans une plus ou moins grande mesure par la pratique issue de la première période, celle-ci constituant le ca,dre de référence pOUl' les réclamatio!1_~

actuelles.

Pendant la première période, il s'est surtout agi de réclamations inter-étatiques: la responsabilité des Etats vaincus englobait non seulement les pertes et exa,ctions subies par les Alliés en ta,nt qu'entités étatiques ma,is également celles de leurs nationaux (7). En outre, les réparations inter-étatiques de l'immédiat Après-Guerre sont en majeure partie issues de compromis politiques. Ce sont les traités conclus entre les Alliés et les Etats de l'Axe qui fournissent les règles applicables et non pas les principes du droit coutumier. La question de savoir dans quelle mesure ces derniers continuent à trouver application n'est pas rèsolue. Il en va'de même en ce qui concerne les pays de l'Extrème-Orient.

(6) Nous soulignons. GU.S~;R, Stefan, Recueil de ... cour.,- de l'Academie de droit international, tome 99, 1960-1, pp. 4-73-474.

(i) Ceci est conforme il. la définition des _ réparation8~ de guerre fournie par le Dictionnaire de droit Înternationlil public: « ... l'obligation mise iL la charge d'un Etat et consistant il. assurer la compensation des dommages subis par un autre Etat et ses ressortissants ùu fait du conflit. (Die- lwnnaire de droil interwalional public, sous la direction de Jean Salmon, Bruxelles, 2001, p. 977).

11 ne s'agit pas de la protection diplomatique lltrictQ .!IenllU (sur cette dernière, voir la contribution de Jean-François QutGUlNRR. et Santiago VILLALPANDO dans le present ouvrage).

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104 L. BOISSON DE CHAZOURNES ET S. HEATHCOTE

Au cours de la seconde période, qui s'inscrit dans l'après-Guerre froide, ce sont non plus les Etats, mais les particuliers, agissant à titre individuel ou faisant pression sur leurs gouvernements pour qu'ils les représentent, qui réclament une juste réparation. Cela est notamment le cas pour les persécutions nazies et japonaises dont ils ont été victimes. Dans ce contexte la problématique des droits humains s'avère pertinente ainsi que celle offerte par les règles du droit des conflits armés en ce qu'elles fournissent uné protection à l'individu.

La question se pose toutefois de savoir si en renonçant à une réparation intégrale dans l'immédiat Après-Guerre, les Etats Alliés ont écarté la possibilité de réclamations futures que pourraient pré- senter des individus lésés dans leur propres droits. Si tel n'est pas le cas, divers problèmes apparaissent. D'une part, les droits indivi- duels, tels les droits humains, bien qu'inhérents et inaliénables, bénéficiaient-ils, à l'époque des persécutions, d'une protection en vertu du droit international! Les règles du droit des conflits armés de l'époque créaient-elles des droits dont seraient titulaires, outre les Etats parties au conflit, les individus (8)! La question du droit inter-t.emporel est ainsi soulevée. n:a.utre part, même si, comme l'estime au moins Manfred Lachs, les réparations ne recouvraient que les pertes matérielles de la Guerre et non pas les «souffrances.

de la Guerre (ce qui relève de la catégorie juridique de la satisfac- tion) (9), on peut se demander si les renonciations découlant des divers règlements de la Guerre éteignent toutes les conséquences de la responsabilité pour rait internationalement illicite. Si tel n'est pas le cas, comment cela pourrait-il profiter à l'individu! Enfin, l'indi- vidu dispose-t-il des moyens de faire valoir ses droits!

A. - Quelques aspects de la pratique de l'Après-Guer're

Dans l'immédiat Après-Guerre, les réparations sont le plus sou- vent, mais non pas exclusivement, évoquées dans des traités de

(8) L'article 3 de III Convention de la Haye (IV) de 1907, relatif au Règlement y annexe, dis- pose que les violations du jus in bello lors d'une occupation belligérante donnent droit il. une indemnisation; la quostion est alors celle de Bat'oir dans quelle mesure ce droit prot.égeait les populations civiles.

(9) LACHS, Manrred, tU problème de la propriêté dans la liquidation des suites de la Seeonde guerre mondiale_. Amltuzrrl! fmnpaia d~ droit inJtrJtalional, vol. VII, 1961, p. 56

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[RÉ]CONCILIATION DES TEMPS PASSÉS, PRÉSENTS ET FUTURS 105 paix (10). On prévoyait deux formes 'de <réparations •. Ainsi les trai- tés de paix de 1947 conclus ,>vec les Etats alliés de l'Allemagne (Il) prévoyaient des régimes élaborés visant la «restitution. de (ou l'indemnisation pour), la perte de biens, droits et intérêts identifia- bles (12). C'est dans ce contexte limité que les individus ont pu sou- mettre des réclamations pour la restauration de ces biens (13). Par ailleurs, tous les Etats formant les .Nations Unies> pouvaient en être bénéficiaires. Par contre, les ,Puissances Alliées et Etats associés. étaient les seuls bénéfici:üres de ce que l'on nommait, d'autre part, les «réparations, (14). Par exemple, les traités de 1947 envisageaient également à. titre de tréparations» des versements a.ux Etats de l'Europe de l'Est, les Alliés occidentaux ayant renoncé à toute réparation à leur profit (15).

Le cas de l'Allemagne est particulier. Dans l'Après-guerre, un faisceau d'accords, et non pas un traité de paix, seront conclus.

Ainsi, en 1945, les Puissances Alliées et Etats associés ont fixé entre eux la répartition des réparations en proportions 'équitables. (ci- après .l'Accord de 1945.) (16). En 1952, les Trois Puissances occu-

(10) Touterois, la questioll des réparations a.vait déjit. ét,ë discutée entre les Alliés au coun; de la. Guerre (même si dans certains cas, notamment oolui du Ja.pon, la question ne sera résolue que plusieurs annees après la fin du conflit): voir l'Accord inter-Allié du 5 janvier 194·3 concerna.nt le transfert forcé de biens en territoire contrôlé par l'ennemi. La question des réparations a ét{:

discutée lors des Conrérences du Quêbec (1944), de YalLa (1945) et de Potsdam (1945). Voir

SEIDJ,-HoHXN\'"ELDERN, 1., • Reparations After World War n. in Rudolph BERHARDT (êd.), ET/cy- dopedia of Public: International Law, vol. 4, Max Planck lnstitute for Comparative Public Law and lnl.emational I .. aw, Amsterdam, 1982, pp. 180 et lIS. Voir également. D'A.RGEI\T, Pierre,

u s

ripaf"alioM de ![1Urre en. droit imtrnolional pU/)lic. Da responsabiliti deR Etais ci "epreulJ! de la (fUerre, Pa.rÎ9/BruJtelles, 2002, pp. 129 et SB.

(Il) 11 s'agit des traités de paix conclus te 10 février 1947 aveo l'Italie, la. Roumanie, la Bul- garie, la Hongrie et la Finlande_ Voir à ce sujet "FfTZ:'lIAURICE, Gerald, .The Juridical Clauses or the Peace Treaties" RectUil de8 GOurs de l'Academie de droit international, tome 73, 1948·11, pp. 259-364.

(12) MA"R.TI~, Andrew. _Private Property, Rights and Interest,a in the Paris Peace Trea.ties., British Year /look of Ime.rnalimml MW, VQI. XXIV, 1941, pp. 273300. En ce qui concerne la re.!!titution par l'Allemagne de biens, droits et intérêts, voir LACIII:I, op. GU., pp. 43-66.

(13) Voir LACHS, op. cit., notamment pp. 51-52. Cette possibilité s'appliquait egalement dans une certaine me9ure en ce qui concerne "Autriche et le Japon. Nous pouvons noter la différence entre ce régime et. celui concernant l'or monétaire trou\'é en Allemagne, l'Autriche ou un aut,re pays tiers; ainsi que pour les œuvres artistiques, pour lesquelles seuls les Etat.s avaient le droit de poursuivre les réclamations, LACHS, Manfred op. cit., pp. 53·54-

(14) LACHS. Manfred op. cil., f). 56, note 57

(15)Voir VON PUTI'KAMER, Ellinor .Peace Treaties of 1947., in Rudolph BERNHARDT (êd.), Encyc/opMdia of Public InlernatiolUll Law, vol. 4, Max Planck Institute for Comparative "Public La:w and Tnternational Law, Amsterdam, p. 121.

(16) Accord wnurlUlnl lu reparalwru ci recevoir de l'AUemagM adopté a Parill le 21 décembre 1945, et ouvert à signature le 14 janvier 1946. Ni l'URSS. ni la Pologne n'étaient part.ies à cet Meord.

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pantes occidentales (la France, le Royaume Uni et les Etats Unis) (17) concluent avec la République fédérale d'Allemagne (RFA) un autre traité portant sur le règlement des questions issues de la guerre et de l'occupation (18). Ce dernier inclut un accord sur les réparations: la Convention SUT le Règle1nent de 'fUestions issues de la GueTTe et de l'Occupation (dénommée ci-après la Convention SUT le règlement). Cet accord sera modifié et entrera en vigueur en 1954 (19). Il prévoyait que le règlement définitif des dettes en matière de réparation ne serait réglé qu'une fois qu'un traité de paix serait conclu (20). Toutefois, suite à la réunification de l'Alle- magne en 1990, le traité de Moscou portant règlement définitif rela- tif à l'Allemagne (connu sous le nom de Traité .2 + 4.) ne fa,it pas mention, et cela volontairement, des obligations allemandes en matière de réparations (21). La question de savoir si, au regard du droit, il y a eu règlement définitif du problème des réparations n'est donc pas totalement clarifiée (22).

Les formes qu'ont prises les réparations octroyées ont varié. Afin d'éviter notamment les problèmes de transfert de monnaies, on a privilégié la réparation en espèces, en particulier en ce qui concerne l'Allemagne. Les solutions étaient souvent globales (visant par exemple le transfert d'infrastructures industrielles ou de denrées) et peu souvent rattacbées à des pertes spécifiques. De surcroît, l'obli- gation qu'avaient les Etats vaincus de réparer n'était pas intégrale, en ce sens qu'elle ne devait pas réparer tous les dommages et pertes subis. Si cela peut en partie s'expliquer au titre de la renonciation, ce n'est pas nécessairement le cas de toutes les réparations qui auraient autrement été dues par les Etats de l'Axe (23). Dans le cas des renonciations, il s'agissait donc d'une dérogation a.ux règles du

(17) Ces Etat3 ayant décidé par l'!\()cortl de Pari!! du 14 janvier 1946 de poursuivre une poli- tique commune il cet égard.

(l8) Il s'agit de la Convention 8ur lea relations entre les Iroia puÎs8anees el la Ripublique fédérale d'Allemagne de 1952.

(19) Protowle .nlr la ussation du dgime d 'f)(;Cupalion. danlf la RépubliqlU fédirnle d' Allemag~.

D'ARm~"'ï. op. cit, pp. 160-161

(20) L'article let du Chapitre IV prevoyait que tla question deg reparations sera réglée par le Lraité de paix entre l'Allemagne et lies anciens ennemis ou par des accords antérieurs relat-ifs il cette question..

(21) SOlIRICKF:, Christian, «L'Unification allemande., Annuaire frança-ia de droit internalional, vol. XXXVI, 1990, p.78; D'A.kGEKT, op. cil., p. 220.

(22) Pour une analyse sur 00 point, voir D'ARG':~T, op. c-it., pp. 220-228.

(23) Ainsi l'on pourrait. entre aut.ro songer à une amnistie ou au maintien de J'obligation de réparer pour les pcrœs non-mentionnées. Voir D'ARGENT, op. cil., pp. 756-759, notamment p. 768.

(10)

[RÉ]CONCILIATION DES TEMPS PASSÉS, PRÉSENTS ET FUTURS 107 droit international général en matière de responsabilité pour f .. it illicite. Il en .. vait été de même .. près la Première Guerre mondiale, mais dans une moindre mesure (24). C'était une solution pragmati- que, mais également une

r ..

çon de se prémunir contre les conséquen- ces néfastes que certains estimaient être issues du régime instauré par le Tr .. ité de Versailles en 1919, à savoir 1 .. montée du Nazisme en Allemagne.

Une autre caractéristique de ces règlements d'Après-Guerre tient à ce que seuls les Etats vaincus avaient l'obligation de répa.rer (25).

Ceci est conforme à la façon usuelle de régler les réparations de guerre, mais ne va pas sans soulever des questions aujourd'hui.

Ainsi, la Pologne, victime du Nazisme, avait renoncé à sa part de réparations en faveur de l'Union Soviétique (26), laissant planer des doutes notamment sur le sort de la propriété spoliée par l'occupant Nazi et située en Pologne. Le cas de l'Autriche est semblable, en ce sens que, Jo, lecture des événements, faite dans l'immédiat Après- guerre, voyait l'Autriche comme un Et .. t occupé pendant la Guerre et non pas incorporé par l'Allemagne suite à l'Anschluss de 1938 (27). Ainsi, à l'issue de la Guerre, l'Autriche n'était pas assu- jettie à une obligation de verser des réparations aux Alliés. Mais contrairement a ce qui s'est passé en Pologne, des propriétés appar- tenant aux ressortissants d'origine juive qui avaient été saisies par les N .. zis ont pu être restituées. Le Traité d'Etat de 1955 conclu entre l'Autriche et les Alliés entérine cette position en disposant en son article 21 qu'aucune rép .. r .. tion ne sera obtenue de l'Autriche en ce qui concerne la Guerre en Europe .. près le 1" Beptem bre

(24) Pour un résumé de la pratique sur ce sujet, l'oir: FINeH, G., .The Settlemenl of the Reparation Problern., American Journal of 1111trnaltonal Law, vol. 24 , 1930, pp. 339·350.

(25) L'Allemagne avait néanmoins l'obligation d'indemniser 8e8 proprea re89ortiS6an ... , pri\'és de leur propriété à l'étranger pour satisfa.ire aux obligations allemandes en matière de réparation: voir les accord9 de Bonn (l952) et de Paris (l954) (Convention de règlernent.), article 5 du Chapitre 6.

(26) Voir la Section TV des Accords de POhdam, reproduit da.ns D'ARGE~T, op. cit., p. 145.

Lu. Pologne réitéra 8& renonciation par la suite; Diclaralion du gouwmemenl dt la RipllUiqtu popvlairt dt la Polog1le du 23 août 1953: voir D'ARGEN'r, op. cit. , 215. en particulier il. la note 725.

(27)En s'appuyant sur la Déclaration des Alliés faite a Moscou en 1943, J'Autriche s'est uon- sidérée comme la première victime du Nazisme. Le Tribunal de Nuremberg a statué il. cet égard, en décidant que l'Autriche n'avait pas consenti à l'occupation au regard du droit international, car ce prétendu c(lnsentement avait êté donné MOUS la contrainte: Judgemell.t of the InteM1alic?wJ Jfilitary Trihunal for the Trial of Germon Major IVar Crimi1lalll, Cmd. 6964, London, HM St3- tîonery Office, 1946, pp. 17 et-S8.

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108 L. BOISSON DE CHAZOURNES ET S. HEATHCOTE

1939 (28). Les articles 25 et 26 de ce même tr&ité prévoient néan- moins 1& restitution des propriété.> spoliées.

Pour revenir sur le cas de la RFAl une autre conséquenoe décou- lant de la Convention Bur le règlement est que l'Allemagne ne peut pas contester les actes des Alliés en matière de réparation. De façon plus large, cet accord constitue également une renonciation de la RFA à d'éventuelles réclamations qui pourraient surgir en relation avec la propriété allemande située en dehors de ses frontières (29).

Les problèmes juridiques sont plus délicats en ce qui concerne les victimes des persécutions Nazies. A cet égard on a pu écrire que:

.La gravité et la spécificité des crimes hitlériens rendaient ...

l'application des principes de responsabilité internationale morale- ment inadéquate, l'obligation alternative de réparer ... ne pouvant décemment être envisagée comme éteignant l'illicéité commise, (30).

Ces crimes soulevaient en effet des problèmes juridiques particu- liers, notamment eu égard aux personnes de confession ou dJorigine juive et de nationalité allemande. En effet, bon nombre des person- nes persécutées étaient des ressortissants allemands à l'époque des faits et ne pouvaient donc pas bénéficier de la protection d'un Etat

(28) Voir à Otl sujet. ÜnKRRA)lM.ER, Paul, REINJSCIl, August., ,Restitution of Jewish Property in Austrial, Zeilsherift für aU8Utndisches offentisches Rech/ und Volker,e"ht, vol. 60/3-4-, 2000, p.743.

(29) Bien qu'il no s'agisse pas d'un crime de l'histoire de la catégorie de ceux considér6a dans cet ouvrage, il est néanmoins intéressant d'évoquer une affaire qui démontre les conséquences que peuvent aVOÎr aujourd'hui les règlements de )' Après-Guerre et qui a attiré l'attention de deux grandes instances de règlement des différends internt~Üonaux de notre époque, la Cour euro- péenne des droits de l'homme (CEDH) et la Cour internationale de Justice (CIJ). Un tableau appartenant au père de l'actuel 'Prince du Liechtenstein et se trouvant dans un des chUeaux familiaux en Tchécoslovaquie fut exproprié, à titre de réparations de guerre, en application des Décrets Benell de 1946. Le Décret, nO 12 nationalisait la propriété qui appartenait aux personnes allemandes, hongroi!!CB (selon un recensement-de 1922), ayant commis des actes dc t.rahison ou ayant agi cornille Mnemi!! de la TcMquie ou de la Slovaquie Jors de la Guerre. En 1995. à la suite de la &e<luestration (Judit tableau alors qu'il él-ait exp06ê dans un musée allemand, un tribunal de ce pays se déclara incompétent pour connaître d'une requête visant à la restitution du tableau, formulée par le Prince actllel. CeUe décision fut confirmée en appel. Saisie en 2001, la CEDH décida que, ce faisant, lell t.ribunaux allemands n'avaient pa.!! violé le paragraphe 1 de l'Article 4) de 111. Convention europtlennc des droits de J'homme, se fondant sur l'article 3 du Cha·

pitre YI de la Convention de règlement: Affaire Princt HanlJ-Adam [[ dt Li~chteruJlein e. Alle·

magne, décÎsion du 12 juillet 2001, pa.ragrapbe.~ 62 à 65. Disponible sur le site lnternet.: <http:1 Ihudoc.eehr.eoe.int/hudoc/> .

En 2002 Je Liechtenstein t\ introduit- une requête devant la CU, plaidant que l'Allemagne a engagé sa responeabilité internationale en coneidérant que des biens du Liechtenstein (dont le tableau en question) avaient été tsaisÎs au titre des réparations ou dee restitutions, ou en raison de l'état de guerre. sans indemnisat.ion. L'affaire est toujoura pendante. Voir Certains biens (Liechtemtei1l. c. AII~magne). disponible sur le site lnternet de la Cour: <http://www.icj-oij.org/

cij>.

(30)D'AIU'lt-:NT, op. cil .• p. 191.

(12)

[RÉ)CONCILIATION DES TEMPS PASSÉS, PRÉSENTS ET FUTURS 109

vainqueur. Par ailleurs, l'Etat d'Israël, représentant les intérêts juifs, n'existait pas a,u moment des persécutions. Enfin, si les per- sonnes d'origine juive d'autres pays d'Europe auraient pu en théo- rie bénéficier du jUl! in bello et notamment des régIes portant sur l'occupation belligéra,nte (ce qui a, été écarté par les traités négociés à l'issue de la Guerre), le statut des personnes de nationalité alle- mande n'était pas aussi clair, puisque ces dernières n'avaient paB été placées sous occupation étrangère (31).

L'Allemagne a néanmoins reconnut que des répara,tions seraient octroyées. Ainsi, la Convention sur le règlement susmentionnée sti- pulait à son Chapitre IV, que la RFA:

neQonna.ît l'obligation d'a.ssurer ... une indemnisa.tion a.ppropriée aux per- sonnes persécutées en raison de leurs opinions politiques, de leur race, de leur religion ou de leur idéologie, et qui, de ce fait, ont subi un préjudice dans lenr vie, dans leur intégrité corporelle, dans leur santé, dans leur liberté ou dans leur patrimoine, ou des dommages relatifs aux: biens qu'elles possédaient ou aux ava.ntages économiques qu'elles pouvaient espérer (à. J'exception des biens identifiables soumis à. restitution). En outre, les personnes persécutées en raison de leur nationalité en méconnaissance des droits de l'homme, qui sont mainte- na.nt des réfugiés politiques et ne jouissent plus de la protection de leur ancien pays d'origine, recevront une indemnité a.ppropriée lorsqu'elles auront subi des dommages permanents à leur santé. (32).

Par ce biais les difficultés juridiques susmentionnées, concernant la protection octroyée par un Etat, ont été contournées, de même que celles liées au problème de l'inter-ternpora,lité. Mais s'agit-il là d'une obligation assumée et donc réalisée indépendamment d'une reconnaissance d'une responsabilité pour fait internationalement illicite préalable ou est-ce que c'est une mise en œuvre d'une res- ponsabilité engagée lors de la Guerre 1

Certains considèrent que l'Allemagne a effectué ces paiements à titre ex gratia, c'est-à.-dire sans reconnaître une obliga.tion juridique en ce sens (33). Si on considère qu'il s'agit de paiements ex grat'ia, il s'ensuit que .ce type de paiements peut se répéter aussi long- temps que et dans telle mesure que les parties en conviennent, l'épuisement d'une dette morale - contrairement à l'épuisement d'une dette juridique - étant une notion presqu'antinomique. (34).

(31)D'AROENT, op. eit., p. 200.

(32) Reproduit dans D'ARGENT, op. cil., p. 195, note 650 {33)D'AttOF.NT, op. dt., p. 232

(34) D'ARGENT, op. dl.. p. 232

(13)

110 L. BOISSON DE CHAZOURNES ET S. HEATHCOTE

L'idée qu'il s'agisse de paiements ex gratia s'expliquerait par le fait que la RFA estimait que seule l'Allemagne unifiée était en situation d'effectuer un règlement définitif et jnridique des réparations. De plus, au moyen du traité susmentionné de 1945, dix-huit des cin- quante et un Etats en guerre avec l'Allemagne avaient fixé la répar- tition des réparations dues par ce pays. Cela avait pour effet d'empêcher toute autre répartition avant qu'un traité de paix ne soit conclu (35). Dans des courriers en date du 5 jûillet 1951 à l'adresse d'Israël, les trois Etats occupants avaient d'ailleurs émis l'avis qu'il ne pouvait y avoir d'exigence supplémentaire vis-à-vis de l'Allemagne en matière de réparations avant la conclusion d'un traité de paix (36).

Toutefois, la Convention de règlement a les traits d'une obligation conventionnelle - un accord entre deux on plusieurs sujets de droit, régi par le droit international et destiné à produire des effets de droit. Il n'est point besoin non plus d'y voir une contradiction avec l'accord de 1945 fixant la répartition des réparations (37), car la Convention de règlement vise des obligations directes en faveur d'individus et non pas envers les Etats comme le fait l'accord de

1945.

De toute façon, depuis 1952, la RFA a versé et continue de verser des réparations aux victimes des persécutions Nazies. Ainsi - et en dépit du fait que les pays de l'Est avaient renoncé, après la Guerre, aux réparations en faveur de leurs ressortissants - les victimes rési- dant en Europe de l'Est peuvent aujonrd'hui obtenir des indemni- sations provenant de fonds créés à cette fin.

Ayant dressé ce panorama de la pratique d'Après-Guerre, la ques- tion de savoir ce qui explique la résurgence de réclamations dans les années 1990 doit être posée. Une tendance .' affirme de plus en plus, celle d'exiger une réparation aussi complète que possible - leçon qui peut être tirée, par exemple, de la défaite de l'Iraq en 1991 après

(35) Voir D'ARGENT, op. dt, pp. 156 -157 et. p. 198

(36) ~produit.s dans D'ARGENT. op. cil., p. 157, not.e 499. Ainsi la lettre françalBe du 5 juillet 1951 précise que: J,., le gou\'ernement de la République Françl\isc ne s'estime paa, aux rermes mêmes de l'Acte Final de la Conférence de Paris aur les Réparations, en mesure d'exiger, à son propre profit ou il. celui de toute autre Nation, de nouvelles réparationll il.. l'Allemagne, tant que n'interviendra pas la négociat.ion du Traité de Paix ou du règlement final dell creances sur l'Alle·

magne née de la guerre), Les lettres des Etats·Unis et du Royaume-Uni étaient formulées en ter·

mes .!lem blables,

(37) Ce qui soulinrera la question des droits et obligat.ions des Etats ,tier~" par ra.pport il. la Convention de 1954 mais parties au traité de 1945,

(14)

[RÉ]CONCILL<TION DES TEMPS PASSÉS, PRÉSENTS ET FUTURS III son invasion du Koweït et de la création subséquente de la Com- mission de Compensation des Nations Unies. La résurgence de récla- mations découle également d'un contexte politique particulier, celui de l'unification de l'Allemagne et de l'après-guerre froide plus géné- ralement, au sein duquel les considérations géopolitiques ne consti- tuent plus une entrave à la recherche de réparations. Il y a ensuite le fait que les instances judiciaires américaines sont de plus en plus fréquemment saisies en vertu d'une législation ancienne, l'Alien Tort Claims Act (ATCA) de 1789, qui, après n'avoir pas été utilisée pendant deux cents ans, connait un regain d'intérêt depuis 1980 (38). Enfin, la pratique tend à démontrer que l'on remet en question aujourd'hui l'idée qu'un Etat puisse renoncer à des récla- mations en faveur de ses ressortissants. La pratique contemporaine relative au Japon démontre qu'il existe des moyens de contourner l'écran étatique, nota.mment par le biais de voies de reCOurS internes - même si cela doit se faire à l'étranger.

B. - La pratique contemporaine

La pratique contemporaine en matière d'indemnisation n'est pas homogène.

Tout d'abord, le processus de réparation en Allemagne a connu plusieurs étapes. En premier lieu, il y eut l'adoption en 1952 du West German Federal lndemnification law (BEG). Cet instrument recouvre trois lois adoptées respectivement en 1953, 1956 et 1965, prévoyant chacune une compensation pour les survivants de la Seconde Guerre mondiale, que ceux-ci soient des citoyens alle- mands, des réfugiés ou des apatrides. Par la suite, en 1980, au moment de la détente dans les relations Est-Ouest, fut créé le Hard.kip Fund qui a permis à ceux qui avaient émigré des pays du bloc de l'Est et qui n'avaient pas pu bénéficier du BEG (en raison du fait qu'ils n'avaient pas pu soumettre une demande avant le délai fixé par la loi de 1965) d'obtenir une compensation. Au moment de la réunification de l'Allemagne, deux nouveaux fonds ont été créés, à savoir le Claims Conference Article 2 Fund et le Claim8 Conference Central and Eastern European Fund (CEEF).

Tous deux visent à verser des réparations aux ressortissants de l'Europe de l'Est qui n'avaient pas pu bénéficier du paiement des

(38) Voir l'affaire Filarliga. Il. PeTfa-/rala 630 F.2d8i6 (2"~ Cir. 1980).

(15)

112 L. BOISSON DE CHAZOURNES ET S. HEATHCOTE

réparations antérieures par la RFA. Pour ceux qui ont souffert à cause de la persécution Nazie, notamment pour les plus démunis, ces réparations prennent la forme de versements de pensions. En outre, la possibilité est offerte à ceux qui ont travaillé dans des ghettos, de bénéficier de la sécurité sociale allemande (39).

Deux organisations de droit privé jouent un rôle important dans la mise en œuvre des récla.mations. Depuis la fin de la Guerre, la Gonference on Jewish Malerial Glaims Against Germany (Glaims Gonference) représente les intérêts juifs en Allemagne, en Autriche et en Suisse. Pour d'autres pays, la World Jewish Restitution Organi- sation joue un rôle semblable.

Par ailleurs, l'Allemagne a créé des fonds destinés à la réconcilia- tion avec les Etats de l'Est, plus particulièrement pour subvenir aux besoins de ressortissants des Etats victimes de persécutions Nazies.

Ainsi une entité de droit polonais, le Stiftung Deut8ch-Polnische Au.s- 86hnung a étè créée en 1991 (40); en 1993 des fonds ont étè établis en Russie, en Ukraine et en Biélorussie; et en 1996, le gouvernement allemand s'est engagé il. verser une somme de deux millions de marks allemands à chacun des Etats baltes pour réparer les torts commis à l'égard des victimes du Nazisme dans ces pays. Les ressources devai- ent être allouées il. la création d'infrastructures sociales (41).

En ce qui concerne le travail forcé et l'esclavage, la fondation dénommée German Foundation: Remembrance, Responsibility and the Future a créé en août 2000 un fonds pour compenser ces cri- mes (42). Dans ce contexte, on peut noter l'implication, dans la ges- tion des requêtes éventuelles, des fondations établies en Europe de l'Est que nous venons d'évoquer, ainsi que celle de la Glaims Gon- ference. Il revient à une organisa.tion inter-gouvernementa.le, llOrga- nisation mondiale pour les migrations (OMI) de traiter des réclama- tions de personnes n'étant pas d'origine juive et situées en dehors de la République Tchèque, de la Pologne ou des anciennes républi- ques de l'URSS (43). Cette organisation joue également un rôle dans

(39) Geaetz 'l'ur Zahlbarmachuny von Ren./en aus Beachafligungen in einem Ghetto (ZRBG).

{40l Voir le site Internet <http://www.fpnp.pl>.

(41) Voir sur ces fonds, D'ARG~:NT, op. cil., pp. 230-231.

(42) A cet égard voir le site lnternel: <www.eompensation-for-forced-Iabour.org>. Voir éga- lement D'ARGENT, op. dl., p. 232.

(43) VOlr la contribution de N. \Vühler dans le présent ouvrage. Voir aussi le tFact Sheet.

General Infonnltt-ion on the GerlDan Forced Laoollf C<lmpensation Programme., disponible sur le site Internet: <wwl\'.compensstion-for-forced-labour.org>.

(16)

[RÉ]CONCILIATION DES TEMPS PASSÉS, PRÉSENTS ET FUTURS H3 la gestion du H olocaust V ictim Asset Litigation (Swiss Banks), ainsi que dans la mise en œuvre de programmes humanitaires et sociaux pour des groupes de personnes ayant souffert des atrocités Nazies, à savoir, les Roms, les Témoins de Jehovah, les handicapés et les homosexuels (44).

Pour compléter ce panorama des réparations allemandes, il est à noter qu'en 1994 les Etats-Unis ont envisagé l'adoption (mais ont ensuite renoncé à aller de l'avant) d'une législation levant l'immu- nité souveraine de l'Allemagne en matière de réclamations de per- sonnes ayant la nationalité américaine au moment de la Guerre et qui demandaient une compensation pour les persécutions commises par les Nazis (notamment pour les incarcérations dans les camps de concentration). Cela. avait été évoqué après l'introduction devant les juridictions américaines d'une plainte par Monsieur Princz con- tre l'Allemagne. Celle-ci a été rejetée en raison de l'immunité sou- veraine de l'Etat allemand. Monsieur Princz, a ensuite porté plainte contre des entreprises allemandes devant les juridictions américai- nes. En 1995, des acèotds sont intervenus entre les deux Etats (les Accords Princz) en vertu desquels l'Allemagne a accepté de verser des réparations à ces personnes en retour dlune renonciation améri- caine à ce que de telles requêtes puissent être poursuivies sur son territoire (45).

En Autriche, certaines lois ont été adoptées pour indemniser les victimes du Nazisme après la Guerre (46). Le caractère suffisant des mesures adoptées à la suite de la Guerre avait été remis en question lors de poursuites devant les tribunaux américains concernant notamment des comptes en banque .dormants. (47). En 1998, le gouvernement autrichien entreprit un travail de relecture historique

(44) Voir le site lntoornet.: <http://W'o1-",,".HwiHHbankelaimH.ium.intlEnglish/indcI_en.html>.

(45) Voir BI':,.,.AUER, Rona.ld, ,The Role or the United Sliates Goverlllnent in Rooent Rolo·

caust. Claims. Resolutionl, in Proceedinga of !he Ameriea" Soûely of In/trnational Law, 2001, pp. 37-41. L'Accord Princz, officiellement le AgreettU!"P11 Oonœrning Final BtntJi16 !o Cer/aÎn Uni- ted S!alta Nationa./a who were Viaims of National Sociali&t JlItll-$UTtJ of PeT8ecu!ion est disponible dans Internatwnal LegcU MattTiaI,J, \"01. 35,1996, pp. 193·198.

(46) Voir, par exemple, le Vidima A,Jsistance Law (1947) qui ~OJlfére dee privilèges en matière par eIemple d'aseurance maladie; des mesures d'assistance sociale comprsnant notamment des paiements de pensions et des mesures d'indemnisation sous forme de compensation pour des périodes de détention ou encore pour la persécution en raison par exemple des origines ou de l'appartenance A un groupe ethnique de la personne concernée; l'A88iatanu Fund Law (1956) qui verse une compens$tion li des victimes des persécutions nazies en dehors de 1'Aut,riohe et n'a.yant pas pu bémHicicr d'une 38sistance du Vittim" A8sialance Law; et lt: Lo,w on jfaterial Damage Re.!Ulting fTom Wttr and PeTsecution (1958). Voir OBERIIAXXF:R, RRt:-'ISOII, op. cil., p. 754.

(47)Yoir OR&RR"MM~R. RF.JNISCH, op. cit., p.737.

(17)

114 L. BOISSON DE CHAZOURNES ET S. HEATHCOTE

de cette période de son histoire au moyen de la création d'une Com- mission historique, laquelle a rendu un rapport en 2003 couvrant, entre autres, la question des persécutions nazies dont avaient souf- fert plusieurs groupes (48). Par ailleurs, il a été décidé en 2000 de créer deux fonds: un pour le travail forcé, dénommé Fonds pour la Réconciliation, la Paix et la Coopération, alimenté par le secteur privé et le gouvernement, et l'autre alimenté uniquement par le gouvernement, dénommé Fonds d'Indemnisation général (FIG) et regroupant une série de fonds plus spécifiques (49). Le FIG est des·

tiné à réparer les persécutions Nazies et, ce faisant, doit pa,llier les lacunes dues aux démarches insuffisantes en matière de réparations après la Seconde Guerre Mondiale.

Ces deux fonds autrichiens furent établis sur une base ex gratia.

Ainsi le paragraphe 7 du FIG dispose qu'il n'y a pas d'obligation juridique de paiement: < The paymentB 8hall be awarded aB a final compen8ation for IOBses and damages as a result of or in connection with events having occurred on the territory of the present-day Repu- bUe of Austria during the National Socialist era. There shall be no legal right to theBe payment ... Le fonds pour le travail forcé et l'esclavage est de même nature et est qualifié de .fonds volontaire •.

Ainsi, la pratique démontre que l'Autriche poursuit un règlement à l'amiable; les paiements s'effectuent en contrepartie d'une obliga- tion pour le gouvernement américain de faire pression sur ses tribu- naux pour empêcher que des plaintes soient portées contre les entre- prises autrichiennes.

Pour ce qui est de la Roumanie, de la Bulgarie et de la Hongrie, ces Etats faisaient partie de l'Axe et ont donc été soumis aux con- ditions fixées par les traités de paix conclus en 1947. En Hongrie, les propriétés juives spoliées (50) ont donc été partiellement resti- tuées en vertu d'une loi adoptée en 1991. En 1997, un fonds a été créé, le Jewish Heritage of Hungary Public Endowment, destiné à

(48) Voir le sit.e Internet: <http://'W'I''w.historikerkommiSllion.gv.at/>.

(49) L'annexe A du FIG prévoit:

a) un .Comite d'arbitrage pour la restitution en nature de propriétés publique8t;

b) cent cinqua.nte millions de dollars pour l'indemnisation des baux d'a.ppartements ou d'entreprises de petite taille, des biens ménagers ainsi que des effets et objets personnels de valeur - il. vel'llcr en urgence;

c) des prest.ations sociales suppJementaÎre.R pour les survivants (Sodal 8t.rteJil3 Fund);

d) la remise en êtat des cimetieres juifs et réparation pOUT un club sportif.

{50)Selon la Claim/J ConferclIce, il. hauteur de 5 à 10% de la valeur du marché. Voir le site Tnternet du Claims Conference: <http://www.claimscon.org/?url = hungary>.

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