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OPTION : PHILOSOPHIE ET RHETORIQUE /MASTER II / 2018-2019 (Dr. AHOUO Léon Raymond, Maître de Conférences, U.F.H.B. Abidjan Cocody) ahouo2002@yahoo.fr

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OPTION : PHILOSOPHIE ET RHETORIQUE /MASTER II / 2018-2019

(Dr. AHOUO Léon Raymond, Maître de Conférences, U.F.H.B. Abidjan Cocody) ahouo2002@yahoo.fr

Sujet :

Doit-on en vouloir à la rhétorique ?

À rendre ce Lundi 29 juin 2020 avant 13h 30 via mail : ahouo2002@yahoo.fr

INTRODUCTION

Les rapports entre la philosophie et la rhétorique auraient pu aller de soi, s'il n'y avait pas eu la pensée platonicienne. Cette pensée fait que ces rapports, qui ont l'apparence de l'évidence, invite cependant au questionnement. On peut s'interroger à juste titre si on se rappelle que Platon dans la plupart de ses ouvrages, critique la rhétorique et lui préfère la dialectique. Si l'on s'inscrit dans une perspective platonicienne, on serait enclin à penser que la philosophie n'a rien à voir avec la rhétorique, et inversement. Si, cependant, l'on interroge cette perspective, il est possible de découvrir entre la philosophie et la rhétorique des rapports insoupçonnés, quoique oblitérés, altérés ou biaisés. La question à examiner revient à se demander si la philosophie exclut irrémédiablement la rhétorique ou si, entre elles, demeure un commerce ineffaçable car inéluctable.

Dans une démarche analytique, il va s'agir de questionner la philosophie (platonicienne et aristotélicienne) dans sa vision de la rhétorique. Se faisant l'objectif recherché, c’est d’esquisser une réhabilitation de la rhétorique.

I-DEFINITION DE LA PHILOSOPHIE ET DE LA RHETORIQUE 1.1-Définition de la philosophie

Pour éviter des interprétations parfois abusives, il est commode de définir la philosophie à partir de son étymologie. On relève alors que le mot

"philosophie", dans son origine grecque, se compose des termes "philein" , c'est-à-dire aimer, et "sophia" , c'est-à-dire sagesse. En cela, la philosophie

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étymologiquement est définie comme "amour de la sagesse". La sagesse aimée, c'est-à-dire désirée ou recherchée par le philosophe, est à la fois spéculative et pratique. Dans sa dimension spéculative, elle est proprement qualifiée par le terme grec "sophia" , c'est-à-dire savoir. Ce savoir se distingue du savoir-faire obtenu par la pratique ou par des données empiriques. Il relève plutôt de l'intellection, c'est-à-dire de la méditation. Dans sa dimension pratique, la sagesse est correctement qualifiée par le mot grec "phrônésis" , c'est-à-dire conduite droite conforme aux valeurs et surtout inspirée par le savoir véritable qui est d'ordre spéculatif.

La définition étymologique de la philosophie comme amour de la sagesse trouve une illustration frappante chez Socrate. La figure du Maître de Platon, en effet, concilie si bien le désir du savoir spéculatif, la "sophia", et le désir d'une conduite droite inspirée de ce savoir, la "phrônésis". On peut relever les conséquences suivantes de la définition étymologique de la philosophie :

-la philosophie n'est pas possession, mais plutôt recherche du savoir, de ce savoir spéculatif qui inspire le savoir-faire ou le savoir-être avec et parmi ses semblables. Ainsi, Pythagore déclare : « Je suis philosophe (…) non pas quelqu’un qui prétend posséder la sagesse, mais un homme qui s’efforce vers elle ». (Diogène Laerce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, 12, VIII, 8).

-la philosophie n'est pas la sagesse, mais plutôt la quête de la sagesse par le désir du savoir spéculatif susceptible d'inspirer et de confirmer la conduite droite. Ici, on peut se souvenir de Socrate qui voulait vérifier les propos de l’Oracle de Delphes le qualifiant comme le plus sage des hommes. Pour ce faire, il a pratiqué le questionnement vis-à-vis de ses concitoyens. Il a alors pu réaliser que la sagesse consiste à comprendre de manière spéculative qu’on n’est pas omniscient.

-la philosophie invite à l’humilité en dénonçant toute auto proclamation infatuée de possession du savoir, comme chez les Sophistes.

-la philosophie est l’affaire de celui qui n’est ni ignorant, ni savant, mais qui se situe entre ces deux extrêmes. Ainsi, chez la Prêtresse Diotime, « Amour est philosophe, et étant philosophe, il est intermédiaire entre le savant et l’ignorant ». (Platon, Le Banquet, 204 b).

I-2Définition de la rhétorique

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Avant même d’en venir à sa définition, la rhétorique peut être saisie dans son origine comme le propose certains auteurs. Olivier Reboul notamment, dans son ouvrage intitulé La rhétorique, trouve trois sources à la rhétorique : judiciaire, littéraire et sophistique. La source judiciaire remonte aux tribunaux populaires de la Grèce du Vème siècle avant Jésus-Christ. A cette époque, il fallait savoir parler pour gagner ou défendre une cause. C’était le but de l’enseignement professé par Corax et son disciple Tisias. La source littéraire s’est observée chez Gorgias qui, au Vème siècle avant Jésus-Christ, a enseigné la prose et le discours épidictique.

La source sophistique s’est vue au Vème siècle avant Jésus-Christ chez le Sophiste Protagoras qui a enseigné un relativisme centré sur l’homme. Ce relativisme s’exprime ainsi : « L’homme est mesure de toutes choses, de celles qui sont en tant qu’elles sont, de celles qui ne sont pas en tant qu’elles ne sont pas. » (Cf Protagoras, La vérité).

On peut ajouter à ces trois sources, la source politique qui s’est observée dans les débats de la démocratie athénienne du Vème siècle avant Jésus-Christ.

Au-delà de ces multiples sources, la rhétorique, pour Olivier Reboul, présente trois définitions. La rhétorique est d’abord l’art c'est-à-dire la technique du discours persuasif. Elle est ensuite l’enseignement de cet art, c'est-à-dire sa transmission par un maître et son acquisition par un disciple. Elle est enfin la théorie du discours persuasif, c’est-à-dire la réflexion sur les principes de ce discours.

Comme art du discours persuasif et comme enseignement de ce discours, la rhétorique s’observe dans la pratique quotidienne des sophistes dont la profession est d’apprendre à leurs clients les techniques pour gagner ou défendre une cause grâce à l’habileté oratoire.

Comme théorie du discours persuasif, la rhétorique est notamment analysée par Aristote dans ses ouvrages, en particulier Rhétorique et Réfutations sophistiques.

En synthétisant ces définitions, on peut présenter la rhétorique comme la technique oratoire dont la pratique et l’enseignement visent la tactique de la persuasion. En d’autres termes, « une technique du bon usage du discours (logos), c'est-à-dire du "bien parler" mais aussi du " bien raisonner" : c’est là ce qu’on appelle la rhétorique ». (cf Jean-François PRADEAU, Les Sophistes). La rhétorique est ainsi un art oratoire visant à persuader autrui, c'est-à-dire à le

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conduire à partager une idée, une opinion ou un sentiment grâce à la parole habile.

L’enseignement traditionnel de la rhétorique distingue 4 phases : d’abord l’invention, c'est-à-dire la recherche des arguments ; ensuite la disposition, c'est- à-dire la mise en ordre des arguments ; puis l’élocution, c'est-à-dire le travail du style ou la mise en style des arguments ; et enfin l’action, c'est-à-dire l’art de prononcer le discours. Parmi ces 4 phases, Cicéron trouve que l’action est essentielle. C’est pourquoi il écrit : « Ce n’est pas sans raison que Démosthène attribuait la première place , et la seconde, et la troisième à l’action : si elle est si grande dans l’élocution, elle a certainement un très grand pouvoir dans l’élocution ». (cf. Cicéron, L’orateur, p. 20). Autrement dit, le pouvoir recherché par l’art oratoire consiste dans cette éloquence soucieuse d’efficacité dans la recherche d’un but. C’est en cela, semble-t-il, que la rhétorique subit la critique de la philosophie.

II-LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE DE LA RHETORIQUE

II.1-La critique platonicienne

La critique platonicienne de la rhétorique commence avec la définition de celle-ci. Dans son ouvrage intitulé Gorgias, Platon présente la rhétorique comme un simple « savoir-faire » (462 c) chargé de la « production d’un agrément, d’un plaisir » (462 c) à la manière de la cuisine qui se contente de flatter les sens. C’est pourquoi il écrit, en qualifiant la rhétorique : « son nom, à en considérer la caractéristique capitale, est d’après moi flatterie ». (Platon, Gorgias, 463 a). La rhétorique flatte les sens, mais aussi l’esprit crédule en cherchant à mettre en confiance afin de parvenir à persuader, c'est-à-dire à faire croire en une vérité qui n’en est pas une, au lieu de produire un savoir. Or « savoir et croyance ne sont pas identiques ». (Platon, Gorgias, 454 d).

Par conséquent, pour Platon, il est impropre de définir la rhétorique comme art du discours. Pour lui, l’Art ne consiste pas dans une technique ou un savoir- faire. L’Art consiste plutôt dans le savoir qui est l’expression de la vérité : « sans attache à la vérité, (…) il n’y a pas, il ne pourra jamais y avoir un art de parler authentique ». (Platon, Phèdre, 260e). Il y a de multiples raisons à la dénégation platonicienne de la rhétorique comme Art oratoire. D’une manière générale, la

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rhétorique est dénoncée par Platon parce que, pour lui, elle a subi une perversion due à l’enseignement des sophistes et de leurs disciples. C’est cette perversion qui est à l’origine du dévoiement de la démocratie athénienne et surtout du procès et de la mort de Socrate. Exceptée cette raison générale, on relève chez Platon des causes spécifiques expliquant la critique platonicienne de la rhétorique.

La rhétorique, chez les sophistes, est l’objet d’un enseignement qui exige un paiement. Pour Platon, il est inconvenant de faire de l’enseignement qui éduque une activité mercenaire, c'est-à-dire commerciale. La noblesse de l’éducation est telle qu’elle exige un désintéressement. Voilà pourquoi Socrate se défend de ressembler aux Sophistes quand il dit : « Pas davantage en vérité n’avez-vous entendu dire à personne que j’entreprenne de faire l’éducation des gens et que j’exige de l’argent pour cela : voilà encore qui n’est pas exact ! » Platon, Apologie de Socrate, 19 d-e).

La rhétorique chez les sophistes recherche seulement l’efficacité, c'est-à-dire la manière d’atteindre le but recherché sans se soucier de la moralité ni de la vérité du discours. Son seul souci étant de persuader à tout prix, elle est alors portée à manipuler les individus en exploitant leur naïveté, leur confiance ou leur ignorance. Elle fait ainsi un usage instrumental du discours, c'est-à-dire un usage par lequel les mêmes mots peuvent servir à défendre le pour et le contre, le vrai et le faux. En effet, Socrate affirme se distinguer des Sophistes capables de transformer la cause la plus faible en la cause la plus forte. C’est plutôt le sophiste Protagoras qui est le défenseur de ce principe comme en témoigne Aristote en ces termes : « rendre plus fort le discours le plus faible ; et c’est pour cette raison que les gens s’indignaient contre le principe défendue par Protagoras ». (Aristote, Rhétorique, II, 24, 1402 a7).

La rhétorique chez les Sophistes ne vise pas à instruire, c'est-à-dire à dévoiler l’être ou le savoir authentique. Elle se soucie seulement de l’apparence comme l’écrit Jean Brun : « Avec les sophistes, la rupture est consommée : il s’agit de cultiver l’art de l’apparence sans se préoccuper de savoir si un être quelconque correspond à ce dont on parle ». (Jean Brun, Socrate, p.114).

On retient que Platon critique la rhétorique à cause de l’usage qu’en font les sophistes. C’est pourquoi dans cette critique, il succombe à la tentation de corriger, c'est-à-dire de définir les critères d’une rhétorique acceptable ou d’un orateur convenable. Il écrit : « S’il t’appartient par nature d’avoir le don oratoire, tu seras un grand orateur dont on fera grand cas, à condition qu’au don naturel tu joignes le savoir et la pratique. » (Platon, Phèdre, 269 d). Cette citation révèle

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chez Platon trois critères cumulatifs de définition de la rhétorique ou de l’orateur : le don, la pratique et le savoir. Mais, le savoir est le critère primordial car chez Platon, l’orateur authentique est celui qui dit la vérité quels que soient son don et sa pratique. Le savoir s’avère essentiel puisque la fonction de l’Art oratoire concerne la conduite de l’âme. Il s’agit donc de connaître la nature de l’âme et les divers types d’âmes. En ayant cette connaissance, l’orateur doué par nature peut exceller dans sa pratique en appropriant tel discours donné à tel type d’âme pour arriver à la convaincre. Tel est le sens de la critique platonicienne à l’encontre de la rhétorique.

Aristote, cependant, semble avoir une position différente dans sa critique de la rhétorique.

II-2-La critique aristotélicienne.

Dans son ouvrage intitulé Rhétorique, Aristote enseigne que la rhétorique et la dialectique apparaissent comme l’art de soutenir aussi bien le pour et le contre sur un sujet donné (Aristote, Rhétorique, 1355, a 33). Pendant que Platon rattache la dialectique à la science et à la vérité, Aristote, lui, la relie aux thèses probables ou aux enthymèmes. Le Stagirite, contrairement à son maître, n’a pas une conception péjorative de ces thèses qui s’observent dans l’usage général ou particulier du langage chez les hommes. A cet effet, il écrit : « Les thèses probables sont celles qui correspondent à l’opinion de tous les hommes ou de la plupart d’entre-eux, ou des sages, et parmi ces derniers, soit de tous, soit de la plupart, soit des plus notables et des plus reconnus ». (Aristote, Topiques, 100 b 21). Autrement dit, les thèses probables concernent les opinions répandues et habituelles aux hommes, même à ceux qui sont considérés comme sages.

Les thèses probables sont les principes justificatifs d’une démonstration ou d’une argumentation comme celle observée dans la dialectique ou dans la rhétorique. Elles montrent que parce qu’il n’y a ni évidence d’une position, ni univocité des mots, ni d’ailleurs sincérité obligée des locuteurs, il s’avère nécessaire de développer une argumentation ou une démonstration par le discours. C’est en cela que se comprend cette question : « Qu’est-ce que le discoureur aurait à faire si les choses devaient apparaître par elles-mêmes et n’avaient pas besoin de discours ? » (Aristote, Poétique, 1456 b 7). Autrement dit, l’orateur voit son rôle justifié parce que les choses ne sont pas évidentes et qu’elles ont alors besoin du secours de l’argumentation.

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Si l’argumentation ou la discussion s’avère nécessaire, on peut alors comprendre pourquoi chez Aristote, il y a diverses formes de discours. C’est ce que le Stagirite exprime en ces termes : « On ne peut adopter la même attitude envers tous dans la discussion. Les uns ont besoin de persuasion, les autres de contrainte logique (…) Quant à ceux qui argumentent pour le plaisir d’argumenter, on ne peut les guérir qu’en réfutant leur argumentation telle qu’elle s’exprime dans le discours et dans les mots. » (Aristote, La Métaphysique, 1009a 15-20). Autrement dit, il y a trois attitudes dans la discussion ou encore trois types d’argumentation : d’abord l’argumentation qui vise la persuasion, c'est-à- dire à faire croire en quelque chose, ensuite l’argumentation faite de contrainte logique, c'est-à-dire qui impose de reconnaître la vérité du discours cohérent, et enfin l’argumentation par plaisir, c'est-à-dire qui joue avec les mots.

L’argumentation par contrainte logique peut convenir à la dialectique philosophique. L’argumentation par persuasion et celle pour le plaisir peuvent rappeler la rhétorique sophistique. Le simple plaisir d’argumenter peut trouver illustration dans le raisonnement développée par Euthydème et son frère Dionysodore qui jouent à faire croise à Clinias qu’il ne serait plus le même Clinias s’il cherche à devenir savant. (Platon, Euthydème). Aristote montre que cette vaine éristique de ces deux sophistes peut être facilement réfuté en faisant la distinction entre l’essence et l’accident. L’essence de Clinias, c’est son identité fondamentale et permanente. L’accident, c’est le changement qui peut intervenir accessoirement sans affecter l’essence. Par conséquent, Clinias restera toujours Clinias même s’ il devient savant. Il n’est donc pas raisonnable de se contenter de se moquer des deux sophistes comme Socrate le fait dans l’ouvrage Euthydème de Platon.

Aristote, en outre, critique la rhétorique sophistique qui laisse croire que toutes les opinions se valent, qu’une même chose et son contraire sont équivalentes et donc que la contradiction ne peut exister. Pour lui, c’est ce qu’enseigne la thèse de l’homme mesure développée par Protagoras. Cela équivaut pour Aristote à nier le principe de non-contradiction : « Ce qui semble à quelqu’un, c’est cela qui existe réellement. Si cela est vrai, il en résultera que la même chose est et n’est pas ». (Aristote, La Métaphysique, K, 6, 1062 d 13-19).

Cela revient à souligner la superficialité de la rhétorique sophistique qui va jusqu’à méconnaître ce principe essentiel de la logique du discours, à savoir le principe de non-contradiction.

On remarque que la critique aristotélicienne s’adresse à la pensée platonicienne. Elle reproche à cette pensée de prétendre réfuter la rhétorique

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sophistique en recourant à la moquerie ou au mythe. En somme, elle lui reproche d’ignorer la théorie du langage parce que justement « Platon méprise une philosophie qui s’arrête au langage au lieu d’aller aux choses elles-mêmes ».

(Pierre Aubenque, Le Problème de l’être chez Aristote, p. 106).

La critique aristotélicienne, en outre, s’adresse aux sophistes auxquels elle reproche de développer une rhétorique seulement soucieuse d’apparence logique et de ratiocination. Pour Aristote, la réfutation de la rhétorique passe par l’analyse de la structure de ce type de discours. C’est pourquoi, il écrit l’ouvrage Réfutations sophistiques dont l’objet est ainsi précisé : « Aristote rédige un traité intitulé les Réfutations sophistiques dans lequel il se propose d’examiner et de dissiper les mésusages des arguments dont l’apparence est démonstrative, mais qui en réalité sont des syllogismes éristiques ou sophistiques, c'est-à-dire des raisonnements dont les prémisses sont en apparence probables (de sorte que le syllogisme n’est conclusif qu’en apparence) » (Jean-François Pradeau, Les Sophistes, 2009, p. 29).

De la critique platonicienne à la critique aristotélicienne, le rapport entre la philosophie et la rhétorique semble subir une variation. Il importe alors de situer le sens de cette variation en rétablissant le lien adéquat entre celles-ci.

III-PHILOSOPHIE ET RHETORIQUE : DES LIENS INDISSOLUBLES

III.1-La rhétorique de la philosophie

La formule « rhétorique de la philosophie » invite à montrer que la rhétorique demeure dans le champ de la philosophie, soit en tant qu’objet de son étude, soit en tant qu’instrument pour son enseignement.

Si on s’en tient à Platon, on peut penser que la philosophie et la rhétorique sont en conflit. Pour ce philosophe, la philosophie n’a pas les mêmes motivations ni les mêmes objectifs que ceux de la rhétorique telle qu’elle s’exprime chez les sophistes. C’est du reste ce que croit son ouvrage Phèdre qui ne veut admettre la rhétorique dans le champ de la philosophie qu’à condition qu’elle se soucie de vérité et de science. Autrement dit, par la correction qu’il inflige à la rhétorique, Platon veut lui inculquer une dimension scientifique à l’image de celle de la dialectique. Cependant, Pierre Aubenque émet cette réserve : « Une rhétorique scientifique serait une contradiction dans les termes ». (Pierre Aubenque, Le Problème de l’être chez Aristote, p. 263). En d’autres termes, le mot

« rhétorique » est incompatible avec le mot « scientifique ». En effet, le domaine

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de la rhétorique est fait de plasticité, de fluctuation, alors que le domaine de la science est recherche de ce qui est invariable.

Aristote semble se montrer d’accord quant à l’incompatibilité entre la rhétorique et la science. Il écrit : « Il est évidement aussi déraisonnable d’accepter d’un mathématicien des discours simplement persuasifs que d’exiger d’un rhéteur des démonstrations probantes. » (Aristote, Ethique à Nicomaque) En d’autres termes, il est absurde d’attribuer au mathématicien ce qui appartient au rhéteur, et inversement, parce que leur domaine de compétence sont spécifiques. Le rhéteur s’occupe spécifiquement de discours persuasifs et le mathématicien de démonstrations probantes. Pour Aristote, la rhétorique, comme elle apparaît dans l’univers humain, est confrontée aux opinions, aux intentions, aux thèses probables et même à la plasticité du langage. C’est pourquoi, quand elle examine la rhétorique, la philosophie doit tenir compte de cette dimension humaine du discours par laquelle elle peut ressembler à cette dernière, tout comme le philosophe peut ressembler au sophiste. C’est pour caractériser cette ressemblance entre philosophie et rhétorique, ou philosophie et sophistique que Fulcran Teisserenc écrit : « Le sophiste comme le philosophe tirent partie du jeu glissant des ressemblances ». (Langage et image dans l’œuvre de Platon).

Il y a par ailleurs une rhétorique de la philosophie relativement à l’exigence de communication dans l’enseignement. Cela veut dire que la philosophie, quand elle est enseignement, a nécessairement recours à la communication. C’est par là qu’elle peut transmettre un savoir à acquérir. C’est aussi par là qu’elle peut faire naître ou qu’elle peut dévoiler un savoir déjà enfoui dans l’esprit du disciple.

C’est pourquoi Olivier Reboul écrit : « Du moment qu’une philosophie s’enseigne, elle ne peut, si rationnelle soit-elle, se passer de rhétorique ». (Olivier Reboul, La Rhétorique, p. 115). Il y a ainsi une rhétorique de la philosophie qui ne peut manquer de remplir aux moins l’un des trois buts traditionnels de la rhétorique, à savoir : instruire, émouvoir et agrémenter. L’un des procédés rhétoriques, selon Olivier Reboul, se présente ainsi : « Par exemple, pour l’exorde, dites que vous n’avez pas l’habitude ni le talent de la parole ». (Olivier Reboul, La rhétorique, p.11). Autrement dit, l’orateur doit masquer son habileté oratoire en annonçant qu’il n’est pas talentueux. C’est justement cette tactique qu’utilise Socrate dès le début de sa plaidoirie : « Je ne possède pas le moindre talent de parole ». (Platon, Apologie de Socrate, 17 b). Olivier Reboul peut alors interroger Platon en ces termes : « D’ailleurs son Socrate n’est-il pas lui-même le plus étonnant des rhéteurs ? » (Olivier Reboul, La rhétorique, p. 16).

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Ainsi, il y a une rhétorique de la philosophie. De même, il y a une philosophie de la rhétorique.

III.2-La philosophie de la rhétorique

La formule « philosophie de la rhétorique » invite à montrer que la philosophie ne peut s’empêcher de réfléchir sur la rhétorique. Cette réflexion vise à déterminer la raison d’être de cette dernière au regard de sa vision de l’univers humain.

La rhétorique pense l’univers humain en terme d’omniprésence du discours qui peut être exploitée pour devenir l’omnipotence du discours. Autrement dit, pour la rhétorique, celui qui maîtrise les techniques du discours possède un grand pouvoir dans la société. C’est ce qu’enseignent les sophistes Protagoras et Gorgias. Protagoras répond à Socrate : « Or, l’objet de mon enseignement c’est (…) pour ce qui est des affaires de l’Etat, savoir comment y avoir le plus de puissance et par l’action et par la parole » (Protagoras, in Protagoras de Platon, 318e-319a). De même Gorgias, répondant à Socrate, affirme que son enseignement permet d’avoir « la capacité de persuader aussi bien les juges au tribunal, qu’au conseil les membres du conseil, et les membres de l’assemblée à l’assemblée, ainsi que dans toute autre réunion qui sera réunion politique ».

(Gorgias, in Gorgias de Platon, 452 e). En outre, Gorgias lui-même écrit : « Un discours, en effet, lorsqu’il a persuadé l’âme qu’il a persuadée, l’a contrainte à se laisser persuader par ce qui a été dit et à consentir à ce qui a été fait ». (Gorgias, L’éloge d’Hélène, Paragraphe 12, 5-8).

Si donc la rhétorique a un grand pouvoir, on se demande pourquoi Socrate l’a rélégué au profit de la dialectique. Dans cette perspective, Jean Brun écrit :

« Traduit devant le tribunal, Socrate refusa les secours de Lysias, Avocat de métier, qui avait, dit-on, préparé une défense que Socrate n’aurait eu qu’à lire devant ses juges ». (Jean Brun, Socrate, p. 38). Socrate a eu ce refus en raison de son éthique qui ne pouvait lui permettre d’accepter une plaidoirie de nature rhétorique et digne de la sophistique. Cette attitude est contestable si on lit cette pensée d’Aristote : « S’il est honteux de ne pouvoir se défendre avec son corps, il serait absurde qu’il n’y eu point de honte à ne pouvoir le faire par la parole dont l’usage est plus propre à l’homme que celui du corps ». (Aristote, Rhétorique,

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1355 b38). Autrement dit, la parole, signe de la pensée et donc monopole de l’homme, doit pouvoir permettre à ce dernier de se tirer d’affaire ou de gagner une cause. Dans le cas contraire, la honte serait plus profonde que celle ressentie devant l’incapacité à se défendre par son corps. C’est pourquoi la rhétorique apparaît comme un instrument de pouvoir, surtout dans le régime politique appelé démocratie. Ainsi, « la démocratie grecque, tout particulièrement à Athènes, institue un usage public et politique de la parole dont il est fait un usage démonstratif et persuasif dans les assemblées et les tribunaux où se déroule la vie de la cité ». (Jean François Pradeau, Les Sophistes, 2009, p. 21).

CONCLUSION

L’opinion répandue et accréditée par Platon fait croire à une incompatibilité entre la philosophie et la rhétorique. On sait que ce philosophe condamne la rhétorique à cause de la sophistique. Mais Aristote se montre moins radical dans sa critique de la rhétorique. Il maintient le lien entre celle-ci et la philosophie par le biais de la dialectique. Il écrit : « La rhétorique est comme une ramification de la dialectique (…). C’est une section de la dialectique et sa pareille. » (Aristote, Rhétorique, I, 1356 a, 20-27).

Sans doute, la rhétorique peut comporter des manquements comme ceux relevés par Platon et Aristote. Encore faut-il que ces manquements soient avérés, et même qu’ils sont loin de l’être comme le soulignent les laudateurs des sophistes tels Eugène Dupréel (cf. Les Sophistes) ou George Briscoe Kerferd (cf.

Mouvement sophistique), ou les sophistes eux-mêmes dans certains ouvrages de Platon.

Le constat, c’est que l’efficience de la rhétorique n’est pas remise en cause, ni par la rhétorique de la philosophie ni par la philosophie de la rhétorique. En effet, il faut retenir, malgré les critiques moralisantes, le rôle prépondérant de l’art oratoire, surtout dans nos sociétés contemporaines qui célèbrent la démocratie. En cela, on peut méditer cette pensée de Jean François Pradeau : « La postérité a donné philosophiquement raison à Platon en faisant de son œuvre à la fois le commencement et le fond de la tradition philosophique ; mais elle lui a donné culturellement et politiquement tort puisque les sophistes, bien moins intempestifs que le philosophe, furent les véritables pédagogues de leur temps : ce sont eux qui accompagnèrent le débat civique et intellectuel athénien ». (Jean-François Pradeau, Les Sophistes, 2009, p 36).

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Sujet :

Doit-on en vouloir à la rhétorique ?

Dans son ouvrage intitulé la Rhétorique, trouve 3 sources à la rhétorique : judiciaire, littéraire et sophistique. La source judiciaire remonte aux tribunaux populaires de la Grèce du Vème siècle av-J-C.

A cette époque, il fallait savoir parler pour gagner ou défendre une cause. C’était le but de l’enseignement professé par Corax et disciple son Tisias. La source littéraire s’est observée chez Gorgias qui au Vème siècle AV-J-C. a enseigné la pose et le discours épidictique. La source sophistique s’est vue au Vème siècle AV J-C chez le sophiste Protogras qui a enseigné un relativisme centré sur l’homme.

Ce relativisme s’exprime ainsi : « L’homme est mesure de toutes choses, de celles qui sont en tant qu’elles sont, de celles qui ne sont pas en tant qu’elles ne sont pas. » (Cf. Protogoras, La vérité).

On peut ajouter à ces trois sources, la source Politique qui s’est observée dans les débats de la démocratie athétienne du Vème siècle AV-JC.

Au-delà de ces multiples sources, la rhétorique pour Olivier Reboul, présente 3 définitions. La rhétorique lot d’abord l’Art c'est-à-dire la technique du discours persuasif. Elle est ensuite, l’enseignement de cet art.

C'est-à-dire sa transmission par un maître et son acquisition par un disciple. Elle est enfin, la théorie du discours persuasif. C'est-à-dire la réflexion sur les principes organisateurs et explicatifs de ce discours.

Principes organisateurs et explicatifs de ce discours.

 Comme art du discours persuasif et comme enseignement de ce discours, la rhétorique s’observe dans la pratique quotidienne des sophistes dont la

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profession est d’apprendre à leurs clients les techniques pour gagner une cause grâce à l’habileté oratoire

 Comme théorie du discours persuasif, la rhétorique est notamment analysée par Aristote dans ces ouvrages, en particulier ceux intitulés Rhétorique et Réfutations so théoriques. En

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