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COURS EN LIGNE HISTOIRE DE PHILOSOPHIE . ST AUGUSTIN PROFESSEUR AKE PATRICE , Maître de Conférences en Philosophie

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MÉTAPHYSIQUE

COURS EN LIGNE HISTOIRE DE PHILOSOPHIE . ST AUGUSTIN

PROFESSEUR AKE PATRICE , Maître de Conférences en Philosophie

MINISTÈRE DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

Université Félix Houphouët-Boigny

UFR Sciences de l’Homme et de la Société Département de Philosophie

RÉPUBLIQUE DE CÖTE D’IVOIRE Union-Discipline-Travail

Abidjan, le 28Juillet 2020.

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1)St AUGUSTIN – VIE ET ŒUVRES

Le nom de saint Augustin émerge comme celui du plus grand des Pères de la chrétienté latine, à la fois du point de vue littéraire et du point de vue théologique. Il a dominé la pensée occidentale jusqu’au XIIIè siècle et il n’a jamais perdu son éclat malgré l’aristotélisme de saint Thomas d’Aquin et de son Ecole qui était d’ailleurs très loin de méconnaître et, à plus forte raison, de déprécier le grand Docteur africain. En fait, pour comprendre les courants de pensée au. Moyen âge, la pensée de saint Augustin ne peut être exposée avec l’ampleur qu’elle mérite, mais il faut l’étudier au moins sommairement.

Augustin est né à Tagaste, dans la province de Numidian, le 13 novembre 354 après Jésus- Christ, d’un père païen Patricius et d’une mère chrétienne, sainte Monique. Sa mère l’éleva en chrétien, mais son baptême fut différé selon la fâcheuse coutume de cette époque. (Conf 1,11,17).

L’enfant apprît les rudiments du latin et de l’arithmétique auprès d’un maître d’école de Tagaste mais le jeu, où il voulait toujours être le premier, lui plaisait beaucoup plus que l’étude. Quand au grec qu’il commença plus tardivement, il ne l’aimait pas, tout en trouvant que les poèmes d’Homère étaient une belle et attrayante histoire. Il serait faux de dire qu’Augustin n’a pas su le grec mais. Il ne l’apprit jamais assez pour le lire couramment.

Vers 365, Augustin alla à Madaure s’initier à la littérature et à la grammaire latine. C’était une ville encore en grande partie païenne où l’atmosphère générale, s’ajoutant à l’étude des classiques latins, ne pouvait que détacher le jeune garçon de la foi de sa mère. L’année de cdésoeuvrement passée ensuite à Tagaste (369-370) agit dans le même sens. En 370, date à laquelle son père mourut après s’être converti au catholicisme, Augustin commença à étudier la rhétorique à Carthage, la plus grande ville qu’il ait connue jusqu’alors. Les mœurs licencieuses de ce grand port, siège du Gouvernement, la vue des rites obscènes liés aux cultes importés de l’Orient, amenèrent Augustin aux passions éveillées et violentes, à rompre pratiquement avec l’idéal moral du christianisme ; bientôt il eut une maîtresse avec laquelle il vécut plus de dix ans et dont il eut un fils la deuxième année de son séjour à Carthage.

Pourtant malgré cette vie irrégulière, Augustin était un très brillant étudiant de rhétorique et restait assidu à son travail.

La lecture de l’Hortensius de Cicérone le poussa à la recherche de la vérité et peu après il adhéra à l’enseignement des manichéens (Le manichéisme, originaire de Perse, fondé par Mauss ou Mani au IIIè siècle, était un mélange d’éléments persans et chrétiens) qui paraissait lui offrir un système rationnel de vérité bien différent des idées barbares et des doctrines illogiques du christianisme. Les chrétiens prétendaient que Dieu a créé tout l’univers et que Dieu est bon : comment pouvaient-ils alors expliquer l’existence du mal et de la souffrance ? D’après la doctrine dualiste des manichéens, deux principes fondamentaux éternels, un principe bon, celui de la lumière, Dieu ou Ormuzd, et un principe mauvais, celui des ténèbres, Ahriman, sont engagés dans une lutte éternelle et celle-ci se reflète dans le monde qui est le produit de ce conflit. En l’homme, l’âme, faite de lumière, est l’œuvre du principe bon, tandis que le corps, fait de matière plus grossière, est l’œuvre du principe mauvais. Aux yeux d’Augustin, cette théorie avait l’avantage d’expliquer apparemment le problème du mal et d’être fondamentalement matérialiste car il ne pouvait pas encore concevoir la possibilité d’une réalité immatérielle, imperceptible aux sens. Conscient de ses passions, de ses désirs sensuels, il ne pouvait ainsi les attribuer à une cause mauvaise, extérieure à lui-même. De plus, si les manichéens condamnaient les relations sexuelles et la nourriture carnée et prescrivaient des pratiques ascétiques telles que le jeûne, celles-ci n’étaient obligatoires que pour les élus et non pour les « auditeurs » dont saint Augustin faisait partie.

Ainsi détaché du christianisme à la fois moralement et intellectuellement, Augustin retourna à Tagaste en 374. Là, il enseigna la grammaire et la littérature latines pendant un an ; puis il ouvrit une école de rhétorique à Carthage à l’automne 374. Il vivait avec sa maîtresse et leur enfant Adéodat.

C’est à cette époque qu’il remporta un prix de poésie (pour une pièce de théâtre qui ne nous est pas parvenue) et qu’il publia son premier ouvrage en prose, le De pulchro et apto. Il resta à Carthage jusqu’en 383. Peu avant son départ pour Rome, un événement assez important se produisit : Augustin avait été troublé par des difficultés et des problèmes auxquels les manichéens n’avaient pas su donner de réponse : le problème de l’origine de la certitude, la cause de l’éternel conflit des deux principes, etc… Il advient qu’un évêque manichéen connu, Faustus, se rendit à Carthage et Augustin décida de chercher auprès de lui une réponse satisfaisante. Faustus fut agréable et amical mais Augustin ne tira pas de ces entretiens l’apaisement intellectuel qu’il attendait. Aussi sa foi dans la manichéisme était-

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elle déjà quelque peu ébranlée lorsqu’il partit pour Rome. Il entreprit ce voyage parce que les étudiants de Carthage étaient sans éducation et indisciplinés alors qu’il avait entendu dire du bien de la conduite de ceux de Rome, et aussi parce qu’il espérait une carrière dans la métropole impériale. Arrivé à Rome, il ouvrit une école de rhétorique à Milan. Pendant ce séjour à Rome il avait la fâcheuse habitude de changer d’école juste avant le paiement de leur scolarité. Aussi chercha-t-il et obtînt-il, en 384, une charge municipale de professeur de rhétorique à Milan. Pendant ce séjour à Rome il avait à peu près perdu la foi au manichéisme et avait été attiré par le scepticisme de l’Académie. Il continuait cependant à adhérer nominalement au manichéisme et en acceptait encore quelques-unes des positions, par exemple le matérialisme.

A Milan, il apprit à mieux connaître le christianisme grâce aux sermons sur les Écritures de l’évêque de Milan, saint Ambroise. Prêt à devenir à nouveau catéchumène, il n’était pourtant pas encore convaincu de la vérité du christianisme et ses passions le dominaient toujours. Sa mère désirait le marier dans l’espoir de l’aider ainsi à réformer sa vie ; mais Augustin, incapable d’attendre la jeune fille qu’on lui destinait, remplaça par une autre maîtresse la mère d’Adéodat dont il s’était séparé, à grand regret, en vue du mariage projeté. C’est alors qu’il lut, dans la traduction latine de Victorinus, des traités « platoniciens », très probablement les Ennéades de Plotin. Le néoplatonisme le libéra des chaînes du matérialisme et l’aida à admettre l’idée de réalité immatérielle. D’autre part, la conception plotinienne du mal en tant que privation plutôt que comme donnée positive, lui apprit à envisager le problème du mal sans recourir au dualisme des manichéens. Autrement dit, à ce moment, grâce au néoplatonisme, Augustin vit qu’il n’y avait pas d’opposition entre le christianisme et la raison. Il relut le Nouveau Testament, en particulier les écrits de Saint Paul. Le néoplatonisme lui avait inspiré l’idée de la contemplation des choses spirituelles, de la sagesse au sens intellectuel ; le Nouveau Testament lui montra qu’il était également nécessaire de mener une vie conforme à la sagesse.

La rencontre de deux hommes, Simplicianus et Pontitianus, le confirment dans ses impressions. Le premier, un vieux prêtre, fit à Augustin le récit de la conversion au christianisme du néo-platonicien Victorinus et le jeune homme « brûla du désir de l’imiter » (Conf 8,5,10). Le deuxième lui raconta la vie de saint Antoine d’Egypte qui lui inspira un grand dégoût de son propre état moral. (Ibid.8, 7 ,16). Vingt ensuite le violent combat intérieur dont le point culminant fut la fameuse scène dans le jardin de sa maison ; entendant par-dessus le mur une voix d’enfant qui criait à plusieurs reprises le refrain tolle,lege, Augustin ouvrit au hasard le Nouveau Testament et tomba sur les paroles de Saint Paul dans l’Epître aux Romains (Rm 13,13-14) qui scellèrent sa conversion morale(Conf. 8,8-12). Il est absolument évident que la conversion qui eut lieu alors, fut une conversion morale, une conversion de la volonté et qu’elle suivit la conversion. Intellectuelle. La lecture des œuvres néo-platoniciennes avait été l’instrument de celle-ci, tandis que la conversion morale avait été humainement préparée par les sermons de saint Ambroise, par les entretiens de Simplicianus et Pontitianus, puis confirmée et parachevée par le Nouveau Testament. L’angoisse de cette conversion morale fut d’autant plus intense qu’il savait ce qu’il devait faire mais qu’il se sentait dépourvu de la force nécessaire. Sous l’impulsion de la grâce, il donna alors aux paroles de Saint Paul qu’il veinait de lire dans le jardin, un « réel assentiment » et sa vie fut transformée. Cette conversion eut lieu durant l’été 386.

Une affection pulmonaire dont il était atteint lui fournit un prétexte pour se démettre de se fonctions ; retiré à Cassiciacum, il lut, réfléchit, s’entretient avec des amis et tenta de mieux comprendre la religion chrétienne en utilisant les concepts et les doctrines du néoplatonisme. Il avait encore une conception très imparfaite du christianisme, plus teintée du néoplatonisme qu’elle ne sera par la suite. C’est de cette période de retraite que datent ses œuvres Contra Academicos, de Beata Vita et de Ordine. De retour à Milan, il écrivit le De Immortalitate Animae (les soliloques sont aussi de cette époque) et commença le De Musica . Le dimanche de Pâques 387, Augustin fut baptisé par saint Ambroise et peu de temps après il décida de retourner en Afrique. Mais sa mère qui était venue en Italie, mourut à Ostie alors qu’ils attendaient un bateau. (C’est à Ostie que se produisit la scène célèbre décrite dans les Confessions.) (Conf. 9,10,23-26) Augustin différa son retour en Afrique et tandis qu’il résidait à Rome,il écrivit le De libero arbitrio, le De Quantitate Animae et le Ded Moribus Manichaerum. A l’automne 388, il s’embarqua pour l’Afrique.

De retour à Tagaste, il fonda une petite communauté monastique. De cette époque, 388-91, datent le De Genesi Contra Manichaeism, le De Magistro et le De Vera Reiligione et l’acheèvement du De Musica. Il est probable qu’il corrigea ou compléta alors le De Moribus mentionné ci-dessus. A

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Cassiciacum, Augustin avait décidé de ne jamais se marier, mais il ne semble pas avoir songé à l’ordination et ce fut contre son gré que l’évêque d’Hippone l’ordonna prêtre en 391 alors qu’il était de passage dans ce port situé à 150 kilomètres à l’ouest de Carthage. L’évêque désirait l’aide d’Augustin et celui-ci s’établit à Hippone où il fonda un monastère. Engagé dans une controverse avec les manichéens, il composa le De utilisateur Credendi, le De du abus Animabus, la Disputatioo contra Fortunatum, le De Fide et Symbolo, conférence sur le Credo faite à un synode d’évêques africains et il rédigea ; contre les donatistes ; le Psalmus contra partement Donation. Il entreprit un commentaire littéral de la Genèse mais comme le titre l’indique (De Genesi ad littéral liber imperfectus), il le laissa inachevé. Le De diversis quaestionibus (389-96), le Contra Adomantum Manichaeum, le De sermone Domini in monte, le De Mendacio, le De Contnentiaainsi que divers Commentaires (sur les Épîtres aux Romains et aux Galates) datent aussi de cette période de la vie sacerdotale d’Augustin.

En 395-396, il fut consacré évêque auxiliaire d’Hippone et y fit très peu de temps après une autre fondation monastique. Quand Valérius, évêque d’Hippone, mourut en 396, c’est-à-dire l’année même de la consécration d’Augustin, celui-ci dévient évêque titulaire d’Hippone et conserva cette charge jusqu’à sa mort. Il dut donc assumer le gouvernement d’un diocèse où le schisme donatiste était fortement installé et ne put se consacrer à une vie de prière et d’étude. Quel que fût son penchant personnel , Augustin se jeta avec ardeur dans la lutte contre le donatisme, prêchant, discutant, publiant des ouvrages de polémique. En dépit de cette activité, il trouva le temps de composer des ouvrages tels que le De diversis quaestionibus ad Simplicianus (397), une partie du De Doctrina Christiana (le quatrième livre fut ajouté en 426), une partie des Confessions (l’ouvrage entier fut publié en 400) et les Annotations in Job. Il échangea aussi avec le grand érudit saint Jérôme des lettres de controverse sur des sujets scripturaires.

En 400, il commença l’un de se plus grands traités, le De Trinitate (quinze livres), achevé en 417 ; et en 401, il entreprit le Genesi ad littéram (deux livres) achevé en 415. La même année (400) parurent le De catechizandis rudibus, le De Consensu Evangelistarum (33 livres), le premier livre du Contra littéral Petiliani (évêque donatiste de Cirta), le second livre datant de 401)2 et le troisième de 402-3. Vinrent ensuite d’autres ouvrages anti-donatistes par exemple le Contra Cresconium grammatical partis Donati (402) ( diverses publications n’ont pas été conservées) et plusieurs écrits contre les manichéens. En plus de cette activité de controverse, il devait sans cesse prêcher et assurer une importante correspondance : c’est ainsi qu’un 410, il écrit la lettre à Dioscuri dans laquelle, en réponse à des questions sur Cicérone, il développe ses vues sur la philosophie païenne, laissant encore transparaître. Une vive prédiction pour le néoplatonisme.

2) ETUDE DE QUELQUES THEMES AUGUSTINIENS SPECIFIQUES

L’Encyclopédie Saint Augustin. La Méditerranée et l’Europe IVè-XXIè siècle, (Paris, Cerf 2005) publiée sous la direction de Allan D. Fitzgerald, et pour l’édition française sous la direction de Marie-Anne Vanier nous permettra de sélectionner quelques thème spécifiques de St Augustin, car nous n’avons pas la prétention de «tout savoir sur St Augustin, tout connaître de St Augustin, de l’homme, de l’oeuvre et de sa survie...»(oc.XI). Nous commençons d’abord par la conception augustinienne de la connaissance.

1. LA THEORIE DE LA CONNAISSANCE

La théorie de la connaissance d’Augustin présente des éléments complexes et controversés ; cependant son orientation fondamentale est restée inchangée durant toute sa vie. Elle est déjà récapitulée dans le texte de SolI,2,7 : «Je désire connaître Dieu et l’âme. Rien d’autre ?» Pour atteindre cet objectif, son raisonnement progresse toujours méthodiquement «des choses plus extérieures aux choses plus intérieures, et de ces choses qui sont internes vers les choses d’en haut»(En Ps.145,5. La connaissance de soi est donc un moment essentiel de la montée vers la connaissance de Dieu.

Cette approche répond clairement à l’injonction socratique : «Connais-toi toi-même» ; elle doit également beaucoup à toute la tradition de pensée platonicienne et néoplatonicienne sur l’âme et ses relations au monde externe, à elle-même et à Dieu, telle qu’elle fut esquissée d’abord dans les célèbres allégories du soleil et de la caverne, avec lesquelles Platon, dans La République décrit l’ascension de l’âme vers la connaissance du Bien qu’il considère à la fois comme la source de la vérité et la source de l’être, (Rep. VI et VII ; Voir Cité de Dieu XI, 25 ; Sol. I, 13, 23)

Pour Augustin, dans la ligne de la tradition platonicienne, les fondements de la connaissance se trouvent dans la sensation, dans les choses sensibles ou imaginées ; néanmoins il partage aussi la

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conviction des platoniciens selon laquelle les objets de la sensation, dans leur mutabilité, ne peuvent pas fournir une connaissance certaine.

La vérité est du côté de l’âme. Ainsi les livres des platoniciens poussent le jeune Augustin à se tourner vers son intériorité, vers son âme pour y chercher la vérité qui ne peut être trouvée dans les choses extérieures, (Conf. VII, 10,16)

Toutefois la vérité, qui est nécessairement éternelle et immuable, ne peut pas pour autant avoir son lieu (locus) dans l’âme muable, ne peut pas être possédée par l’âme, constituer sa propriété ; en conséquence, pour Augustin comme pour les platoniciens, la source et la garantie de la vérité doit être recherchée au-delà de l’âme, dans la lumière du Soleil de la connaissance, le Bien, la lumière divine qu’illumine l’âme par sa présence transcendante.( Conf. VII, 10,16)

Ainsi, de manière générale, la théorie de la connaissance d’Augustin peut apparaître parfaitement platonicienne ; en réalité à plusieurs reprises Augustin éclaire, corrige et dépasse de façon significative les diverses doctrines de platoniciens. À titre d’exemple : la théorie de la réminiscence de Platon, telle qu’elle est illustrée par le jeune esclave qui connaît la géométrie dans le Ménon(voir De Trin. XII, 15,24)

lui est familière ; il est évident que pour Augustin comme pour Platon, la connaissance ne peut naître des sens toujours changeants, elle doit donc être présente de quelque manière, au sein de la raison elle-même. Toutefois Augustin récuse la théorie de la réminiscence dans son sens littéral( Retr.

I, 4,4)

; c’est l’illumination divine et non l’expérience d’une vie antérieure qui atteste la présence des principes de la connaissance dans la mémoire(De Trin. XII,15,24)

Aucun aspect de l’épistémologie d’Augustin ne présente davantage de difficultés pour les chercheurs que la théorie de l’illumination divine(Voir les alternatives offertes par Bonaventure Quaestiones disputatae de scientia Christi 4) De même que pour Platon la connaissance de la vérité implique que le Bien illumine à la fois l’oeil qui voit et l’objet qui est vu, ainsi pour Augustin toutes les choses tiennent leur vérité de Dieu qui les pense (les raisons éternelles, les idées divines :( De div.

qu. 46) et elles ne sont véritablement connues qu’à la lumière des raisons éternelles, présentes dans l’esprit de celui qui connaît. Néanmoins on peut se demander si les raisons éternelles sont connues comme contenu de la connaissance. Pour Augustin la mémoire est le lieu de l’illumination divine et c’est à l’intérieur de sa théorie de la mémoire qu’il dépasse de façon significative ses prédécesseurs platoniciens et stoïciens. Au livre X des Confessions, il expose une conception de la mémoire comme fondement de la vie autoconsciente et de la permanence de la personnalité. C’est dans la mémoire conçue au sens large que résident tous les principes des arts et des sciences, les lois des nombres et des dimensions.( Conf. X, 11, 12)

Cependant au-delà de tout cela, la mémoire est aussi le fondement du désir qui implique un certain degré de connaissance du désir. (Conf. X, 11, 12)

Finalement puisque le bonheur consiste à jouir de la vérité, la connaissance du bonheur coïncide avec la connaissance de la vérité, c’est-à-dire de Dieu, unique Vérité par laquelle toute vérité subsiste(X,26,37)

La conception de la mémoire qui est à l’oeuvre ici n’est pas évidemment pas simplement celle d’un réservoir de faits, de résidus de l’expérience ; elle n’a pas à voir uniquement, ni même principalement, avec le passé. Memoria contient les principes de jugement sans lesquels ce que nous appelons «expérience» ne serait pas possible. Une réflexion adéquate à l’étendue du concept demanderait un examen exhaustif des oeuvres d’Augustin, et plus particulièrement des livres X et XI des Confessions ainsi que des huit derniers livres du De Trinitate. Toutes les implications de ce concept ne pourraient être éclaircies que par une analyse approfondie non seulement de la théologie moderne et médiévale, mais aussi de la psychologie et de la spiritualité chrétienne et séculière. Il n’implique pas uniquement de la reprise du passé, il constitue aussi le site d’une réflexion au présent et de l’attente du futur. Notre connaissance dépend entièrement et radicalement de la mémoire de soi et de la mémoire de Dieu. Selon Augustin, il appartient à la nature même de l’âme intelligible, non corporelle, de voir les objets intelligibles sous la même lumière non corporelle ( De Trinit. XII,15,24) ; le Verbe divin est la lumière de chaque âme (Cité de Dieu X, 2) ; cette illumination divine est la condition indispensable de toute connaissance véridique et sûre. Toutefois, l’itinéraire autonome de l’introspection dans la mémoire, à la recherche de la vérité, est obstrué par une limite. L’âme humaine

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dans l’état présent ne peut atteindre le plus haut degré de connaissance non pas à cause de l’insuffisance de la lumière divine, mais parce que «l’oeil de l’intellect humain ne se focalise sur la lumière suprême que s’il est soutenu par la rectitude de la foi (De Trin. I,2,4). »

Ainsi, la foi a pour fonction de corriger et de soutenir l’intellect, de lui apporter la juste perspective permettant d’accéder à la sagesse. La pensée d’Augustin sur la connaissance de soi et la connaissance de Dieu (et de la relation entre les deux) est présentée dans toutes ses implications, dans le De Trinitate. Dans ce traité, il commence par réfuter tous les arguments selon la voie analogique, aussi bien ceux qui partent des objets corporels ou de la nature de l’âme humaine ; il rejette tout argument par analogie qui chercherait à connaître Dieu en transcendant intellectuellement les objets muables(.I,1,1.) Au contraire, l’argumentation doit commencer par une purification de l’intellect(

I,1,3) et être nourrie par la foi. C’est pourquoi le commencement de l’oeuvre est constitué de quatre livres dans lesquels Augustin présente les Écritures du point de vue de la doctrine trinitaire.

Dans la Révélation divine, le Verbe éternel parle dans le monde et dans le temps pour permettre à l’âme, perdue parmi les distractions des objets du monde et du temps, d’être rappelée au Verbe intérieur (Conf. XI,8,10)

La voie de la connaissance est définie par le dialogue entre le verbe illuminant de Dieu, exprimé foris en paroles, en actes et en exemples, le Verbe incarné, proclamé dans les Écritures et les enseignements de l’Église, et le Verbe intus, le principe qui illumine l’intelligence de l’âme. Le Verbe extérieur sert d’admonitio, il rappelle l’âme à son Maître intérieur, là où les concepts qu’elle a acquis sont référés à la raison éternelle, aux règles de jugement présentes à la mémoire.

L’argument qui touche la connaissance de Dieu doit donc s’étendre au-delà des temporalia pratiques du Verbe extérieur pour chercher le Verbe intérieur. L’âme doit se tourner vers elle-même, vers sa propre intelligence «par laquelle nous pouvons acquérir la sapientia dans les limites de nos capacités». (De Trin. V,1,2)

C’est dans cette réflexion intérieure sur le Verbe que l’âme se découvre image de la Trinité, comme archétype de ce qu’elle connaît (ibid.). Cette découverte constitue la base de l’argument des huit derniers livres du De Trinitate.

L’argument ne procède pas selon la voie analogique qui va de l’âme à Dieu (cette approche est explicitement réfutée au début du traité), mais selon celle qui va de Dieu à l’âme. Grâce à l’analogie de la sainte Trinité, l’âme parvient à se connaître comme une, comme harmonie de ses facultés distinctes d’être : connaître, aimer, ou mémoire, intellect et volonté.

De ce point de vue, la succession d’analogies qui occupe les derniers livres du De Trinitate ne doit pas tant être regardée comme une série plus ou moins plausible de représentations psychologiques, que comme l’observation progressive d’images, par laquelle la pensée se dirige de plus en plus vers son centre véritable et accorde sa forme à l’image divine, qui constitue sa vraie nature, jusqu’à ce qu’elle se reconnaisse entièrement comme memoria Dei, intellectus Dei, voluntas Dei (XIV,15-18). Une relation dialectique est ainsi établie entre connaissance de soi et connaissance de Dieu, mais simultanément cette connaissance implique une transformation profonde de la connaissance de soi, une conception radicalement nouvelle de la structure de la personnalité humaine comme unité et équivalence fondamentale des pouvoirs individuels de la mémoire, de l’intelligence et de la volonté.

Cette conception trinitaire de la vie de l’âme revêt des implications considérables pour la théorie de la connaissance. «L’esprit lui-même, son amour et sa connaissance sont trois, et ces trois sont un ; et quand ils sont parfaits, ils sont égaux»(IX,4 ;4). Comme le Père et le Fils sont liés par le lien d’amour qui est le Saint-Esprit, de la même façon dans la vie de l’âme, c’est la volonté, ou l’amour, qui unit, le sujet connaissant et l’objet connu(XIV,6 ;8). Pour Augustin, il n’y a pas de connaissance sans amour ni d’amour sans connaissance et tous les deux appartiennent de façon identique à l’unique essence de l’esprit(IX,2,2). Comme dans le paradigme trinitaire il y a un ordre logique selon lequel l’engendrement du Verbe précède l’occurence de l’Esprit, de même dans la connaissance humaine on trouve un ordre logique analogue entre le stade de la connaissance et celui de la volonté, et cela sans pour autant entamer leur égalité essentielle. Pour Augustin, la sagesse suprême est l’unité parfaite de la connaissance et de l’amour.

Les interprétations d’Augustin, au Moyen Âge mais également à des époques ultérieures, ont souvent ignoré le fondement essentiellement trinitaire de sa position et ont représenté sa théorie de la connaissance en termes volontaristes ou intellectualistes. Le point de vue augustinien le plus fiable est

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incontestablement celui de Dante qui, dans le Paradis du Soleil, dans le Paradiso, représente la vraie sagesse constituée de deux cercles de docteurs (les spéculatifs et les affectifs, associés respectivement à Thomas et à Bonaventure) dans leur «double danse» réciproque et désigne le roi Salomon comme modèle de sagesse, puisqu’il réunit la faculté spéculative et la faculté affective dans la «prudence royale (Chants X-XIV).

Augustin aspirait à connaître Dieu et son âme, rien de plus. En réalité, toute la connaissance dérive de cette aspiration, parce que toutes nos connaissances et toutes nos passions, de la plus basse à la plus élévée, sont les formes d’un même coeur inquiet en recherche, qui ne peut se reposer que dans la connaissance du Dieu aimant (Conf. I, I,1).

2) BONHEUR ET EUDÉMONISME CHEZ ST AUGUSTIN

L’eudémonisme d’Augustin, comme celui de ses prédécesseurs, envisage la béatitude (beatitudo) comme un état objectif de bien-être qui réalise le désir et constitue l’accomplissement ou la réalisation personnelle de la nature humaine. Sa théorie du bonheur répond aux critères de la philosophie antique (platonicienne, aristotélicienne, stoïcienne), mais la nature du bonheur et les moyens de l’atteindre sont déterminés par la foi chrétienne. Dans l’Éthique à Nicomaque (I,7-8)

Aristote disait que le bonheur répond à ces conditions en vue du souverain bien : 1. comme fin ultime, il faut le choisir entre tous, car il est toujours uniquement choisi pour lui-même et jamais en vue d’autre chose ; 2. il est complet et vaste, incluant les vertus comme des biens intrinsèques et extrinsèques, dans la mesure où elles sont garantes. 3. de leur autonomie, c’est-à-dire dans la mesure où elles comprennent tout ce qui est bon pour l’être humain, en particulier tout ce que nous pouvons maîtriser, par exemple, la vertu ; 4. le bonheur ne peut croître par l’addition de quelque bien et 5. il est plus agréable en lui-même.

Partant de l’affirmation aristotélicienne que tous désirent le bonheur, Augustin dit que la béatitude est l’état d’accomplissement du désir : «est heureux celui qui a ce qu’il veut» (. De beata v.

II,10)

Cependant, la béatitude ne concerne que la satisfaction du désir de ce qui est juste (II ;10) et plus précisément la joie en présence du vrai bien : «N’est heureux que celui qui, à la fois, a tout ce qu’il veut et ne veut rien de mal».(De Trin XIII,5,8) Le désir, le bien et le plaisir convergent vers le concept de bonheur : «est heureux celui qui connaît le bien suprême».(De lib arb IV,35) Augustin défend ce point de vue en maintenant la distinction entre les biens qui se suffisent à eux- mêmes (honestum, l’ «honnêteté», la «droiture») et ceux qui servent d’instruments (qui sont utiles), et qui respectivement procurent la joie ou la possession : «Les choses qui sont faites pour la jouissance nous rendent heureux ; celles qui sont faites pour l’usage nous aident dans notre marche vers le bonheur».(De doc chr. I ;34 ;3) Il met directement en rapport avec la distinction entre la joie et l’utilité, la distinction entre deux sortes d’amours/ la cupidité ou le désir désordonné (cupidas) et l’amour (caritas). Le caractère objectif de la vertu qui «consiste à vouloir se réjouir de ce qui est source de joie».(De Div qu. 83,30)

Pour les eudémonismes classiques, le bonheur consiste dans l’exercice vertueux de la raison pratique ou, éventuellement, théorétique, du fait que la vertu est nécessaire et/ou suffisante pour le bonheur. De manière analogue, Augustin pense que les vertus sont bonnes en elles-mêmes et constituent «l’ordre qui nous conduit à Dieu» (De ord I,9,7), puisqu’elles réalisent l’équilibre entre le désir et les biens instrumentaux. Comme les stoïciens, il souligne que la béatitude ne relève pas du hasard et qu’elle est indépendante des biens extérieurs. Plus tard sous l’influence du néoplatonisme, il dira que les vertus réalisent la purification de l’âme ; finalement, elles ramènent à l’amour de Dieu et représentent «l’ordre de l’amour». La vertu est devenue un moyen pour atteindre le bonheur, dont la réalité est la vision, l’être et la vie en Dieu : «La vie heureuse, c’est la connaissance, dans la perfection de la piété, de celui par qui on est introduit dans la vérité, de la vérité dont on jouit, de ce grâce à quoi on est uni à la mesure suprême» (. Augustin met en rapport la notion de souverain bien (summum bonum) avec celles de raison, de sagesse et (De beata v. IV, 35 ; Cité de Dieu, VIII, 8) de vérité, il souligne également son lien avec l’idée platonicienne de bien éternel : «Pour l’homme, la vie bienheureuse et le repos consistent dans la rationalité harmonieuse de toute son activité».( De Gn adv.

man. I,20,31).

Personne n’est heureux, s’il ne vit dans la vérité qui est aussi la sagesse. À la base de cette conception, il y a l’unité platonicienne de l’esprit, de la connaissance et de l’amour (De Gn adv. man.

I,20,31) le bonheur est «la joie qui vient de la vérité» (Conf. X,23,33), qui procure la tranquillité de

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l’esprit ((C. acad. I, 9, 24) par la joie que donne la présence de l’être immobile et éternel. La vie spirituelle en Dieu implique l’intervention d’éléments affectifs dans sa conception de la béatitude pour l’être humain. La recherche sans fin des objets du désir se termine par le repos, la passivité et la paix suprême en Dieu (La Cité de Dieu XX,26 ; XXII,20 «Le souverain bien de la cité de Dieu est la paix éternelle et parfaite (...), cette paix où sont établis les immortels à l’abri de toute adversité».( Cité de Dieu XIX, 20) Dieu donne à la vie sa forme transcendante et finale, «le bonheur complet, certain et éternel».( De Trin. IX,1,1). Il est évident qu’il y a ici un autre obstacle pour atteindre le bonheur (en suivant Platon, mais en s’écartant d’Aristote et des Stoïciens) : «Il n’ y aura pas de vie heureuse s’il n’y a pas d’immortalité».( De Trin. XIII, 7,10) En réalité, le bonheur est un état transcendant et purement spirituel, qui ne peut être réalisé que dans l’eschatologie. Il dit au livre XIX, 4, 5 de la Cité de Dieu : «De même que nous sommes sauvés en espérance, c’est en espérance que nous sommes heureux, il en est du bonheur comme du salut : nous ne le possédons pas comme présent, nous l’attendons à venir», lorsque «nous atteindrons ces biens, où il y aura tout pour nous réjouir d’une manière ineffable».

Alors que pour les eudémonistes classiques, les moyens d’atteindre le bonheur sont l’éducation et l’habitude, pour Augustin Dieu nous révèle le chemin du bonheur, dans le Christ. La fonction médiatrice et salvifique du Christ occupe une place centrale dans la théorie du bonheur qu’Augustin développera ultérieurement (Cité de Dieu IX, 15). Bien que dans ses premières oeuvres (De libero arbitrio) il souscrive à la conception stoïcienne selon laquelle la vertu est suffisante pour la béatitude, que l’on atteint par notre détermination rationnelle, dans ses oeuvres ultérieures, il attaque les philosophes qui disent que nous pouvons «être heureux sur cette terre et atteindre la béatitude par nos propres efforts» (Cité de Dieu XIX, 4). Il trouve malencontreusement inadéquates la psychologie et la morale classiques, dans lesquelles la vertu consiste en la maîtrise des passions par la raison, non seulement parce que la volonté est originellement mauvaise, de sorte qu’elle ne désire pas naturellement le bien, mais aussi parce que la raison ne peut pas d’elle-même assurer le fonctionnement spécifique de la volonté. La grâce est nécessaire pour vouloir les choses bonnes qui nous rendent heureux. En fait, Augustin reprend l’idéal contemplatif du bonheur, venant de Platon et d’Aristote, idéal qui s’appuie sur l’harmonie de la raison et du désir. En y ajoutant sa réflexion sur l’amour et la joie, il définit une conception purement spirituelle du bonheur, la grâce et la médiation de Dieu.

3). LA CONCEPTION AUGUSTINIENNE DE LA GUERRE

Nulle part les paradoxes de la pensée d’Augustin ne sont plus évidents que dans son attitude par rapport à la guerre. C’est l’ironie du sort qu’il soit souvent présenté comme un théologien de la guerre alors qu’il est beaucoup plus un théologien de la paix. Sachant ce qu’est la violence, il détestait la guerre, mais il y voyait une conséquence du péché qui suscite beaucoup de convoitises. Ses écrits ne glorifient pas la guerre, mais il se lamente fréquemment de sa cruauté. il est préférable de supprimer la guerre par des mots que de tuer des hommes par l’épée (Ep. 229,2). Cependant, pour lui, la guerre apparaissait comme un triste devoir, celui de faire la guerre pour restaurer la paix. (Ep. 189,6 ; Cité de Dieu XIX. Les maux réels n’étaient pas la guerre en elle-même mais l’amour de la violence, la rage sanguinaire et la libido dominandi ou l’envie de dominer qu’elle implique. (C. Faust. XXII,74).

La réflexion d’Augustin est fondée sur son interprétation de la Bible, en particulier de l’Ancien Testament. La guerre apparaissait à beaucoup de ses contemporains, y compris les manichéens, comme opposée aux principes pacifiques du Nouveau Testament. Augustin a vu dans les guerres de Moïse une juste et droite rétribution qui empêchait les pécheurs d’aller plus loin dans le mal, en agissant contre leur volonté, mais pour leur intérêt effectif.( C. Faust. XXII, 74,78 ;Ep.

138,2,14 Faite sans désir de revanche et sans plaisir, la punition de ceux qui font le mal serait presque un acte d’amour. Le commandement de «ne pas tenir tête au méchant» (Mt5,39) n’interdit pas les guerres, car le mal est un danger réel, non le service militaire. Le précepte «À qui te frappe sur une joue, présente l’autre»( Lc 6,2) renvoie à l’intention plus qu’à l’acte. La patience et la bienveillance ne s’opposent pas toujours à la punition physique car, lorsque Moïse a tué les pécheurs, il l’a fait non par cruauté mais à partir de la charité.

L’amour des ennemis ne supprime pas une «sévérité bienveillante» envers eux.(S. 302,16,15 ; De S. Dom., m , 1,19,59 ; C. Faust XXII,76,79 ; Ép. 47, 138,2.13-15 ; 189, 4). La distinction qu’Augustin établit entre l’intention et l’acte lui permet de dire que la guerre ne s’oppose pas à la Bible, de sorte que tout acte hostile est justifiable, à condition qu’il soit mû par la charité. Les

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préceptes pacifiques sont, alors, transformés, de sorte que l’amour du prochain pourrait justifier sa mort et le fait de ne pas résister au mal devient une attitude intérieure, compatible avec une attitude extérieure belligérante.

Toutefois, la réflexion exégétique d’Augustin interdit aux particuliers d’avoir droit à la violence. Un chrétien n’a pas le droit de tuer, même en cas d’autodéfense, car cela serait synonyme de haine. Seuls des officiers publics peuvent mettre en oeuvre la violence sans que ce soit par haine ou passion.(C . Faust XXII,70 ; De lib. Arb. I,5 ,12,34 ; Ep 47,5) Ainsi Augustin joint-il le pacifisme privé à la justification publique de la guerre.

La formule d’Augustin quant à la guerre juste, empruntée une part à Cicéron, n’intervient qu’une fois dans son oeuvre : «Les guerres justes sont habituellement définies comme celles qui ont pour objet de venger les injustices « («ulcisci injuria» Qu VI,10). On peut justifier la guerre «quand un peuple ou une cité a négligé de punir les mauvaises actions commises par ses membres lui de rendre ce qui a été pris injustement». Cette brève explication peut être interprétée de différentes manières : en un sens étroit, la violation des droits a justifié une guerre qui a pour seule fonction de réparer les torts et de revenir au status quo ante bellum. Dans un sens plus large, la guerre juste est un moyen de punir, non seulement les crimes, mais aussi les péchés, elle peut également venger des fautes morales et elle n’a pas besoin d’être limitée dans son usage de la violence. Elle peut être justifiée en tant que défense de l’ordre moral ou de la doctrine chrétienne. Augustin ne précise pas quels genres de fautes légitiment cette guerre. En partant de Nb 21 et de Jos 8, il dit que toute guerre appuyée sur le commandement divin est une guerre juste. Les soldats agissant par obéissance, sans libido pécheresse, sont pardonnés de leurs fautes.(Qu IV,44 ; VI,10) Les sages ne mènent des guerres justes que quand l’injustice de l’ennemi le demande. (Cité de Dieu XIX,7) La défense de la patria, de ses citoyens et de ses biens est une cause juste (Cité de Dieu III, 10), tout comme la défense du droit de l’innocent .(Qu IV,44)

La guerre juste ne peut être faite que par l’autorité légitime. Le souverain a pour principale responsabilité de décider si recourir à la guerre est juste et nécessaire, et les soldats doivent obéir, à moins que les ordres du prince s’opposent clairement aux préceptes divins. Quand un soldat tue, il n’est pasresponsable du meurtre, et s’il refuse, il est passible de trahison.(C. Faust XXII,74-75 ;En Ps 124,7 ; Cité de Dieu I,21 ; Ep 47,5) En discutant de l’autorité, Augustin se tourne naturellement vers Dieu, qui a provoqué les défaites pour accomplir ses promesses pour son peuple élu.(Qu IV,44) L’autorité divine fait des exceptions à sa propre interdiction de tuer. Cette bellum Deo auctore est une manière facile de justifier la guerre.(Cité de Dieu I,21) L’utilisation qu’Augustin fait des guerres de l’Ancien Testament comme des instruments du châtiment divin fonctionne comme un deus ex machina, qui aurait même justifié l’utilisation des embûches et autres stratagèmes.(Qu IV,10) Le rôle de Dieu montre que la conception de la guerre juste est animée par l’activité divine, qui donna lieu ensuite aux notions de sainte guerre...

Augustin fait appel à l’autorité séculière pour réprimer les dissidents religieux, les donatistes en particulier, bien qu’il n’ait jamais justifié la guerre dans ce contexte. Comme pour la guerre juste, Augustin dit que la punition des hérétiques est une forme de charité, venant du désir de l’Église de guérir .(Ep 93,2,6-8 ; 173,2 ; C, ep Parm III, I,3 ; 5,26) La persécution du Christ par Saül a justifié les efforts de l’Église, qui imite Dieu, pour faire revenir les hérétiques à l’orthodoxie.(De Corrept 6, 23) La phrase «coge (aut compelle) intrare» de la parabole du festin (Lc 14, 16-24) est rapportée aux hérétiques et aux schismatiques qui seraient «contraints à revenir» à l’orthodoxie de l’Église, à laquelle ils donneraient «peu à peu leur assentiment».(Ep 93,5) Comme Pierre a défendu le Christ avec une épée, de même les chrétiens doivent se battre pour défendre l’Église. L’interprétation : «Résistez, mais ne faites pas le mal» n’empêche pas les autorités légitimes de chasser les impies dont le pouvoir est une insulte à Dieu.(C . Litt. Pet II,19 , 43 ; 80,178 , 88,195) Le clergé ne peut pas utiliser la violence comme telle, mais il doit rechercher l’aide des pouvoirs publics.(Ep 87,8 ; 93,3 ;9-10 ; De Corresp 3,7 ; De cat.rud 1,27, 53)

On peut réduire la conception augustinienne de la guerre juste à trois critères simples : l’autorité légitime (incluant Dieu), la juste cause de venger les injustices et l’intention droite.

Cependant, tout essai de ce genre n’est qu’une déformation masquant son trouble intérieur et rendant explicites des affirmations qui restaient implicites dans ses écrits. Ses pensées dispersées ne justifient pas des actes à venir. En considérant la violence légale, Augustin se range à l’avis général selon lequel on doit faire preuve de patience et de pitié. Il suggère que dans ce monde pécheur une guerre peut être partiellement juste des deux côtés (Cité de Dieu IV,15, XV,4) et il dit clairement que les guerres de

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conquête ne sont pas permises, mais il n’établit pas de distinction claire entre les guerres offensives et défensives. De manière paradoxale, il cherche à la fois à limiter la guerre et à la justifier à certaines conditions. D’après lui, la charge de la preuve vient de ceux qui veulent aller à la guerre. L’intérêt de sa perspective, c’est de montrer comment penser la guerre dans un contexte chrétien et d’apporter des arguments à l’intérieur du discours moral.

4) DIEU

Dans l’oeuvre d’Augustin, il est difficile de séparer la réflexion sur Dieu de sa réflexion sur la Trinité. En tant que chrétien, Augustin n’a pas séparé les deux points. Même dans les passages où il évoque le rôle que la lecture des livres platoniciens a joué dans sa conversion, Augustin dit qu’il y a trouvé, sans que le nom de la Trinité soit donné, la discussion, non seulement sur Dieu, mais sur le Père et le Verbe.(Conf VII,9, 13-15) C’est pourquoi, toutes les références, dans cette partie de notre ouvrage doivent être comprises comme des références aux caractéristiques et aux attributs de la réalité tri-une de la Trinité.

Basile Studer a montré qu’Augustin emploie le terme Deus essentiellement pour le Père, en particulier quand il s’adresse à lui dans la prière. Cet usage illustre l’accent mis par Augustin sur le caractère principiel (principium) du père à l’intérieur des relations trinitaires et dans la génération.

Cependant, en raison de l’unité des trois personnes, Augustin s’adresse également au Père et au Fils comme Dieu (Deus), et il parle aussi de toute la Trinité comme d’un seul Dieu (Studer, 1993, et Madec donnent une excellente présentation des différents noms, titres et métaphores qu’Augustin applique à Dieu. La plupart ont une origine biblique, mais on ne reprendra pas les travaux mentionnés ci-dessus. Dans cet ouvrage, nous nous attacherons tout d’abord aux principaux attributs de Dieu que l’on trouve dans l’oeuvre d’Augustin et nous essayerons tout d’abord de voir dans quelle mesure il est marqué par le néoplatonisme. Puis nous envisagerons le sens de ces attributs dans la théologie trinitaire.

LA PREMIÈRE COMPRÉHENSION QU’AUGUSTIN A DE DIEU.

Augustin a grandi dans une culture où il avait une grande diversité de conceptions de Dieu.

Les traditions polythéistes et monothéistes persistaient dans les religions non chrétiennes (et non juives), avec des conceptions matérialistes et spirituelles de Dieu. Les religions traditionnelles philosophiques et les nouvelles religions venant de la partie orientale de l’Empire et même de l’Extrême-Orient étaient des religions accessibles pour les contemporains d’Augustin, à côté du pouvoir et de la renommée croissante du christianisme à l’intérieur de l’Empire. Il y eut cependant, une découverte intellectuelle fondamentale qui orienta la compréhension de Dieu qui fut celle d’Augustin tout au long de sa vie chrétienne. Ce fut la découverte du pouvoir explicatif de la définition de Dieu comme immatériel, infini et source de toute existence par opposition aux récits manichéens, matérialistes et dualistes, auxquels il avait cru pendant les premières années précédant sa conversion.

Au livre VII des Confessions, Augustin nous dit qu’il avait tout d’abord compris Dieu comme une substance matérielle étendue et peut-être répandue à l’infini. Il ajoute que le principal problème qu’il voyait dans ce récit était que Dieu était matériel, ce qui devait impliquer qu’il était divisible.(Conf.

VII,1,1-2) Cependant, en lisant certains «livres des platoniciens», à l’époque où il faisait un retour vers le christianisme, Augustin en vint à avoir une nouvelle compréhension de Dieu. Cette conception impliquait cinq éléments en interrelation et inséparables.

Ces éléments sont décrits au livre VII des Confessions. (10,16,5) Tout d’abord, Augustin a compris que Dieu était la «lumière» de la Vérité elle-même. Il est immatériel, éternel, omniprésent et indivisible. Dieu est la source immatérielle de toutes les perfections et de toute vérité. En deuxième lieu, Augustin a compris que Dieu est différent de toute autre réalité et pourtant qu’il appelle et attire toutes choses à la vérité par la providence bienveillante. Troisièmement, Augustin a compris que Dieu est l’Être même. «La Vérité elle- même» est identique à la source même de toute existence et, par conséquent, le caractère incorporel et infini de la vérité elle-même (Conf. VII,10,16): «neque per finita neque per infinita locorum spatia diffusa») ne signifie pas que Dieu est le néant (nihil).

Quatrièmement, Augustin a compris que toutes les choses, qui ne sont pas l’être même, n’existent qu’en participant à Dieu et par le don de l’être que Dieu leur confère. Ainsi peut-il dire de lui-même :

«Si je ne demeure pas en lui, en moi non plus je ne le pourrai»(Conf. VII, 11,17 ; BA 13,p. 619)..

Cinquièmement, Augustin a compris quelle est la relation entre l’âme et Dieu. D’une part, l’âme est immatérielle et «au-dessus» de toute réalité matérielle du corps et, lorsqu’on la comprend

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ainsi, elle sert à indiquer quelle est la nature de Dieu. D’autre part, l’âme est encore muable et ne sert qu’à manifester la réalité transcendante, incomparable et infinie de la «lumière» de Dieu.

Il est important de comprendre qu’Augustin ne propose pas ce résumé en Conf. VII, 10,16 comme un résumé complet de ce que les textes néoplatoniciens disent de Dieu : c’est plutôt un résumé de la manière dont certains éléments du néoplatonisme lui ont donné le moyen de faire un grand pas en avant dans sa compréhension de Dieu et de la réalité (y compris de lui-même). Ces thèmes néoplatoniciens qu’il reprend et présente comme sa «découverte» de lui-même en Conf. VII,10,16s sont les points qui répondent à quelques questions clefs liés à sa lecture de Cicéron, des sceptiques et des manichéens. Il est également important de noter que sa première représentation de Dieu a comme point de départ fondamental la relation complexe entre l’âme (et la présence de la vérité dans l’âme) et Dieu, mais cette représentation est aussi hautement cosmologique. Comme nous l’avons vu dans le récit du livre VII des Confessions, la nouvelle conception de Dieu ébranle Augustin, en partie en raison de la possibilité qu’elle lui donne de répondre aux questions relatives à la nature cosmique, à l’ordre et à la destinée.

Dans ses écrits de jeunesse, Augustin parle de Dieu en utilisant un ensemble de thèmes qu’il a trouvés dans ses lectures platoniciennes, ainsi qu’un aperçu de la doctrine chrétienne de la Trinité qui a dû être une partie de la catéchèse qu’il a suivie et de l’héritage théologique. Le premier livre des Soliloques (vers 386- 387) commence avec une prière, dont beaucoup de chercheurs disent qu’elle a une structure trinitaire. De fait, elle est adressée successivement au Père, au Fils et à l’Esprit Saint. Si cette hypothèse s’avère exacte, cette prière est un excellent exemple de la manière dont Augustin harmonise les thèmes qu’il a reçus dans la catéchèse baptismale avec ses lectures platoniciennes. Il s’adresse au Père comme Créateur, comme seul «par qui toutes choses (...) viennent à l’être.» Le Père est le Bien suprême, mais il est également celui qui a providentiellement organisé les choses en vue du bien et qui a seulement permis qu’un certain mal puisse se produire. Le Père est la source de toute vérité, de toute sagesse, de toute bonté et de toute beauté, alors que le Fils est simplement défini comme étant la vérité, la sagesse, la bonté et la beauté. L’Esprit Saint apparaît comme l’action de Dieu dans le monde, nous donnant de connaître la vérité dans le Fils, et d’être victorieux du mal. Il s’adresse aux Trois comme à «Dieu» et sa prière se termine par l’évocation de la Trinité dans son ensemble. Le Dieu-Trinité est la «seule réalité éternelle et vraie», d’où vient tout bien. Comme nous le voyons au début de la prière, adressée au Père, Dieu est également décrit comme «ce qui est véritablement». Dans son ensemble, cette prière reprend certains principes architectoniques, venant de ses lectures néoplatoniciennes, en lien avec le rôle respectif des trois personnes que lui a certainement été expliqué dans sa catéchèse baptismale de 386 et dans les lectures qu’il fit à partir de là.

De même, dans le De quantitate animae (vers 388), Augustin renvoie à la nature incorporelle et indivisible de l’âme et au désir de Dieu qui la caractérise. Dans les derniers paragraphes de l’ouvrage, il revient à la nature du désir de Dieu qui est le désir vrai et ultime de l’âme. Il dit que l’âme ne doit vénérer rien d’autre que Dieu, qui est le créateur des âmes (et de toutes choses). Augustin prolonge cette affirmation en évoquant la nature de Dieu, en ces termes : «Avec joie, j’utilise les mots mêmes par lesquels ces vérités m’ont été enseignées» (De an. qu. 34,77). Cette référence aux ipsissima verba de sa propre catéchèse ne concerne certainement que sa réflexion sur le Créateur. Toutefois, il est utile de remarquer qu’Augustin va plus loin et dit que Dieu est immuable, omniprésent, Créateur et qu’il est continuellement la source de l’existence, développant ainsi les thèmes qu’il semble plutôt avoir empruntés à ses lectures néoplatoniciennes. Ainsi met-il l’accent sur le caractère incorporel de l’âme et explique-t-il que sa place dans la hiérarchie providentielle et belle des créatures a pour but de nous ramener à Dieu. Les textes de jeunesse, comme celui-ci, posent problème aux chercheurs. Il est extrêmement difficile d’y distinguer clairement à propos de Dieu les éléments susceptibles de venir de ses lectures «platoniciennes» et ceux qui viennent de la catéchèse qu’il a suivie. Le néoplatonisme a dû bien le préparer à accepter et à s’approprier l’enseignement d’Ambroise, mais cet enseignement, il l’a entendu et répété plus qu’il ne l’a lu. De fait, comme nous l’avons souligné au début qu’il est difficile de parler séparément de Dieu et de la Trinité dans la pensée d’Augustin, de même, il est difficile d’essayer de séparer les courants platoniciens et chrétiens dans les écrits de jeunesse d’Augustin. Les traditions théologiques qu’Augustin connaît ont été profondément influencées par différentes traditions «platoniciennes» depuis des années.

Les cinq thèmes de base autour desquels Augustin articule sa compréhension de Dieu après avoir lu les livres platoniciens apparaissent dans ses premiers traités contre les manichéens. Par

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exemple, dix ans après sa conversion, dans le Contra epistulam Manichaei quam vocant fundamenti (vers 396), Augustin s’oppose à la compréhension manichéenne de Dieu parce qu’elle lui assigne des limites et un aspect matériel. C’est absurde pour tous ceux qui comprennent (C. Et. Man 15,20) que

«la nature de la sagesse et de la vérité comme non étendue et répandue dans l’espace, mais grande et conférant la grandeur sans avoir de dimension matérielle, sans être limitée d’aucune manière, mais coextensive au Père, n’ayant pas un élément ici et un autre ailleurs, mais étant en tout parfaite et en tout présente». Toute réalité matérielle est divisible, mais l’âme ne l’est pas. Aussi, si l’âme muable est immatérielle et indivisible, tout en ayant un pouvoir réel et effectif, combien Dieu doit-il l’être davantage.(C. Ep Man 19,21) Augustin souligne que sa conception de Dieu comme la source bienveillante et rationnelle de tout être lui donne une meilleure compréhension de l’idée de création et lui permet de développer sa théorie de la providence.(C. Et. Man 25,17 s).

Cette vision de Dieu comme étant parfaitement bon et infini est reprise un peu plus tard dans le De natura boni (vers 400), avec l’accent mis sur le fait que Dieu ordonne toutes choses vers et dans le Bien. Tout possède l’existence et, par conséquent, la mesure, la forme et l’ordre, comme un don de Dieu. Plus les choses sont près de Dieu, plus elles manifestent ces qualités et meilleures elles sont.

Cependant, Dieu est à la fois mesure, forme et ordre au plus haut degré, tout en transcendant la mesure, la forme et l’ordre, telles qu’on les trouve dans les créatures.(De nat. B,3,13). Ces choses sont

«en» Dieu, parce que Dieu est leur source, comme Dieu est la source immuable de toute bonté sans contraire, excepté ce qui n’est pas(De nat. B 19).

Même si le thème n’apparaît pas dans le résumé qu’il fait de ses lectures platoniciennes au livre VII des Confessions, Dieu est également évoqué par Augustin dans ses écrits de jeunesse comme étant «simple» (simplex or simplicitas). En Conf. IV, 16,28, Augustin se critique lui-même pour avoir dit initialement que les catégories d’Aristote renferme toute réalité ou substance, y compris Dieu. Au contraire, il comprend maintenant, en écrivant les Confessions, que Dieu est merveilleusement simple et immuable («mirabiliter simplixem atque incommutabilem»). Cela implique immédiatement qu’il est vain d’essayer de penser Dieu comme le sujet d’une prédication accidentelle ou de penser que la grandeur et la beauté sont des qualités de la substance de Dieu. C’est pourquoi la simplicité apparaît comme un corollaire essentielle de la conception augustinienne de Dieu comme immatériel, immuable, comme étant la vérité elle-même. Toutefois, les sources de cette idée, qui n’est pas unique dans les textes néoplatoniciens, ne sont pas claires. Dans ses ouvrages de maturité, Augustin développe plus largement ce concept de simplicité divine. Mais, quelquefois, le concept fait partie de la polémique contre les manichéens (par exemple C. Faust XXI,16) et il apparaît dans certaines descriptions de la nature de Dieu.(par exemple Ad. Simp. II,6).

Maintenant, nous pouvons résumer en trois points la nature de la conception augustinienne de Dieu dans les écrits de jeunesse : tout d’abord, la formation initiale de sa doctrine vient certainement de sa découverte de Dieu, dans les textes platoniciens, comme étant immatériel, infini, et dont la providence créatrice ordonne tout. Partant de cette découverte, Augustin a pensé avec enthousiasme qu’il était dans «l’école platonicienne», au sens où il s’est tourné vers cette école, comprise au sens large, pour trouver des principes philosophiques à articuler à son christianisme.

De manière intéressante, la description de «l’école platonicienne», avec laquelle il a décidé de s’identifier dans le C. acad. III, 17, 37 s. (vers 387), est extrêmement large. Suivant Cicéron, «l’école platonicienne» est, pour Augustin, le mouvement sous-jacent à toute la philosophie antique, mis à part les épicuriens et les sceptiques. Plotin en est simplement le représentant récent le plus illustre. Ainsi Augustin peut-il se dire membre de cette «école», tout en reprenant, dans le même ouvrage, une théorie d’inspiration stoïcienne de la connaissance et de l’unité de l’âme. Dans son ouvrage, il peut citer Plotin de temps à autre, mais, en termes de doctrine philosophique, il ne dit rien qui ne vienne des oeuvres de Cicéron qui est mort environ 230 ans avant la naissance de Plotin. Appartenir à cette école platonicienne suppose d’accepter l’immatérialité et la réalité de la Vérité et de l’âme, la participation des êtres à l’Être et la possibilité d’une connaissance vraie.(C. Acad. III,17,37) Il ne semble pas qu’elle implique d’accepter une reprise particulière des doctrines de Plotin ou de Porphyre.

Deuxièmement, les emprunts d’Augustin au néoplatonisme étaient partiels et centrés autour des thèmes qu’il a identifiés au livre VII des Confessions et que l’on retrouve tout au long de ses écrits de jeunesse. De ce fait, il y a des parties entières de la conception néoplatonicienne de Dieu qu’il laisse de côté. Par exemple, dans ses écrits de jeunesse, on ne trouve pas de textes où il articule précisément les relations entre les personnes de la Trinité ou propose des développements de théologie trinitaire, en

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lien avec les trois hypostases du néoplatonisme. Il est important d’être précis ici. Sans doute Augustin a-t-il été marqué par le néoplatonisme, mais les caractéristiques générales du rôle des personnes de la Trinité viennent de la prédication et des catéchèses d’Ambroise et de la théologie qu’il a pu lire après sa conversion. Dans les écrits de jeunesse, il n’envisage d’ailleurs jamais de parallèles avec les hypostases néoplatoniciennes. À quelques petites exceptions près, il en va de même dans les écrits de maturité. Dans le De Trinitate, nous ne trouvons pas de rapport entre les relations trinitaires et les hypostases néoplatoniciennes et le seul texte où il en est question, celui de la Cité de Dieu X,23 est à noter, en raison de son caractère exceptionnel.

Troisièmement, l’influence des écrits néoplatoniciens intervient au cours du cheminement d’Augustin vers la foi chrétienne - à un moment où ce cheminement semble avoir été au centre de ses préoccupations. Cette influence intervient, en conséquence, comme un effort pour rendre compte de son christianisme - même s’il a compris plus tard qu’il a eu trop tendance à penser que les

«platoniciens» pouvaient facilement atteindre leur but. Augustin place ses lectures néoplatoniciennes comme faisant suite à l’exégèse allégorique d’Ambroise qui lui a fait comprendre le sens de l’Ancien Testament et comme catalyseur pour sa compréhension de la nature immatérielle de Dieu. Après sa conversion, Augustin a appris les bases de sa théologie dans un contexte déjà marqué par l’influence des thèmes néoplatoniciens. Il est alors difficile de savoir ce qui vient de ses lectures néoplatoniciennes, de la catéchèse qu’il a suivie et de ses premières lectures théologiques. Il est également clair que, tout en étudiant la théologie chrétienne et les thèmes néoplatoniciens, il n’abandonne pas l’influence de Cicéron et des stoïciens qui le marqueront tout au long de sa vie. C’est pourquoi, lorsque nous considérons sa conception de Dieu dans ses écrits de jeunesse, nous ne sommes pas surpris d’y trouver tout un mélange de thèmes. Il ressort que ses premiers exposés sur la nature de Dieu sont marqués par le néoplatonisme, mais nous devons faire attention à la manière dont nous utilisons ce point pour caractériser sa pensée à l’époque.

LA COMPRÉHENSION QU’AUGUSTIN A DE DIEU DANS LES ÉCRITS DE MATURITÉ

Les traits principaux de sa découverte de Dieu de 386 subsistent tout le reste de sa vie.

Pourtant, Augustin en vient progressivement à être plus critique par rapport à son enthousiasme de jeunesse qui l’a amené à penser que les problèmes intellectuels soulevés par le christianisme pouvaient être résolus par les «platoniciens».(par exemple Retr. I,I,4) La recherche récente introduit l’idée qu’il y a eu un tournant radical dans sa pensée sur la grâce vers 396-397, il semble que ce soit le cas, car après cette date, Augustin voit davantage dans la volonté de Dieu la source de la providence. Au fur et à mesure des années, il en vient à éviter l’idée platonicienne du «Bien» qui se diffuse lui-même par nature ou par nécessité. Plus importante aussi la conscience qu’il prend que sa compréhension du caractère immatériel et infini de Dieu pouvait lui servir pour défendre et développer sa compréhension de la Trinité dans la perspective nicéenne. Cela apparaît clairement dans les arguments clefs du De Trinitate et dans certains passages de la Cité de Dieu, en particulier dans ses derniers développements impliqués par une discussion développée de la simplicité de la nature divine.

Au début du livre V du De Trinitate, Augustin explique ce que signifie le fait que ce soit une essence (ousia), par rapport à la définition habituelle que Dieu est l’Être suprême, le seul être immuable, et non atteint par des accidents (De Trin. V,3,4). Comme Dieu vient d’être décrit de cette manière, il n’est pas possible de dire que «inengendré» caractérise la substance du Père, alors que

«engendré» caractérise celle du Fils. Une telle description risquerait d’induire à penser deux substances de Dieu et par conséquent de refuser l’égalité de la substance. En s’attachant de plus en plus à comprendre que Dieu est une «essence», Augustin commence à envisager le rapport entre substance et relations en Dieu. Dans les livres suivants, l’idée qu’un être simple ne peut pas être envisagé à partir des accidents devient de plus en plus importante.

Au livre VI du De Trinitate, Augustin continue à se référer à sa compréhension de Dieu comme être pour développer son exposé. Ainsi dans le livre V, il avait expliqué que tout ce qui renvoie à l’essence de Dieu s’applique seulement aux trois personnes. Au livre VI, il prolonge cette idée en s’opposant à certaines théories anté-nicéennes de 1 Co 1,24 qui pensent que le Christ est éternellement la puissance et la sagesse de Dieu, car le Père doit éternellement avoir sa puissance et sa sagesse (VI, 1,1). Augustin dit que cet argument présente Dieu comme étant sage, non de lui-même, mais par la présence d’un autre qui est sage. Au contraire, Augustin part du principe qu’en Dieu tous les prédicats sont égaux, parce que Dieu est véritablement simple (simplex De Trin. VI,4,6). Pour

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Dieu, «être», c’est la même chose qu’ «être sage» ou «être juste» : l’existence de Dieu est parfaite et elle est la source de toute bonté qui peut être trouvée dans notre existence imparfaite. Par conséquent, les trois personnes sont ensemble l’unique et simple sagesse de Dieu : Dieu est «la plus haute simplicité» (summa simplicitas.(De Trin. VI, 5,7) Cette idée est reprise au livre VII et, tout au long des livres V et VII, la simplicité de Dieu est considérée comme un corollaire de ses autres caractéristiques principales : l’immatérialité, l’immutabilité et le fait qu’il est à la source de tout l’être : dans De Trin.

VII, 5, 10, Dieu apparaît comme la seule véritable essence en qui l’essentia vient de l’esse et le nom de Dieu est «Celui qui est» (Ex. 3, 14). Au livre VII, Augustin dit que cette compréhension de Dieu en termes de simplicité nous permet de voir que chaque personne divine doit être pleinement sagesse et vie «en elle-même» : si chaque personne peut être appelée Dieu, alors chacune doit avoir pleinement la simplicité de l’être de Dieu. Et pourtant, en même temps, les trois sont un. Le langage de la simplicité permet d’articuler les principes fondamentaux de la théologie de Nicée.(De Trin. VII, 1,2,2-2,3) Alors, la compréhension d’Augustin lui permet de préciser et de développer sa vision de Dieu comme Trinité.

Apparemment, c’est difficile, mais Augustin sait harmoniser l’affirmation de la simplicité de Dieu avec le caractère irréductible des trois personnes. Pour Augustin, le Dieu simple Tri-Un ne peut être divisé ni en personnes ni en quelque substrat : nous trouvons un certain nombre de mises en garde sur ce point. (Par exemple Ep. 120,3,17). De même, Augustin refuse les interprétations de la formule

«une substance, trois personnes» qui rechercheraient des parallèles avec les divisions en genres et espèces. (Par exemple De Trin. VII, 4,7s)

C’est au livre XV du De Trinitate que le déploiement de la notion de la simplicité de Dieu, utilisée pour défendre la doctrine trinitaire, trouve son point culminant. Augustin y reprend, de manière plus complexe et plus radicale, les conséquences de son argument selon lequel en Dieu toutes les perfections et tous les attributs sont égaux. Son but est, alors, de donner une brève liste de ces perfections en vue de guider notre discours sur Dieu. Dieu est la vie qui vit par elle-même, perçoit et comprend. Les «actes» de percevoir et de comprendre sont identiques en Dieu, en raison de la nature véritablement simple de Dieu.(De Trin. XV, 5,7). Augustin donne ensuite une liste des caractéristiques de Dieu : Dieu est éternel, immortel, incorruptible, immuable, vivant, sage, tout-puissant, beau, juste, bon, béni, spirituel.(De Trin. XV,5,8). Ces divers attributs sont rapidement réduits à trois : l’éternité, la sagesse, la béatitude, Augustin disant que l’un peut bien sûr valoir pour l’autre, en raison de l’unité en Dieu.(De Trin. XV,6,9)

Après avoir donné l’exposé le plus complet possible de la nature de Dieu et des problèmes qui y sont liés, Augustin revient sur la difficulté à concevoir Dieu comme Trinité. Ce bref résumé des arguments précédents se termine par une discussion des limites de l’analogie : memoria, intelligentia, voluntas.(De Trin. XV,7,11s) Cette dernière triade qu’Augstin a identifiée se trouve chez l’être humain, mais elle n’est pas identifique avec l’être humain, alors que la trinité est identique à Dieu, elle n’est pas quelque chose en Dieu (De Trin. XV,7,11) : «Trinitas vero illa cujus imago est, nihil aliud est tota quam Deus, nihil aliud est tota quam Trinitas»). Une fois de plus l’explication augustinienne de la nature de Dieu n’intervient pas avant la nature trinitaire de Dieu. Ensuite, les trois termes de l’analogie finale d’Augustin ne doivent pas être considérés comme correspondant aux personnes de la Trinité : le Père n’est pas quelque chose de la mémoire, le Fils de l’intelligence et l’Esprit Saint de la volonté. De manière importante, Augustin dit qu’on ne peut pas établir aussi rapidement un parallèle avec l’argument du livre VII, où le Père n’est pas sage parce que le Fils lui est continuellement présent, mais parce que le Père et le Fils partagent l’unique Sagesse qui est identique à l’essence simple de Dieu.(De Trin. XV,7,11) Si Dieu est une essence simple, et pourtant irréductiblement trinitaire, alors chacune des trois personnes doit avoir sa propre mémoire, sa propre intelligence et sa propre volonté.

Aucune des personnes ne dépend des autres pour ce qui est essentiel à Dieu. Ainsi la simplicité de Dieu demande-t- elle que chacune des personnes ait irréductiblement l’être de Dieu et que, pourtant, elles possèdent cet être avec la simplicité de l’essence de Dieu et en étant en interrelation.

Après avoir présenté ainsi Dieu comme l’Être simple afin d’assurer sa nature irréductiblement trinitaire, Augustin utilise le reste du livre XV pour montrer comment on peut comprendre la génération trinitaire et comment, pourtant, elle dépasse infiniment ce qu’on peut en concevoir, en raison même de la simplicité de Dieu. Comme dans le reste de ce livre et dans le reste de l’oeuvre d’Augustin, cette définition est fondée sur le sens cosmologique de cette compréhension de Dieu. Dieu rend possible la participation de toutes les choses à l’être, et pourtant l’Être lui-même dépasse tout. Il nous est possible de comprendre en raison de la «lumière» de la sagesse qui est présente en nous, et

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