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Article pp.189-192 du Vol.28 n°137 (2002)

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L

a nouvelle économie institutionnelle (Coase, 1937, 1987 ; North, 1981, 1990, 1991, 2000 ; Williamson, 1994) prend une part croissante au sein des théories économiques, politiques et sociales.

Son intérêt pour les institutions informelles et for- melles nous est utile ici, puisqu’elle explique le rôle que jouent les institutions dans le comportement des acteurs de la vie économique. Dans un premier temps, nous ferons un bref rappel des principaux concepts et conclusions de l’économie néo-institutionnelle pour l’appliquer, dans un deuxième temps, à l’analyse de la tentative de refondation sociale initiée par le Medef.

Les institutions sont des constructions humaines visibles qui répondent à des attentes de régularité dans les échanges humains. Elles existent pour diminuer l’in- certitude inhérente aux transactions qui ne pourraient se développer sans elles. Sans les institutions, la crois- sance économique serait inexistante. Elles sont donc des règles, normes, valeurs qui servent de cadre au jeu économique et de système d’incitation pour ses acteurs, individuels ou collectifs, comme les entreprises, les par- tis politiques ou les universités. Les organisations jouent selon des règles. Ce ne sont pas les firmes, mais le niveau politique qui établit et transforme le cadre for- mel des échanges. Les règles informelles, fruits de l’histoire culturelle d’un pays, s’imposent aux règles formelles. Lorsque le politique crée des lois contraires

Institutions et Žchec de la refondation sociale

Michel Ghertman

T R I B U N E L I B R E

S U R L E V I F

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à la culture, elles ne sont pas mises en pra- tique1.

Les institutions sont perçues à travers des modèles mentaux qui influencent le com- portement des organisations et des indivi- dus. Les modèles mentaux acceptés et par- tagés par le plus grand nombre constituent une idéologie. Ces modèles mentaux font l’objet d’un travail de socialisation par des institutions comme la famille, l’école, l’ar- mée, les organisations religieuses, les labo- ratoires de recherche en sciences sociales et les médias (Danzan et North, 1994). Ils peuvent également être la cible d’une action politique et médiatique d’un acteur social pour les transformer à des fins qui lui soient utiles. La tentative de refondation sociale du Medef en est un exemple.

Aux USA, le rôle du contrat et celui des juges qui établissent une pratique acceptée comme légitime par tous (dans la pratique, c’est l’équivalent de la loi) sont beaucoup plus importants qu’en France. Les patrons ont l’habitude de négocier individuellement avec leurs cadres, ainsi qu’avec les syndi- cats. Les grèves sont rares mais souvent longues. Les deux parties aboutissent à un règlement sans intervention gouvernemen- tale. La négociation fait partie de la culture américaine.

Ce n’est pas le cas en France où les patrons préfèrent éviter le contact direct avec les représentants des salariés, surtout s’ils sont grévistes. Le gouvernement est fréquem- ment amené à nommer un médiateur pour débloquer la situation. Les patrons cher- chent la plupart du temps à faire porter la responsabilité des blocages sur les syndi-

cats, souvent perçus comme politiques.

L’Allemagne est alors citée comme ayant des syndicats exemplaires : ils négocient et aboutissent à un accord avec les dirigeants de l’industrie. La situation institutionnelle y est bien différente. Les syndicats des grandes entreprises détiennent la moitié des sièges du conseil d’administration, à parité avec les représentants des actionnaires. En plus, l’Allemagne n’a pas de grande école.

Les futurs patrons et syndicalistes se côtoient à l’Université. Les deux font sou- vent des doctorats avec des professeurs qu’ils respectent. Ils se retrouvent ensuite dans les mêmes conseils d administration.

Les patrons allemands montrent l’exemple du respect mutuel nécessaire à la construc- tion d’un consensus. Ils ont donc les syndi- calistes qu’ils méritent. Les français égale- ment. Mais comme ils se comportent diffé- remment, ils ont des syndicats qui ne leur font pas confiance la plupart du temps car ils réagissent d’expérience. Si les patrons fran- çais souhaitent changer les relations sociales, ils doivent montrer l’exemple et rechercher le consensus. Avec la tentative de

« refondation sociale » de l’an 2000, lancée par le syndicat patronal le plus médiatique (Medef), ils ont justement fait l’inverse.

Dans beaucoup de pays européens (Alle- magne, Hollande, pays nordiques) la réduc- tion du temps de travail a été négociée entre patrons et syndicalistes. Elle a souvent abouti à moins de 35 heures et a contribué d’une façon significative à la baisse du taux de chômage, souvent avant la France. Dans notre pays, la négociation en était à ses débuts. Les lois Aubry ont forcé patrons et

1. Pour une présentation plus détaillée des concepts et analyses traités brièvement dans cet article, ainsi que les références bibliographiques, on peut consulter : M. Ghertman, « Mai 1968, Management et Refondation Sociale » dans Seul, 0., (2002),30 Jahre nach 1968 und Studentbewegung. Was ist geblieben ? Eine bilanz, Stauffenberg, Tübingen.

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syndicalistes à négocier plus rapidement.

Les premières études empiriques sur les lois Aubry montrent que leur impact princi- pal a été d’amener les entreprises à se réor- ganiser. Cela a amélioré leur productivité et leur capacité concurrentielle, fait monter leurs cours en bourse et contribué à résorber partiellement le chômage. Mais ces lois ont entraîné un changement de direction au CNPF, transformé ensuite en Medef, avant de provoquer une offensive en faveur de rapports sociaux à l’américaine.

Au sein de la culture américaine, il est légi- time d’accepter que des chômeurs refusant plusieurs fois une offre d’emploi se voient supprimer leurs allocations chômage. Mais pas en France, si cela risque de créer une catégorie de chômeurs sans aucun revenu. Il en va de même dans certains pays euro- péens ayant adopté ce type de sanction for- melle : Allemagne, Royaume-Uni, Dane- mark, Pays-Bas. Elles ne sont appliquées que très rarement (L’Expansion, n° 624, 22 juin-6 juillet 2000, p. 66-70). C’est bien qu’elles sont contraires à la culture de ces pays. L’institution informelle prime à nou- veau sur la loi.

Pour refonder les rapports sociaux sur un partenariat avec les syndicats, l’équipe du Medef commence par un ultimatum : « Si un accord n’est pas obtenu avant l’été 2000, les patrons se retirent des organismes de gestion sociale paritaire ». Ensuite, l’accord n’est signé qu’avec deux syndicats ne repré- sentant qu’un tiers des salariés. Enfin, deuxième ultimatum, au gouvernement cette fois : « soit vous entérinez l’accord en bloc, Soit les patrons se retirent de la ges- tion ». La ministre concernée a eu beau jeu de répliquer que le gouvernement, exécutif de la légitimité électorale, doit agir en fonc-

tion de l’intérêt général et non d’un intérêt particulier.

Puisque le gouvernement a choisi d’adopter seulement les clauses du protocole Medef – syndicats minoritaires favorables aux chô- meurs et pas les autres, les patrons se reti- rent des organismes de gestion sociale et accusent le gouvernement de brutalité.

Paradoxe ou plaisanterie de ceux qui gèrent leurs rapports avec les syndicats et le gou- vernement sous la forme d’ultimatum ? Les

« tueurs » annoncés par l’ancien président du CNPF, Jean Gandois, ont fait beaucoup de bruit, mais peu de changements favo- rables aux entreprises. Jusqu’à maintenant, la refondation sociale est un échec de l’équipe dirigeant le Medef. Son objectif du contrat à l’américaine n’a pas été atteint.

L’État en sort renforcé. L’objectif de meilleurs rapports sociaux à l’allemande subit un échec encore plus retentissant, puisque la méfiance à l’égard des organisa- tions patronales, et surtout du Medef, s’est accrue.

Cet échec ne veut pas dire que moins d’État et plus de contrat soient impossibles en France. Mais pas à l’américaine et surtout pas en utilisant l’ultimatum pour négocier.

L’exemple récent des résultats de la négo- ciation entre le syndicat de la métallurgie allemande et Volkswagen – plus d’emploi contre une flexibilité négociée et acceptée – s’inscrit dans la tradition sociale euro- péenne. Pour aboutir en France, c’est à un changement de l’état d’esprit des dirigeants d’entreprise qu’il faut d’abord procéder. La culture de la retenue et du consensus, base de jeux à somme positive, doit remplacer l’ultimatum des jeux à somme nulle. C’est là un grand chantier prometteur auquel le Medef, ou une autre organisation patronale, Tribune libre 191 16/Tribune libre 11/03/02 22:07 Page 191

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pourrait s’atteler. Il serait dans l’intérêt de toutes les entreprises françaises.

Il faudrait d’abord un travail important sur le modèle mental qu’ils utilisent. S’intéres- ser au pronostic de Coase (1998) : « L’éco- nomie institutionnelle n’est pas destinée à compléter l’économie libérale, elle est là pour la remplacer totalement », serait un départ utile pour une réflexion approfondie.

En utilisant cette base théorique, l’échec du

Medef serait prévisible. Il le serait égale- ment si la majorité parlementaire devait changer lors des prochaines législatives.

Une réforme de la formation des élites fran- çaises serait également nécessaire. C’est un chantier encore plus grand, qui concerne toutes les forces politiques et sociales, y compris les organisations représentatives des entrepreneurs.

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