R EVUE DE STATISTIQUE APPLIQUÉE
G. M ORLAT
Statistique et théorie de la décision
Revue de statistique appliquée, tome 12, n
o2 (1964), p. 5-13
<
http://www.numdam.org/item?id=RSA_1964__12_2_5_0>
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5
STATISTIQUE ET THÉORIE DE LA DÉCISION
G. MORLAT Ingénieur
àl’E.D.F.
Dans l’ensemble de cette session sur la
statistique, à côté d’exposés,
dont vous avez entendu un certain nombre ce ma - tin et dont d’autres vous serontprésentés
cetaprès - midi
etdemain
matin, exposés portant
sur despro~rès
dans lesappl ica-
tionsà t’h~droto~ie
età l’hydraulique
destechniques
statis -t i ques,
il est apparui ntéressant à
Y. GIBRAT defai re
uneplace
tK7Mes, ~ est opparM ~teresso~ta~.G’7M~yde m’a demandé de
o ~o
~et/ïodo~o~te stattstK/Me
e~ge~eraZ
et ~ ~’a de/~a~de defaire
lepoint (bien partiellement,
car il n’est paspossible
de
fai re
unexposé exhaut i f
surl’évolution
de laméthode)
desidées fondamentales
de lastatistique.
Je pense, eneffet,
quec’est
utile parcequ’ il n’y
aprobablement
pasbeaucoup d’exemples
de
disciplines
dont lesacceptions
dans les diversestechniques
soient aussi diverses que le sont les diverses
acceptions
de lastatistique.
L’expansion considérable
de lastatistique,
au cours desdernières
dix ouquinze années, expansion qui
afai t
connaîtreà
cesméthodes
lessuccès
que vous savez dans les domaines et lestechniques
lesplus variés,
apeut-être
un peufait
oublierdes
efforts
deréflexion portant
sur les baseslogiques,
sur lathéorie même,
inductionstatistique
comme ondit, c’est-à-dir e
lesprincipes
de raisonnementqui
sontà
labase
desméthodes statistiques,
et il est sans douteutile, même
pour desprati- ciens, d’être
tenus au courant de ces travaux.Même si les
statisticiens, qui
sont gensraisonnables,
s’enplaignent rarement,
lastatistique
est unediscipline
bien malnommée,
et de cefait, parfois
mal renommée. Combien de noscontemporains pensent
en-core, avec un personnage de
Labiche,
que le métier du statisticien con- siste àcompter
le nombre desexagénaires qui
traversent le Pont Neufun dimanche
après-midi.
Il est bien vrai que le rôle de la
statistique,
il y a un siècle oudeux,
c’était decompter
les choses."Science,
ditLittré, qui
a pour but de faire connaîtrel’étendue,
lapopulation,
les ressourcesagricoles
et industrielles d’un Etat... Les éco-Revue de Statistique Appliquée. 1964 - Vol. XII - N’ 2
6
nomistes ont créé un mot pour
désigner
la science de cettepartie
de l’économiepolitique
-les dénombrements- etl’appellent statistique".
Cette vocation de
compter
leschoses,
dont onpouvait
se gausserau siècle
dernier,
a revêtuquelque noblesse, depuis qu’on
a reconnucombien elle est essentielle à la bonne marche des
systèmes économiques,
et donc des sociétés humaines.
D’ailleurs,
si les Incasprenaient
très ausérieux,
avecraison,
ceux de leurs fonctionnairesqui
étaientchargés
defaire des noeuds sur des ficelles de couleurs
diverses,
tenant ainsi àjour
lesstatistiques
vitales de leur Etat -comment noscontemporains
n’auraient-ils pas de la considération pour des hommesqui disposent
maintenant de machines à calculer
électroniques, puissantes
etcoûteuses, qui
savent avec une bonneprécision
dequoi
sont faites lapopulation
etla
production
de leur pays etqui peuvent fournir,
surdemande,
au gou-vernement,
des chiffres pour éclairer ses décisions ?Nous devons donc constater que la
statistique,
au sens deLittré,
a connu au cours des dernières décennies une
promotion considérable,
etcela suffirait à en faire une
discipline
pour l’honnête homme. Mais en mêmetemps
le terme destatistique
aprogressivement désigné
un do-maine d’activité intellectuelle infiniment
plus vaste,
et c’est de cette évo- lution là queje
veuxparler.
La
première phrase
d’un traité élémentaire destatistique, publié
il y a
quelques
années auxEtats-Unis,
est celle-ci :"La statistique
estun ensemble de méthodes pour
prendre
des décisions raisonnables enpré-
sence
d’incertitudes".
Comme toutes les décisions humaines sontprises
en face
d’incertitudes,
cette modestephrase indique
donc que la statis-tique,
c’est la méthode pourprendre
des décisions. Nous voici assez loin de la science des dénombrements. Parquel
chemin lastatistique
-sanschanger
sonétiquette,
ce enquoi
elle apeut
être eutort, puisque
c’estsource de
malentendus,
mais il esttrop
tard de toutefaçon
pour y reve- nir- parquel
chemin a-t-elle pu passer des dénombrements à la théorie des Décisions ? C’est ce que nous nous proposons ici de mettre en lu-mière,
enretraçant
sommairement lesétapes
parlesquelles
la méthodestatistique
aprogressé ;
nous n’auronsguère
le souci derespecter
l’ordrehistorique
de cetteévolution,
mais seulement de montrer comments’enchainent,
d’une manière toutenaturelle,
les diversesconceptions
dela
statistique qui
vont de la"comptabilité
deschoses"
à lalogique
desdécisions.
Les
premières étapes
sont les mieux connues. Pour rendre com-modes les
dénombrements,
et pourprésenter
leurs résultats sous forme succincte etmaniable,
on a l’habitude de calculer des moyennes et des écarts moyens, d’établir despolygones
defréquence,
ou deshistogrammes,
des
fibrogrammes,
des courbes d’observationsclassées,
etquelques
autresreprésentations
commodes. La manière d’établir des tableaux à double entrée -oudavantage-
lesgraphiques représentant
les variations d’unphé-
Revue de Statistique Appfiquée. 1964 - Vol. XII - N’ 2
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nomène selon les valeurs d’un
autre,
leconcept
derégression,
et le cal-cul des courbes de
régression
par la méthode des moindrescarrés,
ladéfinition et le mode de calcul des divers indices de liaison entre des séries
d’observations,
tels le coefficient decorrélation,
le carré moyen decontingence,
etbeaucoup
d’autres -tout cela faitpartie
de la statis-tique descriptive ;
c’est l’art et la méthode pourmanier ;
décrire et ré-sumer des observations nombreuses. Mais
lorsqu’il s’agit d’interpréter- lorsqu’on
sedemande,
parexemple,
si deux séries d’observationspeuvent
êtreregardées
commehomogènes - ou
si telphénomène dépend
de tel autre- les recettes de la
statistique descriptive
ne nouspermettent guère
de fonder des raisonnements solides. Ilfaut,
pour de telles inter-prétations,
faireappel
à desmodèles,
et les modèles convenables sont fournis par le calcul desprobabilités.
Est-ce suffisant ? Le calcul des
probabilités,
au sens strict nousapprend
parexemple
comment onpeut tirer,
d’un modèleprobabiliste donné,
la loi deprobabilité
de la moyenne d’une série d’observations.Cela éclaire
grandement
lasituation,
mais le statisticienvoudrait,
con-naissant des
observations,
etayant quelque
idée sur les modèles con-venables, préciser
ces modèles ou les mettre àl’épreuve :
il veut in-duire et non pas déduire. Voilà
pourquoi
le calcul desprobabilités
n’estpas
suffisant,
etpourquoi
il a fallu élaborer une disciplinenouvelle
étroitement fondée sur le calcul des
probabilités,
maisparfaitement
ori-ginale cependant,
par lesproblèmes qu’elle aborde,
et par sonobjet pré- cis, qui
est de formaliserl’induction,
et de fournir le modèle de ce que l’observation nousapprend
des modèles. Cette nouvellediscipline
a con-tinué à
s’appeler statistique
-ou pour êtreplus précis,
on la dénommestatistique mathématique.
.
On convient
généralement
de considérer que lapremière pierre
dela
statistique mathématique
futposée
par KarlPearson,
avec son célèbre mémoire de 1900 dans lePhilosophical Magazine :
"On the criterion thata
given system
of deviations from theprobable
in the case of a corre- latedsystem
of variables is such that it can bereasonably supposed
to havearisen from random
sampling".
Enréalité,
leproblème
de l’inductionstatistique
avait été bien vudepuis
fortlongtemps,
et le Révérend ThomasBayes
avait écrit un mémoire,publié après
sa mort, en 1764 dans les Phi-losophical
Transactions-"An
essay towardssolving
aproblem
in the doc-trine of
chances"-
où ilproposait
une solutiongénérale
à ceproblème.
Mais la
"formule
deBayes"
-dontC ondorc et, Laplace
etbeaucoup
d’autresusèrent et abusèrent
parfois- pouvait paraître
bien arbitraire. Au début de ce siècle il semblait souhaitable d’établir lastatistique mathématique
comme une
discipline indépendante
d’élémentssubjectifs
ouarbitraires,
comme les
probabilités
apriori
deBayes
-et il est assezplaisant
deconstater que c’est en
s’assignant
un telbut,
que nous savonsaujourd’hui
littéralement
insensé,
que degrands
statisticiens tels que KarlPearson,
Sir Ronald A.Fisher, Jerzy Neyman (pour
ne citer que les noms lesplus justement célèbres)
ont pu en effet échafauder lesprincipaux
cha-pitres
de lastatistique mathématique,
et donner à cette science une im-pulsion
tellequ’elle
a connu, au cours des dernièresdécennies,
d’im-menses succès
théoriques
etpratiques,
etqu’elle
est devenueindispen-
sable dans la
plupart
des domaines d’activitésscientifiques.
Revue de Statistique Appliquée. 1964 - Vol. XII - N’ 2
8
Mais les différents problèmes de la statistique mathématique-esti- mation des
paramètres,
testsd’hypothèses, analyse
de lavariance, plans d’expériences, statistiques d’ordre,
etc.-pouvaient apparaître
comme une collection de problèmes ayant certes en commun ce trait fondamental d’im-pliquer
uneinduction,
des observations aumodèle,
mais pour le reste assez différents entre eux, et presquehétéroclites,
en cequi
concerne leurs formalisationsrespectives.
Il a fallu attendre l’oeuvre d’Abraham Wald pour voir se réaliser l’unité de lastatistique mathématique,
sousla forme de la Théorie des Fonctions de Décision
statistiques,
dont lesdivers
chapitres
que nous avons énumérés à l’instantapparaissent
commedes cas
particuliers.
C’est uneétape
un peu moinsgénéralement
connue, et nous nous y arrêterons uninstant,
pour décrire d’unefaçon
sommairela Théorie
proposée
par Wald. L’intérêt est double à nos yeux : montrer l’unité desproblèmes
de lastatistique mathématique
et mettre en lumière la nécessité de fondementslogiques
que l’on nepeut
trouver que dansune autre
théorie,
dont nous dironsquelques
mots in fine.Un
problème
statistique comporte les éléments formels suivants : L’ensemble desobservations, X,
est l’ensemble de tous les"points"
x
qui
constituent tous les résultats d’observationspossibles
apriori,
pour lephénomène
étudié.Naturellement,
xpeut
être unnombre,
un vecteur,une fonction du
temps,
ou tout autre élément que l’on voudra.Les diverses lois de
probabilité prises
enconsidération, F,
formentun ensemble Q. Ce sont des distributions de
probabilité
surX,
et ellespeuvent
être en nombrefini,
ou bien former une familleparamétrique,
ou être définies de
quelque
autrefaçon.
Le statisticien
doit,
au vu desobservations, prendre
une décision.Les décisions
possibles
d forment un ensemble D. Dans certains cas, onpeut
être amené àprendre
en considération letirage
au sort entreplu-
sieurs
décisions,
avec desprobabilités
choisies aumieux :
celasignifie qu’on prend
en considération l’ensembleD
des distributions deprobabi-
lité sur D. Du
point
de vuequi
nous occupeici,
cela constitue un détailtechnique,
dont nous ne nous encombreronsguère
par la suite.Le
problème posé
est de choisir une décision dchaque
foisqu’on disposera
d’observations x, c’est-à-dire de choisir une manière de fairecorrespondre
un d à tout x ; en d’autrestermes,
nous devonsenvisager
les
applications
de X dans D. Une telleapplication, Õ,
constitue ce que Waldappelle
une fonction dedécision,
et nous noterons A l’ensemble des fonctions de décision 6 .Maintenant,
en vertu dequelles
considérationspeut-on
être amené àchoisir,
une fonction de décisionplutôt qu’une
autre ? Si l’onprend
une décision
d,
alors que la loiqui représente
le mieux lephénomène
étudié -ce que nous
appellerons
conventionnellement la"vraie"
loi- estF,
alors on encourt certainsavantages
et certainsdésagréments. Admettons,
avec
Wald,
que cesconséquences peuvent
êtrereprésentées
valablement par unnombre,
que nousappellerons
la"perte",
ce nombre est donc unefonction de F et de
d,
que nousreprésenterons
parRevue de Statistique Appliquée. 1964 - Vol. XII - N’ 2
9
W
(F , d) (fonction
deperte)
Dans certains
problèmes
de contrôle desfabrications,
ceconcept peut
être rattaché à uneperte
au sensordinaire,
chiffrée enargent (ce
sera
quelque
chose commel’espérance
des divers coûts actualisées ré- sultant d’une décision derejet
oud’acceptation
d’un lot defabrication).
Mais dans la
plupart
desproblèmes statistiques,
il faut admettre que la fonction deperte représente, forfaitairement,
des inconvénients de toute nature ; on verraplus
loinqu’il
suffit de lui attribuer des formes extrê- mementsimples
pour retrouver et dans une certaine mesurejustifier
lestechniques classiques
de lastatistique.
On doit
choisir,
avons-nousdit,
non pas unedécision,
mais unefonction de décision : la fonction de
perte
n’estqu’un intermédiaire,
et l’on attachera à toute fonction de décision Ôl’espérance
de laperte
cor-respondante,
ce que nous écrivons :et que nous
appellerons.
enreprenant toujours
laterminologie
deWald,
fonction derisque.
Le sens de ce nouveauconcept peut
être renduplus explicite :
à une distribution deprobabilité
F surX,
la fonction de déci-sion, qui
est uneapplication
de X dansD,
associe une distribution deprobabilité
surD,
et enconséquence également
une distribution de pro- babilité pour W : d’où lapossibilité
d’en calculerl’espérance, qu’exprime
bien la formule ci-dessus.
La considération de la fonction de
risque, permet-elle
de choisirune
règle
de décision ? Ce sera vrai dans des casexceptionnels
où il existera une fonction de décision Ô rendant minimum lerisque quel
que soit F. Mais engénéral,
onpeut
s’attendre à ce que larègle
de déci-sion, qui
minimise lerisque dépende
de F. Avant designaler
commenton
peut
surmonter cettedifficulté,
illustrons les notions que nous venonsd’introduire,
en examinantquelques problèmes statistiques classiques .
On connaft le
problème
de l’estimation d’unparamètre :
la familleQ des lois de
probabilité
est parexemple
une famille à unparamètre, F (x, e)
et on veut,d’après
desobservations, assigner
une valeur appro-ximative à 8. C’est bien un cas
particulier
desproblèmes
que nous ve-nons de décrire. Une décision est constituée par la valeur t
qu’on
attri-buera au
paramètre,
unerègle
de décision n’est pas autre chosequ’une
fonction t(x) -
c’est cequ’on appelle
enstatistique mathématique
un es-timateur.
Supposons
que la fonction deperte
admise soitproportionnelle
aucarré de l’écart entre la valeur vraie du
paramètre
et sa valeur esti- mée :Alors la fonction de
risque
sera, dans le cas d’un estimateur sans biais :Revue de Statistique Appliquée. 1964 - Vol. XII - N’ 2
10
Minimiser la fonction de
risque,
c’est donc ici rechercher les estima- teurs de variance minimum : on voit comment on pourrajustifier
la mé-thode du maximum de vraisemblance et
quelques
autres méthodes clas-siques
d’estimation.Considérons maintenant un
problème
de test -et poursimplifier l’exposé,
nous admettronsqu’on
s’intéresse exclusivement à des modèles entièrement déterminés : on veut tester unehypothèse simple F,
contreune alternative
simple,
G. L’ensemble X étant au restequelconque,
Qestformé des deux lois F et G. L’ensemble des décisions
possibles comporte
aussi deuxéléments,
à savoir :dl:
conserverl’hypothèse
Fd2: rejeter l’hypothèse
FDès
lors,
une fonction de décision estsimplement
unepartition
deX en deux sous-ensembles -ou encore c’est la donnée d’une
région
cri-tique,
ourégion
derejet.
Prenons pour fonction de
perte
la fonctionreprésentée
par le ta- bleau ci-dessous :Autrement
dit,
laperte
est nullequand
onprend
une décision cor-recte, égale
à l’unitéquand
on commet une erreur. On calcule sanspeine
la fonction derisque, qui
vaut a pour Fet j3
pourG,
adésignant
le seuilde
signification
dutest, et (3
laprobabilité
d’erreur de secondeespèce.
Là encore, nous retrouvons tout naturellement des notions
classiques.
Dans
l’exemple
de l’estimation - et du moins pour laplupart
desformes de lois de
probabilité d’usage
courant - l’estimateur de varianceminimum,
ou l’estimateur deFisher,
nedépend
pas de la valeur du pa- ramètre que l’on cherche à estimer : nous sommes dans ce casprivi- légié
où il existe une fonction de décision uniformément meilleure que toutes les autres- cetteproposition
étant vraie sans restrictionlorsqu’il
existe un estimateur
exhaustif,
et n’étant vraiequ’asymptotiquement
dansd’autres cas.
Nous constatons
qu’il
en va tout différemment dansl’exemple
destests : même dans les cas les
plus simples,
il faut choisir un compro- mis entre les deuxrisques
d’erreurs aet P :
: on sait bienqu’il
n’existepas de test
qui
rende à la fois aet P
aussipetits
quepossible.
Revue d. Statistique Appliquée. 1964 - Vol. XII - N’ 2
11
C’est la difficulté
déjà signalée plus
haut : la fonction derisque
dé-pend
des deuxarguments
F et Õ. Il faut décider d’unprincipe
de choix.Wald a
suggéré qu’on pourrait
trancher cette ultime difficulté enadoptant
leprincipe
du minimax : la fonction de décision retenue serait cellequi
réalise la condition :mins
maxF x(F, Õ)
C’est une
règle
deprudence extrême,
etl’analogie
formelle entreles
problèmes
de lastatistique
et ceux de la Théorie des Jeux à deuxjoueurs
a pu rendre cetterègle
fort séduisante. Mais il convient de noter que lajustification
du minimax dans la Théorie des Jeux réside essen- tiellement enceci,
que le minimax conduit à unpoint d’équilibre :
si l’undes
joueurs
s’écarte de lastratégie optimale,
il serapénalisé
Dans lesproblèmes statistiques,
l’un desjoueurs
est lestatisticien,
l’autre est la"nature", qui
est censée choisir la loi deprobabilité
F inconnue. On nepeut guère
considérer sérieusement que les intérêts de la nature sont op-posés
à ceux dustàtisticien
-et le minimaxperd
de ce fait touteespèce
de
justification.
’Wald a étudié par ailleurs une
catégorie
de fonctions de décision dont il a montrél’importance :
ce sont les fonctions de décision deBayes,
c’est-à-dire cellesqui
réalisent une condition dutype
min~ EE r (F, o)
E étant une distribution de
probabilité
surl’ensemble Q
des lois de pro- babilité F(~
estappelée
habituellement "distribution deprobabilité
aprio- ri").
Wald a montré que, dans des cas trèsgénéraux,
les fonctions de décision deBayes
sont les seules fonctions de décision admissibles -c’est- à-dire tellesqu’il
n’existe aucune autre fonction de décision dont lerisque
serait
plus
faible pour tout F. Aux yeux deWald,
ils’agit
là d’une pro-priété purement
formelle et la distribution deprobabilité
àpriori
n’estqu’un
élément formelintermédiaire, permettant
de sélectionner une classe de fonctions de décision intéressante : c’est que lastatistique
était encore fortementtournée,
il y a une dizained’années,
vers la recherche deprin- cipes objectifs.
Aujourd’hui,
un nombre croissant de statisticiens admettent que la recherche d’unprincipe
de choixobjectif
est vaine. Lesproblèmes
dedécisions
statistiques
dont nous venonsd’esquisser
sommairement les con-tours,
entrent dans lacatégorie
desproblèmes
de décision en face d’in-certitudes,
et la Théorie Générale des Décisions nousapprend
que des choix cohérents -ou rationnels- la définitionprécise
de cesadjectifs peut
être traduite dans despostulats
aussi convaincantsqu’on peut
le souhaiter -de tels choix sont nécessairement ceux que l’on commettrait en maxi- misantl’espérance
d’une fonction d’utilité desconséquences-
ou, cequi
revient aumême,
en minimisantl’espérance
d’une fonction deperte
con- venablement choisie.L’espérance
doit êtreprise
parrapport
à une dis-tribution de
probabilité
traduisant tous les éléments d’incertitude sur les-quels
n’influe pas la décision du statisticien -et enparticulier
des pro- babilités doivent être affectées aux éléments de l’ensemble Q des modèles.Revue de Statistique Appliquée. 1964 - Vol. XII - N’ 2
12
C’est dire que la seule
façon
de donner un fondementlogique
solideà la
statistique,
semble bien être de considérer que les distributions apriori ~
doiventreprésenter
un certaindegré
deconnaissance,
ou de con-fiance, préalable,
àl’égard
des diverses lois F.Cela,
c’est enquelque
sorte le droit leplus général.
Dans la pra-tique
faut-il recommander de traduiretoujours
les connaissances apriori
par une distribution de
probabilité,
et considérer que tous les efforts de lastatistique classique
-cellequ’on appelait
moderne il y a dix ans-doivent être
passés
parpertes
etprofits ?
Certains n’hésitent pas à l’af- firmer.Personnellement,
nous admettons sans réserve que la Théorie Gé- nérale desDécisions,
ou encore Théorie de laProbabilité-Utilité,
cons-titue le seul modèle
logique
valable. Mais le choix effectif desprobabi-
lités a
priori
éveille dansbeaucoup
de situationspratiques
desscrupules
trop vifs pourqu’on puisse
penserqu’ils
sont dénués de fondement. Il convient dejuger
en connaissance de cause, et danschaque
casparticu- lier, quels
inconvénientspèsent
leplus lourd,
de ceux d’un choix hasar- deux desprobabilités
apriori,
et de ceux d’unerègle
de choix conven-tionnelle, permettant
de s’en passer.Heureusement,
dans lesproblèmes
les
plus
courants de lastatistique,
on peut reconnaître que ce dilemne est facilement tranché. Nous avons eu l’occasion de constater que le pro- blème de l’estimation desparamètres
donnelieu,
sous certaines condi-tions,
à unerègle
de décisionoptimale
évidente. Onpeut montrer,
d’autrepart,
que dansbeaucoup
deproblèmes
detests,
deshypothèses
trèsgéné-
ralement raisonnables concernant à la fois les
probabilités
apriori
desdiverses
hypothèses
et les coûts des diverses erreurs,permettent
dejus-
tifier les méthodes
classiques
-en montrant que larègle, optimale,
ausens de la Théorie des
Décisions,
s’écarte assez peu de la conventioncourante, qui
consiste à choisir des testsayant
un niveau designification
faible. Bien
entendu,
cettepropriété
n’est nullementgénérale,
c’est unedes raisons pour
lesquelles,
il nous semble nécessaire que lesIngénieurs,
de même que les autres utilisateurs
possibles
de lastatistique,
soientinformés des
rapports
entre lestechniques statistiques
et la Théorie de laDécision ;
nous avonsessayé,
d’unefaçon beaucoup trop
succincte sansdoute,
d’en donner seulement lesgrandes lignes.
Peut-être e-at-il été bond’esquisser
avecplus
deprécision
le contenu de la Théorie Générale desDécisions ;
mais ceci est une autre histoire...NOTE
BIBLIOGRAPHIQUE
A. Wald - Statistical Decision Functions.
Wiley,
1950.J. L. SAVAGE - The Foundations of
Statistics. Wiley,
1954.Concernant la Théorie Générale des
Décisions,
on pourra consulter :Revue de Statistique Appliquée. 1964 - Vol. XII - N’, 2
13
La Décision -
Colloques
Internationaux duCNRS,
1961.R.D. LUCE et H. RAIFFA - Games and Decisions.
Wiley,
1957.G. MORLAT - Des Poids et des Choix.
Mathématiques
et Sciences Hu- mainesn° 3,
ou BulletinS.E.D.E.I.S., Futuribles, n°
26.DISCUSSION (Président :
M.MORLAT)
M.
Ferry signale
une difficultésupplémentaire
àlaquelle
M. Morlat nesemble pas avoir fait allusion : l’arbitraire du choix de la fonction de perte. Par exemple, dans les problèmes les plus courants d’estimation où l’on minimise une somme d’écarts, on choisit la somme des carrés de préférence à la somme des valeurs absolues parce que cela présente des facilités
mathématiques,
mais on peut se demander si lapremière
méthode peut êtrelogiquement
considérée commesupérieure à la deuxième.
M. Morlat fait remarquer
qu’une
présentationgénérale
de la théorie des fonctions de décisionstatistique
permet de recouvrir les divers cas. Il a cité , dans son exposé,uniquement l’exemple
des techniques d’estimationclassiques.
Maisil est bien d’accord sur la
suggestion
de M. Ferry : il peut y avoir intérêt, dans certains cas, à remplacer la fonction de perte (t -9)2
parquelque
autre fonction ;si on adopte par exemple pour fonction de perte la
quantité
Prob ( t - ec),
onretrouvera comme méthode d’estimation la méthode que Pittman avait présentée
en 1935 ou 1937 sous le nom de "closest
estimate".
On peut aussi bien, en choi- sissant d’autres fonctions de perte, retrouver, etjustifier
dans une certainemesure, des méthodes d’estimation assez diverses.
La remarque de M. Ferry vient à point pour
souligner
que, dans certains problèmes, on pourra avoir intérêt à s’écarter des solutionsclassiques.
Revue de Statistique Appliquée. 1964 - Vol. XII - N’ 2