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Texte intégral

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AIL

№ 8 - Mai 1 9 9 7

m ¿avoir :

C o m m e n t

Disneyland Paris a échappé à

la faillite

s : «

18

ttmn

P e r d r e des kilos à

volonté:

l'obsession du m o m e n t

S C I E N C E S : L A S A G A D E S M A U V A I S E S H E R B E S - D R O I T :

•BVnilll L E P O R N O - H I S T O I R E :

L U Mil №m P E U T - O N E N C O R E C R O I R E L E S M A N U E L S ?

(2)

LA THÉORIE, C'EST BIEN.

LA PRATIQUE, C'EST MIEUX.

DES TÉLÉCOMS

Groupe Wétraux

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Case postale 930, 1001 Lausanne, www.edicom.ch/bilan

R Elles ne Pensent qu'a Ca!..

3615 N

Q u ' e s t - c e q u e la p o r n o g r a p h i e a u j o u r d ' h u i ?

L a r é p o n s e p a r l e d r o i t

J e a n - C h r i s t o p h e C a l m e s , avocat a u x barreaux de V a u d et d e G e n è v e , vient de détendre à l'Université de Lausanne une thèse intitulée «La P o r n o g r a p h i e et les r e p r é s e n t a t i o n s de la v i o l e n c e e n droit pénal: é t u d e d e s articles 197 et 135 d u C o d e pénal suisse». O ù l'on a p p r e n d q u e c e s d e u x n o u v e a u x cha- pitres de loi e n t r é s en v i g u e u r en 1992 n'ont p a s écarté t o u s les p r o b l è m e s , loin d e là. Explications en page 19

P e u t - o n e n c o r e c r o i r e l e s m a n u e l s d ' h i s t o i r e ?

A p r è s la c h u t e d u mur d e Berlin, et au m o m e n t o ù la S u i s s e s'interroge, s'inquiète, p o l é m i q u e à p r o p o s d e la m a n i è r e d o n t il faut r a c o n t e r son h i s - toire d u r a n t la S e c o n d e G u e r r e m o n - diale, se p o s e e n c o r e la q u e s t i o n d e la qualité d e s m a n u e l s d'histoire qui sont utilisés d a n s les é c o l e s . Entretien avec un s p é c i a l i s t e de la q u e s t i o n , le pro- f e s s e u r d ' h i s t o r i o g r a p h i e à l ' U n i v e r - sité d e L a u s a n n e E t i e n n e H o f m a n n . A découvrir en page 28

IMPRESSUM

Allez savoir!

Magazine de l'Université de Lausanne

№ 8, mai 1997 Tirage 20'000 ex.

Rédaction:

Service de presse de l'UNIL

Axel-A. Broquet resp., Florence Klausfelder BRA, 1015 Lausanne-Dorigny

Tél. 021/692 20 71 Fax 021/692 20 75 Internet: http://www.unil.ch,

rubrique journaux et magazines de l'UNIL Rédacteur responsable: Axel-A. Broquet Conception originale et coordination:

Jocelyn Rochat,

journaliste au Journal de Genève et Gazette de Lausanne Ont collaboré à ce numéro:

Michel Beuret, Patricia Brambilla, Jean-Bernard Desfayes, Jérôme Ducret, Alexandra Rihs

Photographe: Nicole Chuard Correcteur: Albert Grun

Concept graphique: Richard Salvi, Chessel Imprimerie et publicité:

Presses Centrales Lausanne SA Rue de Genève 7, 1003 Lausanne Tél. 021/320 59 01

Photos de couverture:

Photomontage Richard Salvi Photo Techno: DR Sony Disneyland Paris: DR Disney

Sommaire

Edito page 2

Pitié pour led mauvaided herbes: elled ont développé

ded trédord de courage pour survivre

page 3 Tant d'Histoire dans une petite graine page 9 Origine géographique et classification historique page 10

iOCIÉTI

De la Techno à la Techno-logique: verd le meilleur

ded cybermonde**?

page 11

La Techno: mode, contre-culture o u fantasme de sociologue? page 18

D R O I T La pornographie en droit duidde:

led failles du dyd tèrne

page 19

Ce que dit la loi (extraits) page 23 Publiable o u pas? Quelques cas d'école page 26 Psychanalyse d'une BD page 27

Etienne Hofmann: «Peut-on encore croire

led manueld d'hidtoire?»

page 2 8

... de plus en plus de travaux universitaires sont consacrés

à l'étude des manuels d'histoire page 29

Comment Didneyland Parid, première attraction

touristique d'Europe, a échappé à la faillite

page 3 4 D'Euro Disney à Disneyland Paris page 37 Le look Euro Disney page 3 9 Disneyland Paris en quelques chiffres page 41

MÉDECINE

Perdre ded kilod à volonté, l'obdeddion du moment

ou la réalité de demain?

page 42

«Il est facile de faire perdre du poids à des personnes obèses» page 43

IE Q U ' I L S E N P E N S E N "

Laudatine dand la métropole lémanique

page 4 9 Extraits choisis de l'ouvrage «Lausanne entre flux et lieux»,

du professeur Jean-Bernard Racine page 4 9

A C T U S

Biotechnologie: UNIL et EPFL unissent leurs compétences page 52 La biotechnologie: une industrie d'avenir page 5 3 Le pari d e la recherche sur l'œil page 5 4 Abonnez-vous, c'est gratuit page 56

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Edito

C E P A S S É Q U I O R I E N T E E T

D É S O R I E N T E T r o i s sujets de ce

numéro d'été d'«Al- lez savoir! » évoquent les liens que - bon gré mal gré - nous entretenons avec le passé. Il y a, p a r exemple, les mauvai- ses herbes (page 9) qui, grâce à l'analyse attentive de certains botanistes archéolo-

gues, racontent les cultures vieilles de deux millénaires. Mais aussi les ma- nuels d'histoire (page 28), et même la nouvelle mode Techno qui puise abon- damment dans les instruments du passé pour construire des sons et des rythmes futuristes (page 11).

C e s enquêtes montrent que, de diffé- rentes manières, le passé continue à nous habiter et qu'il oriente ou déso- riente notre avenir. Prenez la musique Techno, qui, bien q u e binaire comme les ordinateurs et futuriste comme les dessins de science-fiction que ses adeptes utilisent pour annoncer leurs soirées, recourt encore aux bons vieux disques vinyle et autres tourne-disques d'avant le C D pour produire des sons qui conservent le charme de l'imper- fection.

A ce recyclage constructif et harmo- nieux du passé s'oppose l'apparition spectrale d'une histoire oubliée. O u i vient hanter une époque incertaine, hésitante sur les orientations à prendre.

Ceux qui décortiquent le contenu des manuels d'histoire constatent que nous avons tendance à relire le passé en fonc- tion de nos besoins ou de nos angoisses contemporaines. U n e problématique particulièrement nette en ce qui concerne l'attitude de la Suisse durant la Seconde Guerre mondiale. Pour l'essentiel, la critique à laquelle est soumise le pays est connue depuis

q u e l q u e s a n n é e s (les lecteurs assidus d'«Allez savoir!» se souviendront d'une interview du profes- s e u r H a n s - U l r i c h Jost, parue en juin 1995, dans le numé- ro 2, à l'occasion des cinquante ans de la M o b ) . Cette relec- ture critique du pas- sé a même été transcrite dans de nom- breux manuels d'histoire. Malgré cela, l'opinion publique semble redécouvrir avec virulence certains aspects pro- blématiques du passé. Sans doute parce que, au moment où les relectures cri- tiques de l'histoire étaient publiées, le pays n'était pas suffisamment déstabi- lisé pour que ses certitudes vacillent face à de tels arguments. Le modèle suisse et ce qu'il impliquait (démocra- tie, propreté, bien-être général, plein- emploi, possibilités de carrières, res- pectabilité à l'étranger) restait u n e référence q u e rien ne pouvait ébran- ler. Ses résultats suffisaient à justifier le passé.

Q u e l q u e s années plus tard, après q u e la crise, le chômage et l'auto-mise à l'écart de la communauté européenne sont passés p a r là, le bilan que nous tirons de cette voie indépendante n'est plus le même. Un doute s'est insinué, comme une mauvaise herbe, dans le jar- din bien soigné. Et là, pas besoin d ' a r c h é o l o g u e botaniste p o u r en décrypter la signification: le passé est ce qu'on en fait, et pas ce qu'il fut.

D'ailleurs, sait-on jamais ce qu'il a été?

Et au fond, est-ce bien important, dès lors que les choix concernant l'avenir devraient se faire en fonction de valeurs actuelles?

Joctlyn Roc bat

AL L E Z S A V O I R ! / №8 MAI 97

S C I E N C E S

Pitié pour les

mauvaises herbes:

elles ont développé des trésors

de courage

pour survivre

botanidted ne parlent peu de «mauvaueé herbed», une edpèce de planted qui n 'exiéte pad du point de vue deientifique. Ce terme

dubjectif dédigne en effet tout végétal non dédiredand led cultured. Pour led cber- cheurd, led jouetd-du-vent, dentd-

de-liond et autred boarded àpad- teurd dont ded paddagerd cla n ded tind dynipa th iq ued.

Voyage dand un univerd aiuidipoé­

tique qu 'attachant,

AL L E Z S A V O I R ! / №8 MAI 97

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S C I E N C E S : P i t i é p o u r l e s m a u v a i s e s h e r b e s

O

uand on é-v o q u e les mauvaises herbes, pas besoin d'être botaniste pour sa- voir de quoi il s'agit. Tous les jar- diniers, ceux du dimanche y com- pris, ont une idée très claire, voire m ê m e q u e l q u e s souvenirs agacés à leur propos: qui n'a pas buté contre une vilaine dent- de-lion crampon-

née au petit chemin de terre? O u i ne s'est pas acharné, râteau et sarcloir en mains, sur quelque coriace chiendent, impossible à éradiquer définitivement?

Sans parler du liseron qui s'entête sour- noisement à étouffer les roses. C'est bien connu: les mauvaises herbes sont toujours là où on ne les veut pas. Pire:

elles s'obstinent à revenir.

Difficiles à arracher et difficiles à définir

Si les jardiniers et les agriculteurs ont une idée très pratique de ce qu'est une mauvaise herbe, les botanistes sont plus nuancés, parce que d'un point de vue scientifique, il n'y a pas de «mau- vaise» herbe: «C'est en fait un terme subjectif, dans le sens où il peut s'appli- quer à tout ce qui paraît nuisible. Un grand sapin devant votre fenêtre, qui vous dérange parce qu'il vous obstrue la vue, peut, dans une certaine mesure, être considéré comme une mauvaise herbe», sourit Sibyl Rometsch, assis- tante à l'Institut de botanique de

Sibyl Rometdch, ajoutante à l'Iiutihil de botanique de l'UNIL

Dent-de-lion (pûjenlit)

l ' U N I L . Boutade qui en dit long sur l'arbitraire d'une telle appellation. Le botaniste suisse Alphonse de Candolle (1855) parlait, lui, d'«espèces cultivées involontairement». Le Larousse actuel fait mention de «plantes sauvages dont la croissance rapide nuit aux plantes cultivées». Nuisance, le critère est lâché. Les paysans le savent bien, eux qui voient avec une certaine angoisse

les grandes ta- ches noires des j o u e t s - d u - v e n t e n v a h i r l e u r s c h a m p s . C e t t e graminée, au nom pourtant si poé- tique, devient très haute et finit par taire de l'ombre a u x c é r é a l e s q u ' e l l e s q u a t t e s a n s v e r g o g n e . Du coup, les cé- réales à l'ombre mûrissent moins rapidement que celles qui sont au soleil. Résultat: toute la récolte n'arrive pas à maturation en même temps, ce qui pose des problèmes pour la moisson.

Les piquants du néolithique

Au fond, comme son nom l'indique, la mauvaise herbe est une mal-aimée.

Une indésirable opiniâtre qui n'est pas née de la dernière pluie. Elle serait même suffisamment ancienne pour avoir fait souffrir les tout premiers cul- tivateurs (5000 av. J . - C ) : «Il est assez piquant d'imaginer que l'homme néo- lithique se frottait déjà à l'ortie dioïque et au chardon, qu'il se prenait les pieds dans le liseron, toutes espèces entre autres déjà présentes dans la flore indi- gène», raconte Pierre Hainard, pro- fesseur à l'Institut de botanique de l'UNIL. C'est que les mauvaises herbes sont des opportunistes nées, qui ont su tirer profit du retrait des glaciers, puis des nouveaux espaces mis à nu par les premiers agriculteurs. La plupart d'entre elles, appelées apophytes, sont

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AL L E Z S A V O I R ! / №8 MAI 97

donc des espèces a n c e s t r a l e s qui font p a r t i e d e notre flore indi- gène: le mouron des oiseaux, le lise- ron et le cirse des champs sont des témoins privilégiés des premières cités lacustres.

Les passagers clandestins des cultures

D'autres mau-

vaises herbes sont arrivées plus tard, à l'âge du Bronze et du Fer. Celles que l'on nomme les archéophytes sont en réalité des passagers clandestins:

elles ont accompagné incognito les céréales en provenance du Moyen- O r i e n t et ont colonisé les terres méri- dionales puis celles de l'Europe cen- t r a l e au r y t h m e d e s c o n q u ê t e s romaines. O n croit aujourd'hui qu'elles ont toujours fait partie du paysage: qui oserait expulser bleuets et coquelicots, nielles des blés et pieds-d'alouette?

Autant d'espèces qui sont totalement assimilées.

Une dernière vague a jeté ses racines en Europe, profitant des grands bras- sages liés à la découverte de l'Amé- rique. Verges d'or et queues de renard ont ainsi accompagné la pomme de terre, la tomate et les autres produits importés. Ces néophytes - on les appelle ainsi puisque ce sont les der- nières arrivées - sont particulièrement agressives: comme tout nouveau colon, elles ont conservé leur force conqué- rante intacte.

Pierre Hainard, projeteur à l'Institut de botanique de l'UNIL

L'âme des pionniers

D ' u n e manière générale, les mau- vaises herbes sont en fait des conqué- rantes: elles ont l'âme des pionniers, de ceux qui ouvrent des voies, s'emparent des terres vierges. Parce qu'elles aiment les espaces libres, débarrassés de tout buisson et de toute forêt. Et qu'à force d'expansion, elles ont appris le

Coquelicot et nielle de.i ble'.i

c o u r a g e et la pugnacité. Suffit de se pencher sur leurs noms: dent- de-lion, c h i e n - dent ou rumex (signifie, en latin, pointe de d a r d ) . Autant de termes qui disent leur ténacité, leur côté

«crampon», leur mode de vie para- sitaire et obstiné.

Une ténacité qui est en fait une question de sur- vie. Comme l'explique joliment Pierre Hainard, «les plantes pionnières se cru- rent invitées par les nouvelles surfaces d'agriculture, mais elles ne tardèrent pas à s'apercevoir qu'il y avait malen- tendu; elles devinrent donc, et par nécessité, d'efficaces pique-assiettes.»

Avides de terres en friche, mais aussi- tôt délogées, elles n'ont pas tardé à développer de redoutables stratégies de défense. Entre s'adapter ou mourir, elles ont choisi la première solution.

L'infiltration tactique

Mais dans l'adaptation, il y a plu- sieurs tactiques. Ainsi, certaines ont choisi l'infiltration p a r assimilation et se comportent en véritables naturali- sées par rapport à leurs hôtes: «La nielle des blés qui accompagne les céréales profite du moment où le sol est mis à nu. Elle lève en même temps que la culture, se développe avec elle et arrive à maturité quand les céréales sont fauchées de manière à ce que ses graines partent en même temps»

AL L E Z S A V O I R ! / №8 MAI 97

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S C I E N C E S : P i t i é p o u r l e s m a u v a i s e s h e r b e s

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AL L E Z S A V O I R ! / №8 MAI 97

BourM-à-pajteur

Nielle de.i blé.i

explique Sibyl Ro- metsch. A chaque

céréale sa mauvaise herbe: celles du printemps n'accueilleront pas les mêmes intruses que celles d'automne.

Encore q u e certaines plantes particu- lièrement tenaces, comme les stellaires ou les véroniques, s'accommodent de toutes les saisons.

La résistance souterraine

Pour survivre au motoculteur, cer- taines mauvaises herbes ont développé une autre forme de défense: la résis- tance souterraine. Puisqu être visible est dangereux, autant investir dans l'ombre. Le chiendent est le spécialiste de cette forme de résistance. Pierre Hainard: «Ses rhizomes, à raison de cinquante par touffe, peuvent atteindre deux mètres de long et constituer un réseau de 500 mètres au mètre carré, portant au total 25 000 bourgeons adventices. D a n s ce cas, tout effort de destruction mécanique reviendrait à favoriser la multiplication végétative ! » Dans le même registre, la stellaire, véri-

Seneçon vulgaire

table Gorgone, se propage par ses tiges rampantes à ras du sol qui, à chaque nœud, peuvent repartir et reformer des racines. Autrement dit, la trancher ne contribue qu'à la propager.

Plus redoutable encore, le séneçon vulgaire est un vrai guérillero, armé jusqu'aux pétales, qui ne se rend pas au premier coup de sarcloir: l'arracher, tête et racines, le cisailler, le mettre en miettes ne suffit pas. Si on le laisse au sol, ses boutons arrivent encore à fleurir et à former des graines pour se replanter. Pour s'en débarrasser durablement, il faut véritablement l'expulser du champ et le brûler. Une véritable plaie pour les vignes.

L'opportunisme de choc

D'autres mauvaises herbes, qui ne sont décidément pas à cours d'astuces, ont réussi à développer plu- sieurs stratégies à la fois, ce qui leur

donne une capa- cité d'adaptation encore plus gran- de. Germination p r é c o c e , c r o i s - sance rapide, pé- riode de floraison étendue, autant de parades utili- sées tour à tour en fonction des s i t u a t i o n s . L a bourse-à-pasteur fait partie de ces opportunistes de choc:

«Elle peut fleurir très vite ou devenir très grande et fleurir beaucoup plus tard. Tout dépend des circonstances et du milieu dans lequel elle se trouve, raconte Sibyl Rometsch. Pour survivre, elle se dépêche de faire des fleurs et reste toute petite. Morphologiquement, elle peut donc avoir des aspects très dif- férents.» Le silène vulgaire ou taquet

a lui aussi su changer de com- portement en fonction du lieu.

Il est resté plus léger pour se renouveler plus facile-

ment. Q u a n t à la fine pâquerette, lassée de se faire tondre plusieurs fois par année, elle a étendu sa durée de floraison à toute

l'année. Ce qui expli- que que ses fleurs

Silène vulgaire

AL L E Z S A V O I R ! / №8 MAI 97

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S C I E N C E S : P i t i é p o u r l e s m a u v a i s e s h e r b e s

Coquelicot

soient au ras du sol: il faut fleurir vite, pas le temps de grandir. Pierre Hai- nard: «C'est un phénomène qui a très bien été étudié dans une région d'Alsace et de Lorraine. Les pâque- rettes qui s'étaient adaptées à la tonte étaient beaucoup plus basses que les autres. Cela montre bien qu'il y a une plasticité des plantes.»

Bugle jaune et nielle des blés:

perdus de vue

N empêche que, aussi futées soient- elles, les mauvaises herbes ont quand même été mises à mal dans les années d'expansion de l'agriculture intensive.

Entre 1960 et 1970, bon nombre d'indésirables ont disparu à cause des pesticides, d'un meilleur triage des graines et des engrais, qui ont contri- bué à fortifier certaines espèces au détriment d'autres. Faut-il s'en inquié- ter? Pas outre mesure, d'après Sibyl

Rometsch: «Les mauvaises herbes se protégeront toutes seules. Elles ont été assez fortes pour se maintenir, elles trouveront de nouveaux terrains. Il est vrai que la nielle des blés et le bugle jaune sont en voie de disparition en Suisse. Mais c'est aussi parce q u e ces plantes orientales sont chez nous à la frontière de leur aire de répartition.

Probablement qu'elles ne sont pas très à l'aise ici.»

Les botanistes et les agriculteurs s'accordent aujourd'hui pour recon- naître aux mauvaises herbes une cer- taine fonction, comme celle de proté- ger le sol de l'érosion. Conscience écologique oblige, on regarde au- jourd'hui ces vivaces pionnières un peu moins comme des intruses, et un peu plus comme un élément de la biodi- versité. Sans aller jusqu'à la permissi- vité totale, nombre d'agriculteurs ont mis un frein à leur débauche de pesti- cides. Et puis, certaines mauvaises

herbes ont su nous séduire, avec des noms enchanteurs, comme adonis d'été, miroir de Vénus ou folle-avoine. Elles nous ont même conquis p a r leurs cou- leurs: qui oserait préférer, contre tout bon sens esthétique, une surface agri- cole parfaitement épurée à un champ de blé parsemé de coquelicots et de bleuets?

Q u a n t à ceux q u e les mauvaises herbes irritent définitivement, ils peu- vent toujours se venger intelligemment et faire un sort au rampon, à la dent- de-lion et à l'envahissant épinard sau- vage. Comment? En les mangeant: déli- cieuses en salades et en soupes, ces mauvaises herbes, si rebelles au sar- cloir, n'ont aucune arme contre les dents des gastronomes!

Patricia Brambilla

A AL L E Z S A V O I R ! / №8 MAI 97

T a n t d ' H i s t o i r e

daims u n e p e t i t e GRAINE

Les mauvaises herbes n'ont pas que des défauts. Elles peuvent même être très précieuses, notamment en archéologie:

vieilles pierres et vestiges végétaux font bon ménage. Mieux: ils forment les clés de voûte complémentaires de l'histoire du passé. «Les mauvaises herbes sont les traces visibles, les témoins qui nous aident à comprendre la nature des cultures antiques», explique Karen Lundstrôm-Baudais, paléo-

ethnobotaniste, actuellement en cours d'étude sur le site archéologique de Waldmatte en Valais.

Ce site, destiné à disparaître avec la construction de l'autoroute du Simplon, est justement passé au peigne fin d'une équipe de chercheurs, dont plusieurs archéologues, deux géologues et une botaniste. Histoire de mettre à jour et de comprendre, avant que les pelles mécaniques n'aient tout effacé, une tranche de vie de ces villages de l'époque du Fer (650 av. J.-C. jusqu'à l'époque romaine).

« U n e t r o u v a i l l e exceptionnelle »

Tandis que les archéologues se

penchent sur les pierres, la botaniste du groupe s'intéresse davantage aux petites graines. Que l'on aurait retrouvées par milliers - une trouvaille exceptionnelle - dans des bâtiments surélevés.

L'observation est une

délicate, puisqu'il s'agit dès lors de tamiser des mètres cubes de terre pour tenter ensuite de reconnaître les semen- ces, encore déformées par la carbonisa- tion. Quant aux mauvaises herbes, elles sont aussi de la partie, puisque leurs graines sont inévitablement mélangées à celles des céréales. Le tout est de par- venir à les identifier, par observation microscopique, puis en les comparant avec une collection de référence.

Et que nous disent-elles? Auxiliaires inestimables, les mauvaises herbes, une fois reconnues, permettent de donner

des indications sur la nature du sol: son niveau de fertilité, d'acidité ou d'humi- dité. Et de là, sur la nature des cultures qui y ont séjourné. Plus encore: «Les mauvaises herbes nous renseignent sur les techniques utilisées à une époque donnée et nous permettent de voir le progrès de l'outillage à travers les siè- cles», explique la botaniste.

« D e s indications précieuses »

Par exemple, si l'on retrouve des vestiges de plantes vivaces ou de graminées, c'est le signe que l'on a pratiqué une culture en jachère ou que l'on a utilisé une technique de labour rudimentaire, comme l'araire. Cet ancêtre de la charrue ne fait qu'ouvrir un sillon de terre et dérange assez peu les mauvaises herbes, qui ont tout loisir de fleurir. Avec l'évolu- tion des techniques et l'apparition de la charrue, plus efficace pour retourner la terre, les plantes vivaces ont cédé la pla- ce aux annuelles, comme le chénopode.

On peut encore déduire, grâce aux mauvaises herbes, de quel type de culture il s'agit (printemps, été, automne

ou hiver) et surtout quel type de coupe a été

pratiqué. On sait par exemple que le millet est généralement étêté. Mais sur le site de Waldmatte, les mauvaises herbes retrouvées, plutôt basses, indiquent que le millet a été coupé près de la base, encore vert. Que faut-il en conclure?

Que la céréale était stockée, encore vêtue de sa balle, et mise à mûrir dans une grange? Qu'il s'agissait là d'une mauvaise saison avec des pluies précoces? Ou que les paysans ont essayé de faire plusieurs récoltes en une seule année? Autant de questions qui, pour l'heure, ne sont pas résolues, et qui font basculer l'analyse dans le champ de l'interprétation.

« A v a n t l'arrivée des pesticides »

Toujours est-il que pour arriver à ces observations, il est indispensable d'avoir une bonne connaissance des techniques primaires. Lesquelles disparaissent aujourd'hui à grande vitesse. On trouve encore, en Vendée et au Népal, un savoir-faire agricole primitif, une même manière de transformer le millet, de le faucher puis de danser sur la céréale pour en faire exploser la balle. Ces coutumes servent de points de référence aux chercheurs d'aujourd'hui et nous permettent de comprendre les décou- vertes archéologiques. Des ponts pré- cieux avec nos racines, à l'heure où les pesticides, chassant la mauvaise herbe, non seulement modifient l'écosystème mais coupent radicalement les liens avec les archéologues du futur.

AL L E Z S A V O I R ! / №8 MAI 97

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S C I E N C E S : P i t i é p o u r l e s m a u v a i s e s h e r b e s

L E S M A U V A I S E S H E R B E S :

O R I G I N E GÉOGRAPHIQUE E T C L A S S I F I C A T I O N H I S T O R I Q U E (par Sibyl Rometsch, 1 9 9 6 )

E s p è c e s O r i g i n e

g é o g r a p h i q u e 1 e a p p a r i t i o n e n E u r o p e

c e n t r a l e

E x t e n s i o n m a x i m a l e e n E u r o p e c e n t r a l e

C l a s s i f i c a t i o n h i s t o r i q u e

L e m o u r o n d e s o i s e a u x

Stellaria média

p r o b a b l . M é d i t . a v a n t l e s g l a c i a t i o n s

d e v e n u c o s m o p o l i t e

a p o p h y t e L e b l e u e t

Centaurea cyaniut m o y e n â g e

L e r a d i s r a v e n e l l e

Rapbanus rapbanistrum.

L a p e n s é e d e s c h a m p s

Viola arveruù)

n é o l i t h i q u e a p r è s 1 5 0 0 L ' a l c h é m i l l e d e s c h a m p s

Apbanes arveiuià

M é d i t . a r c h é o p h y t e

L e c o q u e l i c o t

Papaver rhoeaà

Le m i r o i r d e V é n u s

Legoiuia speculum-venerL)

a p r è s 1 7 0 0 L ' o r l a y a

Orlaya grandiflora

é p o q u e r o m a i n e L a r e n o n c u l e d e s c h a m p s

Ranuncaluj arvendià

L e c i r s e d e s c h a m p s

Cirdium arvense

a v a n t l e s g l a c i a t i o n s

d e v e n u c o s m o p o l i t e

a p o p h y t e L e s i l è n e v u l g a i r e

Silène vulgarià

E u r a s i a t . n é o l o t h i q u e L a d a u p h i n e l l e

Delpbinuun consolida

é p o q u e d u B r o n z e

a p r è s 1 7 0 0 a r c h é o p h y t e L e j o u e t - d u - v e n t

Apera jpica-venti

é p o q u e d u F e r Le l i s e r o n d e s c h a m p s

Convolvului arvendià

S . - E u r . / O . - A s i a t . a v a n t l e s g l a c i a t i o n s

d e v e n u c o s m o p o l i t e

a p o p h y t e L a nielle d e s b l é s

Agrodteinina gitbago

E . - M é d i t .

n é o l i t h i q u e

m o y e n â g e

a r c h é o p h y t e L a f o l l e - a v o i n e

Avena fatua

M é d i t . / O . - A s i a t . é p o q u e d u F e r L ' a d o n i s d ' é t é

Adonis aejtivalis

E u r a s i a t . / S . - E u r . 1 5 0 0 - 1 7 0 0 a p r è s 1 7 0 0 n é o p h y t e L e c h é n o p o d e b l a n c

Cbenopodium album

L e g a i l l e t g r a t t e r o n

Galium aparine E u r o p e c e n t r a l e a p o p h y t e

L e m y o s o t i s d e s c h a m p s

Myosotu a/ve/uù

a p o p h y t e

L e r u m e x à feuilles o b t u s e s

Rumex obtusifolius

L a v e r g e r e t t e d u C a n a d a

Conypa canadeiwis

1 5 0 0 - 1 7 0 0

A p t

n é o p h y t e

W X

L ' a m a r a n t e r é f l é c h i e

Amarantbiu retroflexus

A m é r i q u e N

a p r è s 1 7 0 0

A p t

n é o p h y t e

W X

Le g a l i n s o g a cilié

Galinsoga ciliata

Le s o l i d a g e d u C a n a d a

Splidago canadensui

a p r è s 1 7 0 0

7 1 /1?

a p r è s 1 7 0 0

A p t

n é o p h y t e

W X

AL L E Z S A V O I R ! / №8 MAI 9

7

S O C I E T E

De la Techno à la

% Techno-logique:

vers le meilleur des cybermondes?^

T - ê

I

/ c i

Tecbno, iv»//,' connaûjez: extajej branchées ou

boum-boum et compagnie, c'ejtjelon.

Vouj

voyagez par le Web

ou

v o u j

jongez à apprivoiser une jourij d'ordinateur avant

de

v o u j

faire traiter d'Archéoptéryx. Le mot technologie

v o u j

arrache un jour ire béat ou un cri d'horreur: tech-

nophile ou technophobe, bienvenue daiu la cyberculture!

(8)

S O C I É T É : D e l a T e c h n o à l a T e c h n o -1 o g i q u e

D

rogue, transe, tribu, délire nar- cissique, déviance, danger. Cette imagerie simpliste du mouvement Techno, largement médiatisée, n'a guè- re évolué malgré la déferlante de popu- larité qui a récemment transformé ce courant marginal en phénomène de mas- se. Nombre d'égarés ignorent encore qu'une rave est une grande party où offi- cient des D J ' s (Dise-Jockeys) chargés de mixer, soit d'enchaîner des disques, en modifiant leur son sur une table de mixage. Paradoxalement, de la promo- tion de ces soirées par de multiples spon- sors alléchés au lancement d'une

«Techno-parade» d'appareils électro- ménagers, en passant par le remixage de la «Messe pour le temps présent» qui a consacré Pierre Henry, septuagénaire inventeur de la musique concrète, au rang des «pères spirituels» du mouve- ment, l'air du temps porte indiscuta- blement la griffe Techno. Récupération classique d'une mode - et alors?

La face cachée de la planète Techno

Et alors, la face cachée de la planète Techno est criblée de contre-vérités autrement moins candides, comme le démontre la recherche fouillée de Renaud Meichtry, David Rossé et J o ë l Vacheron, étudiants de troisième année en Sciences sociales, à la Faculté des sciences sociales et politiques de l'Université de Lausanne. Fraîchement publiée (*), elle a été menée dans le cadre d'un séminaire d'anthropologie traitant de l'influence des nouvelles technologies d'information et de com- munication sur les liens sociaux, dirigé par le professeur Gérald Berthoud.

David Rossé fréquentait les rave parties en habitué, Joël Vacheron occa- sionnellement, Renaud Meichtry pas du tout. Les deux pistes centrales qu'ils ont choisi de creuser: «l'importance de l'imaginaire futuriste lié à la Techno et

la différence de discours entre ceux que l'on pourrait appeler les «producteurs»

( l e a d e r s d u m o u v e m e n t ) et les

«consommateurs» (ravers)», les ont conduits tout droit au décryptage d'une notion fourre-tout dont se réclame le mouvement: la cyberculture .

AL L E Z S A V O I R ! / №8 MAI 97

(*) «Le rythme comme médiation - Mouvement Techno et nouvelle,) technologies», Renaud Meichtry, David Rossé, Joël Vacheron, 1997.

Collection Pratique,) et théories des sciences et des techniques, Institut d'anthropologie et de

'oloqie de l'Université'de Latu

socwlOi/ie uinne.

La Techno a un fort ancrage dans le passé

A première vue, quoi de plus futu- riste que la Techno? L'iconographie recherchée des flyers, ces papillons annonçant les soirées, donne le ton d'une symbolique où se côtoient Inter- net, robots et voyages sidéraux. Effet science-fiction garanti dès l'immersion dans une party : flots continus de sono- rités d'apparence purement électro- nique, parfois soutenues d'images de synthèse, décor, jeux d'éclairages et de fumigènes, t e n u e s e x t r a v a g a n t e s , s'accordent à créer l'atmosphère propice à l'exaltation des sens...

Et pourtant: «La Techno, bien qu'étant perçue par le grand public comme novatrice, a un fort ancrage dans le passé.» Surpris de découvrir «un aspect presque caché d'une musique qui se veut «révolutionnaire», les trois cher- cheurs ont constaté que D J ' s et com-

positeurs, à l'exception des quelques créateurs avant-gardistes du mouve- ment, utilisent un matériel analogique

«vétusté» en regard des possibilités réel- lement novatrices offertes par le son numérique et la médiation électronique.

Ainsi, dans les soirées, le C D n'est pas près de détrôner le bon vieux disque vinyle: outre «l'avantage d'avoir une réalité physique palpable», selon un D J interrogé, sa mauvaise qualité sonore permettrait d'en tirer des sons «plus riches», qui ont les faveurs du public.

De même, les vénérables synthétiseurs sont plébiscités par les producteurs de disques: plus accessibles, plus sponta- nés, offrant un résultat immédiat, ils assureraient cette «connotation sen- suelle» indispensable à toute musique...

L'important, c'est la référence

L'important, c'est la référence à la technologie. Omniprésente dans le

AL L E Z S A V O I R ! / №8 MAI 97

1 3

(9)

S O C I É T É : • e l a T e c h n o à l a T e c h n o -1 o g i q u e

• B11

Soirée dance, au MAD, à Lausanne

décor Techno, mêlant le préfixe cyber à toutes les sauces branchées, elle impo- sait un retour aux sources de la nébu- leuse cyberculture, fille de la cyberné- tique, elle-même issue des recherches de N o r b e r t Wiener, à la fin des années 40. Scientifique doublé d'un utopiste, Wiener cherchait d'abord à unifier dans un langage commun les diffé- rentes théories ayant trait aux phéno- mènes de communication. Il rêvait aussi de lutter contre «l'irrationalité foncière de l'homme» en confiant le sort de la planète à des machines intelli- gentes, p a r le biais de réseaux infor- matiques mondiaux...

Longtemps reléguées aux auteurs de science-fiction, dont le physicien Isaac Asimov et ses fameux «Robots», les théories de Wiener et le préfixe cyber ont retrouvé une jeunesse avec l'émer- gence de la micro-informatique, dans les années 70, avant d'acquérir auprès des technophiles convaincus une aura

«messianique et divinatoire» légitimée par l'invention des réalités virtuelles, intelligences artificielles et autres explo- sions des réseaux de communication.

Une vision fataliste

Dépouillée au passage de l'aspect d ' i n d é t e r m i n a t i o n q u e r e c o u v r a i t l'œuvre de Wiener, l'ère nouvelle de la cyberculture va de pair avec une vision fataliste, centrée sur l'avènement immi- nent d'un futur historique déterminé par la technologie. «Ainsi, toute l'hétérogé- néité de l'évolution technologique et les conséquences qu'elle peut avoir sur la société semblent être réduites inévita- blement à la logique propre à la cyber- culture. Cette généralisation a comme principale conséquence le progressif abandon d'une réflexion critique quant aux modifications économiques et sociales qu'engendre la progression technologique.»

1 4

AL L E Z S A V O I R ! / №8 MAI 97

Les chercheurs relèvent un proces- sus similaire autour des thèses de Mar- shall McLuhan, concepteur du «village global», pour qui «les sociétés humaines seraient directement modelées, sur le plan culturel, intellectuel et social, par les grandes techniques qu'ont été suc- cessivement l'écriture, l'imprimerie, puis les medias de masse».

Vers la cyberdémocratie

Technologie, mondialisation, «rap- prochement des peuples» sous l'égide de la musique - et de la révolution infor- matique menant à la«cyberdémocratie»

chère à Bill Gates, le P D G de Micro- soft: l'amalgame est facile, le pas vite franchi. Du moins par les maîtres-pen- seurs du mouvement Techno: issus de l'idéologie contestataire des années 70 - tel l'ex-hippie Timothy Leary, qui avait promis de mourir en direct sur le réseau Internet - ceux-ci assurent la promotion de la cyberculture auprès d'un public qu'ils estiment possesseur d'«un potentiel révolutionnaire qui ne demande qu'à exploser».

Entre eux et la «base», un fossé.

La vision naïve de la grande masse des ravers est vide de toute la substance intellectuelle du message

«d'une humanité unie en accord avec la moder- nité». Si l'engouement p o u r l ' i m a g i n a i r e technologique semble attirer, de façon in- consciente, toujours davantage d'adeptes, c'est d ' a b o r d p o u r d a n s e r , s'éclater, vibrer d'un plaisir p u r e m e n t individualiste qu'on se rend aux parties.

La «sous-culture du samedi soir»

Q u e l q u e s r é f é r e n c e s édulcorées a u x années 70 maintenues par la «sous-cul- ture du samedi soir»: le mot

«Unity» accolé au «Peace and Love» des hippies, un style

vestimentaire ou musical évoquant le psychédélisme, ne font que masquer une notion floue, idéalisée et sécuri- sante de la modernité: «Tout porte à croire qu'il faut donner aux parties l'apparence d'une soirée du troisième millénaire, pour que chacun se sente entouré véritablement de la technolo- gie dont, dans la quotidienneté, il ne fait qu'entendre parler.»

En effet, seule u n e faible minorité de citoyens dispose des moyens intel- lectuels et financiers d'accès aux nou- velles technologies: la sensation illu- soire d'y être enfin intégré, à défaut de les maîtriser, expliquerait en partie le succès du mouvement Techno, véri- table «culture de substitution où s'en- gouffre une jeunesse qui s'effraie de ne plus pouvoir suivre les progrès fulgu- rants de la recherche technologique».

En fin d'analyse, si l'on juxtapose une musique du futur composée avec des instruments dépassés, quelques bribes de théories scientifiques au goût de cyber, une vision sociale héritée de mouvements contestataires qui ont

oublié leurs revendications en route, une pointe de mysti-

cisme orientalisant et jusqu'à ecstasy, «la» drogue bran- chée, qui date de 1913, q u e reste-t-il de l'imaginaire Techno diffusé par ses théo- riciens-producteurs à des consommateurs tenus de sui- vre, à défaut de tenir les com- mandes? U n «phénomène généralisé de récupération».

Des fins mercantiles

«Strange Days)) 20th Century Fox

En fabriquant des simulations du réel cautionnées p a r la science p o u r les prescrire en modè- les d'un futur déter- miné p a r la seule avancée technologi- que, la cyberculture suit le droit fil de l'«ordre culturel dominant» qui pro- meut la toute-puissance tech-

AL L E Z S A V O I R ! / №8 MAI 97

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S O C I É T É : D e l a T e c h n o à l a T e c h n o -1 o g i q u e

Professeur Gerald Berthoud La cyberculture promeut

la toute-puissance technologique

nologique à des fins mercantiles. Pour Renaud Meichtry, David Rossé et Joël Vacheron, tel est bien «l'aspect le plus pernicieux du mouvement: sa collabo- ration insoupçonnée à la logique éco- nomique».

Technophiles ou technophobes, le débat est ouvert... et s'inscrit parfaite- ment dans les objectifs du séminaire d'initiation à la recherche dirigé par Gérald Berthoud, pour qui la relation homme-machine pose désormais un questionnement social fondamental.

«L'ordinateur et le réseau ont généré une machine transversale, soit utili- sable dans quasi tous les domaines de la vie individuelle et publique. Face à la nouvelle forme de lien social créée par le réseau technique, que va deve- nir la relation face à face, sans doute constitutive de l'humanité?»

La «révolution du savoir partagé»

Le première période du séminaire, avant l'investigation concrète sur le ter- rain des applications technologiques, consiste donc, pour Gérald Berthoud et ses étudiants, à passer au crible de l'analyse critique divers thèmes liés à la communauté et à la démocratie vir- tuelles. En effet, si l'«affaire» Dolly, célébrissime brebis clonée, démontre que la biotechnologie engendre autant de craintes que de considérations éthiques, au niveau des nouvelles tech- nologies, par contre, l'euphorie semble régner...

«Un vocabulaire quasi religieux encense la «révolution du savoir par- tagé», alors que les usagers d'Internet sont peut-être 15% aux Etats-Unis, 5%

en Europe et 0,0001% en Afrique... Le danger serait de verser dans le déter- minisme technique. L Occident a inté-

1 6

A L L E Z S A V O I H ! / №8 M A I 97

gré l'idée du développement des sciences et des techniques innovatrices comme agent de changement. En fait, ce développement est lui-même en bonne partie déterminé par des valeurs et des facteurs économiques.»

De nouvelles fractures sociales vont apparaître

Le lendemain meilleur chanté par les cybernéticiens est-il donc si terrifiant?

«Les voitures, aujourd'hui program- mées pour choisir un itinéraire, feront demain de leurs conducteurs des pas- sagers au volant. De même, la domo- tique nous rendra spectateurs dans notre propre maison. Une logique sem- blable se dégage des aspects pratiques et confortables de toutes ces applica- tions: pour que tout fonctionne auto- matiquement, avec un maximum de sécurité, il faut déposséder l'être humain de ses initiatives. Pour le libé- rer et lui permettre d'accomplir des choses intelligentes, diront ses parti- sans... Mais personne n'exprime aussi clairement une perspective aussi effrayante qu'intéressante!»

De l'emploi du portable à la culture hors-sol réglée par ordinateur, nul doute que les nouvelles applications technologiques nous libèrent de nom- breux gestes routiniers. Et après?...

«De même que les caissières ne sont plus que des bras en mouvement depuis l'introduction d'un système quasiment automatique dans les grandes surfaces, nombre de bras s'avéreront bientôt inutiles et trop coûteux. Q u e va-t-on faire des nombreuses personnes sans formation, qui ne se mueront pas toutes en créateurs de logiciels? Loin de se réduire, de nouvelles fractures sociales vont apparaître...» Là se situe pour Gérald Berthoud l'enjeu et l'intérêt de son enseignement: «Déboucher sur l'interrogation radicale d'une société qui se trouve devant des problèmes gigantesques et continue de fonction- ner comme si ces transformations n'existaient pas!»

Alexandre Rih<

(11)

S O C I É T É : D e l a T e c h n o à l a T e c h n o -1 o g i q u e

La Techno :

M o d e ou contre-culture, la Techno? Bien qu'il penche pour la première hypothèse, Jean- Yves Pidoux, professeur assis­

tant à l'Institut de sociologie des communications de masse de la Faculté des sciences sociales et politiques de Lausanne, ne l'assimile pas à la simple appa­

rence d'un phénomène.

L

a mode, y compris et surtout éphémère, est sociologique- ment importante. Elle ne témoigne pas seulement d'une décision de porter une chemise à fleurs ou un sac poubelle sur la tête, mais d'une revendication d'iden- tité singulière, et plus spécifiquement collective.»

Les ravers parlent peu

Bien que la question de l'identité du mouvement Techno ressorte peu de la vingtaine de mémoires d'étudiants qu'il encadre, l'un d'eux, qui portait sur l'affirmation identitaire par le langage, l'a cependant frappé: «Non seulement les ravers interrogés n'avaient pas de discours sur la question, mais ils par- laient très peu. Ça te plaît? «Ouais, c'est cool.» Pourquoi? «C'est cool.» Sous ces réponses laconiques pointe une sorte de lucidité: la rave est perçue comme un divertissement du samedi soir où l'on

s'abrutit un peu à coups de décibels, sans la moindre illusion. Il y a davan- tage de tristesse que de jubilation dans ce rapport à la fête.»

Le «No Future»

est devenu réalité

Le «No Future» est passé par là. «Les hippies étaient franchement idéalistes, les punks ont idéalisé leur mouvement anti-idéaliste: les raisons d'espérer ne manquaient pas dans ces années 60 et 70, économiquement et cuiturellement abondantes. Aujourd'hui, les jeunes savent que leur statut collectif a beau- coup changé et qu'en terme d'avenir professionnel, le «No Future» est devenu réalité. Un autre facteur diffé-

rencie

le mouvement Techno de ses pré- décesseurs: la classe sociale et le niveau de formation. Son ampleur récente pourrait lui amener un public plus diversifié, mais il attire bien davantage des jeunes peu ou pas formés profes- sionnellement que des étudiants.»

Ces différences n'ont pas empêché les références aux années 70 de s'intégrer à la Techno, témoin la relative popula- rité du «goa», sous-genre musical orien- tahsant. Pour Jean-Yves Pidoux, cette récupération tient à la lois du pillage, de la démarcation et de la déférence, trois attitudes caractéristiques des rap- ports variables entretenus par des géné- rations d'étudiants avec ces mouve- ments anciens. «La crainte de l'avenir a succédé à l'illusion d'un avenir glo- rieux. Malgré les moqueries sur la can-

m o d e ,

c o n t r e - c u l t u r e o u f a n t a s m e d e s o c i o l o g u e ? 4

'Il y a davantage de tristesse que de jubilation

dans ce rapport à la fête»

deur des générations précédentes, il ne reste peut-être qu'une seule nostalgie possible: celle des moments pendant les- quels l'avenir n'était pas effrayant.»

Un fantasme de sociologue

Reste à comprendre d'autres réfé- rences, plus obscures et souvent acco- lées au mouvement: «rituels de passage»,

«tribu» Techno... De quoi faire bondir Jean-Yves Pidoux: «On peut voir des rites d'initiation partout, même dans la maturité fédérale. Il est commode de ranger dans cette catégorie les épreuves individuelles et sociales qu il s'agit effec- tivement de surmonter. A-t-on pour autant dit quelque chose de riche?

La notion de tribu est nettement plus intéressante: voilà un vrai fantasme de sociologue en quête de lien social! Nous sommes dans 1ère des tribus. Celle des usagers du Minitel, puis du réseau Inter- net, puis de la Techno ou de n'importe quel pseudo-collectif. Or, s'il est vrai qu'un lien social s'établit par le biais d'Internet, celui-ci reste secondaire, alors que la tribu renvoie au lien social primaire, concret, immédiat. Elle se définit par la réunion dans un même lieu d'un petit groupe, refermé sur lui-même, de personnes qui ont une identité col- lective et se disent membres de cette tribu. La totalité de leur existence se définit ainsi comme appartenant à la col- lectivité. Quel usager du Net, même en y passant dix heures par jour, pourrait en dire autant?»

A.R.

A L L E Z S A V O I R ! / №8 M A I 97

D R O I T

La pornographie en droit suisse:

J^/a dexualité et ded manifedtationd par- fold trèd violented font plud que jamald led

grandd titred de l'actualité. Viol, pedopbi­

lie, incedte, rédeau de pornographie dont devenue en quelqued moid le pain quotidien,

tristement indigedte, de l'information.

1 9

(12)

D R O I T : L a p o r n o g r a p h i e e n d r o i t s u i s s e : l e s f a i l l e s d u s y s t è m e

L

es débats sur la censure et sur la peine de mort rebourgeonnent dans les cafés et jusque dans les ministères.

La charge émotionnelle véhi- culée par l'affaire D u t r o u x - et toutes les autres qui sem- blent soudain innombrables - est si forte qu'elle semble avoir donné un coup d'accé- lérateur à l'histoire. U n e norme sociale - invisible mais unanimement reconnue - a été violée, ouvrant une nouvelle ère de chasse aux sorcières. Dès lors, des films p r é t e n d u s scandaleux comme «Basic Instinct» ou «Harcèle- ment» sont relégués au second plan.

La limite du tolerable, en reculant, a fait progresser celle du toléré. C'est à la justice, seul garde-fou, qu'incombe la tâche difficile à la fois de sévir et de laisser faire.

«En Suisse, la loi a tenté de s'adap- ter, explique J e a n - C h r i s t o p h e Calmes,

Ces dessins sont tirés du Kama Sutra.

La valeur culturelle de la représentation les exclut d'office du qualificatif

de pornographie.

On lui préfère celui d'érotisme

avocat aux barreaux de Vaud et de Genève, qui vient de dé-

fendre à l'Université de Lau- sanne une thèse intitulée «La

Pornographie et les représen- tations de la violence en droit pénal: étude des articles 197 et 135 du Code pénal suisse».

«Mais, poursuit-il, ces deux nouveaux chapitres de loi (entrés en vigueur en 1992) n'ont pas écarté tous les pro- blèmes, loin de là.»

Qu'est-ce que la pornographie aujourd'hui? Dans quel cas est-elle punissable? Quelles sont les failles laissées dans la loi? Les réponses sont souvent d'une incroyable complexité et J e a n - C h r i s t o p h e Calmes n'hésite pas à recourir d'entrée à la définition de l'humoriste Pierre Desproges pour détendre l'atmosphère: «La porno- graphie est un domaine où le droit et la morale se chevauchent comme des bêtes».

Sharon Stone, dans 'Basic Instinct» Demi Moore, danj 'Proposition indécente»

Y

Des bizarreries pénales

Cet accouplement engendre parfois des bizarreries pénales. Citons-en trois:

un film présente des images d'un viol réalisé réellement sur une jeune femme. En Suisse, le film risque fort d'être interdit. Mais le facteur a priori aggravant de la réalité du viol n'est pas pris en considération par la loi. Celle- ci ne condamne que le fait de repré- senter cette violence. «Autrement dit, sera puni le plus souvent celui qui aura montré le film et non son auteur», sou- ligne l'avocat.

Autre exemple, relatif cette fois à la pédophilie. L'art. 197 ch.3 du Code pénal (CP) donne une liste «exhausti- ve» (lire encadré p. 23) de ce que l'on a appelé la pornographie «dure», tota- lement interdite en Suisse, liste qui mentionne notamment les enfants.

Cependant, le texte de loi n'est pas

20

A L L E Z S A V O I R ! / №8 M A I 97

Jean-Christophe Calmes,

auteur d'une thèse à l'UNIL sur la pornographie en droit suisse

clair: que signifie en effet «des actes d'ordre sexuel avec des enfants»?, demande J e a n - C h r i s t o p h e Calmes.

Parle-t-on d'enfants réels seulement?

En l'absence de précision, l'auteur de la thèse conclut que oui. Ce qui signi- fie que des enfants fictifs, mis en scène dans une bande dessinée (comme cer- tains mangas par exemple, lire l'inter- view p . 27), un roman ou un film de fiction ne tombent pas sous le coup de cette loi...

Imaginons enfin un cou- ple qui fait l'amour et qui filme tous ses ébats. Peu après, pris d'un accès de folie, l'un des conjoints tue l'autre à coups de couteau.

Si ce film devait être diffusé la première scène ne p o u r r a i t être montrée au g r a n d public alors que l'acte a m o u r e u x est autorisé - cependant que les images du meurtre ne devraient pas poser de problème,

bien qu'il soit en principe interdit de tuer.

Comment expliquer ce décalage dans l'esprit de la loi entre la réalité et la représentation de la réalité?

«C'est que le Code pénal, aux art. 135 C P et 197 CP, vise un type d'infrac- tions particulières, explique J e a n - Christophe Calmes: il ne s'agit pas

d'une atteinte' physique à autrui, mais d'une atteinte à ses sens. Ce

qui est en cause est donc de montrer ce qu'il est interdit

de montrer.»

Faire et montrer:

une vieille histoire

Le paradoxe entre l'acte et sa représentation est une vieille histoire. D a n s son «Traité des devoirs», Cicéron écrivait déjà: «Voler, tromper, être adultère, voilà des actes honteux, mais les mots qui les dési-

gnent rie sont pas obscènes; l'acte d'engendrer n'a rien de honteux, mais c'est obscène de l'appeler par son nom.»

De même, dans un manuel de bonne conduite du X V I I Ie siècle, le socio- logue allemand N o r b e r t Elias relève notamment cette phrase: «Lorsque l'on veut uriner, il faut toujours se retirer en quelque lieu écarté: et quelques autres besoins naturels qu'on puisse avoir, il est de bienséance de ne les faire que dans des lieux où l'on ne puisse être aperçu.» Le sociologue en déduit que si l'on a pris le soin de les écrire, c est que l'habitude n'allait pas de soi avant.

Il constate en même temps que ce type d'interdits s'inscrit dans le long pro- cessus de civilisation de l'Occident, terme qu'il définit essentiellement par l'intériorisation progressive des pul- sions sexuelles et violentes.

«Si toutes les sociétés et de tout temps rejettent certains comporte- m e n t s , explique J e a n - C h r i s t o p h e Calmes, l'incrimination des «publica- tions obscènes» ou pour «outrage à la pudeur» par des infractions spéciales ne date que du X I Xe siècle. Pourtant, un siècle plus tôt, les marquis de Sade et autres comte de Mirabeau commet- taient allègrement des mètres de litté- ratures immorales sans engendrer de textes de lois. Tout juste se contentait- on de les embastiller de temps en temps.

Un poison,

source de tous les crimes

Au X I Xe siècle, le problème est ailleurs. «Le danger ressenti par les autorités n'est pas tant la littérature immorale en soi que la possibilité de sa multiplication à grande échelle, grâce aux progrès techniques», soutient J e a n - C h r i s t o p h e Calmes. De ce fait, l'obscénité n'était plus réservée à une élite réduite - mal vue certes, mais inof- fensive - mais devenait un produit com- mercial de masse. La censure se fit

A L L E Z S A V O I R ! / №8 M A I 97

2 1

(13)

D R O I T : L a p o r n o g r a p h i e e n d r o i t s u i s s e : l e s f a i l l e s d u s y s t è m e

Melanie Griffith ^ dans 'Dangereuse sous tous rapports»

alors plus virulente. Ainsi, en 1891, lors d'une conférence intercantonale sur la littérature immorale, le r a p p o r t e u r M a x Porret AFFIRME qu'elle est une

«cause importante des crimes et tra- vaille à la chute des peuples».

Peu à peu, les autorités conçoivent la littérature immorale comme un véri- table poison social qui, «par l'industrie de commerçants habiles s'insinue dans chaque maison, dans chaque famille, et corrompt les imaginations et les

«L'obscénité est contraire à la civilisation»

Le problème dépasse bientôt les frontiè-

res. Réunies en 1923, les nations européennes, Suis- se comprise, jugent

«l'obscénité» bien plus dangereuse que la guerre et signent une

«Convention internationale sur la répression de la circulation et du trafic des publications obscènes». O n condamne alors surtout son commerce, jugeant que «le distributeur n'attend pas de son crime la satisfaction de ses propres sens MAIS un bénéfice».

En arrière-plan, une idée essentielle influence le législateur d'alors: la décence sexuelle est considérée comme une valeur fondamentale de la société occidentale, qui la distingue des peuples «primitifs». L'obscénité est pré- sentée comme contraire à la civilisation.

La société développe alors une vision de plus en plus darwiniste d'elle-même, vision qui n'est pas sans rappeler celle du I I Ie Reich. En 1929, lors de débats parlementaires concernant l'obscénité, l'on peut lire: «[...] Nous luttons contre les déviations de l'idée de conservation de la race, idée altruiste et indispen- sable à la conservation de l'espèce.»

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A L L E Z S A V O I R ! / №8 M A I 97

«L'obscénité est contraire à la santé individuelle»

De nos jours, la sexualité semble perçue - à certains égards - de manière plus libérale. Il n'est que de rappeler le célèbre procès intenté au siècle passé à Gustave Flaubert pour mesurer le pas franchi depuis. L'écrivain français avait alors été épingle par le censeur impé- rial pour ce passage de «Madame Bovary», jugé comme le comble de l'indécence: «Quand elle s'asseyait sur ses genoux, sa jambe, alors trop courte, pendait en l'air, et la mignarde chaus- sure qui n'avait pas de quartier, tenait seulement par les orteils à son pied nu. »

«Avec de tels critères, la S S R serait aujourd'hui considérée comme une c h a î n e v é r i t a b l e m e n t p o r n o g r a - phique», écrit, amusé, J e a n - C h r i s - tophe Calmes, qui en conclut que l'évo- lution sociale constante rend vaine une approche de la loi par une énuméra- tion descriptive de ce qui est ou non pornographique, du type: «Est porno- graphique la représentation des parties génitales, des fesses en contre-plongée, des poils; n'est pas pornographique la représentation des seins, du nombril, du baiser, e t c . . »

Il y a «pornographie» et

«pornographie»

Pour contourner le problème, les nouveaux articles de loi (135 et 197 CP) partent d'une définition en néga- tion. La pornographie n'est plus défi- nie en soi, en même temps qu'on n'invoque plus la décence po l'interdire. Une manière pou le législateur de réduire le décalage entre les compor- tements sexuels de notre époque et les dispositions pénales du début du siècle.

Les personnes - âgées de plus de 16 ans et averties - ont aujourd'hui le droit d'assis

A r t . 1 3 5 :

e q u e dît l a l o i ( e x t r a i t s )

R E P R É S E N T A T I O N D E L A V I O L E N C E

Celui qui aura fabriqué, importé ou pris en dépôt, mis en circulation, promu, exposé, offert, montré, rendu accessibles ou mis à disposition des enregistrements sonores ou visuels, des images, d'autres objets ou des représentations qui illus- trent avec insistance des actes de cruauté envers les êtres humains ou des animaux portant gravement atteinte à la dignité humaine, sans présenter aucune valeur d'ordre cul- turel ou scientifique digne de protection, sera puni d'empri- sonnement ou d'amende. (...)

A r t . 1 9 7

P O R N O G R A P H I E

1. Celui qui aura offert, montré, rendu accessibles à une per- sonne de moins de 16 ans ou mis à sa disposition des écrits, enregistrements sonores ou visuels, images ou autres objets pornographiques ou des représentations porno- graphiques, ou les aura diffusés à la radio ou à la télévi- sion, sera puni de l'emprisonnement ou de l'amende.

2. Celui qui aura exposé ou montré en public des objets ou des représentations visés au chiffre 1 ou les aura offerts à une personne qui n'en voulait pas, sera puni de l'amende.

3. Celui qui aura fabriqué, importé, pris en dépôt, mis en circulation, promu, exposé, offert, montré, rendu acces- sibles ou mis à la disposition des objets ou des représen- tations visés au chiffre 1, ayant comme contenu des actes

d'ordre sexuel avec des enfants, des animaux, des excré- ments humains ou comprenant des actes de violence,

sera puni de l'emprisonnement ou de l'amende. (...) 5. Les objets ou représentations visés aux chiffres 1 et 3 ne seront pas considérés comme pornogra- phiques lorsqu'ils auront une valeur culturelle ou scientifique.

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