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"Radio Point de vente collectif n 8"

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Academic year: 2022

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Radio Point de vente collectif n°8/ Trame – Projet Circuits Courts / 22 juin 2020 1

"Radio Point de vente collectif n°8"

Lundi 22 juin 2020 de 13 h 30 à 14 h 30

« Des relations saines pour un collectif fort » Compte-rendu

Accueil

Thierry Pons : Bonjour et bienvenue à la radio Point de Vente Collectif. Cette radio est une conférence téléphonique organisée par l’association de développement agricole nationale : Trame. Je suis Thierry Pons, membre de l’équipe projet Circuits courts de Trame, et je vais animer cette radio aujourd’hui. Vous êtes agriculteurs, salariés engagés dans des points de vente collectifs ou porteurs de projets, ou agents de développement accompagnant ce type de projet, cette radio s’adresse à vous. L’objectif est de vous permettre d’approfondir vos connaissances depuis chez vous ou sur votre lieu de travail sur une thématique précise en lien avec les magasins de producteurs. Cette conférence va durer une heure.

Le sujet

Thierry Pons : Le thème que nous allons traiter est celui des relations interpersonnelles au sein des collectifs de magasins de producteurs.

Nous allons écouter le témoignage de deux agriculteurs qui participent à des points de vente collectifs, et Jean-Louis Perrod, coach et conseiller en management, réagira pour nous donner des clés de compréhension des situations et nous donner des pistes pour savoir comment réagir au sein des collectifs.

Présentation des témoins

Pascale Croc, agricultrice

Je suis agricultrice en Charente-Maritime sur une ferme entre terre et vigne : la ferme de l’Orée, toute en bio, nous commercialisations de plupart de nos productions en circuits courts à destination de 11 magasins collectifs. Dans tous ces magasins, nous avons le statut d’apporteur et ne sommes pas impliqués dans la gouvernance. Cela fait une dizaine d’années que nous avons commencé. Je réalise des permanences dans 7 de ces magasins, pour les autres, les permanences ne sont pas partagées ou alors on a le choix de ne pas en faire.

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Guillaume Lheureux, agriculteur

Je suis installé dans le Pas de Calais, en GAEC avec mon frère. Nous sommes associés dans le magasin de producteurs Au goût de la ferme à Calais. Je suis membre du Bureau de ce magasin. Sur l’exploitation, nous produisons des légumes, des céréales, des pommes de terre, des betteraves et nous avons 400 brebis allaitantes, dont 80-90 % de la production part en vente directe dans magasin.

Je fais partie des membres fondateurs du magasin qui a ouvert en juin 2016.

Jean-Louis Perrod, coach, conseiller en management et formateur

Au cours de mon parcours professionnel (j’ai bientôt 65 ans), j’ai été ingénieur agricole et j’ai travaillé dans le monde de l’industrie alimentaire. Depuis 25 ans, j’ai une activité de conseil et de formation qui tourne autour de la communication interne, du management et de l’accompagnement d’équipe en difficultés ou en crise. Je suis beaucoup intervenu dans le milieu agroalimentaire et agricole. J’ai notamment accompagné des GAEC. Depuis une vingtaine d’années, je suis aussi coach individuel. Je pratique le coaching en développement intégral dans lequel on prend en compte toutes les dimensions de l’individu, et non uniquement la dimension professionnelle ou cognitive.

Témoignages

Thierry Pons : Pour introduire cette radio, je vous propose une citation Lao Tseu « Être humain : c’est aimer les hommes, et être sage : c’est les connaitre ».

Nous allons commencer par la situation du magasin de Guillaume qui a été confronté à une problématique autour de l’équité entre les personnes. Guillaume peux-tu nous expliquer ce qu’il s’est passé et comment ce problème a été abordé ?

Guillaume Lheureux : Nous avons ouvert le magasin en juin 2016, en ayant rédigé un règlement intérieur « un peu à la va vite » en reprenant des exemples d’autres points de vente, sans vraiment nous les approprier. La première année, pris dans le travail, nous n’y avons pas fait trop attention. Mais des malaises se sont créés sans pour autant être traités immédiatement.

Nous avons rencontré un problème d’équité au niveau du temps de travail. Nous avions décidé de faire une 1/2 journée de permanence obligatoire par personne puis de répartir le reste des permanences en fonction du chiffre d’affaire. Or rapidement, ceux qui ont des faibles chiffres d’affaire ont eu l’impression de travailler pour les autres, et ceux qui font de gros chiffres d’affaire l’impression de dépanner les autres et d’en faire largement assez. Nous nous sommes retrouvés avec un imbroglio par rapport à ça. Nous avons entamé plusieurs formations pour régler ce problème.

Nous avions fait le choix au départ du magasin d’une équité au niveau des parts sociales pour être le plus cadrés et équitables possible. Finalement, les problèmes relationnels sont donc arrivés par un endroit auquel nous n’avions pas pensé : celui du temps de travail consacré au magasin.

Thierry Pons : Qu’est-ce que cela a engendré en termes de relations ?

Guillaume Lheureux : Cela a généré des tensions et cela peut encore en générer aujourd’hui. Cela a pour conséquence qu’on fait parfois une montagne de la moindre broutille qui vient s’ajouter. Nous avons eu un départ d’associé fin 2019, en partie à cause de ce problème. On a par la suite fait 2 formations (dont une encore en cours) pour régler ce problème de permanence.

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Thierry Pons : Pascale, as-tu observé cela dans certains des points de vente auxquels tu livres des produits ?

Pascale Croc : Oui tout à fait, d’autant que je fais partie des apporteurs, donc des personnes qui ne participent pas aux décisions à proprement parler. Et c’est vrai qu’au-delà de la question de la répartition des permanences, il y a aussi la question de ce que l’on fait pendant les permanences. Le rayon épicerie n’est pas un rayon frais par définition et on y passe moins de temps que dans les autres rayons. Quand on est un producteur du rayon épicerie, on passe beaucoup de temps en permanence à mettre en rayon des fruits et légumes et de la viande. Et quelquefois, selon les magasins, selon la façon dont les choses sont organisées, on se retrouve avec un rayon épicerie qui est beaucoup moins bien achalandé que les autres. Cela aussi pose une question d’équité et de rôle pendant les permanences et en dehors : comment ces rayons-là sont approvisionnés de façon équitable.

Thierry Pons : On est sur la question d’équité du traitement des produits au sein du point de vente. As-tu repéré des solutions mises en œuvre dans certains magasins ?

Pascale Croc : Récemment, lors de la dernière assemblée générale d’un des magasins, la question a été abordée très directement par un producteur qui disait « moi, je mets en rayon tous mes fruits et je vois bien, quand je suis de permanence, que les autres producteurs de fruits et légumes ne font pas ça ». Lors de cette AG, les producteurs de fruits et légumes présents ont compris, parce que cela a été très bien amené, qu’ils devaient en faire un peu plus et ne pas se contenter de décharger leurs caisses dans la chambre froide. Il n’y a pas des solutions dans tous les magasins, il y a beaucoup de non-dits et de gens qui sont convaincus qu’ils en font plus que d’autres pendant les permanences, qu’on ne traite pas leurs produits comme ceux des autres.

Thierry Pons : Jean-Louis, quel est ton regard sur ce type de situation ?

Jean-Louis Perrod : Avant de donner un regard extérieur, j’ai une ou deux questions pour compléter et essayer de comprendre. Guillaume, vous parlez d’imbroglios : à quel moment êtes-vous passés d’un état où les choses fonctionnaient de manière implicite, sans en parler, à l’expression de premiers problèmes ?

Guillaume Lheureux : Cela a été un empilement. Cela a réellement démarré 6 mois après l’ouverture. On a eu 6 mois intenses. Puis on a un peu levé le pied et l’accumulation de non-dits a fait que la situation s’est envenimée.

Jean-Louis Perrod : C’est vraiment le schéma habituel de systèmes où on empile progressivement des insatisfactions non exprimées ou très peu exprimées, jusqu’au moment où le couvercle se soulève.

Ce qui me vient à l’esprit, c’est que le mot équité est différent de celui d’égalité. L’égalité c’est promouvoir la justice d’une façon non adaptative, le même régime pour tout le monde, alors que la notion d’équité consiste petit à petit à ajuster sa conduite sur ce qu’on considère naturellement comme plutôt juste ou plutôt injuste.

Le mot iniquité est d’ailleurs très utilisé pour décrire ce côté injuste. C’est très facile de considérer qu’on est tous égaux et c’est beaucoup plus subtil et complexe de considérer qu’on est dans des relations équitables.

La seule manière de prévenir ou de régler des soucis de ce type-là, c’est d’en parler le plus vite possible, de valoriser le fait que quelqu’un se mette à râler car il lui semble qu’une situation est injuste. C’est un peu compliqué ce que je dis-là mais c’est en allant chercher les objections et en les valorisant qu’on va pouvoir construire ensemble plutôt qu’en essayant de les minimiser (« tu verras ça va aller mieux », « serre un peu les poings…). Il faut mettre le plus vite possible à jour l’expression de ceux qui se trouvent injustement traités.

Cela suppose que, lorsque quelqu’un exprime son sentiment d’injustice, on l’écoute avec bienveillance sans chercher à le faire taire, ni à lui expliquer qu’on ne peut pas faire autrement, que c’est normal, que c’est

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l’engagement de départ… Par rapport aux formations que vous avez enclenchées, je ne sais pas si vous êtes allés jusque-là dans l’expression des griefs que les uns et les autres peuvent repérer mais ça me parait important.

Guillaume Lheureux : Nous avons toujours eu un minimum de communication, nous faisons une réunion toutes les 3-4 semaines. Nous avons traversé une période où nous avions l’impression de sortir des réunions sans avoir avancé. Le problème a été évoqué, nous en avons parlé mais je pense que nous n’avons pas pris de décision suffisamment forte pour éradiquer le problème.

Jean-Louis Perrod : Qu’est-ce qui a bloqué la prise de décision ?

Guillaume Lheureux : Ce qui bloque c’est peut-être qu’on veut essayer de satisfaire tout le monde. Et puis on n’a pas d’aspect règlement, si jamais une personne abuse un peu d’une situation ou n’a pas fait ce qu’elle devait faire, on lui dit juste « tu ne l’as pas fait ». Au final, comme il n’y a pas de réaction au fait de ne pas l’avoir fait, peut-être que la personne se dit « je ne l’ai pas fait ce coup-ci, la prochaine fois je ne le ferai pas non plus ». Cela ne change pas vraiment les choses.

Trame est intervenu auprès de notre collectif au début de l’année. Nicolas Carton, un des intervenants a souligné que nous sommes dans une situation qui se maintient. Il y a des paroles, mais pas de gros clachs. On reste sur une situation stagnante, pas pire mais pas mieux : ça couve.

Thierry Pons : Jean-Louis, dans une situation comme celle-là, où quelque chose couve, quelles sont tes conseils ou préconisations ?

Jean-Louis Perrod : Pour moi le premier conseil, c’est, dès qu’on sent que quelque chose couve, de le remettre à jour, de le ressortir de la couche sous laquelle on l’avait « planqué ». Une des techniques qui peut être utilisée, ce sont les bases de la communication non violente. Il est important, quand on remet quelque chose qui couve à jour, que chacun puisse exprimer ce qu’il a vécu. L’idée est de ne pas commencer par ce qu’il ressent mais exprimer d’abord ce qu’il a vécu, c’est-à-dire revenir à des faits précis et seulement ensuite exprimer ce que cela lui faire vivre. Ici on parlait de ce sentiment d’injustice par exemple.

Dans tous les collectifs, on se rend compte que la véritable difficulté, c’est que chacun a sa propre notion de l’investissement personnel et on est en permanence en train de comparer : « qu’est-ce que j’investit par rapport à ce que je récolte ? ». Dans les GAEC on rencontre très souvent ça par exemple. Celui qui est éleveur et qui s’occupe de tout le cheptel a l’impression de travailler 4 fois plus fort que celui qui s’occupe de l’administratif. Mais qu’est-ce qu’il se passe si l’un ou l’autre ne fait plus rien ? C’est la même chose, l’entreprise coule.

Il s’agit donc que chacun exprime ce qu’il a l’impression d’investir par rapport à ce qu’il a l’impression de récolter, puis terminer par l’expression d’un besoin. On ne peut sortir de ce genre de discussion de façon concrète que si chaque personne qui se sent flouée ou lésée exprime un besoin concret, c’est-à-dire « demain, pour me sentir à l’aise, ou traité avec équité, j’aurais besoin de : … ». Puis l’idée c’est de transformer cette liste de besoins en plan d’action.

Dans le plan d’action, il peut tout à fait y avoir la refonte ou la revisite du contrat passé au départ. Tu parlais Guillaume du règlement qui avait été fait un peu à la va vite, mais rien ne nous empêche de profiter de tous ces dysfonctionnements pour bonifier ce règlement.

Guillaume Lheureux : justement la démarche est en route. Suite aux deux jours de formation que nous avons faits avec Antoine Carret et Nicolas Carton de Trame, nous avions programmé une formation avec Elsa Batot, du Pôle Circuit courts Terre d’envies/Cegar pour établir le règlement intérieur. Nous sommes quelques-uns à être un peu plus investis dans la gestion du groupe et nous nous sommes dit qu’avoir un cadre, une règle pour

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cette notion de travail, de temps de permanence, d’horaires auxquels il faut arriver et repartir, de ce qu’il y a à faire avant de partir justement serait utile. Cela pourra nous servir d’appui quand on explique à quelqu’un qui n’a pas respecté ses engagements de départ. La formation a été interrompue après le premier des 2 jours programmés en raison du Covid.

Jean-Louis Perrod : chaque fois qu’on a des soucis de ce type-là, il faut les prendre comme des opportunités plutôt qu’une occasion de rigidifier le règlement. « En quoi ce que nous sommes en train de vivre là peut nous aider à redéfinir des règles de fonctionnement plus adaptées, plus à jour, plus épanouissantes ? » C’est avec cet esprit-là que c’est important d’envisager de nouveaux cadres. Quand on parle du mot cadre, il y a deux manières de l’envisager : le cadre rigide dans lequel on va enfermer tout le monde, ou alors le cadre qui permet l’épanouissement de chacun parce que, comme les règles sont définies, on peut faire preuve d’imagination, de flexibilité, d’agilité à l’intérieur.

Thierry Pons : cela aborde aussi le concept des 3 P : permission, protection = puissance. Permission de revisiter des règles, d’en inventer de nouvelles parce que celles du départ sont peut-être moins adaptées aujourd’hui et puis protection parce qu’il y a un cadre qui régit le fonctionnement.

Jean-Louis Perrod : Tout à fait. Et puis dédramatiser le fait qu’on a des problèmes, parce que si un collectif n’a pas de problème, pour moi, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. C’est quand même beaucoup plus simple de les affronter et de les considérer comme une occasion de progresser collectivement plutôt que de les ignorer, ou de les prendre comme une occasion de rétraction.

Thierry Pons : Comme arriver à faire évoluer le fonctionnement sans tomber dans quelque chose de trop rigide, ou imposé par telle ou telle force intérieure au groupe. Cela renvoie à la notion d’autorité ou autoritarisme. Pascale est-ce que cette notion d’autorité te parle ? Comment le vis-tu à travers les magasins auxquels tu participes ?

Pascale Croc : Tout ce qu’évoque Guillaume qui a commencé par des questions d’équité, finalement, cela rejoint le côté collaboration dont je voulais parler. Jusqu’ici nous parlions de collaboration entre producteurs, adhérents, impliqués ou pas dans la gouvernance.

Cette question d’autorité ou d’autoritarisme est encore plus prégnante coté équipe salariée et se pose là la question de la posture de manager et des rôles officiels et officieux des managers. Comme dans les magasins auxquels je participe, il y a chaque journée, un responsable de magasin parmi les producteurs (quand ce n’est pas un salarié qui joue ce rôle mais c’est la plupart du temps un producteur), il n’incarne pas le management des salariés de la même façon que celui de la veille ou que la présidente ou le président. Cela fait des équipes de salariés qui se sentent tiraillés entre ordre et contrordre.

Il y a des gens qui font autorité naturellement, d’autres qui exerce l’autoritarisme parce que c’est leur façon de voir la collaboration avec des salariés. On n’est pas tous sur le même modèle de management. J’espère qu’il n’y a plus celui de la terreur qui domine. Mais certains sont encore dans l’état d’esprit « nous producteurs on est les patrons, toi salarié tu es l’exécutant ». C’est très compliqué et ambigu parce que moi apporteuse, je ne fais que 4 ou 5 permanences par an dans le magasin, quand j’arrive j’estime que le ou la salariée est beaucoup plus compétent que moi dans la gestion de ce magasin-là. Je suis dans la posture : qu’est-ce que tu me confies aujourd’hui ? Quel est mon rôle ? Ma place ? Il y a des salariés qui n’ont pas l’habitude de ça et des salariés qui en abusent, en disant « tiens elle se met en position inférieure, je peux donc être autoritariste ».

Cela pose la question de la posture de chacun et on en revient au point de départ : quelles sont les règles ? Comment on a défini les collaborations, que je sois investisseur dans le magasin, adhérent, salarié et comment on peut faire pour que qu’une journée de permanence soit vécue et que le travail soit fait de la même façon

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par tous. Par exemple sur un cas très concret, c’est quoi le niveau de ménage ? Un jour je me suis retrouvée dans un magasin avec une pression très forte des personnes présentes parce que j’avais l’air de mettre trop de temps à faire le ménage, mais en même temps j’avais trouvé le magasin dans un piteux état, donc moi je suis restée avec le sentiment d’injustice d’avoir l’impression d’avoir fait le travail de celui de la veille et en même temps il fallait que j’aille plus vite que ça. Ce sont des choses bêtes mais qui accumulées finissent par faire des cocottes minutes qui n’enlèvent pas la soupape à temps.

Quand on est salarié, je pense que la position est encore moins facile que quand on est collègue producteur.

Il y a beaucoup de magasins dans lesquels on peut repérer un indicateur très simple : le turnover des salariés.

Combien de temps restent les salariés ? Pourquoi s’en vont-ils ? On passe beaucoup de temps à former dans les magasins, dans les structures collectives. On ne prend pas ou peu le temps de clarifier la collaboration, vérifier que les personnalités s’accordent… (je fais ici référence à des travaux menés à Trame sur les 7 points de vigilance pour qu’un collectif fonctionne1).

Jean-Louis Perrod : ce sont des réactions très complexes à gérer. On n’est pas sur des schémas hiérarchiques standards et habituels. On ne peut pas faire appel à un management hyper-hiérarchique, pyramidal, comme à l’armée, et on ne peut pas non plus considérer qu’on est sur un mode complètement égalitaire car il y a à la fois des salariés et des gens qui investissent dans le lieu. C’est probablement une des raisons pour lesquelles la situation est très complexe.

Quelques éléments qui me viennent par rapport à ton témoignage Pascale :

- la nécessité de porter une attention régulière, peut-être sans attendre les AG mais en fléchant quelques réunions sur l’année, pour accorder de l’attention sur « comment travaillons-nous ensemble ? », plutôt l’attention habituelle sur le « que fait-on ensemble ? Quels sont nos résultats ? ».

Je vous conseille de vous faire accompagner pour traiter ce genre de sujet en réunion car c’est plus facile avec un tiers qu’entre soi.

- si vous avez beaucoup d’administrateurs, de personnes en position de prendre le leadership pendant une journée de permanence, peut-être les réunir pour essayer de trouver une vision commune de leur rôle lorsqu’ils sont patrons d’une permanence : à quoi ils servent, quelle est leur mission, pourquoi sont-ils là ? pour construire collectivement un stock de représentations individuelles, donc ensuite collectives, de à quoi on sert quand on est là.

- C’est l’occasion de revenir à un fondamental du management qui est que pour moi, quelqu’un qu’on appelle manager est avant tout au service de son équipe et pas l’inverse. Son rôle est de tout faire pour que son équipe puisse faire correctement son travail, être au service des clients, et de se positionner en soutien, en support, en facilitateur, avant de se positionner en donneur d’ordres et de leçons. C’est ce qu’on a appelé dans les années 1980 l’inversion de la pyramide. On pouvait considérer avant qu’une équipe était là pour satisfaire son chef qui lui-même était là pour satisfaire son grand chef, lui-même là pour satisfaire les actionnaires. Un management qui tourne rond pour moi c’est l’inverse : si j’ai une équipe à diriger, mon rôle est d’abord de leur faciliter le travail et de les aider à le faire. Peut-être selon ce que tu disais Pascale, ce que je viens de dire-là est encore très éloigné de la vision du management de certaines personnes.

Pascale Croc : oui c’est sûr, chacun a son histoire et son parcours individuel. Je vois moi de l’intérieur/extérieur (puisque je ne fais pas partie de la gouvernance de ces magasins) que la compétence que l’on recherche plutôt pour être responsable d’un magasin un jour, c’est savoir ouvrir, la clôturer la caisse et mettre l’argent au coffre.

C’est rarement « est-ce que tu es capable de te mettre au service de l’équipe et des clients aujourd’hui ? »

1 Pour en savoir plus : https://webtrame.net/trame/les-themes-travailles/relations-humaines et https://webtrame.net/travaux-innovations-pdf/42eba51977e6af89c8eea3922d65a3f73608a8a2.pdf

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Jean-Louis Perrod : En même temps, c’est un peu le cas car la personne qui prend en charge la gestion de la caisse finalement se met au service de l’équipe. Cela dépend de l’état de l’esprit de la personne quand elle se met dans son rôle. Est-ce qu’elle se met dans son rôle sur un mode supérieur avec un privilège qui est celui d’avoir la gestion de la caisse ou est-ce qu’elle s’y met avec l’impression d’être au service de l’équipe, parce qu’il prend cette responsabilité, en décharge les autres personnes pour leur permettre de faire leur travail correctement.

Pascale Croc : Tout est une question de posture et d’état d’esprit, on est bien d’accord.

Jean-Louis Perrod : C’est cela qui me fait dire qu’il n’y a pas de règle précise. Vous pourrez élaborer tous les règlements intérieurs possibles, ce n’est pas ça qui fera les petits changements dans l’état d’esprit de chacun.

La solution c’est d’échanger petit à petit là-dessus comme on échange sur la gestion des stocks, l’accueil des clients… Le management est un sujet comme les autres à mettre à l’ordre du jour de vos réunions.

Thierry Pons : Nous avons vu l’importance des règles dans les collectifs : il y a toutes les règles explicites (règlement intérieur par exemple), mais j’aimerais aussi aborder les règles implicites qui renvoient à la culture, l’histoire du collectif, y en a-t-il dans vos magasins ?

Guillaume Lheureux : Nous avons beaucoup de règles implicites puisque la plupart de nos règles ne sont pas écrites. Quand on en parle on dit « ben oui, on va faire comme ça » mais après le respect des règles n’est pas forcément si évident que ça. Nous avons un travail à faire pour coucher ces règles sur le papier.

Pascale Croc : A contrario beaucoup de magasins auxquels je participe ont des règles affichées, et en fait j’ai découvert qu’il y avait des règles implicites, quand j’ai respecté ces règles affichées et que je me suis rendu compte que ce n’était pas ce que pratiquaient les autres. Il y a un décalage entre ce qu’on a voulu faire au départ quand on a écrit les règles et ce qui se fait véritablement. Cela pose la question des règles qui évoluent de façon consentie par le groupe même si c’est implicite et de celles qui ne sont tout simplement pas respectées par certains. On se retrouve alors avec un décalage de fonctionnement, d’implication, de qualité de travail. Le plus dur c’est que ça ennuie tout le monde de fixer des règles. Et quand elles évoluent, qu’on est nouveau dans un magasin et qu’on cherche à comprendre comment ça fonctionne, on découvre que certaines règles écrites sont obsolètes.

Jean-Louis Perrod : Les mots qui me viennent, c’est « transmission orale », certaines règles implicites peuvent avoir été mises tellement en valeur qu’elles contrarient des règles écrites. Dans ce cas-là ça parait fondamental de revoir la règle écrite. En revanche, cela peut être intéressant de trouver des moyens de transmettre les règles implicites, de raconter l’histoire… Par exemple, Thierry me citait l’exemple d’un magasin dans lequel une personne, qui en période covid n’a pas pu venir pendant 3 mois, a retrouvé un collectif différent à son retour et s’est sentie « mise au placard ». Quand un nouveau arrive (salarié ou agriculteur), cela me parait très important de prendre le temps de l’accueillir et de « raconter l’histoire », « comment cela marche chez nous » indépendamment du règlement.

Pascale Croc : J’ai des exemples de « non-accueil ». Je fais partie de 11 magasins. Je me rends compte que la première fois qu’on assure une permanence il y a peu de temps pour être accueilli mais il y a quand même un geste qui est fait. Par contre, ce qui est perturbant, c’est que quand on ne fait que 4 ou 5 permanences par an, et qu’on en assure dans d’autres magasins, forcément on se mélange un peu entre les règles des différents magasins, on se demande si des choses ont changé depuis la dernière fois qu’on est venu. Je me dis qu’il manque quelque chose dans accueil au quotidien, en plus de l’accueil des nouveaux. Le rôle du manager, du

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responsable d’équipe du jour pourrait être de rassembler les personnes qui vont travailler ensemble toute la journée pour faire un accueil de l’équipe du jour, se dire qui est qui, qui fait quoi, partager les infos à connaitre… Parce que chaque journée, les choses peuvent changer : les fruits et légumes ne sont pas les mêmes, il y a des actualités sur la disponibilité des viandes…

Jean-Louis Perrod : Se mettre en ordre du jour pour démarrer une journée, effectivement, cela fait partie des rituels fondamentaux. Quand je conseille cela, on me répond souvent « on n’a pas le temps, il y a plein de choses à démarrer le matin… » Peut-être, mais est-ce possible de le trouver un peu plus tard, 1 h plus tard, pour faire cet échange ? Le manque de temps en début de journée ne doit pas être considéré comme une excuse.

Dans les structures dans lesquelles il y a des salariés, comme ils sont les seuls à avoir une présence stable, ils ont un rôle très important dans ce type de rituels. Ils sont le fil conducteur tout au long de l’année et sont la mémoire de l’activité. Ils peuvent servir de lien. C’est compliqué car certains peuvent se demander : peut-on donner une forme de pouvoir, de liberté au salarié ? Pour moi cela fait partie des règles de vie. Cela peut être très court mais c’est fondamental.

Thierry Pons : Nous avons vu que plusieurs leviers d’action sont possibles au sein des collectifs. Mais il y a peut-être des situations auxquelles on ne peut pas faire face en autonomie. A quel moment est-il opportun de faire intervenir quelqu’un d’extérieur au groupe ?

Guillaume Lheureux : Nous avions discuté en réunion de cet accompagnement depuis un moment, nous nous disions qu’il nous fallait un règlement adapté à notre magasin. La mise en œuvre de la formation a été compliqué (reports…), car j’ai le sentiment que, quand il n’y a pas de règle, ça arrange un peu tout le monde.

C’est pourtant toujours bien d’avoir un avis extérieur car il y a parfois des choses qu’on doit entendre et on ne s’en rend pas compte car on a le nez dans le guidon. Au début on ne trouvait pas la personne à solliciter.

Il y a eu quelques déclics car l’ambiance du magasin s’est dégradée, nous avons eu des réflexions de clients disant qu’ils préféraient l’ambiance certains jours, nous avons eu des soucis avec un des associés. Nous nous sommes dit qu’on allait droit dans le mur si on ne faisait pas intervenir quelqu’un. Trame a organisé une journée d’échanges sur les magasins de producteurs près de Marseille auxquels deux des associés ont participé et ont rencontré Nicolas Carton, le délégué régional de Trame. Suite à cet échange, la formation avec Trame s’est vite mise en place. Cette première formation portait sur l’ambiance de groupe, la gestion de groupe, le fait de crever les abcès s’il y en avait. Les résultats ont été mitigés. Le déroulé était bien mais certains ont pratiqué la langue de bois, les véritables problèmes n’ont pas été levés. Je pense que la formation avec Elsa Batôt du Pole Circuits courts Terres d’envies/Cegar pour la définition du règlement intérieur arrivait au bon moment, suite à ce premier accompagnement. Malheureusement elle a été interrompue par la crise sanitaire.

Aujourd’hui j’ai l’impression qu’on est reparti dans quelque chose qui végète. On perd le bénéfice de ces 3 jours de formation et certains associés se posent la question de l’utilité de ces accompagnements. Alors que je pense que si le schéma des deux formations était arrivé à son terme, on aurait abouti à quelque chose de positif.

Pascale Croc : De mon côté, aucun des magasins auxquels je participe n’a encore fait ce choix et c’est dommage. Il peut se penser qu’on peut régler les choses entre nous, or c’est une erreur, on n’a pas assez de recul pour faire de la médiation dans son propre collectif. Je reste convaincue pour avoir fait beaucoup suivi de formation sur le développement personnel qu’on n’est pas tous à même niveau de réceptivité de ce type de formation, et il faut faire avec. On n’est pas tous au même niveau sur le chemin de la connaissance de soi et de la remise en question tranquille sans prendre la mouche.

Jean-Louis Perrod : Ce que vous décrivez est tellement le reflet de la réalité ! Je n’ai rien à ajouter là-dessus.

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Dans le témoignage de Guillaume, ce qui me parait avoir manqué c’est d’aller jusqu’à quelque chose de concret, une sorte de contrat. Mon conseil serait de remettre en route quelque chose pour acter ça. Le risque c’est de revenir à la situation d’avant ou pire. Conseil : mettez en route un travail collectif (même très court) pour faire une sorte de « cliquet antiretour » comme sur les engrenages.

L’autre chose qui me parait pouvoir guider les collectifs sur les différences de capacité à se remettre en question, c’est, soit de définir, soit de se raccrocher à la raison d’être d’un collectif ; se mettre d’accord sur une finalité (on est là pour quoi ?), qui puisse servir de guide, un peu comme une étoile. Et chaque fois que les gens se mettent à regarder dans de directions différentes, si la raison d’être est puissante et a été partagée, cela permet de refaire converger les énergies. Je conseille aux collectifs qui boitent un peu de revisiter leur raison d’être et de ne pas avoir peur d’inclure dans cette raison d’être quelque chose qui relève de la vie du collectif, qu’elle ne soit pas uniquement tournée vers la clientèle, qu’elle ait une facette interne.

Sur les modalités d’accompagnement possibles, il y a la formation, l’accompagnement d’équipe et à l’opposé quand tout va mal, la médiation (lorsque dans une équipe, les conflits sont tels que les gens finissent pas s’ignorer).

Je rappelle que la vraie définition de la violence relationnelle, ça n’est pas quand les gens se critiquent ou se tapent dessus, c’est quand les gens ont décidé que l’autre n’existe plus, et ne lui adressent plus la parole. Il faut alors revenir à quelque chose qui va permettre de faire à nouveau exister l’autre. Cela ne peut se faire qu’avec des professionnels.

Puis en intermédiaire entre la formation, l’accompagnement, il y a une technique qui s’appelle le codéveloppement professionnel, qui est une façon de développer des compétences ensemble, en partageant des problématiques voisines. Pour cela on réunit des groupes de personnes, par ex. on pourrait réunir des groupes d’administrateurs de magasin, à chaque réunion un administrateur apporte une problématique qui le travaille, les autres lui apportent des conseils des idées, grâce à leur questionnement et leur compréhension de ce qu’il est en train de vivre… Par ex. le management est un sujet sur lequel on peut avancer rapidement avec le codéveloppement. J’ai un passé de collaboration avec les spécialistes à Montréal de cette approche.

Plusieurs personnes ont été formées à cette approche au sein de Trame. En résumé c’est « comment peut-on se former ensemble grâce aux compétences des uns et des autres ? »

Thierry Pons : Nous arrivons au terme de cette émission, c’est un champ très vaste, peut-être y consacrerons-nous une nouvelle radio. On a compris l’importance d’y consacrer du temps au sein des collectifs, en autonomie ou en se faisant accompagner.

Merci à tous les 3 pour votre implication, merci aux auditeurs, merci aux personnes qui ont préparé cette radio avec moi : Agnès Cathala, Pauline Mendes et Marion Vandenbulcke.

Une prochaine radio est prévue en décembre, n’hésitez pas à nous faire passer vos idées de thèmes.

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