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La valeur et les prix (suite)

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J OURNAL DE LA SOCIÉTÉ STATISTIQUE DE P ARIS

Y VES -G UYOT

La valeur et les prix (suite)

Journal de la société statistique de Paris, tome 65 (1924), p. 171-182

<http://www.numdam.org/item?id=JSFS_1924__65__171_0>

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(2)

II

LA VALEUR ET LES PRIX

[Suite (').]

V L'ÉTALON MONÉTAIRE ET SA FIXITÉ

Mais comment peut-on mesurer les équivalents des objets entre eux?

Dans son £tude sur les modes de mesure des mouvements des prix, M. Lu- cien March dit : « On cherche toujours dans l'étude du mouvement des prix quelque moyen d'apprécier les changements de ce que Ton appelle « le pou- voir d'achat de la monnaie ».

L'expression rigoureuse est : le pouvoir d'achat de l'étalon monétaire.

Pour mesurer les longueurs, les poids, le temps, on a cherché et on a trouvé des mesures fixes telles que le mètre, le kilogramme, l'heure. Elles ne varient pas selon la quantité ou la qualité des objets dont elles détermi- nent la longueur ou le poids.

Or, l'or et l'argent, métaux employés surtout comme monnaie, varient

*de prix comme les autres marchandises. Ce ne sont pas de vrais étalons puis- qu'ils manquent de fixité.

Aussi, pour mesurer la valeur, on a créé un type légal, en lui donnant une fixité non pas matérielle, mais juridique : et on |a ainsi obtenu un étalon, équivalant à l'étalon métrique, auquel on a donné le nom d'étalon moné- taire.

Uétalon monétaire est Vexpression légale qui, dans un pays, fixe la na-i ture, la quantité e# le titre du mêlai ou la monnaie de compte qui ^déter-

minent le prix prototype auquel se rapporteront tous les autres prix et qui sera le moyen légal de liquidation pour tous les actes comportant un échange ou une rémunération.

(i) Voir <le numéro d'avril 1924.

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— 172 —

John Stuart Mill, Stanley levons ont déclaré que la monnaie était un commun dénominateur. Ce commun dénominateur est indispensable à qui- conque achète ou vend, reçoit ou paye. Mais la qualité indispensable d'un commun dénominateur, c'est la fixité.

En France, les ménagères qui vont faire leur marché rapportent toutes leurs évaluations au franc : étalon fixe, commun dénominateur invariable, au-dessus ou au-dessous duquel se trouvent les carottes, les choux, les gigots de mouton, les filets de bœuf ou les jambons.

Dans les pays où la couronne, le rouble, le mark sont tombés à un tel taux qu'on ne pouvait en parler que par milliards, trillions, quatrillions, com- ment une ménagère pouvait-elle faire et peut-elle faire ses évaluations de dépenses en allant au marché?

Il a fallu qu'elle arrivât à simplifier son unité monétaire à laquelle l'auto- rité en Russie et en Allemagne a rapporté plus ou moins arbitrairement les roubles, ou les marks-papier.

En France, dans les banques, à la Bourse, dans les tribunaux, chez" le per- cepteur, au Parlement, toutes les mesures de valeur se rapportent à ce dé- nominateur invariable : un franc.

Le change français est actuellement déprécié : mais comment s'établit la dépréciation? Elle est relative au commun dénominateur. Il demeure : il fixe le prix du bœuf, du porc, desi choux-fleurs et des poireaux.

Ce n'est pas la monnaie qui est un commun dénominateur : c'est le rap- port fixé par la loi entre une certaine quantité de métal d'un poids et d'un type déterminés ou une monnaie de compte, ce rapport est Vétalon moné- taire qui est le commun dénominateur.

La définition ci-dessus comprend la monnaie de compte : en France, jus- qu'à la loi du 18 germinal, an III, l'étalon monétaire était la livre tournois, et jamais il n'a été frappé une pièce de métal portant ce nom. Le billet de banque actuel est une monnaie de 'compte et est considéré comme tel, dans les écritures publiques et privées, dans les budgets, les comptes de chemins de fer, de la Banque de France et des autres banques, dans les recettes de douanes.

En Angleterre, c'est par livres sterling que se font les évaluations, tandis que les pièces de monnaie s'appellent des sovereigns.

Le prix légal est fixé par Vétalon. Il est le prix prototype auquel se rappor- tent dans le passé et dans le présent le prix de tous les objets. Il institue le moyen de liquidation de tous les actes comportant un échange ou une rému- nération.

La première condition de l'étalon, c'est sa fixité. Les Anglais en ont donné l'exemple le plus frappant (1) :

Le pound sterling anglais s'appliqua d'abord à un poids d'argent repré- sentant 5.760 grains dont 11 onces 2 dwt étaient du métal fin et 18 dwt de l'alliage, .ce qui fait 92/i millièmes de fin. Il était reconnu comme l'étalon monétaire du Boyaume en 1158, et il était divisé en 2^0 pence. Cette mon- naie ne fut pas altérée jusqu'au règne de Henri VIII et elle fut rétablie IOTS

(1) YVES-GUYOT, les Problèmes de la déflation, p. i?2A

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— i73 —

de l'avènement d'Elisabeth, après un intervalle de quinze années, de i543 à i558. Quand, en fi8ift, l'étalon d'or unique fut adopté, on conserva le poids et le titre primitif de la monnaie d'argent.

On maintint également la valeur de l'or telle qu'elle avait été fixée « trois siècles plus tôt », disait Bobert Peel en 1844. Une livre d'or devait donner kk guinées. Le prix de l'once d'or à la monnaie de Londres était fixé à £ 3 17 s. 10 1/2 d.

En i844, une brochure signée « Un économiste de Birmingham » deman- dait que la Banque donnât 5 livres par once. Bobert Peel répondait : « Alors ceux qui auraient contracté des dettes au prix de £ 3 17 s. 10 d. 1/2 les paye- raient au prix de £ 5 par once. Ce serait fort avantageux pour eux; mais on s'en apercevrait pour les contrats à venir et l'étranger ne tiendrait aucun compte de ces arrangements législatifs. »

En réalité, cet économiste de Birmingham, dans son enthousiasme pour les progrès réalisés par la Grande-Bretagne, demandait une forte déva- luation de l'or.

Bobert Peel répondait en montrant la nécessité de la fixité de l'étalon monétaire, comme mesure de valeur et en s'étonnant que «les économistes de Birmingham n'eussent pas aussi proposé de mettre le pied anglais à 16 pou- ces pour le proportionner au développement de la richesse de l'Angleterre ».

Les partisans de la dévaluation veulent altérer l'étalon 'monétaire de tout pays auquel ils appliquent leur système par rapport à un étalon monétaire étranger qui en déterminerait et en stabiliserait la perte au moment où ce nouvel étalon serait mis en usage : car même dans les périodes de calme, jamais tous les prix ne sont permanents dans aucun pays : ils sont soumis à des variations de tout genre. Quand l'or n'est pas employé comme mon- naie, il est une marchandise qui a un prix indépendant de celui de la mon- naie.

Le prix de la monnaie de Londres est de 84 s. 11 8/2 d. l'once d'or fin.

En 1923, son prix le plus élevé a été de 96 s. 11 d. le 19 novembre et le plus bas a été de 87 s. 5 d. le 21 février.

Cette valeur de l'or, en dehors de la monnaie, le constitue à l'état de marchandise, ayant une valeur par elle-même, tandis que la valeur du pa-

pier, qui n'a de valeur que par suite du cours forcé, disparaît à la frontière.

VI — STABILISATION AGITÉE

La « stabilisation » est le verre dépoli derrière lequel les dévaluatiônnistes qui se sont mis à la suite des professeurs Keyneg et G. Cassel, dissimulent la dévaluation dont ils ont fait un dogme.

M. Keynes voulait même l'imposer aux Etats-Unis. Il n'était pas le seul.

Les dévaluatiônnistes de son genre voulaient opérer la dévaluation de l'or, pour le mettre au niveau des prix qui, en s'élevant, en avaient diminué la valeur.

Mais comme la production de l'or avait diminué, certains Américains con- sidérèrent que sa valeur avait augmenté. Aux Etats-Unis, le prix de l'or fin est fixé à $ 20,67 par once. Ils proposèrent que la monnaie relevât son prix

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— i?A —

à $ 3o. Si la monnaie avait frappé le même nombre de dollars, elle aurait fait payer par les contribuables $ 9,33 par once dont elle aurait fait cadeau aux porteurs de ce nouveau dollar.

D'autres, pour atténuer cette augmentation du prix de l'or, proposèrent d'insérer'de l'argent dans les nouveaux dollars. C'était une nouvelle forme de bimétallisme : et des hommes qui l'avaient combattu avec acharnement, une trentaine d'années auparavant, l'acceptaient!

Le bimétallisme a duré pendant des siècles : et lesédits et les ordonnances de toutes sortes n'ont jamais pu fixer le rapport entre la valeur de Vor et celle de Vargent {i).

En France, dans le xive siècle, il fut en dix ans changé plus de cent cin- quante fois. A partir de 1621, il varie constamment, mais presque toujours

dans le même sens : il faut une quantité d'argent de plus en plus grande pour acheter la même quantité d'or : de 10 aux xive et xv° siècles, elle passe à 11,80, à la fin du xVf siècle, elle varie entre i 4 et i5 au xvn°, elle est de ï5,4s, puis de I 5 , 6 I à la fin du xvnf siècle et au commencement du xixe siècle; de i85i à 1860, elle est de i5,86; de 1871 à 1875, de 15,98; de 1876 à 1878, de 18,37; et en i885, de 19,39.

Cette baisse n'a pas cessé de se manifester depuis quatre siècles sauf pen- dant une période du xvin* siècle et pendant une période si courte dans le xixe siècle qu'elle apparaît à peine dans les tableaux indiquant ]?s prix respec- tifs des deux métaux.

Ces chiffres montrent Y impossibilité de maintenir par des mesures d'au- torité un rapport fixe entre deux valeurs variables.

Qu'est-ce donc quand il s'agit de valeurs multiples, de valeurs* saison- nières, de valeurs dont l'abondance ou la rareté sont soumises aux accidents météorologiques, à des risques pathologiques, à l'intervention de sauterelles, il des destructions telles que celles produites par le phylloxéra, le mildew, ou le Boll Wevil?

M. Roger Bloch et quelques autres dévaluatiônnistes, à la suite de MM. Key- nes et G. Cassel, veulent stabiliser « le franc par une restauration monétaire déterminant un rapport fixe entre le franc-or et le franc-papier et permettant

le retour à la saine monnaie » (2).

Un rapport fixe n'a pu être établi entre deux métaux, l'or et l'argentl Et ces dévaluatiônnistes se figurent qu'ils ont le pouvoir de faire le miracle d'établir un rapport fixe entre un papier qui n'a qu'une valeur subjective et un métal soumis lui-même à des variations d'offre et de demande qui en font varier le prix.

Comment M. Roger Bloch peut-il donner le nom de « saine monnaie » à la monnaie qui résultera de cette opération? Il s'indigne qu'elle ait été consi-

dérée comme une banqueroute partout où elle a eu lieu; mais c'est à juste litre puisqu'elle a eu pour résultat de réduire l'étalon monétaire.

Mais à quel cours un gouvernement peut-il faire une dévaluation? Est-ce à celui de la veille? Peut-il prévoir celui du lendemain?

(1) V. SHAW, Histoire de la Monnaie, traduite par A. RAFFALOVICH.

(2) Lettre à la Vie Financière, 10 mars 192/ï.

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— I7B —

Le taux de la dévaluation changera chaque jour : singulière stabilisation à coup sûrl

J'ajoute que tous les directeurs des grandes banques britanniques, MM. Goodenouigh, Sir Herbert Hambling, Sir C. Needman, Sir Me Kenna en- tendent conserver intégralement ï'étalon d'or fixé en 1816.

VII — LE COURS FORCÉ

Les vrais billets de banque ne sont pas d'une autre nature que les autres papiers de commerce. Le client apporte à la banque des valeurs irréduc- tibles payables à terme avec signatures soumises à l'endossement. La Banque rend les valeurs au porteur et à vue, facilement divisibles L'émission du vrai billet de banque est provoquée par un emprunt volontaire, fait par des particuliers sur la garantie d'un papier commercial en vue d'objets commer- ciaux, qui tend à porter, pour le plus grand bénéfice des contractants, à une pleine efficacité, les forces productrices.

Le billet de banque, émis uniquement en vertu du cours forcé, sans cor- respondre à une valeur commerciale, est un emprunt forcé, prélevé par le Gouvernement, directement ou indirectement, sur tous les membres de la nation. Il mange d'avance une partie du capital constitué par les individus.

De toutes les formes d'emprunt, c'est la pire. L'histoire financière du monde le constate.

Le billet à cours forcé a reçu le nom de papier-monnaie.

Il donne un énorme pouvoir d'achat instantané et factice au Gouverne- ment qui l'émet. Tout va bien : le contrôle disparaît dans les affaires pu- bliques et privées. C'est le vertige.

Seulement, le pays ne peut se suffire à lui-même. Il faut acheter au de- hors des objets d'alimentation, des matières premières obtenus des terri- toires étrangers. Alors apparaît le change. Il représente le contrôle. Son taux est le vrai baromètre d u crédit du pays.

VlII — LES INDEX NUMBERS ET LE CRITÉRIUM DU PROGRÈS ÉCONOMIQUE

M. A. Bowley (1) dit qu'ils servent à « mesurer la valeur de l'or par les autres marchandises ».

Ce point de départ est erroné. D'abord un index numbers, si complexe qu'il soit, ne contient jamais tous les objets à vendre et à acheter. Ensuite, dans un index numbers, les prix de chaque marchandise varient plus ou moins : leurs changements ne sont jamais uniformes. Il faut dire : « Il sert à chercher la valeur de certaines marchandises mesurée par l'étalon moné-

taire. » C'est le résultat auquel aboutissent les index numbers, quelle qu'ait été l'opinion préconçue de l'auteur ou du lecteur des index numbers. Ce qu'ils établissent, c'est le rapport de certaines marchandises à un même étalon monétaire. On >n'apprécie les valeurs qu'en les rapportant au prix prototype qu'il fixe.

(1) Eléments of statistics.

i"» SÉRIE — 65« YOLum — n« 5 43

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Un banquier anglais, M. Hansard, a fait en 1884 l'observation suivante :

« La baisse de prix des marchandises et l'augmentation du pouvoir d'achat de l'or sont une seule et même chose. L'une d'elles ne peut être la consé-, quence de l'autre (1). »

C'est un truisme. Il est évident que chaque fois q u e le prix de revient et de transport d'une marchandise a diminué, on peut en acheter la même quantité avec une quantité moindre d'onces d'or; par conséquent, le pou- voir d'achat de l'or 3 augmenté relativement à cette marchandise; mais ce n'est pas parce que le pouvoir de l'or a augmenté q u e le prix de la marchan- dise a baissé. C'est parce que le prix de vente de celle-ci a baissé.

L'invention d'une machine, qui réduit les frais de fabrication de billettes d'acier de 5o p . 100, augmente d'autant le pouvoir d'achat de l'or relative- ment aux billettes; mais la quantité d'or a pu rester immuable, sa circula- tion a pu ni augmenter ni diminuer, son prix de revient a pu demeurer ni plus ni moins élevé : tout le changement vient des billettes d'acier. L'or n'y a été pour rien; et c'est cependant, d'après MM. Sauerbeck, Bowley et autres, l'or que l'on voudrait faire apprécier par les billettes. On veut don- ner au passif le rôle actif.

Les Index numbers ne mesurent pas la valeur de l'or; ils mesurent la va- leur de certaines marchandises relativement au prix prototype fixé par Véta- lon.

Sauerbeck, qui avait entrepris la confection de son index pour mesurer la valeur de l'argent, a reconnu que les prix de l'alimentation végétale et ceux de l'alimentation animale sont souvent divergents. Cependant la quantité de l'or et de l'argent était la même pour l'un et pour l'autre.

On a fait de nombreuses objections aux index numbers : i° le choix de la période de base est arbitraire; 20 de même, le choix des produits et l'ar- rangement des éléments des moyennes; 3° l'inégalité initiale des prix.

Ils ont un défaut plus grave : c'est qu'ils ne visent que des capitaux cir- culants, des marchandises apportées sur le marché; mais ils ignorent les

capitaux fixes, la terre, les maisons, les usines, les navires, l'outillage et toutes les entreprises industrielles dont la valeur doit toujours augmenter en raison de leur capacité de production.

En raison des progrès de la science, de l'agriculture, de l'industrie, des moyens de transport, de toutes les formes de capacité de production, le prix de l'unité de la marchandise doit toujours baisser et son prix global aug- menter; son pouvoir d'achat diminuer en détail et augmenter en bloc (2).

Quand on étudie l'évolution de l'industrie, on en constate les caractères suivants :

i° Le coût du prix de production des capitaux circulants a diminué;

20 Ces capitaux circulants ont permis d'établir un outillage à meilleur marché; les services rendus par cet outillage peuvent donc être vendus à plus bas prix : donc abaissement du prix soit d'autres capitaux circulants, soit de services.

(1) Tnstitute of Bankers, 17 décembre i884 et déposition devant le Comité de commerce en 1886.

(2) Voir YVES-GUYOT, La Science économique (les cinq éditions).

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La valeur du capital fixe qui utilise ces capitaux est augmentée : a) du bon marché auquel ils peuvent être livrés; b) de l'économie qui résulte de l'amélioration de leur qualité.

Les index numbers n'indiquent pas le caractère du progrès économique qui a pour critérium l'augmentation de la valeur absolue et relative des capitaux fixes, la réduction de la valeur des unités des capitaux circulants et l'augmentation de leur valeur globale (i).

Je me borne aujourd'hui à ces indications : c'est une étude que j'espère reprendre un jour ici même.

IX — LA POUSSÉE ET LA RÉSISTANCE AU BON MARCHÉ

Tout industriel, y compris l'agriculteur, produit pour vendre avec profit.

Il a le gain pour objet.

Le gain est la différence entre le prix de revient et le prix de vente.

Etablir le prix de revient le plus bas possible : telle doit être la préoccu- pation de tout industriel.

L'Américain Ford est arrivé à construire des automobiles à de telles con- ditions de bon marché que, malgré les mauvaises routes, il y a maintenant, aux Etats-Unis, une automobile pour 10 ou 12 habitants.

Un industriel du bon vieux temps, qui avait pour principe de vendre peu mais cher, a dû se dire : « Il se ruinera. Quand il aura saturé les Etats-Unis d'automobiles, il ne pourra plus en vendre. »

En dépit de ces pronostics, le débouché des automobiles n'est pas fermé aux Etats-Unis. Au contraire. Il s'agrandit. Les gens qui ont acquis une automobile poussent les autres à en acheter et recrutent ainsi gratuitement de nouveaux clients.

Enfin, une automobile qui fait du service doit être renouvelée au bout de cinq ans : et c'est un formidable roulement acquis d'abord pour Ford et cmssi pour les autres fabricants.

Les salaires qu'il donne sont d'un taux très élevé parce qu'ils sont propor- tionnels à l'efficacité du travail. Et, pour cette raison, leur pourcentage dans le prix de revient est d'autant moins élevé.

Il n'a pu parvenir aux immenses bénéfices que lui donne son industrie qu'en apportant le contrôle le plus rigoureux à son prix de revient.

Le 16 septembre 1923, il a fermé son usine pendant quatre jours, parce qu'on lui offrait 60.000 tonnes de houille à $ 6, et il ne voulait la payer que $ 4,5o.

Cependant, on a dit que l'augmentation de $ 2 par tonne n'augmentait le prix de revient d'une de ses automobiles que de $ i,5o.

En abaissant le prix de revient, tout industriel abaisse le prix de, son pro- duit : donc, il travaille en faveur du bon marché.

Et comme ses concurrents font de même, tous sont d'accord pour cher- cher à réduire leurs frais et chacun pour conserver ou acquérir des clients est conduit à diminuer son prix de vente.

(1) Voir YVES-GUYOT, La Science économique (tes cinq édition*).

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Les faits ont prouvé la vérité de cette constatation d'Adam Smith : dans un marché libre, l'étiage des cours est déterminé par les marchandises dont le prix de revient est le moins onéreux. Le prix de la concurrence est tou- jours le plus bas, c'est-à-dire celui qui règle le plus grand nombre des échanges.

Pour empêcher ce résultat, les protectionnistes d'une industrie, dans un pays, essayent à l'aide de droits et de formalités de douane de s'assurer le mo- nopole de leur produit, afin d'imposer aux consommateurs le prix qu'il leur convient.

Tel est aussi le'but poursuivi par certaines coalitions connues sous le nom de cartels', de trusts et de coalitions.

L'histoire des prix, c'est la lutte du prix de la concurrence contre les prix du monopole.

X — L E CONFLIT AGRICOLE DE LA CHERTÉ ET DU BON MARCHÉ

Dans le « bon vieux temps », quand le roi, père d u peuple, entendait faire le bonheur de ses sujets, il entendait régler les prix : mais il éprouvait quelques difficultés du côté des corporations, maîtrises et jurandes. Elles avaient une politique très simple : acheter bon marché et vendre très cher.

Seulement, comme elles étaient obligées de s'acheter et de se vendre réci- proquement, elles étaient en conflit perpétuel.

Quand la plupart de nos hommes politiques traitent les questions.écono- miques, ils ne montrent pas une mentalité très différente de celle de nos aïeux.

Au point de vue agricole, on les voit errer au milieu de contradictions admirables : ils veulent à la fois faire de la cherté pour la satisfaction des cultivateurs et, en même temps, combattre, plus ou moins efficacement la cherté, pour paraître donner une satisfaction aux consommateurs qui ré- clament. Quand M. Chéron devint ministre de l'Agriculture, il se rappela qu'il était d'abord sénateur du Calvados : il prohiba résolument l'importa-

tion des beurres, et il obtint de suite la hausse qu'il désirait; il prohiba l'importation des bovins : excellente affaire pour les éleveurs de Norman- die.

Et, dans la séance du 27 février (1) de l'Académie d'Agriculture, M. Henry Chéron a déclaré que la protection agricole était « une pure légende »; ce- pendant, quand il prohibait l'entrée des beurres, des bestiaux et quand il doublait le droit de 7 francs par quintal sur les blés, il ne faisait pas du libre échange : et il reproche au ministère dont il fait partie d'avoir aboli cette augmentation de 100 %, mais il s'en consolait en voyant que la baisse du franc avait empêché ce dégrèvement de réduire le prix du blé.

Mais il félicite la Chambre des Députés d'avoir, par un vote unanime, rétabli la liberté d'exportation des produits agricoles. Empêcher d'entrer les produits et leur donner la liberté de sortir, c'est un moyen de créer, de la rareté, donc d'augmenter les prix : et M. Henry Chéron y avait recours.

(1) Journal Officiel du 6 ma» 1924.

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Mais le ministère a institué un intendant, dictateur aux vivres, qui maintient bien l'interdiction des importations, mais y ajoute l'interdiction des expor- tations : « Aucune mesure prohibitive n'a été négligée L'exportation des blés et des farines indigènes est depuis longtemps interdite. Celle de l'orge et de l'avoine y a été ajoutée. L'exportation du bétail et de la viande est suspendue depuis le 5 avril 1923. L'exportation des pommes de terre, autres que celles des primeurs, est suspendue depuis le 6 octobre 1923. Celle des œufs est suspendue jusqu'au ier avril; l'exportation des beurres jusqu'au i5 avril; celle des légumes autres que les légumes de primeurs jusqu'au mois de mai. »

Donc ce n'est pas de la faute du gouvernement si les objets produits par la culture sont chers.

Et ici, M. Henry Chéron parle comme un économiste : « A lire les jour- naux, dit-il, on imaginerait que le fait pour un pays d'exporter ses produits agricoles constitue une sorte de crime de lèse-patrie dont il y a lieu de de- mander compte à ceux qui s'en rendent coupables. » Et il ajoute : « Pour l'agriculture, comme pour toutes les industries, l'exportation constitue la prime à la production »

Et il rappelait qu'à la Chambre des Députés, un orateur dénonçant le fait que certaines exportations s'étaient développées en 1923, M. de Monicault lui avait répondu : « C'est parce que la production s'est développée! »

Cependant, tous les jours, le Journal Officiel nous apprend l'interdiction de nouvelles exportations : merveilleux moyen à coup sûr d'équilibrer notre balance économique,

M. Henry Chéron ajoute :

« Les agriculteurs subissent des cours qui s'établissent d'après des phéno- mènes généraux et échappent à leur contrôle. Ayant d'ailleurs les plus grandes difficultés à établir un prix de revient, ils ne sont jamais sûrs de pouvoir obtenir cette répercussion qu'obtiennent les autres personnes qui sont soumises à la taxe sur le chiffre d'affaires. »

Les droits de douane, chers à M Henry Chéron, sont institués pour don- ner aux agriculteurs le monopole de l'alimentation de leurs compatriotes.

Ils leur permettent d'élever leurs prix jusqu'au niveau du droit de douane.

Ils jouissent donc là d'un privilège énorme.

Cependant, ils ne sont pas complètement les maîtres des prix. Les con- sommateurs se privent; ils cherchent des substituts meilleur marché, et les cultivateurs sont obligés de suivre les fluctuations des cours, en profitant largement de la hausse du dollar ou de la livre sterling.

XI — LES BÉNÉFICES DES AGRICULTEURS ET L'IMPÔT

M. Henry Chéron a dit :

<( L'agriculteur sait que l'or de la France n'est point seulement dans les coffres de l'Institut d'émission, mais qu'il est dans le sol. »

Les Physiocrates l'ont appris au monde il y a plus d'un siècle et demi. La mine d'or s'épuise; le sol agricole produit des récoltes tous les ans : et, en

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dépit des mêmes adages, il n'a pas besoin de se reposer et il ne s'épuise pas si on l'entretient et si on lui restitue les éléments dont il a besoin.

Mais alors, les gens regardent ce que l'impôt sur les bénéfices agricoles a produit, ils voient :

1923 Seine 658.8oo francs Autres départements...., . 19.929.800 —

20.588.600 francs

Gomment! l'agriculture produit des milliards! et voilà le résultat fiscal.

Et on demande des investigations de comptabilité chez les cultivateurs, comme chez les autres contribuables, et on demande l'établissement des prix de revient des agriculteurs.

Mais la comptabilité agricole est d'une tenue très difficile. La plupart des exploitations agricoles se procurent à elles-mêmes certaines de leurs ma- tières premières. L'agriculteur fera varier les bénéfices ou les pertes de sa récolte selon l'évaluation qu'il donnera à ses fumiers ou à des ensemence- ments provenant de sa propre récolte.

Les Etats-Unis publient, avant même que les récoltes ne soient achevées, la valeur de leurs récoltes : mais cette valeur n'est qu'une prévision qui peut être démentie par les faits. En réalité, on ne connaît la valeur d'une récolte, comme de toute autre marchandise, qu'après sa vente: et elle dure plus d'une année.

XII — L E LAIT ET LE PRIX DU BEURRE

Les évaluations agricoles, comme quantités, et à plus forte raison, comme valeur, occasionnent souvent des surprises.

Le Journal Officiel du i 4 mars a publié une statistique de la production du lait.

J'ai des attaches héréditaires dans le département d'Ilte-et-Vilaine. J'ai constaté que cette statistique lui attribuait une production en lait supérieure d'un million d'hectolitres à celle du Calvados et de plus d'un million d'hec- tolitres à celle de la Manche en TQT3; mais, en 1923, celle du département de la Manche est arrivée à h millions d'hectolitres et celle de l'Ille-et-Vilaine, qui était de /1.700.000 hectolitres, n'est plus que de 4.3oo.ooo. Prudem- ment, dans l'Ille-et-Vilaine, on s'est tenu aux chiffres des centaines de mille.

Mais, dans le Calvados, on a poussé l'exactitude jusqu'aux dizaines : 3.311.870 hectolitres; il n'est pas le seul; dans d'autres, on est allé jusqu'aux centaines; dans presque tous, jusqu'aux mille, et les chiffres totaux com- prennent les dizaines : en IQT3, 128.07s.800 hectolitres; 1.921, io6.5o3.55o;

T922, 113.276.970; i()23, 117.038.120 hectolitres.

L'augmentation depuis TQPT est, comme on voit, constante et témoigne de la reconstitution progressive de notre cheptel.

Dans le détail, les chiffres des dizaines ont été reproduits intégralement.

Les quantités de lait utilisées pour l'alimentation des veaux sont passées de 28.986.430 hectolitres en 1913 à 25.536.83o en 1923. Pour la fabrication

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des beurres, il n'a été employé que 38.972.540 hectolitres en 1923, au lieu de 43.369.180 en 1913. Pour la fabrication des fromages, au contraire, les quan- tités utilisées en 1923 ont été de 22.330.270 hectolitres, contre i3.58g.43o en i g i 3 . C'est sans doute parce que, depuis la guerre, la consommation des fromages, surtout des camemberts, s'est beaucoup accrue. Le rapport offi- ciel donne pour raison que leur fabrication est plus rémunératrice que celle des 'beurres, mais cette affirmation est contestée.

Comme indications générales, ces chiffres peuvent être exacts : mais en poussant leur approximation jusqu'aux dizaines, l'office des renseigne- ments agricoles leur fait perdre de leur autorité.

Ce qu'il dit de la quantité de lait employée au beurre est certainement exact : et voilà pourquoi le beurre est cher, surtout q u a n d on en interdit l'importation.

Mais les ménagères qui se plaignent de la cherté ignorent le changement de destination du lait employé autrefois en beurres * nous verrons un de ces jours un député ou peut-être un ministre vouloir obliger les producteurs de lait à ne plus en distraire pour les fromages au delà de la quantité qui y était employée en 1913.

XIII — EV\LUATION OFFICIELLE DES PROFITS DES CULTIVATEURS DE BETTERAVES

Certains amis des agriculteurs déclarent qu'ils sont de pauvres gens, tou- jours ruinés; ce qui est un singulier moyen de remédier à la désertion des campagnes.

Un inspecteur général de l'agriculture, M. Félix Laurent, a déclaré qu'après une enquête, il avait acquis la conviction que, pendant les trois années 1920-1922, les planteurs de betteraves avaient réalisé un bénéfice total de 2 millions, tandis que les fabricants de sucre avaient gag-né 5*>8 millions.

D«s protestations se sont élevées contre cette expertise. Le Temps a fait observer que « les profits réalisés par les planteurs de betteraves atteignaient

couramment de 2.000 à 2.5oo francs par hectare ».

Je laisse de côté cette-évaluation, si probable qu'elle paraisse * mais celle de l'inspecteur général de l'agriculture, auteur de l'enquête, mérite atten- tion.

Je ne m'occupe pas des bénéfices qu'il attribue aux fabricants de sucre;

mais je regarde des chiffres précis, donnés par le fisc, pour la plantation des betteraves, publiés dans le Journal Officiel du 4 décembre TQ23 Les em- blavures de betteraves à sucre et leur production ont été de :

Hectares Qnantité* nettes Qnintanx

1922 i3o.84o 32.8g3.8oo 1921 120./I70 20.605.700 1920 io4.5oo 24.627.030

Moyenne : 119.000

D'après l'évaluation de cet inspecteur général de l'agriculture, chaque hectare emblavé en betteraves à sucre aurait donné un profit au cultivateur de T6 fr. 80 en trois ans. soit de 5 fr. 60 par an,

(13)

— l82

Gomment cet enquêteur n'a-t-il pas été frappé de l'impossibilité d'un pareil résultat? Et comment ceux qui ont accepté son assertion ne se sont-ils pas inquiété de sa vraisemblance?

Cependant, dans une lettre au Temps (1e r imars 1924), M. Jules Gautier, président de la Confédération nationale des associations agricoles, n'hésite pas à invoquer comme un argument sans réplique l'affirmation que chaque hectare emblavé en betteraves a rapporté en trois ans à son exploitant

16 fr. 80, soit 5 fr. 60 p a r an, pas un centime de plus.

Ni l'inspecteur général enquêteur, ni le président de la Confédération na- tionale des associations agricoles, n'ont fait cette réflexion très simple :

Si lé résultat avait été tel, qui donc aurait emblavé en 1923 un hectare de betteraves à sucre chaque année? Or, les cultivateurs, au lieu d'être découra- gés, ont augmenté leurs emblavures, et, en 1923, elles se sont élevées à

1/17.180 hectares et ont produit 32.22/1.500.

Si la production a été un peu plus faible qu'en 1922, ce fait ne résulte pas de la restriction des surfaces consacrées à cette culture.

(A suivre.) YVES-GUYOT.

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