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Sur le plus général des rabaissements de la vie amoureuse

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Academic year: 2022

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Sur le plus général

des rabaissements de la vie amoureuse

Lorsque le psychanalyste se demande quelle est l'affection pour laquelle on a le plus souvent recours a lui, s'il met à part l'angoisse sous ses multiples formes, il ne peut que répondre l'impuissance psychique. Ce trouble étrange atteint des hommes à forte constitution libidinale et se manifeste en ceci que les organes exécutifs de la sexualité refusent d'accomplir l'acte sexuel, bien qu'ils puissent s’avérer avant comme après intacts et aptes à fonctionner et bien qu'il existe une forte inclination psychique à accomplir l'acte.

Le premier progrès vers la compréhension de son état est réalisé par le malade lui-même, lorsqu'il découvre par les faits qu'une telle défaillance n’apparaît que dans les tentatives avec certaines personnes, tandis qu'il n'en est jamais question avec d'autres. Il sait alors que c'est d'une particularité de l'objet sexuel que résulte l'inhibition de sa puissance virile et il déclare quelquefois avoir la sensation d'un empêchement à l'intérieur de lui-même, la perception d'une contre-volonté qui réussit à entraver son intention consciente.

Mais il ne peut deviner ce qu'est cet empêchement intérieur et quelle est la particularité de l'objet qui le fait naître s'il fait l'expérience répétée d'une telle défaillance, il jugera sans doute, selon le processus bien connu de fausse connexion, que c'est le souvenir de la première fois qui, comme représentation angoissante perturbatrice, a imposé les répétitions ; quant à la première fois, il la rapporte à une impression qui lui serait venue « par hasard ».

Plusieurs auteurs ont déjà écrit et publié des études psychanalytiques sur l'impuissance psychique. Tout analyste peut confirmer les éclaircissements qui y sont donnés, à partir de son expérience clinique propre. Il s'agit en fait de l'action inhibante de certains complexes psychiques, qui échappent à la connaissance de l'individu. Le contenu prévalent de ce matériel pathogène, c'est, le plus généralement, la fixation incestueuse non surmontée à la mère ou à la sœur.

Il faut, en outre, tenir compte de l'influence d'impressions pénibles accidentelles, en liaison avec l'activité sexuelle infantile et des facteurs qui, de façon tout à fait générale, diminuent la libido destinée à être dirigée sur l'objet sexuel féminin.

Si l'on soumet à une étude analytique approfondie des cas d'impuissance psychique marquée, voici ce qu'on apprend sur les processus psychosexuels qui y sont à l’œuvre. Le fondement de l'affection est ici, encore une fois - et comme probablement dans tous les troubles névrotiques - une inhibition dans l'histoire du développement de la libido vers sa configuration finale que l'on peut appeler normale.

Deux courants ici ne se sont pas rejoints, dont la réunion seule assure un comportement amoureux parfaitement normal; ces deux courants, nous pouvons les distinguer comme étant l'un, le courant tendre et l'autre le courant sensuel.

De ces deux courants le plus ancien est le courant tendre. Il provient des toutes premières années de l'enfance; il s'est formé en se fondant sur les intérêts de la pulsion d'auto- conservation et il se dirige sur les personnes de la famille et celles qui donnent les soins à

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l'enfant. Il a entraîné dés le début des apports des pulsions sexuelles, des composantes de l'intérêt érotique, qui déjà dans l'enfance sont plus ou moins évidentes et que la psychanalyse découvre ultérieurement chez les névrosés, dans tous les cas. Il correspond au choix d'objet infantile primaire.

Il nous fait voir que les pulsions sexuelles trouvent leurs premiers objets en étayage sur les évaluations des pulsions du moi, exactement comme les premières satisfactions sexuelles sont éprouvées en étayage sur les fonctions corporelles nécessaires à la conservation de la vie. La « tendresse » des parents et des personnes qui donnent les soins à l’enfant, tendresse qui manque rarement de trahir son caractère érotique (« l'enfant est un jouet érotique »), fait beaucoup pour augmenter les apports de l'érotisme aux investissements des pulsions du moi chez l'enfant et pour les amener à un niveau dont on doit tenir compte dans le développement ultérieur, surtout lorsque certaines autres circonstances y prêtent leur concours.

Ces fixations tendres persévèrent durant l'enfance et ne cessent d’entraîner avec elles de l'érotisme, qui, de ce fait, est détourné de ses buts sexuels. Or, quand vient la puberté, s'y ajoute le puissant courant « sensuel » qui ne méconnaît plus ses buts. Il ne manque apparemment jamais de suivre les voies antérieures, et d'investir alors de charges libidinales beaucoup plus fortes les objets du choix primaire infantile.

Mais, se heurtant là à l'obstacle dressé entre-temps, de la barrière contre l'inceste, il manifestera la tendance à trouver le plus tôt possible le passage de ces objets inadéquats, dans la réalité, à d'autres objets étrangers, avec lesquels on peut mener une vie sexuelle réelle. Ces objets étrangers seront de nouveau choisis selon le prototype (l'image) des objets infantiles mais ils attireront à eux la tendresse qui était attachée aux objets antérieurs.

L'homme quittera père et mère - comme le prescrit la Bible - et suivra sa femme tendresse et sensualité sont alors réunies. Les plus hauts degrés de la passion amoureuse sensuelle impliqueront l'évaluation psychique la plus haute (la surestimation normale de l'objet sexuel de la part de l'homme).

Deux facteurs déterminants peuvent faire échouer cette progression dans le cours du développement de la libido. D'abord la quantité de frustration réelle qui va s'opposer au nouveau choix d'objet et dévaloriser celui-ci pour l'individu. Quel sens cela aurait-il, en effet, à se porter vers le choix d'objet quand on n'a aucune chance de pouvoir choisir quelque chose qui convienne ? Le second facteur est la quantité d'attraction que les objets infantiles à abandonner peuvent manifester> quantité proportionnelle à l’investissement érotique qui a continué à leur être imparti au cours de l'enfance.

Si ces deux facteurs sont assez forts, le mécanisme général de la formation de la névrose entre en action. La libido se détourne de la réalité, est accaparée par l'activité fantasmatique (introversion), renforce les images des premiers objets sexuels et se fixe à ceux-ci. Mais la prohibition de l'inceste contraint la libido tournée vers ces objets à demeurer dans l'inconscient.

Le courant sensuel appartenant maintenant à l'inconscient, se manifeste dans des actes masturbatoires et contribue ainsi à renforcer cette fixation. Que la progression, qui a échoué dans la réalité, soit maintenant accomplie dans le fantasme et que, dans les situations fantasmatiques qui conduisent à une satisfaction masturbatoire, les objets sexuels imaginaires soient remplacés par des objets étrangers - cela ne change rien à l'état de choses. Grâce à un

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tel substitut, les fantasmes sont capables de devenir conscients, mais, quant au placement réel de la libido, il n'y a aucune progression.

De cette façon il peut arriver que toute la sensualité d'un jeune homme soit liée, dans l'inconscient, à des objets incestueux ou> pour s'exprimer autrement, soit fixée à des fantasmes incestueux inconscients. Il en résulte alors une impuissance absolue> que peut encore venir assurer un affaiblissement réel, simultanément acquis, des organes qui exercent l'acte sexuel.

Il n'est pas besoin, pour que se produise ce que l'on appelle proprement impuissance psychique, de conditions aussi rigoureuses. Le courant sensuel ne doit pas subir en totalité le destin qui l'oblige à se cacher derrière le courant tendre ; il doit être resté assez fort ou avoir échappé suffisamment à l'inhibition pour se frayer en partie une voie vers la réalité.

Mais les signes les plus manifestes laissent reconnaître que l'activité sexuelle de telles personnes n'est pas portée par la totalité de la force d'impulsion psychique. Cette activité est capricieuse, facile à troubler, souvent incorrecte dans l'exécution et procure peu de jouissance.

Mais avant tout il lui faut éviter le courant tendre. Ainsi se trouve établie une limitation dans le choix d'objet.

Les seuls objets que recherche le courant sensuel resté actif, sont les objets ne rappelant pas les personnes incestueuses qui lui sont interdites; lorsque émane d'une personne une impression qui pourrait conduire à une haute évaluation psychique, elle ne débouche pas dans une excitation de la sensualité mais dans une tendresse sans effets érotiques. La vie amoureuse de tels hommes reste clivée selon deux directions que l'art personnifie en amour céleste et amour terrestre (ou animal). Là, où ils aiment, ils ne désirent pas et là où ils désirent, ils ne peuvent aimer. Ils recherchent des objets qu'ils n'aient pas besoin d'aimer afin de maintenir leur sensualité à distance de leurs objets d'amour et, selon les lois de la « sensibilité complexuelle » et du retour du refoulé cette étrange défaillance qu'est l'impuissance psychique survient lorsque, dans l'objet choisi pour éviter l'inceste, un trait, souvent peu voyant, rappelle l'objet à éviter.

Contre un tel trouble, le principal moyen de protection qu'utilise l'homme dont la vie amoureuse est ainsi clivée, c'est le rabaissement psychique de l'objet sexuel, tandis que la surestimation normalement attachée à l'objet sexuel est réservée à l'objet incestueux et à ses représentants. Dans la mesure où est remplie la condition du rabaissement, la sensualité peut se manifester librement, aboutir à des réussites sexuelles et à un haut degré de plaisir. Un autre facteur contribue à ce résultat.

Les personnes chez lesquelles les courants tendre et sensuel n'ont pas conflué normalement ont aussi, la plupart du temps, une vie amoureuse qui n'est guère raffinée : chez eux se sont conservés des buts sexuels pervers, dont le non-accomplissement est ressenti comme une vive privation de plaisir> tandis que leur accomplissement ne semble possible qu'avec un objet sexuel rabaissé, déprécié.

Dans notre première Contribution, il a été question des fantasmes du garçon qui abaisse la mère au rang de putain; nous en saisissons maintenant les motifs, qui nous les rendent compréhensibles. Ce sont des efforts pour jeter un pont, au moins de façon fantasmatique sur l'abîme qui sépare les deux courants de la vie amoureuse et pour faire de la mère, en la rabaissant, un objet de la sensualité.

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Jusqu'ici, nous avons procédé à un examen médico-psychologique de l'impuissance psychique, ce que ne justifie pas le titre de cet essai. Mais on va voir que cette introduction était nécessaire pour accéder à notre véritable thème.

Nous avons réduit l'impuissance psychique à la non-confluence des courants tendre et sensuel dans la vie amoureuse et nous avons expliqué à son tour cette inhibition de développement par l'influence de fortes fixations infantiles et de la frustration apparue ultérieurement entre- temps. Il faut avant tout faire à cette théorie l'objection suivante: elle pèche par excès, elle nous explique pourquoi certaines personnes souffrent d'impuissance psychique, mais nous fait apparaître comme mystérieux le fait que d'autres aient pu échapper à cette affection.

La présence de tous les facteurs (Moment) manifestes en cause : forte fixation infantile, barrière contre l'inceste, frustration dans les années du développement post-pubertaire peut être reconnue pratiquement chez tous les hommes civilisés; on serait donc en droit de s'attendre à ce que l'impuissance psychique soit une affection universelle dans le cadre de la civilisation, et non pas la maladie de quelques-uns.

On pourrait aisément se soustraire à ce raisonnement en invoquant le facteur (Faktor) quantitatif du déterminisme de la maladie, ce plus ou moins dont est affectée l'action de chacun de ces facteurs (Momente) et dont il dépend qu'une maladie caractérisée survienne ou non. Mais, aussi désireux que je sois de reconnaître le bien-fondé d'une telle réponse, je n'ai pas pour autant l'intention de rejeter le raisonnement en question; je veux proposer, au contraire, une thèse qui fait de l'impuissance psychique quelque chose de beaucoup plus répandu qu'on ne le croit, un certain degré de celle-ci caractérisant en fait la vie amoureuse de l'homme civilisé.

Si l'on étend le concept d'une impuissance psychique et qu'on ne le limite plus à la défaillance de l'acte du colt dans des cas où existent pourtant une intention de plaisir et un appareil génital intact, il faut d'abord y inclure tous ces hommes que l'on désigne comme atteints d'anesthésie psychique et chez lesquels l'acte s'accomplit sans défaillance mais sans gain de plaisir particulier ce sont des cas plus fréquents qu'on ne voudrait le croire. L'investigation psychanalytique de tels cas découvre les mêmes facteurs étiologiques que nous avons découverts dans l'impuissance psychique au sens étroit, sans que les différences symptomatiques trouvent d'emblée une explication.

De ces hommes atteints d'anesthésie, une analogie facile à justifier nous conduit au nombre énorme de femmes frigides, dont le comportement amoureux ne peut en fait être mieux décrit ou compris qu'en le comparant avec l'impuissance psychique plus bruyante de l'homme.

Mais si, au lieu de viser à une extension du concept d'impuissance psychique, nous considérons les formes simplement ébauchées de sa symptomatologie, nous ne pouvons nous défendre de penser que le comportement amoureux de l'homme dans notre civilisation actuelle porte, dans son ensemble, le caractère de l'impuissance psychique.

Le courant tendre et le courant sensuel n'ont fusionné comme il convient que chez un très petit nombre des êtres civilisés presque toujours l'homme se sent limité dans son activité sexuelle par le respect pour la femme et ne développe sa pleine puissance que lorsqu'il est en présence d'un objet sexuel rabaissé, ce qui est aussi fondé d'autre part, sur le fait

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qu'interviennent dans ses buts sexuels des composantes perverses qu'il ne se permet pas de satisfaire avec une femme qu'il respecte. Il ne parvient à une pleine jouissance sexuelle que lorsqu'il peut s'abandonner sans réserve à la satisfaction, ce qu'il n'ose pas faire par exemple, avec son épouse pudique.

De là provient son besoin d'un objet sexuel rabaissé, d'une femme moralement inférieure à laquelle il n'ait pas à prêter de scrupules esthétiques, qui ne le connaisse pas dans sa vie et ne puisse pas le juger. C'est à une telle femme qu'il consacre de préférence sa puissance sexuelle, même si sa tendresse va tout entière à une femme de plus haut niveau. On observe très fréquemment, chez les hommes appartenant aux classes sociales les plus élevées, le penchant à garder longtemps pour maîtresse et même à choisir pour épouse une femme de condition inférieure; il se peut qu'il n'y ait, aussi dans ce cas, rien d'autre que la conséquence du besoin d'avoir un objet sexuel rabaissé auquel est liée psychologiquement la possibilité de la satisfaction complète.

Je n'hésite pas à rendre également responsables de ce comportement amoureux si fréquent chez les hommes civilisés, les deux facteurs qui agissent dans le cas de la véritable impuissance psychique, à savoir : la fixation incestueuse intensive de l'enfance et la frustration réelle de l'adolescence.

Ce que je vais dire est déplaisant à entendre et au surplus paradoxal, mais on est pourtant forcé de le dire pour être, dans la vie amoureuse, vraiment libre et, par là, heureux, il faut avoir surmonté le respect pour la femme et s'être familiarisé avec la représentation de l'inceste avec la mère ou la sœur. Celui qui, à l'égard de cette exigence, se soumet à un examen de conscience sérieux découvrira sans aucun doute au fond de lui-même que, malgré tout, il considère l'acte sexuel comme quelque chose de rabaissant, qui ne tache et ne souille pas que le corps.

Cette appréciation, qu'à coup sûr il ne s'avoue pas volontiers, il ne pourra en chercher l'origine que dans cette période de sa jeunesse où le courant sensuel était en lui déjà puissant mais se voyait interdire la satisfaction sur un objet étranger presque aussi rigoureusement que sur un objet incestueux.

Les femmes dans notre civilisation, subissent pareillement l'effet lointain de leur éducation et, en outre, le contrecoup du comportement des hommes. Naturellement, pour la femme, le dommage est le même, si l'homme vient à elle sans sa pleine puissance que si la surestimation initiale, due à la passion amoureuse est remplacée par la dépréciation, une fois que l'homme l'a possédée.

Chez la femme on observe moins le besoin d'avoir un objet sexuel rabaissé; cela est sans aucun doute en relation avec cette autre condition elle ne présente rien non plus, en règle générale, qui ressemble à ce qu'est chez l'homme la surestimation sexuelle. Mais le fait que la femme reste longtemps à l'écart de la sexualité et que sa sensualité s'attarde dans le domaine des fantasmes a pour elle une autre conséquence importante. Souvent elle ne peut plus, ensuite, défaire le lien qui attache l'activité sensuelle à l'interdit, et elle s'avère psychiquement impuissante, c'est-à-dire frigide, quant cette activité lui devient enfin permise.

De là, chez beaucoup de femmes, l'effort pour préserver encore pendant un certain temps le secret, même dans le cas de relations autorisées, et chez d'autres femmes, la capacité d'avoir

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des sensations normales dés qu'est rétablie, dans une liaison amoureuse secrète, la condition de l'interdit; infidèles au mari, elles sont en mesure d'assurer à l'amant une fidélité seconde.

Je pense que la condition de l'interdiction dans la vie amoureuse de la femme est assimilable au besoin, chez l'homme, de rabaisser l'objet sexuel. Tous deux sont des conséquences du long délai qui intervient entre la maturité et l'activité sexuelles et est imposé, au moyen de l'éducation, par la civilisation. Tous deux cherchent à supprimer l'impuissance psychique, qui résulte de la non-confluence des motions tendre et sensuelle. Si les mêmes causes ont, chez la femme et chez l'homme, un résultat si différent, peut-être pouvons-nous référer cela à une autre différence dans le comportement des deux sexes.

La femme civilisée ne transgresse généralement pas l'interdit portant sur l'activité sexuelle pendant la période d'attente et ainsi s'établit chez elle la liaison étroite entre interdit et sexualité. L'homme, lui, enfreint la plupart du temps cet interdit, sous la condition du rabaissement de l'objet, et dés lors sa vie amoureuse comportera cette condition.

Etant donné les vifs efforts faits dans la civilisation contemporaine pour réformer la vie sexuelle, il n'est pas superflu de rappeler que la recherche psychanalytique n'a pas plus de prétention de cet ordre que n'importe quelle autre recherche. Elle n'a d'autre but que de découvrir des relations en ramenant le manifeste au caché. Que les réformes se servent de ses découvertes pour remplacer ce qui est nuisible par ce qui est plus avantageux, cela lui convient. Mais elle ne peut prédire si d'autres institutions n'auront pas pour conséquences d'autres sacrifices, peut-être plus lourds.

La domestication de la vie amoureuse par la civilisation entraîne un rabaissement général des objets sexuels : voilà qui peut nous inciter à reporter nos regards des objets aux pulsions elles- mêmes. Le tort causé par la frustration initiale de la jouissance sexuelle se manifeste dans le fait que celle-ci, rendue plus tard libre dans le mariage, n'a plus d'effet pleinement satisfaisant.

Mais la liberté sexuelle illimitée accordée dès le début ne conduit pas à un meilleur résultat. Il est facile d'établir que la valeur psychique du besoin amoureux baisse dés que la satisfaction lui est rendue facile. Il faut un obstacle pour faire monter la libido, et là où les résistances naturelles à la satisfaction ne suffisent pas, les hommes en ont, de tout temps, introduit de conventionnelles pour pouvoir jouir de l'amour. Cela vaut pour les individus comme pour les peuples.

A des époques où la satisfaction amoureuse ne rencontrait pas de difficultés, comme ce fut peut-être le cas pendant le déclin de la civilisation antique, l'amour devint sans valeur, la vie vide et il fallut de fortes formations réactionnelles pour restaurer les indispensables valeurs d'affect. Sous ce rapport, on peut affirmer que le courant ascétique du christianisme a créé pour l'amour un ensemble de valeurs psychiques que l'Antiquité païenne ne pouvait lui conférer.

Ce courant atteignit sa signification la plus haute avec les moines ascètes dont la vie était presque uniquement remplie par le combat contre la tentation libidinale.

Bien sûr, on est d'abord tenté de rapporter les difficultés qui se présentent ici à des propriétés générales de nos pulsions organiques. En effet, que l'importance psychique d'une pulsion croisse avec sa frustration, c'est là, incontestablement une règle générale.

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Que l'on essaie d'exposer à la faim, dans les mêmes conditions, un certain nombre d'hommes aussi différents que possible entre eux avec l'accroissement du besoin impérieux de nourriture, toutes les différences individuelles s'effacent et, à leur place, on voit apparaître les manifestations uniformes de cette seule pulsion inapaisée. Mais vérifie-t-on aussi que la satisfaction d'une pulsion en général entraîne un abaissement aussi marqué de sa valeur psychique ?

Que l'on pense, par exemple, à la relation qui existe entre le buveur et le vin. N'est-il pas vrai que le vin offre toujours au buveur la même satisfaction toxique, que la poésie a si souvent comparée à la satisfaction érotique - comparaison d'ailleurs acceptable d'un point de vue scientifique. A-t-on jamais entendu dire que le buveur fût contraint de changer sans cesse de boisson parce qu'il se lasserait bientôt d'une boisson qui resterait la même ?

Au contraire l'accoutumance resserre toujours davantage le lien entre l'homme et la sorte de vin qu'il boit. Existe-t-il chez le buveur un besoin d'aller dans un pays où le vin soit plus cher ou sa consommation interdite, afin de stimuler par de telles difficultés, sa satisfaction en baisse ?

Absolument pas. Ecoutons les propos de nos grands alcooliques, comme Böcklin sur leur relation avec le vin : ils évoquent l'harmonie la plus pure et comme un modèle de mariage heureux. Pourquoi la relation de l'amant à son objet sexuel est-elle si différente ?

Aussi étrange que cela paraisse, je crois que l'on devrait envisager la possibilité que quelque chose dans la nature même de la pulsion sexuelle ne soit pas favorable à la réalisation de la pleine satisfaction. De la longue et difficile histoire du développement de la pulsion se détachent d'emblée deux facteurs que l'on pourrait rendre responsables d'une telle difficulté.

Premièrement, en raison de l'instauration en deux temps du choix d'objet avec, entre les deux, l'intervention de la barrière contre l'inceste, l'objet final de la pulsion sexuelle n'est plus l'objet originaire, mais seulement son substitut. Or, la psychanalyse nous a appris ceci : lorsque l'objet originaire d'une motion de désir s'est perdu à la suite d'un refoulement, il est fréquemment représenté par une série infinie d'objets substitutifs, dont aucun ne suffit pleinement. Voilà qui nous expliquerait l'inconstance dans le choix d'objet, la faim d'excitation, qui caractérisent si fréquemment la vie amoureuse des adultes.

En second lieu, nous savons que la pulsion sexuelle, au début se divise en une grande série de composantes - ou plutôt, provient d'une telle série - dont toutes ne pourront être intégrées dans sa configuration ultérieure, mais devront auparavant être réprimées ou utilisées autrement.

Ce sont avant tout les composantes pulsionnelles coprophiliques qui se sont avérées incompatibles avec les exigences esthétiques de notre civilisation, vraisemblablement depuis que, passant à la station debout, nous avons élevé au-dessus du sol notre organe olfactif; puis une bonne partie des impulsions sadiques qui appartiennent à la vie amoureuse. Mais tous ces processus de développement ne concernent que les couches supérieures de cette structure complexe. Les processus fondamentaux qui procurent l'excitation amoureuse demeurent inchangés.

L'excrémentiel est bien trop intimement et inséparablement lié avec le sexuel, la situation des organes génitaux - inter urinas et faeces - demeure le facteur déterminant immuable. On pourrait dire ici, en reprenant le mot connu du grand Napoléon : l'anatomie, c'est le destin.

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Quant aux organes génitaux eux-mêmes, ils n'ont pas participé au développement des formes du corps humain vers la beauté, ils sont restés animaux et ainsi l'amour dans son fond est aujourd'hui tout aussi animal qu'il l'a toujours été.

Les pulsions amoureuses sont difficilement éducables, leur éducation aboutit tantôt à trop, tantôt à trop peu. Ce que la civilisation veut faire d'elles ne paraît pas pouvoir être atteint sans une perte sensible de plaisir, la persistance des motions non utilisées se manifeste dans l'activité sexuelle comme insatisfaction.

Il faudrait peut-être alors se familiariser avec l'idée que concilier les revendications de la pulsion sexuelle avec les exigences de la civilisation est chose tout à fait impossible et que le renoncement, la souffrance, ainsi que, dans un avenir très lointain la menace de voir s éteindre le genre humain, par suite du développement de la civilisation, ne peuvent être évités.

Ce sombre pronostic repose, il est vrai, sur cette seule hypothèse que l'insatisfaction qu'entraîne la civilisation est la conséquence de certaines particularités que la pulsion sexuelle a faites siennes sous la pression de la civilisation. Mais cette même incapacité de la pulsion sexuelle à procurer la satisfaction complète, dès qu'elle est soumise aux premières exigences de la civilisation, devient la source des œuvres culturelles les plus grandioses, qui sont accomplies par une sublimation toujours plus poussée de ses composantes pulsionnelles.

Quel motif, en effet, les hommes auraient-ils pour utiliser autrement les forces d'impulsion sexuelles si elles pouvaient procurer, par une répartition quelconque, une satisfaction donnant un plaisir complet ? Ils ne se détacheraient plus jamais de ce plaisir et n'accompliraient plus aucun progrès.

Ainsi semble-t-il que ce soit la différence irréductible entre les exigences des deux pulsions - pulsion sexuelle et pulsion égoïste - qui rende les hommes capables de réalisations toujours plus élevées, avec, il est vrai, un danger constant, auquel succombent actuellement les plus faibles sous la forme de la névrose.

Il n'est pas dans l'intention de la science d'effrayer ou de consoler. Mais je suis moi-même prêt à concéder volontiers que des conclusions d'une aussi grande portée que celles-ci devraient être établies sur une base plus large et que peut-être d'autres modalités de développement de l'humanité permettront de corriger les résultats obtenus à partir de celles que j'ai ici traitées isolément.

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