CAS CLINIQUE /CASE REPORT
Rétinoblastome du grand enfant : à propos d ’ un cas
Retinoblastoma in older children: a case report
M. Bouazza · S. Cherkaoui · A. El Kettani · M. Elbelhadji · A. Mchachi · L. Benhmidoune · K. Zaghloul · A. Amraoui
Reçu le 11 février 2015 ; accepté le 24 mars 2015
© Lavoisier SAS 2015
Résumé Le rétinoblastome est une tumeur intraoculaire maligne touchant essentiellement le nourrisson et le jeune enfant. Le diagnostic se fait habituellement à l ’ âge de 2 ans pour les formes unilatérales et de 1 an pour les formes bila- térales. Le but de notre travail est de rapporter l ’ observation atypique d ’ un enfant qui présente un rétinoblastome endo- phytique unilatéral diagnostiqué à l ’ âge de 14 ans.
Mots clés Rétinoblastome · Endophytique · Grand enfant · Enucléation · Chimiothérapie
Abstract Retinoblastoma is a malignant intraocular tumor that mainly affects infants and young children. The diagnosis is made at an average age of 2 years for unilateral forms and 1 year for bilateral cases. The aim of our study was to report the atypical observation of a child with a unilateral endophy- tic retinoblastoma diagnosed at age 14.
Keywords Retinoblastoma · Endophytic · Older children · Enucleation · Chemotherapy
Introduction
Le rétinoblastome est une tumeur intraoculaire maligne touchant essentiellement le nourrisson et le jeune enfant.
C ’ est la tumeur intraoculaire maligne la plus fréquente chez l ’ enfant [1,2]. Son incidence est estimée à 1 cas pour 15 à 20 000 naissances [3-6]. Il met en jeu le pronostic visuel et vital de l ’ enfant. Le diagnostic se fait en général à l ’ âge de
2 ans pour les formes unilatérales et de 1 an pour les formes bilatérales. Les formes diagnostiquées tardivement après l ’ âge de 5 ans sont très rares. La survenue d ’ un rétinoblas- tome est exceptionnelle à l ’ âge adulte [7-9].
Nous rapportons un cas rare de rétinoblastome diagnos- tiqué à l ’ âge de 14 ans, illustrant les difficultés diagnostique et thérapeutique ainsi que l ’ apport des explorations paracli- niques et de l ’ anatomopathologie dans cette pathologie.
Observation
Il s ’ agit d ’ un enfant âgé de 14 ans, sans antécédents patho- logiques particuliers qui présente une baisse de l ’ acuité visuelle progressive de l ’œ il gauche avec notion de leucoco- rie intermittente depuis 6 mois (Fig. 1). L ’ examen ophtalmo- logique de l ’œ il gauche retrouve une acuité visuelle à mou- vements de la main, une motilité oculaire normale, une rubéose irienne, un hypopion (Fig. 2) et un cristallin clair.
Le fond de l ’œ il retrouve une masse blanchâtre de forme irrégulière non vascularisée masquant la papille et les 2 qua- drants temporaux de la rétine. Le vitré est siège de plusieurs gros nodules flottants blanchâtres en flocons de neige (Figs 3, 4). L ’ examen de l ’œ il droit retrouve une acuité visuelle chiffrée à 10/10 avec un segment antérieur et un fond d ’œ il normaux. Devant cet aspect, nous avons évoqué un rétinoblastome endophytique du fait de sa gravité malgré l ’ âge de l ’ enfant qui n ’ est pas en faveur. Une panuvéite d ’ origine infectieuse a été évoquée en second lieu.
L ’ échographie oculaire retrouve une masse tissulaire réti- nienne hyperéchogène de 12 mm/9 mm avec des calcifica- tions au centre (Fig. 5). La tomodensitométrie (TDM) orbi- taire montre une formation tissulaire endo-oculaire avec des calcifications intratumorales (Fig. 6). Le diagnostic de réti- noblastome unilatéral de l ’œ il gauche est retenu. La tumeur est classée stade E selon la classification internationale du rétinoblastome intra-oculaire indiquant une énucléation de l ’œ il gauche. Un implant intraorbitaire de type hydroxyapa- tite est mis en place (Fig. 7).
M. Bouazza (*) · S. Cherkaoui · M. Elbelhadji · A. Mchachi · L. Benhmidoune · A. Amraoui
Service d’ophtalmologie adulte, hôpital 20 Août 1953, CHU Ibn Rochd, Casablanca
e-mail : mbouazza83@gmail.com A. El Kettani · K. Zaghloul
Service d’ophtalmologie pédiatrique, hôpital 20 Août 1953, CHU Ibn Rochd, Casablanca
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L ’ examen anatomopathologique a confirmé le diagnostic en montrant un rétinoblastome moyennement différencié avec nécrose modérée mesurant 2×2×1,5 cm sans embols
vasculaires et sans extension choroïdienne ou sclérale. La lame criblée est tumorale et la limite de résection du nerf optique est saine (Figs 8, 9). Devant l ’ atteinte macrosco- pique du segment antérieure et l ’ infiltration tumorale de la lame criblée, une chimiothérapie adjuvante a été indiquée.
Discussion
Le rétinoblastome est une tumeur maligne rare de la rétine survenant chez les jeunes enfants [1,2]. Du point de vue génétique, un rétinoblastome unilatéral sans antécédents familiaux, comme c ’ est le cas de notre patient, est un
Fig. 1 Aspect de leucocorie de l’œil gaucheFig. 2 Nodule blanchâtre au niveau de l’angle iridocor- néen avec rubéose irienne
Fig. 3 Décollement rétinien inférieur avec de multiples nodules en flocon de neige
Fig. 4 Gros nodules blanchâtres flottants témoignant de l’impor- tance de l’essaimage vitréen
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rétinoblastome sporadique secondaire à une mutation soma- tique dans 85% à 90% des cas [10,11]. En revanche, les rétinoblastomes bilatéraux ou multifocaux sont tous hérédi- taires de transmission autosomique dominante. Le rétino- blastome est unilatéral chez 75% des cas, avec une moyenne d ’ âge au moment du diagnostic d ’ environ 2 ans [11]. Dans les formes bilatérales, la moyenne d ’ âge au moment du diag- nostic est d ’ environ 1 an et a tendance à diminuer dans les pays industrialisés grâce au dépistage des enfants à risque dès la période néonatale par un examen du fond de l ’œ il sous anesthésie générale. En plus, les formes bilatérales sont dues à une mutation du gène du rétinoblastome appelé gène RB1 localisé en 13q1.4 dans 90% des cas. Cette mutation est héréditaire dans 25% des cas et sporadique dans 75% des cas [11-13]. Les formes diagnostiquées tardivement après l ’ âge
de 5 ans sont très rares, moins de 5% des cas, et posent un problème de diagnostic différentiel [10,11,14-18].
Les deux symptômes révélateurs majeurs sont la leucoco- rie et le strabisme. Les autres circonstances de diagnostic sont rares tels que l ’ hypopion, le glaucome néovasculaire, l ’ hétérochromie irienne et la cécité. Dans notre cas, c ’ est la baisse de l ’ acuité visuelle associée à la leucocorie qui était le motif de consultation.
Dans la série de Shields [10], 27% des rétinoblastomes du grand enfant ont été initialement traités pour une autre affec- tion. Les diagnostics différentiels se posent essentiellement avec la toxocarose oculaire, la maladie de Coats, la persis- tance du vitré primitif hyperplasique et l ’ uvéite [10,19,20].
L ’ examen du fond d ’œ il retrouve une ou plusieurs masses blanches s ’ accompagnant d ’ une dilatation angiomateuse des
Fig. 5 Échographie oculaire montrant une masse tissulaire hyper-échogène avec des calcifications au centre
Fig. 6 Tomodensitométrie (TDM) en coupe frontale montrant une calcification intraoculaire de l’œil gauche
Fig. 7 Aspect postopératoire après équipement de l’œil gauche par une prothèse provisoire
Fig. 8 Rétinoblastome intraoculaire avec cellules à mitoses. Colo- ration Hématéine-Eosine, grossissement * 10
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vaisseaux. Les formes exophytiques ont tendance à décoller la rétine alors que les formes endophytiques envahissent plu- tôt la cavité vitréenne comme c ’ est le cas de notre patient.
L ’ essaimage vitréen, visible sous forme de flocons de neige, constitue un facteur de gravité. Dans les formes typiques, on retrouve des calcifications intratumorales à l ’ échographie oculaire et à la TDM comme dans notre cas. L ’ imagerie par résonance magnétique est indiquée en cas de doute sur un envahissement du nerf optique qu ’ elle permet de mieux préciser [21,22]. Dans la méta-analyse de De Jong et al, l ’ IRM possède une sensibilité de 59% et une spécificité de 94% dans la détection de l ’ envahissement du nerf optique dans sa portion rétro-laminaire [23].
La prise en charge thérapeutique du rétinoblastome ne se conçoit que dans un centre spécialisé, par une équipe pluri- disciplinaire. Les formes unilatérales extensives (plus des 2/3 de la rétine atteints) avec essaimage vitréen sont traitées par énucléation première, car l ’ extension intra-oculaire ne permet pas d ’ envisager un traitement conservateur et impose un traitement adjuvant comme dans notre cas [13].
Conclusion
Bien que le rétinoblastome soit observé majoritairement chez les enfants âgés de 2 ans environ, son diagnostic doit être évoqué devant toute leucocorie même chez le grand enfant.
Liens d ’ intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d ’ intérêts.
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Fig. 9 Infiltration de la lame criblée (cellules à mitose). Coloration Hématéine-Eosine, grossissement * 40
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