Moderniser l’INRP c’est le supprimer
Lors de la création de l’INRP en 1976 l’ajout du mot « recherche » dans le titre de l’Institut pédagogique national (IPN) semblait désigner un objectif clair. La réflexion sur l’enseignement doit donner lieu à une recherche de type Universitaire, c'est-à-dire rigoureuse, documentée, méthodique, évaluée et non plus seulement des innovations sans contrôle. Les enseignants de mathématiques avaient montré la voie avec les IREM. Dès 1980 des thèses puis des HDR (1984) sont soutenues dans diverses universités par des chercheurs de l’INRP.
Immédiatement certains Inspecteurs Généraux participent aux jurys de soutenance et d’autres tentent de s’y opposer rappelant ainsi que pour une fraction importante des administrateurs si le mot « pédagogie » sent le soufre (Les mouvements pédagogiques ont été exclus du siège de l’IPN à Paris après 1968), le mot « recherche » lui-même n’a aucun sens. L’essentiel consiste à maîtriser et restituer le savoir. Cette tension, souvent violemment conflictuelle, s’est manifestée par le fait que, en 30 ans, 16 directeurs se sont succédés à la tête de l’Institut assurant une ainsi « marche aléatoire » sinon chaotique.
Les opposants à toute réflexion spécifique peuvent désormais s’exprimer au grand jour et proposent de manière cohérente « la suppression pure et simple de l’INRP ». Toutefois comme nous serions le seul pays développé à ne pas avoir d’Institut de recherche pédagogique, ils proposent de lui conserver un rôle simplement « documentaire » dans la mesure où cet Institut n’a jamais voulu se transformer en bureau d’étude du Ministère pour des mises au point commanditées : thèmes de convergence, socle commun de connaissances, éducation à l’environnement et au développement durable, éducation à la santé, travaux personnels encadrés. Pour ces trois « experts », la réflexion sur l’enseignement peut s’inscrire totalement dans l’Université, soit dans les disciplines, soit dans les sciences de l’éducation, la philosophie, la sociologie, la psychologie, la muséologie, ou l’histoire. Pour eux la didactique n’a aucune spécificité et n’a pas besoin d’un lieu institutionnel spécifique pour vivre et se développer. Le déménagement à Lyon obligeant à créer des UMR, avait déjà fait disparaître de fait le « département de didactique des disciplines » susceptible de prendre en charge des questions transversales : interdisciplinarité, procédés de schématisation, causalité, pédagogie de projet, problématisation, modélisation. L’interruption de l’interaction avec les enseignants qui enseignent, la disparition des enseignants-chercheurs qui enseignent à mi- temps en lycée ou en collège, la disparition des publications de l’INRP, les luttes universitaires pour les postes et les crédits feront immanquablement disparaître cette recherche de type critique. Enseigner implique en effet l’analyse critique de « processus cognitifs » communs à certains élèves, comme nous l’ont appris par exemple l’épistémologie historique (déconstruction des obstacles) ou l’épistémologie génétique (socio-construction du savoir), mais aussi des choix de valeurs qui sont bien évidemment politiques. Ces choix impliquent un certain engagement, des innovations, une inventivité normative, des essais sinon des expérimentations. Ce à quoi s’oppose la volonté de « normalisation », le principe de précaution qui privilégie le « retour » aux « recettes traditionnelles qui ont fait leurs preuves » (et dont on n’a jamais prouvé ni l’efficacité ni l’innocuité) telles le soi-disant B.A. BA en lecture.
L’un des signataires étant contrôleur économique et financier, on peut supposer qu’une volonté permanente de rechercher d’économies trouve soudain un appui dans une administration réactionnaire et un Ministre de droite qui désignent le lieu où agir.
Guy Rumelhard HDR en didactique des SVT UMR STEF (Sciences, techniques, éducation, formation), INRP/ENS Cachan