2196 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 14 novembre 2012
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La tendance est au sport sur ordonnance
Bien vieille maison en charge de conseiller son gouvernement, l’Académie nationale fran çaise de médecine sait encore prendre le pouls de l’air du temps. Elle vient de le faire savoir en rendant public un rapport consa- cré au sport et aux médicaments. Il conclut que le premier pourrait bien souvent et très avantageusement prendre la place des se- conds. Mais ce document pousse un peu plus loin la logique et fait valoir que, de la même manière que le sont les médicaments, l’exercice physique devrait être pris en charge par l’assurance-maladie. Et ce au motif que pratiqué sur prescription médicale, le sport per mettrait de «réduire la consommation de mé dicaments des Français». L’affaire ne man- que pas de piquant. Elle mérite que l’on s’y arrête une seconde.
«Le sport doit faire partie des prescriptions au cabinet médical, au même titre que les antibiotiques, l’aspirine ou les antidépres- seurs», affirme le Dr Jacques Bazex, auteur de ce rapport avec ses confrères Pierre Pène, Daniel Rivière et Michel Salvador. Les auteurs fondent leur proposition sur un constat : des publications de plus en plus nombreuses viennent confirmer que pratiquer des Acti- vités Physiques et Sportives (APS) tout au long de la vie augmente l’espérance de vie en bonne santé, retarde la dépendance, et constitue un complément thérapeutique ef- ficace en luttant contre la sédentarité pour de nombreuses affections comme l’obésité et bien d’autres encore, sans oublier la prise en charge des sujets en situation d’handicap.
«Outre-Atlantique, la sédentarité a été qua lifiée de "Sedentary Death Syndrome"»
(SeDS). Si les effets favorables de la pratique des APS étaient connus de longue date, les études statistiques appliquées à des popu- lations importantes ont confirmé ce qui était souvent contesté au plan individuel, sou li- gnent les auteurs. La connaissance des re- tentissements des APS sur les processus cel- lulaires, tissulaires et métaboliques s’est con- sidérablement améliorée, et le domaine des APS n’est plus limité à une vision ludique de la vie, mais occupe désormais une large
place, de l’organisme sain à la prise en charge du pathologique. Plus généralement, se con- sacrer à des APS offre aussi des ouvertures considérables dans les domaines du social, de l’éducatif et de l’intégration. Dès lors, notre société peut-elle refuser ou même né- gliger ces avantages ?»
On observera que, comme souvent, la ré- ponse à la question est dans le texte qui la précède. Ce rapport examine les avantages d’une pratique «régulière, raisonnée et rai- sonnable» des APS tout en mettant en garde contre les incidents qui pourraient survenir en cas d’excès. Il rappelle la désaffection de la population (en l’occurrence française) vis- à-vis des APS sans en analyser les causes. Il indique le volume des activités qui offriraient les meilleurs bénéfices et le minimum de risques ainsi que les moyens de parve- nir à un équilibre satisfaisant. Enfin, il
«propose une organisation nouvelle impliquant les pou voirs publics pour guider nos concitoyens vers une prati- que si bénéfique pour l’organisme, voire incontournable pour le bien-être de chacun».
Selon les auteurs, toute la population doit trouver sa place dans ce programme «sport pour la santé» : le médecin doit transmettre ses connaissances, proposer des conférences de consensus et en surveiller leur applica- tion ; le citoyen, lui, doit admettre que le maintien de sa santé appelle la poursuite d’APS pour son bien-être ; les pouvoirs pu- blics doivent intervenir pour rendre priori- taire l’application d’un tel programme au- près de tous les sujets sans discrimination.
D’où l’idée d’une prise en charge de l’exer- cice physique par les pouvoirs publics ; ou plus précisément d’un financement par les pouvoirs publics grâce à des sommes collec- tées auprès de la collectivité. Du moins une prise en charge pour certaines catégories de la population comme, dit-on, cela a été ré- cemment envisagé, notamment en Grande- Bretagne.
Les bases bibliographiques de cette ré- flexion ne font pas débat. Depuis trente ans et plus, on ne compte plus le nombre de publications qui ont démontré les bienfaits de l’exercice sur la santé mentale et physi- que. Nul ne conteste plus qu’à court terme, l’activité peut avoir un effet bénéfique sur le sommeil, le stress ou l’anxiété. Pratiquée ré- gulièrement, elle allonge l’espérance de vie point de vue
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Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 14 novembre 2012 2197 en bonne santé et retarde l’âge d’entrée dans
la dépendance. Et point n’est besoin de «for- cer». Plusieurs données convergent pour affirmer qu’un sport d’intensité modérée, pratiqué au moins trois heures par semaine, réduit le risque de mortalité prématurée de l’ordre de 30%. Et plus le temps passe, plus on établit que des activités d’intensité très modérée fournissent également des béné- fices. A l’inverse, selon l’OMS, la sédentarité serait responsable d’une mort prématurée sur dix.
Des travaux de l’Institut national français de la santé et de la recherche médicale ont établi qu’un programme structuré d’activité physique réduit la pression artérielle chez les personnes souffrant d’hypertension et permet ainsi de différer, voire de rendre sans nécessité le traitement médicamenteux. Un même programme facilite par ailleurs le se- vrage tabagique et joue un rôle déterminant dans la prévention du diabète de type 2 ; et ne parlons pas de la prévention des maladies cardiovasculaires ou de certaines de leurs conséquences.
D’où, précisément, l’idée avancée par l’Aca- démie d’inclure le sport dans les prescrip- tions médicales, en tenant compte de la pa- thologie et de l’état du patient. «Sur l’ordon- nance devra figurer le détail des activités physiques : nature du sport, intensité, durée et fréquence des séances, suivi et contrôles médicaux à observer», précise l’Académie à l’adresse du gouvernement. Elle lui promet que les dépenses engagées sur ce chapitre par l’assurance-maladie seront rapidement compensées par une amélioration de l’état de santé des patients concernés. Une société, liée à la Mutualité française, a calculé que dans le pays l’assurance-maladie économi- serait 56,2 millions d’euros par an en finan- çant à hauteur de 150 euros une activité physique ou sportive adaptée à 10% des pa- tients souffrant de cancer, de diabète ou d’insuffisance respiratoire chronique.
Reste à savoir comment intéresser les mé- decins à l’effet préventif et thérapeutique de l’activité physique. Il faudra ici un certain doigté. Et comment ne pas trop choquer l’industrie du médicament. Eviter les couacs
des communicants, comme ce texte destiné à la presse diffusé le 11 octobre par la ministre française de la Santé et par celle des Sports.
Cela s’est passé à Paris, lors du Conseil des ministres. Les deux ministres y présentaient un plan gouvernemental visant à faire de la pratique des APS un outil essentiel de la stratégie nationale de santé publique. Cette politique aura pour ambition d’accroître le recours à des comportements bénéfiques pour la santé et de développer la recomman- dation des APS par les médecins et les autres professionnels de santé. Ce dans le but de la prévention du «capital santé» de chacune et chacun. Soit «le sport plutôt qu’une longue liste de médicaments».
La formule se veut forte. Elle est en prati- que inaudible. A commencer par les médecins prescripteurs qui se voient de facto accusé de prescrire larga manu quand ils devraient être des moniteurs de gymnastique. Les bon- nes intentions ne font pas tout, en politique sans doute moins qu’ailleurs.
Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com
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