1724 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 7 septembre 2011
actualité, info
Questions sur les «perturbateurs endocriniens» (2)
Il y a peu nous commencions à évoquer les multiples interrogations, environnementales et médicales, soulevées par les perturbateurs endocriniens (Rev Med Suisse 2011;7:1594-5).
Vaste et redoutable sujet où les inquiétudes sont nombreuses et les certitudes assez min- ces. Or voici, coïncidence, qu’une actualité en provenance de Chine vient nourrir fort concrètement cette problématique. A Pékin l’organisation Greenpeace vient de faire sa- voir que des traces de «substances chimiques toxiques susceptibles de porter atteinte aux organes de reproduction des êtres vivants»
ont été détectées dans des produits de qua- torze grands fabricants de vêtements. Suc- cès médiatique assuré quand on cite, comme le fait Greenpeace, le nom de quelques-unes des marques concernées : Adidas, Uniqlo, Calvin Klein, Li Ning, H&M, Abercrombie
& Fitch, Lacoste, Converse ou Ralph Lauren.
L’ONG de longue date autopromue (avec le succès que l’on sait) en charge de la défen- se de l’environnement explique avoir acheté dans dix-huit pays et analysé des échantil- lons de vêtements commercialisés sous ces marques et fabriqués notamment en Chine, au Vietnam, en Malaisie et aux Philippines.
«Des éthoxylates de nonylphénol (NPE) ont été détectés dans deux tiers de ces échantil- lons» a fait valoir Greenpeace lors d’une con- férence de presse présentant le rapport Dirty Laundry.1 Et Greenpeace de préciser que les NPE sont des produits chimiques fréquem- ment utilisés comme détergents dans de nom- breux processus industriels et dans la pro- duction de textiles naturels et synthétiques.
Déversés dans les circuits des eaux usées puis dans un environnement plus large, les NPE se décomposent en nonylphénol (C15
H24 O), une substance aux effets œstrogé- niques et classée de ce fait dans les pertur- bateurs endocriniens. Elle est susceptible de contaminer la chaîne alimentaire, de s’accu- muler au sein des organismes vivants, de perturber les équilibres hormonaux et d’al- térer les fonctions reproductrices ainsi que la croissance. «Ce n’est pas seulement un pro- blème pour les pays en développement où sont fabriqués les textiles, prévient Green- peace. Etant donné les quantités résiduelles de NPE relâchées quand les vêtements sont lavés, ils s’insinuent dans des pays où leur usage est interdit.» Une manière nullement voilée d’inciter les consommateurs à la ré- flexion écologique et donc de faire ainsi pression sur les fabricants concernés.
C’est aussi une manière de poser une nouvelle fois la question de savoir si l’on as- siste ou non aujourd’hui – du fait de ces mo- lécules (ici d’origine synthétique) perturbant les systèmes endocriniens – à une augmen- tation des «maladies environnementales».
Nous avons vu comment la question pou- vait être posée pour ce qui est de certains cancers hormono-dépendants à la lecture d’un rapport récemment adopté par l’Office parlementaire français d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST).
Qu’en est-il de l’autre principale tête de cha- pitre concernant les pathologies de la fertilité ?
«Les problèmes de reproduction ont très largement focalisé l’attention des médias com me des chercheurs, occultant sans doute d’autres dysfonctionnements possibles des mécanismes endocriniens mais pouvant toute- fois utilement servir d’éléments d’alerte ou de preuve dans ce débat, rappellent les au- teurs de ce rapport. Celui-ci s’est surtout
focalisé sur les problèmes de fécondité mas- culine et de dévirilisation, ce qui est en soi nouveau, car très longtemps les questions de stérilité portaient exclusivement sur l’ap- pareil reproducteur féminin. Ce dernier n’est cependant pas exclu des constatations réali- sées aujourd’hui.»
De quoi parle-t-on essentiellement ici ? Tout d’abord de l’hypothèse du syndrome de «dysgénésie testiculaire» avancée à partir des études systématiques lancées dans les
années 1950 pour étudier la «qualité» du sperme humain. Premières alertes dans les années 1970 lorsque l’on commença à mettre en évidence, aux Etats-Unis, les premières diminutions importantes des concentrations en spermatozoïdes. Puis, au début des an- nées 1990, une méta-analyse (contestée) pu- bliée dans le British Medical Journal montra une décroissance régulière et importante de la production spermatique durant le demi- siècle précédent. D’autres chercheurs (pour l’essentiel au Danemark) s’intéressèrent alors aux incidences comparées dans le temps de différentes pathologies génitales masculines comme le cancer du testicule, la cryptorchi- die ou l’hypospadias.
On en vint ainsi progressivement à la for- mulation de l’hypothèse du syndrome de dysgénésie testiculaire réunissant ces diffé- rents éléments et coïncidant avec une baisse de la fertilité, voire à une hypofertilité, à un
«déclin spermatique». «L’hypothèse d’un dé- clin spermatique est aujourd’hui très large- ment admise même si elle suscite plus de questions que de réponses» résume le rap- avancée thérapeutique
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Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 7 septembre 2011 1725 port de l’OPECST. De fait, les différentes
données épidémiologiques françaises au- jourd’hui disponibles apparaissent très hé- térogènes et ne permettent guère de conclu- re quant à la réalité du phénomène et donc, a fortiori, quant à son origine.
La problématique d’un impact environne- mental sur les équilibres endocriniens hu- mains concerne également la femme avec, comme première question, celle de savoir si l’on observe (et pourquoi) une modification des âges de la puberté et de la ménopause.
On estime généralement aujourd’hui que, dans les pays occidentaux, l’âge de la puberté s’abaisse de 0,3 an par décennie (Norvège, Finlande, Etats-Unis) et de 0,18 an en France.
En revanche, l’âge de la ménopause semble peu évoluer et reste stable autour de 50 ans.
Reste, pour ce qui nous concerne, la ques- tion centrale : faut-il ou non conclure à l’exis- tence d’une corrélation entre les différents phénomènes observés et le rôle de perturba- teurs endocriniens présents dans un environ- nement modifié par l’homme ? Les auteurs du rapport renvoient notamment ici à un ré- cent ouvrage 2 signé de trois spécialistes fran- çais faisant autorité dans ce domaine : Bernard Jégou, Pierre Jouannet et Alfred Spira.
«Même s’ils estiment peu probable que des facteurs génétiques expliquent les évolu- tions constatées ces dernières années compte tenu de leur rapidité et de leur manifesta- tion dans des zones différentes et éloignées et qu’ils considèrent l’hypothèse de la res- ponsabilité des facteurs chimiques comme la plus étayée et la plus sérieuse, l’établisse- ment d’une relation causale doit selon ces auteurs tenir compte des autres facteurs en- vironnementaux» résument le rapport de
l’OPECST. Quels facteurs ? Il s’agit tout d’abord des agents physiques comme la chaleur, les rayonnements ionisants ou la lumière. Il s’agit aussi de facteurs psychoso- ciaux (stress, activité physique, consomma- tion régulière de tabac et d’alcool, nutrition, obésité) qui, dans le domaine de la fertilité et de la fécondité, peuvent avoir de multi- ples impacts.
Dans un tel paysage quelle importance faut-il aujourd’hui attribuer aux perturba- teurs endocriniens ? Corollaire plus général : quelle politique convient-il, raisonnablement, de mener face à un risque que l’on peine à évaluer ? Pour le reste, Pékin ou pas, chacun demeure libre de choisir des vêtements de telle ou telle marque ; voire même, qui sait, de préférer des vêtements sans marque.
(Fin)
Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com
1 www.senat.fr/noticerapport/2010/r10765notice.html 2 Jégou B, Jouannet P, Spira A. La fertilité humaine en
danger. Paris : Editions La Découverte, 2009;ISBN:
9782707156389.
Livre analysé : Pr Bernard Hoerni, Dr Jacques Robert, et quatre codirecteurs de publication.
Préface du Pr Maurice Tubiana. Ed. Frison–
Roche, Paris, 2011, 607 pages.
Il s’agit de la quatrième édition complétée et mise à jour d’un ouvrage publié sous la direc
tion de l’oncologue bordelais Bernard Hoerni (qui est aussi un expert en matière de déonto
logie et d’histoire médicale), qui s’est d’abord appelé «Les Cancers de A à Z». Ouvrage qui frappe comme encyclopédique, au meilleur sens du terme. Appréciation du Pr Tubiana dans la préface : «il a non seulement la recherche de l’exhaustivité mais, ce qui est mieux, la hauteur de vue, le goût de la perspective et de la pros
pective et, pourquoi ne pas le dire, une âme, un dessein. Et ce dessein est de faire com
prendre le cancer à un public cultivé et, par là, l’apprivoiser et le démythifier».
Fort de 600 pages, agréable à consulter, il comprend un millier de rubriques, mots et no
tions en rapport avec le cancer, présentées sous une forme bien accessible : formidable fresque de ce qu‘est la maladie cancéreuse et ses multiples dimensions, relations et enjeux.
Avec, audelà des sciences de base, de la mé
decine et des soins, beaucoup de références à l’histoire, aux sciences sociales, à la littérature et aux arts, méritant ainsi bien le qualificatif de humanisé. Des portraits d’hommes et de fem
Dictionnaire humanisé des cancers
mes célèbres, des résumés de films et de ro
mans. Qu’on en juge par quelques titres de rubri ques : accompagnement, ADN, adventistes, Sainte Agathe, alcool, baron Alibert, dermato
logue du XVIIIe siècle, amiante, androgènes, Anne d’Autriche souffrant d’un cancer du sein, antidépresseurs, L’arbre de Noël (livre et film), le cycliste Lance Armstrong, arrêt de travail, arsenic, artistes (des noms), associations de malades, autonomie, De l’Autre côté du bistouri (témoignage d’un chirurgien) ; et puis vaccina
tion, maladie de Vaquez, vérité, Pierre Viansson
Ponté (et Léon Schwartzenberg), vieillissement, Virchow, virus, Vivre comme avant, Waldenström (maladie de Pompidou et Boumediene), James Watson (la double hélice des chromosomes), Marguerite Yourcenar, Fritz Zorn (Zurichois auteur du fameux ouvrage autobiographique
«Mars»). Ceci pour prendre des exemples à la première et aux dernières lettres de l’alphabet.
Dans la substantielle introduction, panorama très instructif, Hoerni relève : «L’évolution des connais sances et des idées sur les cancers s’est accé
lérée à partir de 19601970, il en va de même des représentations qu’on s’en fait. Ce livre n’au
rait pas pu être écrit il y a trente ans. Les stéréo
types stigmatisants changent heureusement sous l’influence de l’information plus libre et la vulgarisation, comme les assure cet ouvrage, et de l’expérience perçue à partir de cancers qui sont de moins en moins cachés». A propos de vérité et transparence : «Pourtant quel que soit le malaise engendré par la réalité, il n’y a pas d’au
tre solution que de l’affronter (…) Les attitudes qui ont découlé [de l’absence d’information, du secret observé visàvis du patient] ont trop pé
nalisé les personnes malades dont le fardeau est aggravé encore par un contexte "pipé"».
Plus loin : dans l’étude et le traitement des can
cers, «la dernière source de variété – ou plutôt la première – vient des malades. La maladie avait dans le passé éclipsé le malade et laissé le champ libre à un paternalisme traditionnel ; on découvre que le malade est après tout le premier auxiliaire de la médecine. C’est aussi le premier concerné, qui élabore des théories éventuellement fâcheuses pour expliquer l’ori
gine de son cancer. C’est le seul qui puisse juger de sa propre qualité de vie. C’est lui qui doit après traitement participer activement à la réadaptation. Au début du XXIe siècle, la per
sonne malade vient enfin occuper le centre du système de santé».
Vaste somme sur le thème cancer et société, le «Dictionnaire humanisé» est aussi une mine d’informations scientifiques, médicales et médicosociales sur la maladie cancéreuse, aux plans biologique, diagnostique, thérapeu
tique, préventif et de santé publique. A noter qu’on s’est donné la peine de procéder à une indexation croisée fouillée des rubriques (ren
vois), facilitant la mise en relation de sujets ap
parentés ; très utile. L’ouvrage intéressera les médecins et les autres professionnels de santé et du domaine social comme ceux que pas
sionnent l’éthique et l’histoire de la médecine.
Soigneusement actualisé dans cette nouvelle édition, il répondra à beaucoup de questions.
Dr Jean Martin La Ruelle 6, 1026 Echandens jean.martin@urbanet.ch
étude montre également que dans les centres d’urgences surchargés du Canada, près de 70% des patients n’ont pas d’examen d’image
rie dans ces délais qui paraissent pourtant bien raisonnables.
Drs Stéphanie Fehr, Marcos Schwab et Thierry Fumeaux GHOL, Hôpital de Nyon
Perry JJ, et al. Sensitivity of computed tomography performed within six hours of onset of headache for diagnosis of subarachnoid haemorrhage : Prospec
tive cohort study. BMJ 2011;343:d4277 doi:10.1136/
bmj.d4277.
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