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L’état de nécessité en droit international

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Master

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L'état de nécessité en droit international

SAVADOGO, Haoua

Abstract

Invoqué par bon nombre d'Etats depuis le 19ème siècle et discuté par plusieurs juridictions et instances internationales, l'état de nécessité a pendant longtemps souffert d'un manque de statut juridique clair, précis et reconnu par tous en droit international. Tandis que certaines juridictions voyaient en lui une circonstance excluant l'illicéité, d'autres ne l'admettait qu'en tant que circonstance atténuant la responsabilité. Cette différence de traitement a conforté pendant plusieurs années la position de ceux qui s'opposaient à l'admission de l'état de nécessité comme circonstance excluant l'illicéité. Toutefois, cette situation sera en grande partie remédiée d'une part par l'adoption définitive le 9 août 2001 par la CDI du projet d'articles sur la responsabilité de l'Etat pour fait internationalement illicite. Dans ce projet, l'état de nécessité est clairement érigé en circonstance excluant l'illicéité sous réserve de la réunion de certaines conditions très strictes et rigoureuses. D'autre part, la Cour internationale de Justice a affirmé dans l'arrêt analysé en l'espèce que [...]

SAVADOGO, Haoua. L'état de nécessité en droit international. Master : Univ. Genève, 2015

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:78414

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Faculté de droit Année académique

2014-2015

MÉMOIRE DE MASTER EN DROIT

Présenté par Savadogo Haoua

Directrice de mémoire : Pr. Laurence Boisson de Chazournes

L’état de nécessité en droit international

Analyse à la lumière de l’arrêt rendu par la Cour internationale de Justice le 25 septembre 1997 en l’affaire relative au projet Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie c.

/Slovaquie) et des sentences arbitrales : « CMS GAS Transmission co. /République Argentine » du 12 mai 2005 et « LG&E Energy corp.et as. co. / République

Argentine » du 4 octobre 2006

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Table des matières

Table des matières ... 4

Résumé ... 5

Remerciements ... 6

Listes des abréviations ... 7

I- L’impact de l’état de nécessité sur l’application du traité de 1977 ... 15

A- Un « état de nécessité écologique » consacré comme circonstance excluant l’illicéité du non respect par un Etat de ses obligations conventionnelles ... 15

1- Définition, critères, limites et conséquences de l’invocation de l’état de nécessité .. 16

2- L’appréciation de l’existence ou de l’inexistence en l’espèce d’un « état de nécessité écologique » ... 21

B - L’état de nécessité dans la notification hongroise de terminaison du traité de 1977 ... 28

1- Distinction entre le droit des traités et le droit de la responsabilité ... 28

2- L’interférence du droit de la responsabilité dans le droit des traités. ... 30

II- L’état de nécessité devant les tribunaux d’arbitrage depuis l’arrêt de la CIJ de 1997: les sentences « CMS GAS Transmission co/République Argentine » du 12 mai 2005 (affaire CMS) et « LG&E Energy corp.et as.c./République Argentine » (affaire LG&E) du 4 octobre 2006 ... 30

A- Un « état de nécessité économique » consacré comme circonstance excluant l’illicéité par les tribunaux CIRDI ... 31

1- Contexte politique et économique des requêtes ... 31

2- La reconnaissance d’un intérêt essentiel de sécurité menacé par une crise économique ... 32

B- Divergences entre les deux sentences sur la détermination des critères de gravité de la crise économique pouvant justifier l’invocation par l’Argentine de l’état de nécessité ... 33

1- Lecture comparative des sentences CMS et LE&G ... 34

2- Lecture critique des sentences CMS et LE&G ... 36

Conclusion ... 38

Bibliographie ... 40

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Résumé

Invoqué par bon nombre d’Etats depuis le 19ème siècle et discuté par plusieurs juridictions et instances internationales, l’état de nécessité a pendant longtemps souffert d’un manque de statut juridique clair, précis et reconnu par tous en droit international. Tandis que certaines juridictions voyaient en lui une circonstance excluant l’illicéité, d’autres ne l’admettait qu’en tant que circonstance atténuant la responsabilité. Cette différence de traitement a conforté pendant plusieurs années la position de ceux qui s’opposaient à l’admission de l’état de nécessité comme circonstance excluant l’illicéité.

Toutefois, cette situation sera en grande partie remédiée d’une part par l’adoption définitive le 9 août 2001 par la CDI du projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite. Dans ce projet, l’état de nécessité est clairement érigé en circonstance excluant l’illicéité sous réserve de la réunion de certaines conditions très strictes et rigoureuses. D’autre part, la Cour internationale de Justice a affirmé dans l’arrêt analysé en l’espèce que l’état de nécessité est une circonstance excluant l’illicéité reconnue par le droit international coutumier.

Notre analyse a pour but de mettre en évidence le rôle joué par les juridictions, instances et tribunaux internationaux dans la codification du droit international en générale et dans l’émergence de l’état de nécessité comme circonstance excluant l’illicéité en droit international en particulier.

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Remerciements

La réalisation de ce mémoire a été possible grâce au concours de plusieurs personnes à qui je voudrais témoigner toute ma reconnaissance.

Je voudrais tout d’abord adresser toute ma gratitude à ma Directrice de mémoire, Pr.

Laurence Boisson de Chazournes, pour sa patience, sa disponibilité et surtout ses judicieux conseils, qui ont énormément contribué à alimenter ma réflexion. Grâce à elle, j’ai beaucoup appris tout au long de ce travail. Je lui dis du fond du cœur merci.

J’aimerais remercier aussi le Pr. Makane Moïse Mbengue qui m’a guidé avec ses précieux et judicieux conseils dans le choix de mon sujet de mémoire.

Je voudrais exprimer ma sincère et profonde reconnaissance à Monsieur Komlan Sangbana qui m’a accompagné et guidé tout au long de mon travail. Un grand merci à Madame Mara Tignino qui m’a aidé avec ses précieuses corrections et observations pour la finalisation de mon travail.

Ma reconnaissance va également au Dr. Simon Gaberell qui m’a permis de comprendre le contexte politique et environnemental de l’affaire Gabcikovo-Nagymaros.

Enfin, j’adresse mes sincères remerciements à mes amis qui m’ont soutenu moralement et matériellement tout au long de mes démarches. Je tiens à remercier spécialement Ousmane Zongo qui m’a apporté un soutien inestimable dans la finalisation de ce mémoire sans oublier Gloria Kpakpo qui a été à mes côté tout au long de mon travail.

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Listes des abréviations

ACDI : Annuaire de la Commission du droit international AFDI : Annuaire français de droit international

CDI : Commission du droit international CIJ : Cour internationale de Justice

CIRDI : Centre international de règlement des différends liés aux investissements CPJI : Cour permanente de Justice internationale

ILM : International Legal Materials

LGDJ : Librairie générale de droit et de jurisprudence RBDI : Revue belge de droit international

RGDIP : Revue générale de droit international public RQDI : Revue québécoise de droit international

RSA : Recueil des sentences arbitrales (Nations Unies) SDN : Société des Nations

SFDI : Société française pour le droit international

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Introduction

L’admission de l'état de nécessité comme cause d’exclusion de l’illicéité est largement étayée. Cette circonstance a été invoquée par des Etats et examinée par des juridictions internationales. Le moyen ainsi évoqué lors de ces affaires a été accepté dans son principe1.

Fort de ce constat, la Commission du droit international (ci-après la CDI) a inséré, dans son Projet d’articles sur la responsabilité des États, l’état de nécessité comme une circonstance excluant l’illicéité d’un fait internationalement illicite sous réserve de la réalisation cumulative de certaines conditions rigoureusement définies à l’article 252 du projet d’articles de la CDI sur la responsabilité des Etats adopté en deuxième lecture en 2001. L’expression

« état de nécessité » renvoie à des situations de fait dans lesquelles, la seule possibilité qu’a un État de sauvegarder un intérêt essentiel menacé par un péril grave et imminent est d’adopter un comportement contraire de ce qui est requis de lui par une ou plusieurs obligations internationales mises à sa charge, le respect desdites obligations étant de moindre importance3.

C’est avec intérêt que nous constatons que la Cour internationale de Justice (ci-après « la Cour ») approuve l’état de nécessité tel que formulé par la CDI. En effet, avant de constater que la Hongrie ne pouvait pas faire valoir une telle excuse, la Cour s’est attachée à vérifier au préalable si un état de nécessité avait existé en 1989 dans l’arrêt en cause sur la base de l’article 33 (article 25 du Projet d’articles adopté en deuxième lecture en 2001) du Projet d’articles sur la responsabilité des États adopté en première lecture en 1996. S’inscrivant toujours dans la logique de la CDI, la Cour souligne avec insistance, le caractère particulièrement exceptionnel de l’état de nécessité, plus exceptionnel encore que les autres

1CDI, Rapport de la Commission à l’Assemblée Générale sur les travaux de sa cinquante-troisième session, A.C.D.l., 2001, vol. II (2), p.85, par.3. L’affirmation de la CDI semble être soutenable dans la mesure où bon nombre d’Etats, depuis le 19ème siècle, ont invoqué et continuent d’invoquer l’état de nécessité pour justifier des faits violant une ou plusieurs de leurs obligations internationales. Voir dans ce sens le différend anglo-portugais (Portugal/Royaume-Uni) de 1832, cité in J., Crawford, Les articles de la C.D.I. sur la responsabilité de l’Etat-Introduction, texte et commentaires, 2003, Paris Pedone, p.216; Affaire de l’indemnité russe (Russie/Turquie) sentence du 11 novembre 1912, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XI (publication des Nations Unies, numéro de vente :61.V.4), p.443.Voir également les réponses danoise et suisse à la demande d’informations du Comité préparatoire de la Conférence de Codification de la Société des Nations (La Haye, 1930), SDN, Conférence pour la codification du droit international, Bases de discussion établies par le Comité préparatoire à l’intention de la Conférence, t. III : Responsabilité des Etats en ce qui concerne les dommages causés à la personne ou aux biens des étrangers (C.75. M.69. 1929. V), p.126 et p. 58. Ces réponses sont reproduites dans : CDI, Document de la trente-deuxième session (non compris le rapport de la Commission à l’Assemblée générale), A.C.D.I, vol.

II(1) 1980 p.21, par.20.

2« 1. L’Etat ne peut invoquer l’état de nécessité comme cause d’exclusion de l’illicéité d’un fait non conforme à l’une de ses obligations internationales que si ce fait : a. Constitue pour l’Etat le seul moyen de protéger un intérêt essentiel contre un péril grave et imminent ; et b. Ne porte pas gravement atteinte à un intérêt essentiel de l’Etat ou des Etats à l’égard desquels l’obligation existe ou de la communauté internationale dans son ensemble. 2. En tout cas, l’état de nécessité ne peut être invoqué par l’Etat comme cause d’exclusion de l’illicéité : a. Si l’obligation internationale en question exclut la possibilité d’invoquer l’état de nécessité ; ou b. Si l’Etat a contribué à la survenance de cette situation », in J., Crawford, op.cit, note 1, p.214.

3 J.,Crawford, op.cit., note 1, p.214

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causes exonératoires de responsabilité. Elle rappelle qu’il doit être soumis à des conditions strictement définies et cumulativement réunies et l’État qui s’en prévaut ne saurait être le seul juge de la réunion desdites conditions (arrêt, §51).

Un rappel préalable des motifs de droit et de fait à l’origine de ce différend s’avère nécessaire.

Le 16 septembre 1977, la République populaire hongroise et la République socialiste tchécoslovaque, tous deux soumis aux régimes communistes, ont signé un traité « relatif à la construction et au fonctionnement du système d’écluses de Gabcikovo-Nagymaros »4 en tant qu’investissement conjoint. L’investissement conjoint poursuivait quatre objectifs à savoir la production d’hydro-électricité, l’amélioration des conditions de la navigation sur le tronçon en cause du Danube, le développement économique de la région et la protection des populations riveraines contre les inondations5. En effet, le Danube est le deuxième fleuve d’Europe, par sa longueur, l’étendue de son bassin et le volume de son débit. Sur 142 kilomètres, il constitue la frontière entre la Hongrie et la Slovaquie. Le tronçon auquel se rapporte cette affaire est, quant à lui, long, d’environ 200 kilomètres, situés entre Bratislava, en Slovaquie, et Budapest, en Hongrie6.

4 Nations Unies, Recueil des Traités, vol.1109, p.211.

5 Arrêt, § 15. Aux termes du préambule du traité de 1977.

6 Cf. croquis n°1 reproduit en annexe ; voir aussi arrêt, § 16.

Figure 1:source : http://www.nouvelle-europe.eu/node/57 (consulté le 03/01/2015)

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Le traité de 1977 prévoit en particulier la construction de deux séries d’écluses dont l’une à Gabcikovo, en territoire tchécoslovaque, et l’autre à Nagymaros, en territoire hongrois ; l’ensemble devant constituer un « système d’ouvrages opérationnel, unique et indivisible » dont la construction, le financement et la gestion seraient menés conjointement, les deux parties participant à parts égales7. Ces ouvrages doivent notamment comprendre un réservoir en amont de Dunakiliti, en territoire hongrois et en territoire tchécoslovaque, un barrage à Dunakiliti en territoire hongrois, un canal de dérivation en territoire tchécoslovaque, sur lequel doit être construit le système d’écluses de Gabcikovo, l’approfondissement du lit du Danube après la jonction du canal de dérivation et de l’ancien lit du fleuve, un renforcement des ouvrages de protection contre les inondations le long du Danube en amont de Nagymaros, le système d’écluses de Nagymaros en territoire hongrois et l’approfondissement du lit du Danube en aval de Nagymaros. Deux centrales hydro-électriques doivent également être construites, l’une en territoire tchécoslovaque d’une capacité de 720 mégawatts, et l’autre en territoire hongrois d’une capacité de 158 mégawatts 8(insérer article 9).

7 Cf. croquis n°2 reproduit en annexe ; voir article 1 al.1 et article 5 al.1 du traité de 1977.

8 Article 1er, § 1 du traité de 1977.

Figure 2:https://www.google.ch/search?q=SKETCH-MAP+NO.+2+affaire+gabcikovo+nagymaros (consulté le 03-02- 2015)

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Le projet étant susceptible d’avoir un impact important sur l’environnement, les parties s’engagent à veiller à ce que sa mise en œuvre ne nuise pas à la qualité des eaux du Danube et que les intérêts en matière de pêcherie soient protégés (articles 15 et 20 du traité de 1977). Par ailleurs, aux fins de l’article 19 du même traité, les Parties contractantes doivent assurer « par les moyens spécifiés dans le plan contractuel conjoint, le respect des obligations concernant la protection de la nature découlant de la construction et du fonctionnement du système d’écluses ».

Quant au calendrier de réalisation des travaux9, il a été fixé dans un accord d’assistance mutuelle relatif à la construction du système d’écluses de Gabcikovo-Nagymaros10signé le 16 septembre 1977, en même temps que le traité lui-même.

Les travaux relatifs au projet commencèrent en 1978 conformément au calendrier fixé dans l’accord d’assistance mutuelle. Ils furent ralentis par un protocole signé le 10 octobre 1983, pour des raisons essentiellement économiques, mais aussi, subsidiairement, écologiques avancées par la Hongrie (arrêt § 57).

En 1989, la Hongrie fit valoir que l'état des connaissances scientifiques a sensiblement évolué. C’est pourquoi les deux parties ont signé un autre protocole le 6 février 1989 réduisant le délai d’achèvement de la construction d’une année (arrêt § 21 et 57).

Mais la construction du barrage de Gabcikovo-Nagymaros fera l’objet tout de suite de nombreuses critiques en Hongrie pour des motifs d’ordre environnemental et économique. En effet, les mouvements écologistes des années 80, opposés au projet Gabcikovo-Nagymaros, se sont constitués en parti politique et ont favorisé le renversement de l’ex-gouvernement communiste. Le gouvernement qui l’a remplacé a été conduit à placer l’environnement au centre de ses préoccupations. Par ailleurs, la construction du double système de barrage s’est très vite avérée couteuse alors que les ressources financières hongroises étaient relativement limitées. Enfin, Budapest s’est rendu compte que dans les zones susceptibles d’être affectées par le projet Gabcikovo-Nagymaros en territoire slovaque, vivait une minorité hongroise assez substantielle11.

9 Conformément à l’article 1 de l’accord d’assistance mutuelle, les travaux préparatoires de réalisation du projet Gabcikovo- Nagymaros débuteront en 1978 et la construction prendra fin en 1991.

10 Nations Unies, Recueil des Traités, vol.1724, p.133.

11 E., Robert, «L’affaire relative au projet Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie). Un nouveau conflit en matière d’environnement devant la Cour internationale de Justice ?», Studia Diplomatica, n° 5/1994, pp.19-20.

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Ces diverses raisons et principalement la pression des écologistes ont conduit le gouvernement hongrois à suspendre le 13 mai 1989 les travaux à Nagymaros12 en attendant le résultat de diverses études devant aboutir avant le 31 juillet de la même année. Le 21 juillet 1989, le gouvernement hongrois prolonge la suspension des travaux à Nagymaros jusqu’au 31 octobre 1989 et suspend également les travaux à Dunakiliti jusqu’à cette date. Le 27 octobre 1989, il décide unilatéralement d’abandonner purement et simplement les travaux à Nagymaros et de maintenir le statuquo à Dunakiliti.

Pour la Slovaquie en revanche, le Projet Gabcikovo-Nagymaros présente un enjeu politique et économique majeur. Sous l’angle politique, le barrage sera présenté comme la première grande réalisation de la Slovaquie juste après son accession à l’indépendance le 1er janvier 1993 alors que sur le plan économique, d’une part le projet de barrage Gabcikovo- Nagymaros a nécessité des investissements colossaux en Tchécoslovaquie d’autant plus qu’au moment où la Hongrie décidait d’arrêter sa part des travaux, Bratislava avait déjà quasiment terminé la sienne13 et d’autre part, après son accession à l’indépendance, la Slovaquie comptait sur la centrale hydroélectrique associée au projet de barrage pour assurer son développement économique14.

Dans ce contexte tendu, les parties ont essayé en vain de trouver un accord. La Tchécoslovaquie met alors à l’étude des solutions de rechange. Elle a décidé en juillet 1991 de commencer des travaux en vue de permettre la réalisation de l’une de ces solutions, dite

« variante C ». Celle-ci, composée d’un ensemble complexe d’une dizaine d’ouvrages, situés en Tchécoslovaquie (arrêt, § 66), implique notamment le détournement unilatéral en plein territoire slovaque, à partir de Cunovo, d’une partie des eaux du Danube et à la conduire par un canal de dérivation jusqu’à la centrale hydroélectrique de Gabcikovo15.

Les négociations se poursuivirent pendant ce temps, mais suite à leur échec la Hongrie transmit le 19 mai 1992 à la Tchécoslovaquie une note verbale mettant fin à compter du 25 mai 1992 au traité de 197716. Le 15 octobre 1992, la Tchécoslovaquie entama les travaux devant permettre la fermeture du Danube et elle procéda, à partir du 23 octobre de la même année, au barrage du fleuve (arrêt, § 65).

12 R., Cans, « Ce barrage qui oppose Bratislava à Budapest », Le Monde Diplomatique, n°47, février 1993, p.3.

13 K., Okolicsany, «Slovak-Hungarian Tension: Bratislava Divert the Danube», Radio Free Europe/RL Research Report, vol.I, n°49, 11 décembre 1992, p.51.

14 Ibid., 52.

15 E., Robert, op.cit., note 11, p.24; cf. aussi croquis n°3 reproduit en annexe.

16 « Déclaration du gouvernement hongrois sur la terminaison du traité du 16 mai 1992 », ILM, vol. XXXII, n°5, 1993, pp.1260-1290.

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Le 23 octobre 1992, la Cour internationale de Justice fut saisie d’une requête de la République de Hongrie contre la République fédérative tchèque et slovaque concernant le détournement du Danube. Toutefois, la Hongrie reconnaissait qu’il n’y avait aucune base sur laquelle la Cour eu pu fonder sa compétence pour connaitre de cette requête, à laquelle la Tchécoslovaquie ne donna pas de suite (arrêt § 24). Dans l’intervalle, la Commission des Communautés européennes avait offert sa médiation et, lors d’une réunion tenue à Londres le 28 octobre 1992 entre les deux parties et la Commission, la Hongrie et la Tchécoslovaquie convinrent que le différend serait soumis à la Cour internationale de Justice17.

Le 1er janvier 1993, la Slovaquie devint un Etat indépendant. Le 7 avril 1993, les deux parties signèrent à Bruxelles un compromis visant à soumettre à la Cour internationale de Justice les contestations concernant le projet Gabcikovo-Nagymaros et demandèrent à la haute instance de dire :

17 Arrêt, § 24 ; « Accord de Londres sur le projet Gabcikovo-Nagymaros, Tchécoslovaquie, Hongrie », Commission européenne, 28 octobre 1992, ILM, op.cit., note 12, pp.1291-1292.

Figure 3: arrêt de la Cour, p. 26

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a) si la République de la Hongrie était en droit de suspendre puis d’abandonner, en 1989, les travaux relatifs au projet de Nagymaros ainsi qu’à la partie du projet de Gabcikovo dont elle est responsable aux termes du traité »18 ;

b) si la République fédérative tchèque et slovaque était en droit de recourir, en novembre 1991, à la « solution provisoire » et de mettre en service, à partir d’octobre 1992, ce système19 ;

c) quels sont les effets juridiques de la notification, le 19 mai 1992, de la terminaison du traité de 1977 par la Hongrie20.

La Cour était également priée, dans la deuxième partie du compromis, de déterminer les conséquences juridiques, y compris les droits et les obligations pour les parties, de l’arrêt qu’elle rendra sur les questions énoncées ci-dessus.

Avant d’exposer les solutions données par la Cour aux problèmes qui lui étaient soumis, il faut rappeler succinctement les positions des deux États. Dans l’ensemble, on peut constater que les arguments de la Slovaquie sont essentiellement fondés sur l’obligation de respecter les traités, alors que la Hongrie a surtout soutenu que les normes du droit international qui se sont imposées après la conclusion du traité de 1977 en matière de protection de l’environnement rendaient impossible l’exécution du traité. Pour la Hongrie, l’obligation qui existait préalablement de ne pas causer de dommage substantiel au territoire d’un autre Etat était devenue avec le temps une obligation erga omnes de prévention des dommages à l’environnement conformément au principe de la précaution (arrêt §97). En ce qui concerne les revendications de Budapest, la Cour rejette (arrêt, § 59 et 115) effectivement ses arguments principaux relatifs à la suspension et l’extinction du traité de 1977 (1ere et 3e question du compromis). Sur la 2e question, la Hongrie ne l’ « emporte » que partiellement, car la Cour va estimer que la construction de la variante C est licite, mais condamne sa mise en service (arrêt, § 88).

En guise de solution au problème qui lui est soumis dans la deuxième partie du compromis, la Cour va considérer que le Traité de 1977 est toujours en vigueur entre les Parties. Mais elle invite celles-ci à en réviser le contenu, sans perdre de vue les objectifs initiaux, tout en tenant compte de la situation actuelle, et en particulier des réalisations déjà effectuées (arrêt, § 132).

18 Aux termes de l’article 2, § 1, al. a), du compromis.

19 Aux termes de l’article 2, § 1, al. b), du compromis.

20 Article 2, § 1, al. C), du compromis.

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Elle insiste notamment sur le fait que la prise en considération des incidences du projet remanié sur l’environnement devra être un élément central de la solution définitive du différend (arrêt, § 140).

Du reste, les conclusions de la Cour sur l’état de nécessité dans le cas d’espèce ne sont pas restées lettre morte. En effet, les tribunaux d’arbitrage notamment les tribunaux CIRDI n’ont pas hésité à s’y appuyer pour affirmer que l’état de nécessité est une cause d’exclusion de l’illicéité reconnue par le droit international coutumier dans les différends qui ont opposé l’Argentine aux entreprises américaines. Par ailleurs, s’inscrivant dans une logique d’appréciation évolutive de la notion d’état de nécessité comme circonstance excluant l’illicéité amorcée par la Cour, les tribunaux CIRDI ont consacré un état de nécessité économique comme circonstance excluant l’illicéité.

Dans la suite de notre analyse, nous nous pencherons principalement sur l’impact de l’état de nécessité en droit international sur l’application des traités et accessoirement sur la distinction entre le droit des traités et celui de la responsabilité des Etats. Pour la clarté de la présentation, notre commentaire sera articulé autour de deux principales parties à savoir l’impact de l’état de nécessité sur l’application du traité de 1977 (I), et l’état de nécessité devant les tribunaux d’arbitrage depuis l’arrêt de la Cour analysé en l’espèce (II).

I- L’impact de l’état de nécessité sur l’application du traité de 1977

Répondant aux première et troisième questions posées dans le compromis, la Cour, d’une part, consacre un « état de nécessité écologique » en appréciant la décision hongroise de suspension puis d’abandon du projet à travers l’analyse de la notion d’ « état de nécessité écologique » évoquée par la Hongrie pour justifier sa conduite dans la mise en œuvre du traité (A), et d’autre part, se prononce sur les effets juridiques de la notification hongroise de terminaison du traité de 1977 (B)

A- Un « état de nécessité écologique » consacré comme circonstance excluant l’illicéité du non respect par un Etat de ses obligations conventionnelles

Pour justifier sa décision de suspension puis d’abandon des travaux de réalisation du projet Gabcikovo-Nagymaros, la Hongrie a fait valoir devant la Cour qu’il existait un «état de

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nécessité écologique ». Acceptant d’y voir une circonstance excluant l’illicéité, la Cour refuse toutefois de considérer que l’« état de nécessité » était avéré en l’espèce.

1- Définition, critères, limites et conséquences de l’invocation de l’état de nécessité Tel que l’a défini la CDI, l’état de nécessité désigne « la situation où se trouve un Etat n’ayant absolument pas d’autre moyen de sauvegarder un intérêt essentiel menacé par un péril grave et imminent que celui d’adopter un comportement non conforme à ce qui est requis de lui par une obligation internationale envers un autre État »21.

Faisant droit à l’argument hongrois, la Cour admet sans difficulté que « l’état de nécessité constitue une cause, reconnue par le droit international coutumier, d’exclusion de l’illicéité d’un fait non conforme à une obligation internationale » (arrêt, § 51). L’affirmation est importante en droit international de la responsabilité parce que jusque-là, les juridictions ou instances internationales étaient réservées à voir en l’état de nécessité, une circonstance excluant l’illicéité encore moins reconnue par le droit international coutumier, certaines y voyaient plutôt une circonstance atténuante de responsabilité22.

L’affirmation de la Cour semble conférer à l’état de nécessité un statut juridique relativement clair en droit international général. En effet, avec le projet d’articles de la CDI adopté en première lecture en 1996 et relu en 2001, l’arrêt de la Cour en cause a convaincu bon nombre de juridictions et instances internationales qui n’hésitent plus aujourd’hui à voir en l’état de nécessité, une circonstance excluant l’illicéité reconnue par le droit international coutumier23. Aussi, la Cour n’hésitera-t-elle pas à réaffirmer sa position dans son avis consultatif sur Les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé24.

21 CDI, 2001, op.cit. note 1, p.85, par.1.

22 J., COMBACAU, S., SUR, Droit international public, Paris, L.G.D.J, 11e édition, 2014, p.548.

J., COMBACAU cite à l’appui l’affaire du Détroit de Corfou : « Affaire du Détroit de Corfou, Arrêt du 9 avril 1949 : C.I.J.Recueil 1949, p.4. ».

23 Affaire Rainbow Warrior (France/Nouvelle-Zélande), sentence arbitrale du 30 avril 1990, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XX (publication des Nations Unies, numéro de vente : E/F.93.V.3; Affaire Libyan Arabe Foreign Investment Company and The Republic of Burundi (LAFICO/État du Burundi), sentence arbitrale du 4 mars 1991,Revue belge de international , Bruylant, Bruxelles, 1990/2, pp.548 et 549,par.56; les tribunaux CIRDI ont également approuvé l’état de nécessité tel qu’il est formulé à l’article 25 du projet de la CDI même s’ils ne l’ont pas admis dans tous les cas d’espèce : CMS Gas Transmission/Argentine, Case n°ARB/01/8 du 12 mai 2005, disponible sur :http://www.worldbank.org/icsid/cases (consulté le 20-11-2014); Enron Corporation and Ponderosa Assets L.P/Argentine Republic, Case n°ARB/01/3 du 22 mai 2007, Th., CHRISTAKIS, « Quel remède de la jurisprudence C.I.R.D.I. sur les investissements en Argentine ?: La décision du comité ad hoc dans l’affaire CMS c. Argentine » RGDIP 2007, vol.III, p.879-896 ; Sempra Energy International/Argentine Republic, Case n°ARB/02/16, du 28 septembre 2007, disponible sur : Http://www.worldbank.org/icsid/cases (consulté le 15-01-2015); L.G & E.,Energy Corp.,L.G.& E., Capital Corp.,and L.G &

E. International Inc./Argentine Republic, Case n°ARB/02/1 du 3 octobre 2006, disponible sur : http://www.worldbank.org/icsid/cases (consulté le 20-11-2014); The MV Saiga (n°2) case (St Vincent/Guinée), I.L.M.,1999, vol.38,p.1323.

24 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, ordonnance du 30 janvier 2004, C.I.J. Recueil 2004, p.3.

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Tout cela, de prime abord, semble ne pas conforter la position des auteurs25 qui soutiennent que l’état de nécessité n’est pas un principe du droit international coutumier.

Toutefois, la Cour va considérer immédiatement que l’état de nécessité « ne saurait être admis qu’à titre exceptionnel » (arrêt, § 51) sous la réalisation cumulative de certaines conditions et dans le respect de limites bien déterminées.

Craignant une utilisation abusive, la CDI a érigé de nombreuses conditions rigoureusement définies sans la présence cumulative desquelles, l’état de nécessité ne saurait être invoqué26. Par ailleurs, elle a fixé trois limites27 à la possibilité qu’ont les États d’invoquer l’état de nécessité comme circonstance excluant l’illicéité. La Cour rappelle que les parties se sont accordées, au cours de l’instance, pour estimer que l'existence d'un état de nécessité doit être appréciée à la lumière des critères énoncés par la Commission du droit international à l'article 33 (article 25 du projet d’articles adopté en deuxième lecture en 2001) du projet d'articles sur la responsabilité internationale des États qu'elle a adopté en première lecture en 1996 (arrêt, § 50). Cet article se lit comme suit :

1. L’état de nécessité ne peut pas être invoqué par un État comme une cause d'exclusion de l'illicéité d'un fait de cet État non conforme à une de ses obligations internationales, à moins que

a) Ce fait n'ait constitué le seul moyen de sauvegarder un intérêt essentiel dudit État contre un péril grave et imminent; et que.

b) Ce fait n'ait pas gravement porté atteinte à un intérêt essentiel de 1'Etat à l'égard duquel l'obligation existait.

2. En tout état de cause, l'état de nécessité ne peut pas être invoqué par un État comme une cause d'exclusion d'illicéité :

a) Si l'obligation internationale à laquelle le fait de 1'État n'est pas conforme découle d'une norme impérative du droit international général; ou

b) Si l'obligation internationale à laquelle le fait de 1'État n'est pas conforme est prévue par un traité qui, explicitement ou implicitement, exclut la possibilité d'invoquer l'état de nécessité en ce qui concerne cette obligation; ou

25 Parmi ces auteurs, voir S., HEATHCOTE, « Est-ce-que l’état de nécessité est un principe de droit international coutumier ? », Revue belge de droit international, 2007/1, p.54-89.

26 CDI, 2001 op.cit., note 1, p.88, par.14, 15, 16 et 17.

27 Ibid., p.89.par.19.

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c) Si 1'État en question a contribué à la survenance de l'état de nécessité »28.

Pour déterminer si la Hongrie pouvait se prévaloir de l’état de nécessité pour suspendre puis abandonner les travaux qu’elle devait accomplir en application du traité de 1977, la Cour va donc se livrer à l’examen des différentes « conditions de base » posées par l’article 33 susvisé à l’issu duquel elle a retenu les cinq conditions ci-après qui, selon elle, sont « pertinentes » en l’espèce et reflètent le droit international coutumier (arrêt, § 52):

 Un « intérêt essentiel » de l’État doit avoir été en cause;

 Un « péril grave et imminent » doit avoir menacé cet intérêt ;

 Le fait illicite doit avoir été le « seul moyen » de sauvegarder ledit intérêt ;

 L’État auteur du fait illicite ne doit pas avoir « contribué à la survenance de l’état de nécessité » ;

 Le fait illicite ne doit pas avoir « gravement porté atteinte à un intérêt essentiel » de l’Etat à l’égard duquel l’obligation existait.

Les limites à l’invocation de l’état de nécessité auxquelles la Cour n’a pas consacré un long développement sont au nombre de quatre et deux d’entre elles découlent du paragraphe 2 de l’article 33 susvisé.

La première limite est relative aux obligations découlant d’une norme impérative du droit international général29. D’ailleurs, cette limite est commune à toutes les circonstances excluant l’illicéité prévues au chapitre V du projet d’article de la CDI adopté en deuxième lecture en 200130. La CDI a particulièrement souligné le fait qu’il est impossible pour un État d’invoquer l’état de nécessité pour justifier un fait violant l’interdiction du recours à la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout autre État31.

La deuxième limite réside dans le fait que l’État auteur du fait illicite ne saurait être admis à invoquer l’état de nécessité s’il a « contribué à la survenance de cet état ». La CDI précise que pour opposer valablement cette limite à l’invocation par un Etat de l’état de nécessité, il

28 J.,Crawford, op.cit., note 1,p.214,

29 CDI,1980, op.cit., note 1, p.20, par.16.

30 Article 26 du projet d’articles de la CDI dispose que : « Aucune disposition du présent chapitre n’exclut l’illicéité de tout fait qui n’est pas conforme à une obligation découlant d’une norme impérative du droit international général ». La notion de jus cogens est définie par l’article 53 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 en ces termes : « Aux fins de la présente Convention, une norme impérative du droit international général est une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des États dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère ».

31 CDI, 1980, op.cit., note 1, p.20, par.16.

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faut que ce dernier ait contribué de manière substantielle et non accessoire ou secondaire à la survenance de l’état de nécessité32.

La troisième limite vise, quant à elle, deux catégories de situations. D’une part, la possibilité pour un État d’invoquer l’état de nécessité pour justifier un fait illicite dont il est l’auteur est exclue lorsque l’obligation violée résulte d’une convention multilatérale ou bilatérale notamment les conventions humanitaires excluant expressément toute possibilité d’en appeler à une quelconque « nécessité » pour justifier l’adoption par un État d’un comportement non conforme à l’une des obligations résultant de ladite convention33. Dans un tel cas de figure, l’applicabilité du principe du droit international général concernant l’excuse de nécessité sera automatiquement écartée en ce qui concerne les obligations découlant de ladite convention34. En l’espèce, le traité de 1977 ne semble comporter aucune clause excluant expressément la possibilité d’invoquer l’état de nécessité. D’autre part, d’autres obligations, sans exclure expressément la possibilité d’invoquer l’état de nécessité, ont été spécialement conçues pour s’appliquer dans des cas de péril pour l’État ou pour ses intérêts essentiels: en pareils cas, l’impossibilité d’invoquer l’état de nécessité découle clairement de l’objet et du but de la règle35.

Enfin la quatrième et dernière limite, sans exclure la possibilité d’invoquer l’état de nécessité comme circonstance excluant l’illicéité, écarte l’application des critères d’admission de l’état de nécessité posés par le projet d’articles de la CDI sur la responsabilité des Etats. Elle est réalisée lorsqu’une convention bilatérale ou multilatérale prévoit expressément que les Etats parties en questions ne sont pas tenus de respecter les obligations qu’elle met à leur charge au cas où une situation spéciale de « nécessité » les en empêcherait36. Dans un tel cas de figure, l’existence d’un état de nécessité sera appréciée conformément aux conditions posées par ladite convention et non pas d’après celles posées par l’article 33 susvisé37.

L’état de nécessité comme circonstance excluant l’illicéité, lorsque son existence est établie, engendre les conséquences suivantes:

-L’exclusion de l’illicéité du fait. Comme la CDI l’a souligné, la pratique des Etats révèlent que le véritable effet de la présence d’une circonstance excluant l’illicéité n’est pas, normalement du moins, d’exclure la responsabilité qui autrement découlerait d’un fait en lui-

32 CDI, 2001, op.cit., note 1, p.89, par.20.

33 CDI, 1980, op.cit., note 1, p.44, par.68.

34 Ibid., p.44, par.68.

35CDI, 2001, op.cit., note 1, p.89, par.19.

36CDI,1980, op.cit., note 1, p.43, par.67.

37 Ibid., p.44, par.67.

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même illicite, mais plutôt d’exclure que le comportement de l’Etat dans une circonstance excluant l’illicéité soit qualifié d’illicite38. En l’espèce, la CIJ a pertinemment relevé que lorsque la Hongrie a choisi d’invoquer l’état de nécessité pour justifier sa conduite dans la mise en œuvre du traité de 1977, cette dernière a choisi de se placer d'emblée sur le terrain du droit de la responsabilité des Etats, impliquant par là qu'en l'absence d'une telle circonstance sa conduite eût été illicite (arrêt, § 48).

-L’exclusion de la responsabilité de l’Etat, auteur du fait39. Toutefois, il faut noter qu’une telle exclusion n’intervient qu’indirectement. Autrement dit, la conséquence principale de l’état de nécessité n’est pas d’exclure toute possibilité de mise en jeu de la responsabilité de l’Etat auteur du fait, laissant donc subsister l’illicéité de ce comportement. L’exclusion de la responsabilité résulte de l’élimination de l’illicéité du fait qui, sans la présence d’une situation de nécessité, aurait engendré cette responsabilité40. En l’espèce, la CIJ abonde dans le même sens en soulignant que si l’existence de l’état de nécessité avait été établie, elle aurait permis d’affirmer que, compte tenu des circonstances, la Hongrie n'aurait pas engagé sa responsabilité internationale en agissant comme elle l'a fait (arrêt, § 48).

-La limitation de la portée de l’obligation en cause41. La conduite tenue par l’Etat dans une situation de nécessité n’est pas qualifiée d’illicite parce qu’il n’y serait pas obligé de se conduire autrement42. Cependant, la limitation de la portée de l’obligation est tempérée par le fait que l’existence établie d’un état de nécessité ne fait pas disparaitre l’obligation en cause.

Par ailleurs, l’existence établie d’un état de nécessité ne dispense pas l’État qui s’en prévaut de l’obligation d’indemniser la partie lésée conformément à l’article 2743 du projet d’articles de la CDI adopté en 2001. Cette dernière devient inopérante en fait mais subsiste juridiquement et dès lors que l’état de nécessité cesse, elle recommence à produire ses effets.

Allant dans le même sens, la CIJ fait observer en l’espèce que même si l'on considère que l'invocation de l’état de nécessité est justifiée, le traité ne prend pas fin pour autant; il peut être privé d'effet tant que l'état de nécessité persiste; il peut être inopérant en fait, mais il reste en vigueur, à moins que les parties n'y mettent fin d'un commun accord. Dès que l'état de

38CDI, documents de la trente et unième session (non compris le rapport de la Commission à l’Assemblée générale), A.C.D.I., 1979, vol. II (1), p.30, par.53. Voir aussi les réponses formulées par les Gouvernements autrichien, britannique et norvégien à propos du point XI de la demande d’informations soumise aux Etats par le Comité préparatoire de la Conférence de codification de 1930, concernant les « cas dans lesquels un Etat est fondé à décliner sa responsabilité » : Société des Nations, op.cit., note 1, p.125. Ces réponses sont également reproduites dans : CDI, op.cit., note 38, p.30, par.53.

39 CDI, op.cit., note 38 p.30, par.53.

40 Ibid., p.31, par.54.

41 Ibid., p.31, par.54.

42 Ibid., p.31, par.54.

43 « L’invocation d’une circonstance excluant l’illicéité conformément au présent chapitre est sans préjudice : a) Du respect de l’obligation en question si, et dans la mesure où, la circonstance excluant l’illicéité n’existe plus ; b) De la question de l’indemnisation de toute perte effective causée par le fait en question ».

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nécessité disparait, le devoir de s'acquitter des obligations découlant du traité renait. Aussi, la Cour mentionne-t-elle que la Hongrie a expressément reconnu qu’en tout état de cause un tel état de nécessité ne la dispenserait du devoir de dédommager son partenaire pour toute perte effective que son comportement aurait causé conformément à l’art.27 du projet d’articles.

2- L’appréciation de l’existence ou de l’inexistence en l’espèce d’un « état de nécessité écologique »

Les cinq conditions ci-dessus retenues par la Cour devaient être cumulativement réalisées au moment où la Hongrie a décidé de la suspension puis de l’abandon des travaux qu’elle devait remplir conformément au traité de 1977.

-Un « intérêt essentiel » de l’Etat doit avoir été en cause. Il faut noter que les intérêts susceptibles d’être qualifiés d’ « essentiels » au sens de l’article 25 du projet d’articles n’ont pas été prédéfinis par la CDI ni dans son Projet ni dans son commentaire y relatif. Elle y souligne tout simplement que la mesure dans laquelle un intérêt donné est « essentiel » dépend de l’ensemble des circonstances et ne peut être préjugée44. Elle a néanmoins mentionné qu’il peut s’agir d’intérêts propres à l’État et à ses ressortissants, comme d’intérêts de la communauté internationale dans son ensemble.45. En l’espèce, la Hongrie, dans ses mémoires conclusifs et plaidoiries orales, avait fait valoir deux types de périls pour l’environnement: dans un premier temps, elle a évoqué les risques de détérioration des conditions d’approvisionnement en eau potable et à destination de l’industrie. D’une part le changement du lit du cours du fleuve serait à l’origine d’une diminution importante de la nappe phréatique et du système naturel de filtrage de l’eau à la rive46. Ce sont 45% des réserves en eau potable de la Hongrie et tout spécialement de Budapest qui seraient touchées47. D’autre part, les travaux réalisés pourraient provoquer une pollution substantielle des eaux en surface et en profondeur48. Le deuxième péril pour l’environnement est d’ordre géologique: il s’avère qu’aucune étude géologique sérieuse n’a été réalisée quant aux conséquences du choix d’implantation du site et quant à l’impact du barrage sur le milieu géologique. Des risques importants existent aussi tout spécialement en cas de secousse

44 CDI, 2001 op.cit., note 1, p.88, par.15.

45Ibid., p.88, par.15.

46 Déclaration du gouvernement hongrois sur la terminaison du traité du 16 mai 1992, op.cit. note 16, p.1277.

47 K., Okolicsany, op.cit. note 13, p.52.

48 Ibid., pp.1277-78; arrêt, § 40.

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sismique49. Enfin, les travaux effectués seraient susceptibles de bouleverser l’équilibre écologique fragile de cette région du Danube50. La Slovaquie y répliquera à son tour avec deux arguments: elle souligne d’une part que l'état de nécessité invoqué par la Hongrie ne constituait pas un motif de suspension d'une obligation conventionnelle reconnu par le droit des traités et d’autre part elle n’a pas hésité de mettre en doute le fait que la « nécessité écologique» ou le «risque écologique » puisse constituer, au regard du droit de la responsabilité des États, une circonstance excluant l‘illicéité d'un acte (arrêt, § 44). Cependant la Cour ne confortera pas la Slovaquie dans ses convictions lorsqu’elle admet sans difficulté que les préoccupations exprimées par la Hongrie en ce qui concerne son environnement naturel dans la région affectée par le projet Gabcikovo-Nagymaros avaient trait à un « intérêt essentiel » de cet État, au sens où cette expression est utilisée à l'article 25 du projet de la CDI (Arrêt, § 53). La conclusion de la Cour sur ce point parait soutenable d’autant que la CDI a eu à relever que la sauvegarde de l’équilibre écologique est considérée de nos jours comme répondant à un « intérêt essentiel » de tous les États51.

La Cour souligne qu’elle a « récemment eu l’occasion de rappeler l’importance que le respect de l’environnement revêt à son avis, non seulement pour les États, mais aussi pour l’ensemble du genre humain» (arrêt, § 53). Elle cite, à cet effet, un passage de son avis consultatif du 8 juillet 1996 sur La licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires52 dans lequel elle rappelait déjà l’importance concrète de l’environnement.

Au vu de ce qui précède, on peut relever que la notion d’« intérêt essentiel » au sens de l’article 25 du projet de la CDI évoque davantage l’intérêt public que l’intérêt national souvent formel d’un Etat parce qu’elle a trait aux besoins essentiels de la société en général et aux responsabilités communes à tous les Etats pour la satisfaction de ces besoins53. Aussi, cette affaire retient l’attention en raison de son apport au droit international de protection de l’environnement54. En effet, la Cour y a consacré la notion de nécessité écologique dont il est

49 Ibid., pp.1274-75.

50 Ibid., pp.1280-81. Voir aussi G.Vida,Compte Rendu d’audience 97/2 (trad.), p.56, p.60.Ainsi, selon la Hongrie, la zone abritait nombre d’espèces rares et menacées, y compris certaines espèces endémiques, dont les vairon des vases européens. Alors qu’on en estimait le nombre à 200.000 individus en 1991, ils auraient pratiquement tous disparu en 1992 du fait de la dérivation des eaux du fleuve. Cf. également K.KERN, Compte Rendu d’audience 97/4 (trad.), pp.39 et ss.

51CDI, Rapport de la Commission à l’Assemblée générale sur les travaux de sa trente-deuxième session, A.C.D.I., 1980, vol. II(2) p.37 et 38,para.14.

52Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J.Recueil 1996, pp.241-242.par.29. Cité au § 53 de l’arrêt du 25 septembre 1997.

53 Ph., WECKEL, « Convergence du droit des traités et du droit de la responsabilité internationale à la lumière de l’Arrêt du 25 septembre 1997 de la Cour internationale de Justice relatif au projet Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie) », RGDIP,1998/1, p.663.

54J.,SOHNLE, « Irruption du droit international de l’environnement dans la jurisprudence de la Cour internationale de Justice – l’affaire relative au projet Gabcikovo-Nagymaros », RGDIP, 1998/1, p.85 ss.

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désormais reconnu qu’elle peut exceptionnellement justifier un comportement d’un État non conforme à ses obligations internationales. Par ailleurs, la Cour considère que les préoccupations environnementales touchent à l’intérêt essentiel de l’État. Ainsi, sans remettre en cause sa volonté de préserver rigoureusement l’autorité des engagements, la Cour admet la prise en compte de la légitimité des préoccupations sociales qui transcendent les intérêts formels des États et voit dans l’importance que revêt le respect de l’environnement, une nécessité sociale objective. Par le biais du présent arrêt, le droit international de l’environnement fait irruption dans la jurisprudence de la Cour et y est désormais définitivement ancré55. En effet, la Cour y consacre non seulement le principe conceptuel du développement durable (arrêt, § 140 al.1 in fine) et le principe des droits des générations actuelles ou futures auquel elle donne une portée avant tout environnementale (arrêt, § 140 al.4) mais aussi et surtout les règles générales du droit international de l’environnement à savoir la prévention des dommages environnementaux (arrêt, § 140 al.3) et l’interdiction de causer un dommage à l’environnement d’un autre État (arrêt, § 53). Cependant, ce n’est que lorsque l’intérêt essentiel de nature environnementale est menacé par un péril grave et imminent que cette première condition posée par la CDI dans l’article 25 let. a du projet d’articles est satisfaite. En outre le fait illicite doit avoir été le seul moyen de sauver cet intérêt du péril grave et imminent.

-Un « péril grave et imminent » doit menacer cet intérêt. La notion de « péril grave et imminent » n’a pas non plus été définie ni précisée par la CDI ni dans son projet d’articles ni dans son commentaire de 1980 y relatif56. Elle y souligne seulement que la menace ou le danger pesant sur l’intérêt essentiel de l’Etat doit être extrêmement grave et incomber actuellement à l’intérêt menacé57. Dans son commentaire de 2001 relatif au projet d’articles, la CDI a tenté de préciser la notion de « péril grave et imminent » en mentionnant que le péril doit être objectivement établi, la seule appréhension d’un péril possible ne pouvant à cet égard suffire et qu’en plus d’être grave, le péril doit être imminent, c’est-à-dire présenter un caractère de proximité58.

55J.,SOHNLE, « Irruption du droit international de l’environnement dans la jurisprudence de la Cour internationale de Justice – l’affaire relative au projet Gabcikovo-Nagymaros », op. cit., note 62, p.90.

56 Voir dès 1982, les observations des Pays-Bas qui remarquaient précisément que plusieurs expressions, parmi lesquelles

« péril grave et imminent », « ne sont pas définies et ne se prêtent pas à une définition abstraite et (…) doivent être interprétées », « Commentaires et observations relatifs aux chapitres IV et V de la première partie du projet », CDI, A.C.D.I., 1982, vol. II(1), p.20.

57 CDI, 1980, op.cit., note 1, p.19, par.13.

58 CDI, 2001, op.cit., note 1, p.88, par.15.

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-Le fait illicite doit avoir été le « seul moyen » de sauvegarder ledit intérêt: il faut noter que, la CDI relevait à cet effet que si le péril peut être écarté par un autre moyen, par ailleurs conforme aux obligations internationales, même s’il est beaucoup plus onéreux, l’état de nécessité ne saurait en aucun cas être réalisé59. En outre, elle soulignait que le fait illicite en question doit s’être révélé indispensable dans sa totalité, et non seulement en partie, pour préserver l’intérêt essentiel menacé60 sans pour autant dépasser ce qui est strictement nécessaire pour faire face au péril en question.

En l’espèce, la Hongrie invoquait les principes de précaution et prévention « généralement admis en droit international »61 pour éviter que les deux périls à l’environnement ci-dessus cités ne se réalisent. Pour elle, le péril était « grave » et « imminent » « puisqu’ils surviendraient très probablement si le système de barrage tel que prévu en 1989 avait été construit »62 ; ce à quoi la Slovaquie a répliqué en soulignant que la Hongrie n’a « démontré qu’une crainte vague et non fondée de conséquences inconnues qui pourraient peut-être survenir à une époque quelconque dans un avenir éloigné alors qu’il existait d’autres moyens de dissiper cette crainte »63.

Avant de vérifier l’existence d’un « péril grave et imminent », la Cour précise au préalable les termes « grave et imminent ». À cet effet, elle souligne que le péril se distingue du dommage matérialisé parce qu’il évoque l’idée de risque (arrêt, § 54) et qu’elle ne saurait exiger la preuve d’un dommage matérialisé pour conclure à l’existence d’un état de nécessité.

Toutefois, elle relève qu’il ne saurait y avoir d'état de nécessité sans un «péril dûment avéré au moment pertinent (arrêt, § 54).

Quant à la notion d’« imminence », la Cour relève qu’elle est synonyme d'« immédiateté » ou de « proximité » et dépasse de loin le concept d'« éventualité » (arrêt, § 54). À l’appui, la Cour ne manquera pas de mentionner que la CDI a eu à souligner que le péril extrêmement grave et imminent doit s'être « trouvé peser au moment même sur l'intérêt menacé »64. Toutefois, de l’avis de la Cour, cela n’exclut pas qu’un « péril » qui s'inscrirait dans le long terme puisse être tenu pour « imminent » dès lors qu'il serait établi, au moment considéré, que la réalisation de ce péril, pour lointaine qu'elle soit, n'en serait pas moins certaine et inévitable (arrêt, § 54).

59 CDI, op.cit, note 51, p.48, par.33.

60 Ibid., p.48, par.33.

61 G., Szenasi, CR 97/2, p.18, également A., KISS, CR 97/5, p.48, Mémoire de la Hongrie, § 6. 64-6. 69.

62 J., Crawford, CR 97/4, p. 7.

63 S., C., McCaffrey., CR 97/10 (trad), p.6.

64 CDI, op.cit., note 51, p.48, par.33 ; arrêt, § 54.

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L’existence, en 1989, d’un « état de nécessité écologique » alléguée par la Hongrie ne saurait être établie s’il n'était prouvé au moins qu'un « péril » réel, « grave » et « imminent » existait en 1989 et que seules les mesures prises par la Hongrie pouvaient permettre d'y faire face (arrêt, § 54). C’est pourquoi la Cour va examiner attentivement les périls évoqués par la Hongrie aussi bien à Gabcikovo qu’à Nagymaros. Elle conclut qu’en 1989, la Hongrie ne faisait état que d’inquiétudes qui s'inscrivaient dans le long terme et qui étaient surtout incertaines (arrêt, § 56). Par ailleurs, la Cour relève que même si le péril grave et imminent allégué par la Hongrie était avéré, celle-ci avait à sa disposition des moyens, autres que la suspension et l'abandon des travaux, pour y faire face. Elle aurait ainsi pu procéder régulièrement au déversement de gravier dans le fleuve en aval du barrage. Elle aurait également pu, si nécessaire, pourvoir à l'alimentation de Budapest en eau potable en traitant de manière appropriée l'eau du fleuve bien que cette technique soit plus couteuse (arrêt, § 55) sans oublier la possibilité d’aménagement des ouvrages de régulation des flux dans l'ancien lit du Danube et dans les bras secondaires pour faire face (arrêt, § 56).

En conclusion, la Cour considère que quelques sérieuses qu’aient été ces incertitudes, elles ne sauraient, à elles seules, établir l’existence objective d’un péril en tant qu’élément constitutif d’un état de nécessité65.

Au regard de ce qui précède, les observations suivantes semblent se dégager. D’abord l’interprétation de la notion de « péril grave et imminent » faite par la Cour est à saluer parce qu’elle vient combler le manque de précision et de définition de ladite notion que les États n’ont pas manqué de relever dans leurs observations relatives au projet d’articles66. D’ailleurs, la CDI elle-même s’en est servie pour mieux préciser la notion de « péril grave et imminent » dans son commentaire de 2001 relatif au Projet d’articles67.

Ensuite, le fait que la Cour admette les périls s’inscrivant dans le long terme est très important pour le droit international de protection de l’environnement. Par ailleurs, la Cour consacrera par la suite le principe de la prévention (arrêt, §101). En effet, les dommages à l’environnement s’inscrivent dans le long terme. Cependant, en exigeant que le péril soit certain et inévitable, elle réduit la portée de sa reconnaissance d’un état de nécessité

65 Arrêt, § 54. Cf. Mémoire de la Hongrie, vol. I, § 5. 138, contre-mémoire de la Hongrie, vol. I, § 1.44, plaidoiries de J.,Crawford, CR 97/4 (trad), p. 7 ( « Ce péril était grave et imminent puisqu’il se serait très probablement concrétisé si le système de barrages tel que prévu en 1989 avait été construit », nous soulignons).

66 Voir les observations faites par les Pays-Bas à la note 55.

67 CDI, op.cit., note 51, p.48, § 33. La CDI y mentionnait simplement que le péril doit se trouver peser au moment même sur l’intérêt menacé. Dans CDI, op.cit., note 21 p.88, par.15, elle ajoute que le péril doit être objectivement établi, la seule appréhension d’un péril possible ne suffit pas. En outre elle mentionne que les périls futurs sont admis sous certaines conditions en citant à l’appui, le par.54 de l’arrêt de la Cour analysé en l’espèce.

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écologique, les dommages à l’environnement, s’inscrivant dans le long terme, et étant différés, font très souvent partie du champ de l’incertain68 sans pour autant être moins irréversibles. Ce que redoutait la Hongrie ici, c’était un dommage à long terme (huit à cinquante ans) et en partie tout au moins irréversible et donc irréparable69. Par ailleurs, cette exigence dénote d’une interprétation restrictive du terme « péril » de sorte qu’il tend moins vers le risque que le dommage matérialisé. Cette approche doit mener forcément à la production du dommage que l’on voulait éviter en invoquant l’état de nécessité70. D’ailleurs, l’interprétation restrictive de la notion de péril a empêché la consécration des particularités des dommages écologiques.

Ce constat ne semble pas contribuer à la consolidation du droit international de protection de l’environnement dans son application concrète. Il ne semble pas non plus être d’une grande aide pour la cristallisation du principe de la précaution inhérent au droit international de protection de l’environnement. En effet, en aucun moment, la Cour n’a évoqué le principe de la précaution bien que le droit international ait considérablement évolué depuis l’affaire de la Fonderie du Trail 71. D’ailleurs, on souhaiterait voir la Cour s’orienter vers une conception plus contemporaine, laissant une large part à l’incertitude72. La CDI même semble partager cette logique lorsqu’elle admet que les questions ayant trait par exemple à la conservation et à l’environnement ou à la sécurité des grands ouvrages sont très souvent sujettes à de grandes incertitudes scientifiques73.

Puisque les conditions posées sont cumulatives, et que deux d’entre elles ne sont pas remplies, la Cour ne peut dès lors admettre l’état de nécessité. Pourtant, sans doute pour augmenter sa force de conviction, elle ne s’épargne pas l’examen de la quatrième condition.

-L’État auteur du fait illicite ne doit pas avoir « contribué à la survenance de l’état de nécessité ». Par rapport à cette limite, la CDI a souligné en 1980 de manière extensive et peu précise que l’État qui invoque l’état de nécessité ne doit pas avoir provoqué lui-même,

68 M., Raymond-Gouilloud, « A la recherche du futur. La prise en compte du long terme par le droit de l’environnement », in Revue juridique de l’environnement, n°1/1992, pp. 6-11.

69 P.M., Dupuy, CR 97/6, p. 69.

70 D’une manière beaucoup plus pertinente, mais plus brève, la Cour rajoute d’autres arguments pour écarter l’état de nécessité. Ainsi, la suspension du traité n’était pas le seul moyen pour sauvegarder l’intérêt de la Hongrie, elle aurait pu recourir à d’autres moyens pour faire face aux dangers qu’elle redoutait. Notamment, le projet initial, grâce à ses articles environnementaux, lui donnait un certain contrôle sur la répartition des eaux. Budapest a ainsi contribué à la survenance de l’état de nécessité (v. § 56 in fine et § 57).

71 Affaire de la Fondérie de Trail (États-Unis c. Cananda), sentence du 11 mars 1941, R.S.A., vol. III, p.1938.

72Pour reprendre une distinction présentée par G., Martin, « Le concept de risque et la protection de l’environnement : évolution parallèle ou fertilisation croisée », in M.,Prieur (éd.), Les Hommes et l’environnement, En hommage à A. Kiss, Frison-Roche, Paris, 1998, p.458.

73 CDI, op.cit., note 21, p.89, par.16.

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