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Les gravures rupestres préhistoriques de la Crête des Barmes à Saint-Léonard (Valais, Suisse)

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Les gravures rupestres préhistoriques de la Crête des Barmes à Saint-Léonard (Valais, Suisse)

CORBOUD, Pierre

Abstract

La découverte et l'étude en 1974 de la roche gravée de Saint-Léonard apporte des connaissances essentielles sur les populations préhistoriques du Néolithique et de l'âge du Bronze dans le Valais. Le site de la Crête des Barmes surplombe le village de Saint-Léonard, sur le piémont nord de la vallée du Rhône, il constitue l'extrémité occidentale d'une série de collines rocheuses dont l'une d'elle (Sur le Grand-Pré) a livré un habitat du Néolithique moyen, fouillé dans les années soixante par M.-R. Sauter.En plus des nombreuses roches à cupules connues dans la vallée du Rhône et dans les vallées latérales de son versant sud, dont certaines portent quelques gravures, d'autres sites néolithiques et de l'âge du Bronze fournissent un contexte culturel pour la datation et l'interprétation des motifs gravés sur la roche. Dans la région de Sion, les stèles gravées anthropomorphes du site du Petit-Chasseur et les gravures observées sur l'alignement de menhirs du chemin des Collines présentent des éléments de comparaison avec certains motifs gravés sur la roche de Saint-Léonard.Le support choisi [...]

CORBOUD, Pierre. Les gravures rupestres préhistoriques de la Crête des Barmes à Saint-Léonard (Valais, Suisse). Bulletin d'études préhistoriques et archéologiques alpines , 2003, vol. 14, p. 273-314

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:32437

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RÉSUMÉ

La découverte et l'étude en 1974 de la roche gravée de Saint-Léonard apporte des connaissances essen- tielles sur les populations préhistoriques du Néolithique et de l'âge du Bronze dans le Valais. Le site de la Crête des Barmes surplombe le village de Saint-Léonard, sur le piémont nord de la vallée du Rhône, il constitue l'extrémité occidentale d'une série de collines rocheuses dont l'une d'elle (Sur le Grand-Pré) a livré un habitat du Néolithique moyen, fouillé dans les années soixante par M.-R. Sauter.

En plus des nombreuses roches à cupules connues dans la vallée du Rhône et dans les vallées latérales de son versant sud, dont certaines portent quelques gravures, d'autres sites néolithiques et de l'âge du Bronze fournissent un contexte culturel pour la datation et l'interprétation des motifs gravés sur la roche. Dans la région de Sion, les stèles gravées anthropomorphes du site du Petit-Chasseur et les gravures observées sur l'alignement de menhirs du chemin des Collines présentent des éléments de comparaison avec certains motifs gravés sur la roche de Saint-Léonard.

Le support choisi pour les gravures est un calcaire dolomitique poli par le glacier. L'érosion naturelle de la surface rocheuse et quelques superpositions de sujets permettent de reconstituer une succession de quatre phases de gravure, caractérisées par une plus ou moins bonne conservation du relief des motifs. Pour chacune des phases, les sujets suivants sont les mieux représentés. Phase I : cercles concentriques autour de cupules, orants ; phase II : méandriformes, arboriforme, pédiformes, motifs cornus, etc. ; phase III : représentation de stèles anthropomorphes, orants schématisés entourés de points ; phase IV : surfaces piquetées, houe ou hache, orants schématisés. Une roche à cupules occupe le sommet de la surface à gravures, sur laquelle on a dénom- bré plus de 200 cupules.

Grâce à l'identification de certains sujets gravés et au contexte archéologique valaisan, il est possible de proposer un calage chronologique et culturel des quatre phases définies. Ainsi, la phase I pourrait être située entre le début du Néolithique moyen I et le milieu du Néolithique moyen II. Elle serait donc contemporaine de l'érection des menhirs de Sion et de l'horizon inférieur du site du Petit-Chasseur. La phase II, la plus riche en motifs gravés, pourrait s'étendre jusqu'au Néolithique final et correspondre à l'occupation de l'habitat de la colline de Sur le Grand-Pré. La phase III, représentée par seulement deux motifs, est probablement contempo- raine de la deuxième moitié du Néolithique final ou de la période campaniforme. Quant à la phase IV, elle pourrait comprendre tout l'âge du Bronze, entre le Bronze ancien et le Bronze final.

La chronologie des gravures de Saint-Léonard a été élaborée de manière interne, tout d'abord d'après l'état de conservation des gravures, puis par rapport aux connaissances issues de la préhistoire valaisanne.

Néanmoins, la succession des styles de sujets gravés peut être mise en parallèle avec l'évolution des styles du Valcamonica en Italie du Nord et, dans certains cas, avec ceux d'autres vallées alpines.

ZUSAMMENFASSUNG

Neue wesentliche Erkenntnisse der vorgeschichtlichen Bevölkerungen im Wallis aus dem Neolithikum und der Bronzezeit werden durch die prähistorischen Felsgravierungen von Saint-Léonard gewonnen, die 1974 entdeckt wurden. Der Fundort “ Crête des Barmes ” liegt über dem Dorf Saint-Léonard auf einem nördlichen Vorberg im Rhonetal, der das westliche Ende einer Reihe von Felshügeln darstellt. Auf einem dieser Hügel, “ Sur le Grand-Pré ”, wurde eine Siedlung aus dem Jungneolithikum entdeckt und in den Sechzigerjahren durch M.-R. Sauter ausgegraben.

Neben den zahlreichen, im Rhonetal und dessen südlichen Seitentälern bekannten Schalensteinen, Département d'anthropologie et d'écologie de l'Université de Genève

PIERRECORBOUD

LES GRAVURES RUPESTRES PRÉHISTORIQUES DE LA CRÊTE DES BARMES À SAINT-LÉONARD (VALAIS, SUISSE)

Corboud (P.). 2003. Les gravures rupestres préhistoriques de la Crête des Barmes à Saint-Léonard (Valais, Suisse). Bulletin d'études préhistoriques et archéologiques alpines (Aoste), 14, 273-314.

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worunter einige wenige auch mit Gravuren versehen sind, liefern weitere neolithische Fundstellen den kulturellen Hintergrund für die Datierung und die Deutung der Motive. In der Umgebung von Sitten befinden sich auf den gravierten anthropomorphen Stelen der Fundstelle “ Petit-Chasseur ” und unter den Gravuren auf den ausgerichteten Menhiren des “ Chemin des Collines ” Elemente, welche mit Motiven der Felsgravuren von Crête des Barmes vergleichbar sind.

Der gewählte Felsen ist ein durch Gletscher polierter Malmkalk. Die natürliche Erosion der Motive, der mehr oder minder gute Erhaltungszustand ihrer Reliefs und zwei Überlagerung der Gravuren erlauben, eine Entwicklung der Gravuren in vier Phasen zu rekonstruieren. Für jede dieser Phasen sind folgende Themen besonders typisch. Phase I : konzentrische Kreise um Schalen, Oranten ; Phase II : Mäander-, Baum-, Fußsohlendarstellungen, hornförmige Motive usw. ; Phase III : Darstellung von anthropomorphen Stelen, schematisierte und von Punkten umgebenen Oranten ; Phase IV : gepickte Flächen, Hacke oder Beil, schema- tisierte Oranten. Mehr als 200 Schalen wurden bei einem Schalenstein gezählt, der die Spitze einer Fläche mit Gravuren einnimmt.

Bestimmte gravierte Motive lassen sich identifizieren und erlauben vor dem Hintergrund der archäologi- schen Kenntnisse des Wallis, eine chronologische und kulturelle Verkeilung der vier Phasen vorzuschlagen.

Somit könnte man die Phase I zwischen dem Beginn des Jungneolithikums I und der Mitte des Jungneolithikums II einordnen. Sie wäre daher zeitgleich mit der Errichtung der Menhire von Sitten und dem unteren Horizont der Fundstelle “ Petit-Chasseur ”. Die Phase II, die besonders reich an gravierten Motiven ist, könnte sich bis in das Endneolithikum ausdehnen und mit der Belegung der Siedlung auf dem Hügel “ Sur le Grand-Pré ” überlappen. Die Phase III, die nur durch zwei Motive feststellbar ist, ist möglicherweise mit dem Endneolithikum oder der Glockenbecher Kultur zeitgleich. Betreffend die Phase IV, diese könnte sich während der gesamten Bronzezeit, zwischen der Früh- und der Spätbronzezeit entwickelt haben.

Alter und Abfolge der Gravuren bei Saint-Léonard wurden an Hand der Vergleiche mit den bekannten Überresten der walliser Vorgeschichte, also intern, erarbeitet. Gleichwohl lässt sich die stilistische Abfolge der Motive mit den Stilentwicklungen im Valcamonica, Norditalien und auch in einigen Fällen mit den Entwicklungen in weiteren Alpentälern in parallelen Zusammenhang bringen.

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La préhistoire du Valais est aujourd'hui connue grâce à l'étude de nombreux sites funéraires ou d'habitats, fouillés dès la fin des années 1940 et jusqu'au début des années 1990. Le site du Petit-Chasseur à Sion, occupé entre le Néolithique moyen et l'âge du Bronze ancien, est certainement le pivot autour duquel s'articulent la plupart des autres données récoltées en d'autres lieux valaisans, en relation avec cette tranche chronologique.

Néanmoins, la région de Saint-Léonard est aussi riche en trouvailles préhistoriques, même si elle n'a pas fait l'objet de recherches aussi suivies et n'a pas fourni des informations chronologiques aussi complètes que les sites fouillés dans la région de Sion.

A Saint-Léonard, au même titre que l'habitat néolithique de Sur le Grand-Pré, la roche gravée de la Crête des Barmes est un haut lieu de la préhistoire valaisanne. Son intérêt, 28 ans après son étude, apparaît encore plus important, par l'absence de nouvelles découvertes de cette qualité. Aujourd'hui, la publication complète de ce site, trop longtemps différée par manque de temps mais certainement pas d'intérêt, se justifie donc tout à fait. Les quelques articles « préliminaires » déjà présentés n'avaient fait que signaler le caractère exceptionnel de cette roche gravée, mais sans en exposer pleinement toute la valeur archéologique et patrimoniale (Anati 1975, Corboud 1978 ; Corboud et al. 1981 ; Corboud 1986). En outre, le recul important dont nous bénéficions actuellement, par rapport à l'étude de l'été 1974, nous permet d'en dégager les points forts, tout en précisant mieux les zones d'ombre des interprétations proposées. Dans ce contexte, les publications récentes de sites à gravures dans l'Arc alpin, principalement en Italie du Nord mais aussi dans le sud de la France, fournissent un corpus de comparaison indispensable qui, en 1974, était beaucoup plus modeste, presque essentiellement limité au Valcamonica et au Mont Bego.

Que peut apporter la publication complète d'un site à gravures, tel que celui de Saint-Léonard, à la compréhension de la préhistoire valaisanne et, par extension, à celle des régions environnantes, zones alpines ou plaines voisines ? Cette simple question soulève toute la problématique interprétative de l'art rupestre préhistorique, en particulier celui produit par les populations du Néolithique et de l'âge du Bronze. Les données fournies par les sites d'habitat procurent des informations sur la civilisation matérielle des populations préhistoriques, les nécropoles et tombes nous éclairent sur leurs croyances en l'au-delà et le culte des morts. En revanche, les documents archéologiques représentatifs de la pensée symbolique sont extrêmement rares ou, du moins, ne sont pas toujours parvenus jusqu'à nous. L'art rupestre constitue probablement un des seuls témoi- gnages de cet aspect non négligeable des cultures préhistoriques. Malheureusement, l'étude des motifs gravés

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motifs gravés sur les roches polies par le glacier se heurte à de multiples défis, méthodologiques et interpréta- tifs. Le premier défi consiste dans la difficulté de dater toute représentation, gravée sur un support non mobi- lier, donc en l'absence d'une insertion stratigraphique qui permettrait de la situer chronologiquement et de l'attribuer à une culture précise. Le second défi porte sur la reconnaissance des motifs gravés et leur rapproche- ment avec un objet, une représentation de personnage ou un concept appartenant au monde réel ou mytholo- gique des préhistoriques. C'est là que réside à la fois tout l'intérêt de ce type d'étude, mais aussi tout le danger de l'exercice. Il s'agit en fait de retrouver les archétypes mentaux des hommes d'autrefois, en ne connaissant qu'une part infime de leur vie et de leurs aspirations et, a fortiori, de leur imaginaire …

Néanmoins, malgré les difficultés évoquées, nous croyons que ces défis méritent d'être relevés. La connaissance des populations préhistoriques ne peut progresser que par l'accumulation d'innombrables données, parfois peu significatives lorsqu'elles sont isolées, mais qui trouveront un jour leur place et leur valorisation dans le grand « bouillon de culture » des constructions archéologiques. Dans cette perspective, notre responsabilité n'est certainement pas de proposer à tout prix un sens ou une fonction pour chaque type de motif ou chaque sujet gravé sur la roche. Notre rôle est plutôt de rendre accessible et de diffuser les données brutes, qui permettront des interprétations ultérieures sans nécessiter une nouvelle étude sur le terrain. La partie comparative et interprétative de notre travail doit être vue comme un premier essai et non comme un résultat achevé et indiscutable. Tout au contraire, son but est de susciter de nouvelles comparaisons et d'ouvrir ainsi le débat sur la signification des motifs gravés par les peuples du Néolithique et de l'âge du Bronze.

1. LA DÉCOUVERTE DES GRAVURES SUR ROCHE DE LA CRÊTE DES BARMES

La découverte des cupules préhistoriques sur le sommet de la Crête des Barmes remonte probablement au début du 20ème siècle. La première mention dans une publication scientifique d'un monument à gravures à Saint-Léonard est due à B. Reber, en 1914. Elle figure dans un article sur les gravures préhistoriques de Suisse, publié à l'occasion du congrès international d'anthropologie et d'archéologie préhistorique organisé à Genève en 1912 (fig. 7). Le dessin présenté par Reber montre un groupe allongé de dix cupules, néanmoins aucune gravure proche n'est mentionnée dans le texte. Le rapprochement avec la roche de la Crête des Barmes tient essentiellement à l'indication du lieu-dit ancien (rocher d'Orsval), plus tard mentionné sous le nom d'Orgival selon l'orthographe latine. Cette localisation comprend la série de reliefs rocheux qui se détachent du piémont entre Saint-Léonard et Saint-Clément. Le lieu-dit Crête des Barmes correspond à l'extrémité occidentale de l'ensemble des collines d'Orgival. Sans connaître ni l'échelle ni l'orientation du dessin présenté par Reber, nous ne sommes pas parvenus à superposer son relevé avec nos propres dessins. Il subsiste donc un doute quant à l'existence éventuelle d'une autre roche à cupules sur la colline d'Orgival, non retrouvée par nous, ou détruite entre 1912 et le début des années 1970.

Plus récemment, entre 1948 et 1950, J.-C. Spahni publie plusieurs articles sur les pierres à cupules du Valais, résumés et complétés en 1950 dans une recension des « mégalithes de la Suisse » (Spahni 1947-1948 ; 1949a ; 1949b ; 1950a ; 1950b ; 1950c). Dans ces différentes contributions, il n'est nullement fait mention de la roche d'Orgival ou de la Crête des Barmes.

Enfin, entre 1957 et 1962, M.-R. Sauter dirige six campagnes de fouilles sur le site d'habitat de Sur le Grand-Pré, éloigné de la Crête des Barmes d'un peu plus de 200 m seulement. Pendant ces travaux, les collines proches du chantier ont certainement été visitées par les fouilleurs, mais aucune référence à des cupules ou à des gravures observées sur les roches polies ne se retrouve dans les publications ou les carnets de fouille de M.- R. Sauter.

Pourtant, douze ans après la fin de ces recherches, c'est à un des anciens fouilleurs de ce même site que l'on doit la découverte de la roche gravée. En février 1974, lors d'une promenade sur ce qu'il restait de la colline où s'était déroulée la fouille de l'habitat, partiellement détruite par l'exploitation de la carrière de quartz, Sébastien Favre découvre (ou redécouvre) la roche à cupules qui occupe le sommet de la Crête des Barmes. Il est tout d'abord attiré par les gravures modernes, visibles sur le flanc sud de la colline mais, très vite, son œil exercé par l'étude et le dessin des stèles gravées anthropomorphes du site du Petit-Chasseur remarque des motifs gravés proches des cupules. Ces gravures semblent se poursuivre sous la fine couverture végétale qui nappe le reste de la colline. Après avoir soulevé le tapis de sédiments lœssiques, fixés par une mince couche herbeuse, les premiers motifs apparaissent. Par exemple : un grand orant comparable à un motif observé sur un des menhirs du chemin des Collines à Sion et un labyrinthe similaire à ceux connus au Valcamonica.

Quelques mois seulement après cette découverte, une campagne d'étude préliminaire est mise sur pied, de mi-août à mi-septembre 1974, grâce au soutien et au financement du Service cantonal d'archéologie du Valais et du Département d'anthropologie de l'Université de Genève. Une petite équipe de cinq à sept personnes en

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moyenne est rassemblée, sous la conduite de Sébastien Favre et de Pierre Corboud, dans le but de dégager la totalité des gravures recouvertes par l'humus et d'en effectuer un relevé détaillé.

2. LE CONTEXTE ARCHÉOLOGIQUE DE LA ROCHE À GRAVURES DE SAINT-LÉONARD

Avant de relater les conditions de réalisation de cette étude et d'exposer les résultats auxquels elle a abouti, il est utile de préciser dans quel cadre archéologique et de recherche cette découverte est survenue. Dans le Valais central, deux zones s'imposent pour définir ce cadre, la région de Sion, avec le site d'habitat et funéraire du Petit-Chasseur, et la zone de Saint-Léonard qui englobe la roche de la Crête des Barmes.

2.1. RÉGION DE SION

Trois principaux sites, à l'ouest de la ville de Sion, fournissent un cadre chronologique et des éléments de comparaison pour les gravures de la Crête des Barmes. Les menhirs du chemin des Collines, l'habitat du Petit- Chasseur II et la nécropole du Petit-Chasseur I représentent une occupation humaine qui débute au Néolithique moyen I et se termine au Bronze ancien avec la Civilisation du Rhône. L'alignement mégalithique de 28 m de long, qui comporte neuf menhirs dressés et deux couchés, est daté du Néolithique moyen I. Cette attribution repose sur la position stratigraphique des fossés d'implantation et la proximité d'une nécropole de type Chamblandes qui a livré du mobilier typique et des dates C14 comprises entre 4500 et 3900 av. J.-C. (Bock- sberger et Weidmann 1964 ; Baudais et al. 1989-1990, p. 21-24 ; Voruz et al. 1992). Cinq de ces blocs de schistes lustrés, de granit ou de gneiss présentent des cupules ou des piquetages. Quelques motifs peuvent être identifiés, il s'agit d'une hache emmanchée, dont la lame est pointue (herminette ?), d'un orant masculin bien représenté et de plusieurs figurations anthropomorphes plus schématiques, probablement aussi des orants (fig.

1 à 6).

La nécropole du Petit-Chasseur a livré une trentaine de stèles gravées anthropomorphes, retrouvées en position secondaire et le plus souvent brisées, réutilisées comme éléments de coffres funéraires. Leur attribu- tion culturelle les place dans deux phases distinctes. Le groupe le plus ancien (stèles de type A) est daté de la deuxième moitié du Néolithique final valaisan (entre 2700 et 2450 av. J.-C.), il comporte des stèles à décor de poignards à lame triangulaire, ou de spirale en cuivre. Le groupe de stèles qui lui succède (type B) est contem- porain de l'occupation campaniforme du site (2450 à 2150 av. J.-C.). Les dalles anthropomorphes de cet ensemble présentent des têtes bien dégagées dont le nez est marqué. Leur décor est géométrique, très soigné et les objets représentés sont le plus souvent des arcs et des flèches (Gallay 1995, p. 180).

2.2. RÉGION DE SAINT-LÉONARD

A l'est du village de Saint-Léonard, le piémont nord de la vallée du Rhône a révélé quatre sites préhistori- ques attribuables au Néolithique moyen, sur une extension de moins d'un kilomètre (fig. 8). Certains établisse- ments ont été occupés jusqu'à la fin de l'âge du Bronze. Le premier dans l'ordre de découverte est l'habitat de Sur le Grand-Pré, fouillé entre 1957 et 1962 par M.-R. Sauter. Il s'agit d'un campement de sommet de colline, établi dans une ensellure du rocher, dont l'aménagement était probablement limité à quelques fosses-silos et des foyers. Le mobilier archéologique récolté a donné lieu à la définition du groupe de Saint-Léonard, soit un faciès du Néolithique moyen II postérieur à celui de type Petit-Chasseur. La céramique montre des influences issues d'Italie du Nord, notamment de la culture de La Lagozza. Les dates absolues proposées pour cette occupation s'échelonnent entre 3600 et 3300 av. J.-C. Les niveaux supérieurs fouillés sur le site ont livré du mobilier céramique attribuable au Bronze ancien et au Bronze final.

En 1961, une tranchée dans le village a révélé un nouveau site : Saint-Léonard II, petit habitat de plein air qui a fourni quelques vestiges de faune et de céramique, d'un type comparable à celle des niveaux Néolithique moyen II de Sur le Grand-Pré.

La dernière découverte en date est un ensemble de trois tombes en coffres de pierre, associées à deux foyers antérieurs aux sépultures. Le site des Bâtiments est conservé à la base du cône d'alluvions de la Liène.

Les trois tombes de type Chamblandes, fouillées à Saint-Léonard entre 1975 et 1977, appartiennent vraisem- blablement à une nécropole plus vaste, encore enfouie sous les sédiments de pente. Les sépultures présentent des éléments originaux par rapport aux autres tombes du Néolithique moyen, découvertes à ce jour dans le Valais (Corboud et al. 1988 ; Moinat et Gallay 1998). Chaque tombe contenait trois ou quatre squelettes, ac- compagnés d'un riche mobilier en pierre taillée et polie. Les restes de trois individus incinérés ont été retrouvés dans un des coffres. Cet ensemble appartient au Néolithique moyen, une date C14 sur les ossements propose une calibration dans la fourchette de 4300 à 4000 av. J.-C., ce qui le placerait dans le Néolithique moyen I.

Néanmoins, une attribution un peu plus récente, au Néolithique moyen II n'est pas complètement exclue.

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2.3. LES ROCHES À CUPULES ET À GRAVURES DU VALAIS

En plus des zones de Sion et de Saint-Léonard, des pierres à cupules, dont certaines comportent des gravures, sont connues en différents lieux du Valais. Le recensement de tous les sites mégalithiques du Valais (roches à cupules, à gravures, à écuelles, etc.) totalise environ 240 monuments en tous genres, dont une trentaine seulement peuvent être retenus en fonction de leur probable datation dans la préhistoire et un nombre de cupules observées supérieur à 15 (Reber 1912 ; Reber 1914 ; Spahni 1947-1948 ; Spahni 1949 ; Spahni 1950 ; Suter 1967 ; Schwegler 1991). La répartition de ces sites, le plus souvent mal datés, occupe d'une part certaines collines et piémonts en bordure de la plaine du Rhône et, d'autre part, des emplacements distribués dans les vallées latérales, principalement celles du versant sud de la vallée du Rhône. Le plus grand nombre de ces roches aménagées est situé dans la tranche d'altitude 1600-2000 m (fig. 9). Les sites qui comportent des gravures en relation avec des cupules sont très rares. Dans tous les cas, aucun ensemble ne présente de points communs évidents avec les motifs de la roche de Saint-Léonard, ni même les célèbres gravures anthropomor- phes de Salvan, dont la datation proposée les place plutôt dans l'âge du Bronze et l'âge du Fer ou des périodes encore plus récentes. La présence de ces pierres à cupules confirme qu'il s'agit là d'un phénomène répandu dans la haute vallée du Rhône et les vallées latérales du versant sud. En revanche, l'absence d'étude sérieuse sur ces monuments et l'imprécision considérable de leurs datations les rendent peu utilisables comme éléments de comparaison avec Saint-Léonard.

3. CONDITIONS DE L'ÉTUDE ET MÉTHODES DE RELEVÉ

L'objectif principal de la campagne d'étude entreprise en été 1974 était le repérage et le relevé de la totalité des gravures et cupules d'époque préhistorique conservées sur la Crête des Barmes. L'objectif secondaire était la datation relative et absolue des motifs et l'interprétation culturelle de ce lieu, dans le cadre de la préhistoire valaisanne et alpine. Ces deux objectifs ont été clairement distingués tout au long de nos travaux, autant sur le terrain qu'au cours de l'élaboration des données. Lors de leur lecture et leur relevé, la mauvaise conservation des gravures implique une certaine interprétation des motifs. Cette circonstance demande une rigueur absolue dans la délimitation des contours des gravures et impose de reporter l'interprétation des motifs à une phase ultérieure. Le dessin doit être le plus objectif possible, afin de ne représenter que les piquetages et le relief de la gravure et non son interprétation supposée.

3.1. GÉOLOGIE DE LA COLLINE D'ORGIVAL

La Crête des Barmes est située à l'extrémité occidentale d'une série de petites collines calcaires et quartzi- tiques, dont la plus proche est nommée colline d'Orgival (désignée aussi parfois sous le nom d'Orgeval ou Orgeva). L'ensemble de ces collines, entre le village de Saint-Léonard et le hameau de Saint-Clément, s'étend sur un peu plus de trois kilomètres. Ces formations culminent entre les altitudes 535 et 598 m, soit moins de 100 m en dessus de la vallée du Rhône. Les roches qui forment ce chapelet de collines appartiennent à la zone des écailles subbriançonnaises internes (fig. 10). Elles comprennent notamment du flysch (série schisto- quartzitique), une série conglomératique (Lias) et des séries calcaires dont des couches de calcaire dolomi- tique (aussi appelé calcaire ou marbre saccharoïde). Le principal affleurement de calcaire dolomitique constitue la colline la plus occidentale et apparaît au sommet de la Crête des Barmes. La surface visible du calcaire dolomitique est fortement faillée, le pendage des couches (par rapport à l'horizontale) est de l'ordre de 70 degrés vers le nord. La faible dureté du calcaire dolomitique a permis au glacier de façonner un relief assez doux, d'où ne dépassent aujourd'hui que quelques dalles et sommets non recouverts de dépôts lœssiques et de végétation. Plus loin en direction de l'est, le calcaire cède la place à des affleurements de schistes et de quartzi- tes dont, par exemple, est constituée la colline de Sur le Grand-Pré.

Il est important de signaler qu'à l'exception de la Crête des Barmes, les affleurements de calcaire dolomi- tique polis par le glacier et non recouverts par des sédiments quaternaires sont quasiment absents de l'ensemble des collines situées à l'est de Saint-Léonard. En revanche, la disposition de la roche gravée, c'est-à-dire une colline usée par le glacier qui montre des affleurements de surfaces rocheuses susceptibles d'être utilisées comme support pour des gravures, se retrouve sur de nombreux sites du piémont nord de la vallée du Rhône.

Nous citerons par exemple les collines des Potences entre Châteauneuf et Sion, la colline de Valère à Sion et la colline du Heidnischbül à Rarogne. Tous ces lieux-dits ont déjà montré des surfaces rocheuses recouvertes de cupules, attribuables à l'époque préhistorique, à défaut d'avoir livré des gravures comparables à celles de Saint-Léonard. Néanmoins, il serait nécessaire de pratiquer autour de ces roches des investigations du même type que celles menées sur la Crête des Barmes, nous n'excluons pas la possibilité d'y découvrir des gravures sur des surfaces de rocher protégées par les sédiments.

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LES GRAVURES RUPESTRES DE LA CRÊTE DES BARMES À SAINT-LÉONARD (VALAIS, SUISSE)

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3.2. REPÉRAGE DES GRAVURES ET PRÉPARATION DES RELEVÉS

La première opération qui s'imposait, avant toute étude des gravures, était la prospection de l'ensemble des surfaces de rocher qui auraient pu servir de support à des cupules ou des gravures préhistoriques. Pour cela, nous avons décapé tous les alentours de la roche à cupules de la Crête des Barmes à la recherche de surface lisses polies par le glacier. Cette recherche a vite atteint ses limites, car seule une bande de rocher d'environ 20 m de long par 7 m de large montrait une surface assez régulière pour que l'on puisse encore y déceler des motifs gravés. En outre, dans certaines zones, sous l'humus, apparaît un remplissage morainique qui nous indique que l'aspect de la surface de la colline devait être très proche à l'époque préhistorique de celui que nous voyons aujourd'hui. Les autres surfaces, bien qu'elles aient été recouvertes de terre et de végétation, étaient trop faillées et désagrégées pour autoriser de telles observations. Une exception néanmoins concerne le flanc sud de la crête qui surplombe la vallée du Rhône, où les gravures modernes avaient attiré l'attention de Sébastien Favre (fig. 11 et 12). En effet sur ce versant, compte tenu de son pendage, la roche est moins faillée et présente des surfaces lisses très inclinées (à environ 50 degrés vers le sud) propices à la gravure. Malheureusement, l'inclinaison est telle qu'aucune de ces surfaces n'a jamais pu retenir une couverture sédimentaire ou végétale qui aurait pu la protéger de l'érosion. A l'exception d'un seul motif observé tout au sommet (motif du carré W/34) aucune gravure ancienne n'a pu être identifiée. Néanmoins, la présence de ce motif, unique et très mal conservé, nous indique que des gravures préhistoriques auraient aussi pu s'y trouver. Malheureusement, nous n'aurons certainement jamais l'occasion de le vérifier.

Après avoir soulevé la mince couverture de terre lœssique, retenue par une maigre végétation d'herbacées, nous avons nettoyé la roche à la brosse et à l'eau, afin d'éliminer toutes traces de terre et de lichens (fig. 13). A partir de ce moment, les travaux se sont déroulés autant de jour que de nuit, afin de toujours bénéficier de l'éclairage le plus propice au repérage et à l'examen des gravures. En effet, en éclairage naturel, seule l'heure qui suit le lever du soleil et celle qui précède son coucher sont idéales pour observer les gravures les plus érodées, dont les piquetages ne sont plus visibles. Nous avons donc fait installer au sommet de la colline un tableau électrique qui nous a permis de travailler de nuit à l'aide d'un éclairage rasant dispensé par des tubes fluorescents et, pour les photographies, de puissantes lampes à halogène. La combinaison de différentes orientations et de différents angles d'éclairage artificiel, complétée par les observations en lumière naturelle à différentes heures du jour, permet de repérer la totalité des motifs gravés encore visibles sur la roche et de définir au mieux leurs contours afin de les dessiner.

La localisation des gravures sur la roche a été facilitée par la mise en place d'un carroyage métrique, orienté est-ouest, avec une numérotation alphanumérique. La matérialisation de ce carroyage est faite à l'aide de points marqués à la peinture rouge. Les motifs et groupes de gravures sont localisés et identifiés au moyen de ce carroyage, par une combinaison de lettres et de chiffres.

3.3. MÉTHODES DE RELEVÉ ET DE DESSIN

Une fois les groupes de gravures repérés, au nombre d'une petite trentaine, nous avons entrepris leur rele- vé systématique en appliquant la méthode de travail mise au point par Sébastien Favre, pour l'étude et le dessin des stèles gravées du Petit-Chasseur. Cette méthode consiste dans la succession des opérations suivantes.

a) Examen en lumière naturelle (de jour) et artificielle (de nuit) de chaque groupe de gravures, rubriquage du contour des motifs gravés (dessin sur la roche des limites des piquetages à l'aide de fines craies blanches).

b) En lumière naturelle, pose sur chaque groupe de gravure d'une feuille d'acétate transparent et report sur cette feuille des limites des piquetages et des reliefs des gravures.

c) Sur une grande planche à dessin, pose d'une feuille de calque superposée à la feuille d'acétate, dessin à l'encre de chine des piquetages et du relief des motifs par ombrage de points. Cette technique de dessin, semblable à celle pratiquée pour rendre le relief et les décors sur le dessin de céramique ou de métal, permet de reproduire fidèlement l'apparence de la gravure, la densité et la profondeur des piquetages et d'exprimer les incertitudes des limites du motif dues à l'usure de la roche (fig. 14).

En outre, chaque gravure ou groupe de motifs a été photographié selon différents éclairages, naturels ou artificiels. Des moulages au silicone ont été tentés pour certains sujets, afin de tester une éventuelle opération de moulage systématique de l'ensemble des gravures.

Parmi les observations et relevés réalisés en été 1974 sur la Crête des Barmes, citons encore un relevé dessiné des limites des zones couvertes de terre, de lichen et de végétation avant le nettoyage de la roche, un relevé systématique des altitudes de la roche dégagée et un relevé photographique à la verticale de chaque carré pour permettre un dessin détaillé des accidents de la roche et la mise en place des gravures dans leur contexte topographique. Les résultats de ces différents relevés sont présentés dans les figures 68 et 69.

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3.4. ÉROSION DES GRAVURES ET « STRATIGRAPHIE HORIZONTALE »

Nous avons déjà évoqué la faible dureté du calcaire dolomitique de la Crête des Barmes et l'altération de sa surface sous l'action des agents naturels. En fait, on pourrait distinguer deux atteintes différentes : l'érosion par le ruissellement des eaux de pluie ou le vent, chargés de particules abrasives, et l'altération due à l'action des acides humiques contenus dans la couverture sédimentaire et végétale. Paradoxalement, la présence de ces deux formes d'usure est pour nous une aubaine, car elle nous a permis d'établir un classement chronologique des motifs gravés. Pour cela, nous avons proposé à l'origine un certain nombre de postulats, qui précisent les conditions et les limites de cette chronologie interne.

1. – A l'exception de la roche à cupules des carrés J-L/34-38, qui n'a probablement jamais été recouverte de sédiments, toute l'extrémité occidentale de la roche gravée a pu être recouverte à certains moments de sédiments fins et ainsi limiter l'érosion due à la pluie et au vent.

2. Compte tenu de la pente régulière de la roche, l'érosion et l'altération de la surface du rocher doivent être identiques pour toutes les surfaces gravées.

3. L'érosion de la surface rocheuse et l'action des acides humiques ont pour effet, tout d'abord de faire disparaître la couleur plus claire des impacts de l'outil du graveur et de créer une patine de la roche, homogène à l'endroit des surfaces gravées et non gravées.

4. Une érosion plus avancée fait progressivement disparaître la trace des impacts de l'outil et ne laisse visible que le creux formé par les piquetages.

Une fois posés ces différents postulats, on peut prétendre reconstituer la succession des gravures en décrivant très finement leur état de conservation et en attribuant chaque motif à une phase d'usure ou de gravure. Cette démarche a le mérite de ne pas faire intervenir de références extérieures ou de comparaisons pour situer les motifs les uns par rapport aux autres. Ainsi, nous avons choisi de définir, après de nombreuses tentatives, un nombre de quatre phases de gravure, caractérisées par les observations suivantes, décrites de la plus récente à la plus ancienne (fig. 15) :

Phase IV : la gravure est encore très fraîche, les piquetages sont aisément reconnaissables et la surface piquetée apparaît plus claire que la roche naturelle car les impacts de l'outil ont enlevé la patine grise de la roche et découvert la texture saccharoïde et blanchâtre du calcaire dolomitique. Les bords de la gravure sont très nets, le relevé des contours peut être très précis. La meilleure lisibilité du motif est obtenue avec un éclai- rage zénithal, un éclairage très rasant fait disparaître la différence de coloration entre les surfaces piquetées et naturelles.

Phase III : la gravure est encore bien lisible, mais la différence de teinte entre les piquetages et la surface brute a disparu. Le fond de la gravure a retrouvé une patine identique à la roche naturelle. En revanche les impacts des piquetages sont toujours visibles. La différence de profondeur et la densité des impacts sont encore observables. Les bords de la gravure sont très nets. Un éclairage rasant est nécessaire pour distinguer tous les détails de la gravure.

Phase II : cette fois, les piquetages ne sont plus que partiellement visibles, les surfaces piquetées ou non présentent la même couleur de patine, les bords de la gravure sont encore assez précis, bien que nettement arrondis. Seul un éclairage rasant, orientés sous différents angles, permet de délimiter précisément les contours du motif gravé.

Phase I : les piquetages ne sont plus du tout visibles, la coloration de la roche est complètement homo- gène. Les bords de la gravure sont très arrondis au point de rendre parfois difficile la définition de leurs limites.

Un éclairage rasant artificiel autorise le dessin des contours des motifs, mais les gravures de faible profondeur sont parfois incomplètement conservées.

Assez étrangement, à l'exception de la roche à cupules dont nous reparlerons plus loin, nous n'avons pas éprouvé de grandes difficultés à faire entrer chaque motif gravé dans une de ces quatre phases d'usure. Une fois ces quatre degrés de conservation définis et le constat de l'impossibilité d'en proposer un plus grand nombre, chaque gravure a aisément trouvé sa place dans cette sorte de « stratigraphie horizontale ». Cette remarque pourrait s'expliquer par l'hypothèse suivante : les gravures ont été réalisées pendant des moments précis et relativement courts de la préhistoire, les phases de gravure sont donc séparées par des périodes assez longues

– –

(probablement de l'ordre d'un siècle au moins), pendant lesquelles les motifs se sont altérés, d'où la facilité que

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LES GRAVURES RUPESTRES DE LA CRÊTE DES BARMES À SAINT-LÉONARD (VALAIS, SUISSE)

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l'on a à les rattacher à une phase ou à une autre (fig. 16).

Il faut encore mentionner la présence de deux superpositions de motifs appartenant à des phases distinc- tes. Dans le carré J/24, il s'agit d'un orant de la phase I qui est recouvert par une surface piquetée de la phase IV (fig. 17), tandis que dans le carré J/23, on observe la superposition d'une surface piquetée rectangulaire de la phase IV avec un méandriforme de la phase II (fig. 18). Ces deux superpositions confirment la chronologie interne proposée, du moins pour les relations entre les phases I, II et IV.

En ce qui concerne la roche à cupules des carrés J-L/34-38, ainsi que les groupes de cupules des carrés F/45-46, F-G/30-31 et F/34, la diversité de la profondeur, de la taille et de la technique de travail nous empê- chent de les attribuer précisément à l'une ou l'autre des phases d'usure. Néanmoins, la dernière phase de gravure, la plus récente, peut être exclue, car aucune cupule ne présente une fraîcheur de piquetage suffisante pour lui être rattachée. Nous placerons donc les cupules dans les phases I à III, tout en observant parmi celles-ci des différences notables de conservation et de facture (fig. 54 et 55). Contrairement aux gravures qui semblent pour la plupart avoir été chacune réalisée en une seule fois, les cupules ont pu être approfondies successive- ment, ce qui rend encore plus hypothétique leur attribution chronologique. En fait, la difficulté de les dater est commune à la plupart des pierres à cupules. Celle de Saint-Léonard, malgré les gravures qui lui sont associées, ne fait malheureusement pas exception à la règle.

3.5. OBSERVATIONS DIVERSES

Au cours du dégagement et du nettoyage de la roche gravée, nous avons exploré et vidé toutes les anfrac- tuosités du rocher, dans l'espoir de retrouver des objets archéologiques ou même des outils utilisés pour réaliser les gravures. En effet, on peut distinguer deux types de remplissage dans les failles ou trous naturels de la surface calcaire : celui constitué, dès enlèvement de l'humus lœssoïde, de sédiments grossiers d'allure morainique (graviers roulés pris dans une matrice argileuse) et ceux plus fins, formés de débris calcaires dans une matrice de limon fin, vraisemblablement déposés après le retrait du glacier. Ce dernier type de remplissage est donc susceptible d'être contemporain de l'utilisation préhistorique de la roche. Il faut avouer que cette recherche a été assez décevante, à quelques exceptions près (fig. 19). En quatre endroits seulement nous avons récolté des tessons de céramique très fragmentés (36 tessons dans la faille du carré K/28, quatre dans le trou K/31, trois tessons dans le trou L/29 et cinq dans la faille J/32). Ces objets sont trop peu caractéristiques pour être attribués avec certitude à une culture préhistorique. En revanche, la structure, la cuisson de la pâte et les quelques éléments typologiques identifiables (fonds plats, lèvre déversée et amincie), nous incitent à les dater de l'âge du Bronze, avec une légère préférence pour l'âge du Bronze final (fig. 20).

Un trou dans la roche, en particulier, a fourni un remplissage exceptionnel. Le trou rectangulaire du carré K/31 a été fouillé jusqu'à une profondeur de 53 cm, avant d'arriver sur un sédiment d'origine morainique (fig.

21). Ses dimensions sont pourtant modestes puisqu'il mesure au sommet 23 x 15 cm. A plus de 35 cm de la surface du sol se trouvaient plusieurs morceaux d'ocre orange, pris dans un remplissage de limon fin (fig. 22).

Au-dessus, environ 20 cm sous la surface ont été récoltés plusieurs tessons de céramique, toujours attribuables à l'âge du Bronze sans plus de précisions. La présence des blocs d'ocre pourrait indiquer que les gravures ont été, à certaines époques, rehaussées de couleurs vives, tandis que les tessons de céramique attestent d'activités domestiques ou rituelles sur la roche gravée pendant l'âge du Bronze. La profondeur du trou dans la roche est assez étrange, la régularité de ses bords et sa profondeur semblent indiquer une action humaine, mais dont la fonction nous échappe : simple niche destinée à conserver sur place des blocs d'ocre ou trou de poteau utilisé pour ériger un piquet dans une zone dépourvue de gravures mais qui domine l'ensemble de la roche, etc. ?

Signalons encore l'absence totale de trouvaille, à la surface de la roche ou dans le remplissage des failles et différents trous, d'outils ou de fragments de roche dure qui auraient pu servir à réaliser les gravures. Pourtant, la proximité, à moins de 200 m à l'est, d'affleurements de quartzite ne devait pas être inconnue des préhistoriques et c'est vraisemblablement cette roche dure qui a dû être utilisée comme matière première pour les percuteurs et autres outils de gravure. Cette absence est trop étrange et systématique pour ne pas y voir une éventuelle signification rituelle, bien qu'il soit très hasardeux d'en proposer une interprétation.

4. DESCRIPTION ET INTERPRÉTATION DES MOTIFS

Chaque motif ou groupe de gravures est décrit plus loin, dans les planches de figures, en regard de son relevé à l'échelle et de photographies de détail. Nous commenterons ici l'interprétation des sujets représentés et la signification proposée. Tout d'abord, si l'on classe les différents sujets selon leur appartenance à une phase de gravure, on peut constater une répartition des sujets qui est propre à chaque phase (fig. 23). Cette remarque doit

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être modérée par le fait que le plus grand nombre de motifs et, par conséquent, de sujets distincts, se trouve dans la phase II, vraisemblablement celle qui correspond aussi à la période d'activité la plus longue des graveurs préhistoriques.

En ce qui concerne la technique de gravure utilisée par les préhistoriques, nous n'en avons identifié qu'une seule, du moins pour les motifs assez bien conservés qui se prêtent encore à ce type d'observation.

Vraisemblablement, tous les motifs de la Crête des Barmes ont été réalisés par percussion à l'aide d'un outil en roche dure, plus ou moins pointu en fonction de la précision voulue du dessin. Nous n'avons pas observé de tracé par incision avec un outil pointu ou tranchant, ni de gravure régularisée par frottage avec un outil manipu- lé parallèlement à la surface du rocher. Une exception peut-être, à signaler pour certaines cupules dont la régularité du périmètre aurait pu être obtenue avec un mouvement rotatif d'un galet de roche dure. La profon- deur des piquetages n'est jamais importante (de 0.5 à 2 mm de profond). En revanche, les gravures modernes de la face sud de la colline nous montrent que des impacts très denses, mais qui produisent un relief très faible, permettent déjà de réaliser un dessin très net, grâce à l'enlèvement de la mince couche de patine foncée de la roche. Les zones piquetées apparaissent ainsi en blanc sur fond gris (fig. 11 et 12).

4.1. CERCLES CONCENTRIQUES (PHASE I)

Les cercles concentriques, centrés sur une cupule plus ou moins profonde, sont présents essentiellement sur la principale roche à cupules du site (fig. 24 et 28). Ces motifs sont au nombre de six, trois possèdent deux cercles concentriques autour de la cupule, tandis que les trois autres n'en possèdent qu'un. En général la cupule centrale est de diamètre et de profondeur modeste, seul le cercle gravé dans le carré J/35 enserre une cupule profonde et de taille respectable. En fonction de leur aspect très érodé, sans aucun piquetage encore visible, des bords arrondis et de la profondeur modeste de la gravure, nous les avons tous attribués à la première phase de gravure et ceci malgré l'exposition à l'érosion plus importante de la roche à cupules. Cette attribution est confirmée par la proximité dans le carré L/34 de deux cercles concentriques et d'un orant entouré de points dont la conservation est rattachée à la phase III.

4.2. ORANTS (PHASES I ET II)

Rappelons tout d'abord la définition d'un orant, dans l'acception qu'on lui donne lors de l'étude des gravures et dessins préhistoriques. Il s'agit d'une représentation anthropomorphe d'un personnage masculin ou féminin, dont les bras sont étendus en croix, ou en forme de U avec les avants-bras verticaux (Arcà 2001, p.

185). Une telle image est interprétée comme un personnage en prière ou éventuellement en train de danser.

Certains orants sont représentés avec les jambes, dans ce cas les membres inférieurs sont dessinés à angle droit, c'est-à-dire la cuisse et la jambe en forme de L. D'autres ne sont tracés qu'avec un trait vertical pour le corps et les bras en croix ou levés vers le ciel.

Les orants attribués à la phase I sont de deux types : deux motifs représentent des orants de grande taille (31 et 39 cm de haut) avec jambes, bras levés et sexe masculin plus ou moins bien représenté, tandis que d'autres représentations sont limitées au tronc, à la tête et aux bras levés. Il est à noter que les deux grands orants sont distants sur la roche d'environ 5 m (fig. 25, 59, 35 et 62), mais néanmoins leur orientation est identique, c'est-à-dire avec la tête dirigée vers le soleil couchant. Ce n'est pas le cas des autres orants de la même phase mais de taille plus modeste, qui sont orientés dans des directions différentes (nord, sud et est). Le motif découvert le plus à l'ouest sur la roche pourrait éventuellement être attribué à une représentation fémi- nine, si l'on voit des seins dans les deux cupules gravées de part et d'autre du corps (fig. 61).

Pour la phase II, un seul motif peut être interprété (avec réserves) comme étant un orant très simplifié. Il s'agit d'un motif cruciforme dans le carré G/31 (fig. 38). Ici pas de bras levé, mais simplement un trait horizon- tal qui indique les bras étendus. Par prudence nous le nommerons « figuration anthropomorphe », sans plus de précisions …

4.3. MÉANDRIFORMES (PHASE II)

Les méandriformes sont au nombre de deux, dont l'un, dans le carré H/30, est certainement le motif le plus remarquable de toute la roche (fig. 41). Un autre méandriforme (carré J/23), éloigné de sept mètres du premier, est beaucoup plus simple : il se résume à un tracé en boucle sinueuse, complété par une surface piquetée en son centre, dont la gravure semble être légèrement antérieure (fig. 43).

Le motif du carré H/30 est beaucoup plus complexe, en outre le centre du dessin est occupé par une sorte de visage, dont les yeux sont deux cupules, probablement contemporaines du reste de la gravure (fig. 58). Ce motif peut être interprété comme une représentation de labyrinthe, à l'image de ceux décrits au Valcamonica sur la grande roche de Naquane (par exemple celui de la roche 1, secteur 1). La signification des surfaces piquetées en relation avec ces deux méandriformes sera traitée plus loin (voir sous 4.10).

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LES GRAVURES RUPESTRES DE LA CRÊTE DES BARMES À SAINT-LÉONARD (VALAIS, SUISSE)

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4.4. SERPENTIFORMES (PHASE II)

Sous le terme de serpentiforme, nous regroupons des traits sinueux dont un seul motif évoque de manière évidente une représentation de serpent (carré H/28, fig. 38). Les autres motifs (carrés H/25 et H/31, fig. 31 et 42), sont plus difficiles à rattacher à ce sujet.

4.5. PÉDIFORMES (PHASE II)

Deux motifs de la phase II peuvent être attribués à des représentation d'empreintes de pieds. Il s'agit tout d'abord d'une paire de pédiformes très érodés, observés au sommet de la roche polie du versant sud de la colline, à 10 mètres au sud de la roche à cupules (carré W/34, fig. 40). Des deux empreintes, une seule est assez bien conservée pour être identifiée avec certitude, la deuxième est à moitié effacée mais son interprétation devrait être identique. Une deuxième empreinte, mieux conservée mais unique, occupe le carré J/22 (fig. 44).

Elle est de grande dimension (35 cm de long, soit environ le double que celle de W/34) et présente une indica- tion du talon bien marquée. Il est à noter que les deux motifs possèdent tous la même orientation, soit dirigés vers le nord-ouest.

4.6. CORNUS (PHASE II)

Les deux motifs qui peuvent être interprétés comme des représentation de bucrane (tête de bovidé ou de taureau) sont très proches l'un de l'autre (carré I/25-26, fig. 31), mais nous les avons attribués à deux phases distinctes (phases I et II). Le motif le plus ancien est assez explicite, les cornes forment un cercle régulier et se rejoignent presque en leurs extrémités. Un autre corniforme est présent un peu plus à l'est (I/25), mais cette fois attribuable à la phase II et dans une orientation différente. Cette représentation, si nous l'interprétons convena- blement, possède des cornes démesurément longues.

4.7. ARBORIFORME (PHASE II)

Le carré L/20-21 a livré un motif unique et très étrange. Nous l'avons appelé « arboriforme », en l'absence de parallèle évident avec une autre gravure de l'Arc alpin (fig. 32 et 57). Il s'agit d'un sujet anthropomorphe, avec une paire de jambes, un sexe masculin et trois paires de bras dirigés vers le bas et non vers le haut comme c'est le cas pour les orants. La position des jambes, au tracé plus anguleux que les bras, impose une orientation au motif, qui est d'ailleurs confirmée par la même orientation adoptée par les gravures voisines des phases I et III. L'interprétation anthropomorphe de ce motif ne semble faire aucun doute, malgré les paires de bras surnuméraires. Un peu plus haut un petit motif de même facture comporte un corps sans jambes et une paire de bras également orientée vers le bas.

4.8. RÉTICULÉ (PHASE II)

Seul le motif du carré H/27 peut être nommé réticulé, à défaut d'un terme plus explicite (fig. 37). Il s'agit d'un motif très usé, dans une zone de la roche particulièrement dégradée, son interprétation est donc à prendre avec réserves. Les 11 traits parallèles sont interrompus en leur milieu par l'érosion et l'altération de la roche, mais ils étaient vraisemblablement continus à l'origine. On pourrait y voir la représentation d'une sorte de peigne ou de râteau, dont le modèle matériel ou symbolique reste encore à trouver. Pourtant, des motifs réticulés de ce type sont connus sur certaines roches de l'Arc alpin, notamment dans le Valcamonica et en Valteline. Ils sont interprétés comme des représentations de peigne, à mettre en relation avec la symbolique féminine (Casini et Odone 1994). Dans le cas du motif de Saint-Léonard, un tel rapprochement reste encore à confirmer.

4.9. CUPULES (PHASES I À III)

Les roches à cupules sont au nombre de trois, du moins en ce qui concerne les groupes de plus de 15 cupules. L'ensemble le plus remarquable est sans conteste la grande roche qui occupe un sommet de la Crête des Barmes, au sud-est de la roche à gravures, qu'elle domine de 0.6 à 1.8 m (fig. 28 et 53). Elle s'étend sur une surface d'environ 4.5 x 2.5 m, dans les carrés J-L/34-38. Nous avons dénombré 212 cupules sur cette surface, dont certaines sont jointives et d'autres entourées de cercles concentriques (voir plus haut sous 4.1). La profondeur des cupules est relativement modeste, puisqu'elle s'échelonne entre 1 et 45 mm, mais avec une majorité dont la profondeur est inférieure à 10 mm (96%). Leur enfoncement est en général proportionnel à leur diamètre. Malgré tous nos efforts nous n'avons mis en évidence aucune organisation des cupules, qui puisse soutenir une quelconque interprétation de fonction ou de signification. On remarque néanmoins, que la majorité des cupules est concentrée sur la partie la plus haute de la roche. En effet, 102 d'entre elles sont comprises dans un rectangle de 150 x 70 cm, limité par des failles du rocher et situé au sommet de la roche.

Les deux autres zones de cupules ne se distinguent pas par un relief particulier, il s'agit simplement de

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surfaces où les cupules sont présentes en plus grand nombre et plus forte densité. Dans les carrés F/45-46, un groupe de 15 cupules est étrangement conservé en un point où la roche est très faillée et altérée. Il s'agit de la zone de roche travaillée la plus orientale de toute la colline, à environ sept mètres au nord-est de la grande roche à cupules. Aucune gravure n'est visible en relation avec ces cupules, dont la plupart sont alignées selon un quadrillage déformé (fig. 29). Un autre groupe de 47 cupules est quant à lui, cette fois, directement intégré à la roche gravée et comporte d'ailleurs un orant schématisé de la phase I (fig. 27). Dans ces deux derniers cas, là aussi, la signification de ces constellations de cupules nous échappe complètement. Nous pouvons néanmoins postuler que leur façonnage est contemporain des gravures du reste de la roche, de ce fait leur fonction y est probablement liée.

4.10. SURFACES PIQUETÉES RECTANGULAIRES (PHASES II ET IV)

Dans la phase IV, mais aussi de façon plus modeste dans la phase II, nous observons de nombreux motifs piquetés, le plus souvent rectangulaires, mais qui adoptent aussi des formes plus diverses en général présentes à un seul exemplaire. En ce qui concerne la technique de travail, on peut remarquer que ces surfaces compor- tent des contours et des bords très bien dessinés, les piquetages sont en densité suffisante pour créer une dépression régulière d'un à deux millimètres de profond. Aucune interprétation de ces surfaces rectangulaires ne peut être proposée à partir de références culturelles proches, il est nécessaire de les passer en revue une à une pour discuter de l'éventuel modèle qu'elles pourraient évoquer.

Tout d'abord, on constate que ces représentations, du moins pour celles attribuées à la phase IV, sont situées topographiquement dans une zone très précise de la roche gravée : dans une bande de 3 x 1 m, dans les carrés I-J/23-26. En outre, il ne s'agit pas simplement de motifs rectangulaires, mais ils sont en général complétés par des appendices, qui pourraient éventuellement nous éclairer sur leur signification.

Commençons par le motif du carré J/23, qui représente un simple carré piqueté, dans lequel une ligne non gravée a été réservée, qui le sépare en deux rectangles inégaux (fig. 43 et 63). Une comparaison s'impose avec les motifs « topographiques » ou de « champs cultivés » identifiés comme tels dans certains sites du nord de l'Italie (Fossati 1994 ; Arcà 1999a ; Arcà 1999b). De tels motifs sont interprétés au Valcamonica comme des représentations de surfaces agraires, labourées ou cultivées et, dans ce cas, une image en relation avec les pratiques agricoles ou plus exactement la symbolique qui lui est liée. Une telle interprétation pourrait aussi s'appliquer au motif du carré I/26, d'autant plus que le sujet qui l'accompagne à sa droite pourrait être vu comme une représentation d'une houe, d'une hache ou d'un autre outil agricole (fig. 49 et 66).

Le motif du carré I/24 est aussi un rectangle piqueté, mais trois de ses angles sont agrémentés d'une boucle ouverte, le quatrième angle ne comporte pas de boucle, mais un point piqueté qui indique peut-être que le motif est inachevé ou que cette partie de la gravure, moins profonde, a été érodée (fig. 46). Ici, l'interprétation de l'image d'un champ cultivé pourrait aussi être proposée. Néanmoins, nous évoquerons comme alternative la représentation d'une peau de bête (bœuf, chèvre ou mouton ?). Certaines roches du Mont Bego présentent des motifs de peaux de bêtes, dont les caractéristiques sont très semblables à l'exemplaire de la Crête des Barmes (Priuli 1984, p. 10 ; Lumley 1992). En outre, rappelons que dans le monde méditerranéen et en particulier dans l'âge du Bronze récent chypriote (daté d'environ 1600 à 1050 av. J.-C.), les lingots de cuivre étaient coulés dans des moules en forme de peau de bovidé, afin d'être transportés plus facilement (Catling 1964, p. 266-277 ; Karageorghis 1968, p. 115). Ce rapprochement est peut-être audacieux, néanmoins l'hypothèse que les graveurs de Saint-Léonard connaissaient, au moins de réputation, l'existence et la forme de tels lingots ne nous paraît pas du tout impossible, même si la forme de la représentation gravée correspond à un archétype et non à l'image exacte de l'objet évoqué (fig. 47).

Toujours dans la phase IV, un autre motif formé d'une surface piquetée suscite l'interrogation (carré J/24, fig. 35). Il s'agit d'un rectangle deux fois plus long que large, complété sur un long côté par une sorte de palette à long manche. Un motif en forme de croissant a ensuite été gravé sur le rectangle, mais vraisemblablement toujours pendant la même phase de gravure. Ce motif est bien conservé, mais néanmoins, il nous paraît difficile de lui proposer une signification.

Enfin, quelques motifs de la phase II présentent des surfaces piquetées, rectangulaires ou non. Il s'agit des deux méandriformes des carrés H/30 et J/23, ainsi que le motif complexe relevé en H/28. Dans ces trois cas, les surfaces piquetées sont reliées par des traits sinueux, mais leur dessin est plutôt informe que rectangulaire.

Pour le motif du carré H/28, l'hypothèse de la représentation de surface de cultures, reliées par un cheminement sinueux, semble être acceptable (fig. 38). Ce genre de composition est aussi connu en Italie du Nord (Arcà 1999b, p. 72-73). Les deux méandriformes trouveraient ainsi une signification « topographique », qui n'est d'ailleurs pas incompatible avec la symbolique du labyrinthe (Christinger 1961).

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LES GRAVURES RUPESTRES DE LA CRÊTE DES BARMES À SAINT-LÉONARD (VALAIS, SUISSE)

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4.11. TRAITS PIQUETÉS (PHASE IV)

Plusieurs traits piquetés rectilignes sont attribués à la phase IV (carrés K/22, L/22 et I/27). La simplicité de ces motifs nous incite à ne pas chercher à les interpréter. On peut tout de même signaler que deux des trois traits piquetés sont orientés dans le sens des failles de la roche calcaire, tandis que le troisième ensemble comporte des traits d'inégales longueurs, orientés est-ouest et associés à quelques cupules (fig. 45, 51 et 52).

4.12. ORANTS ENTOURÉS DE POINTS (PHASE III)

Deux motifs anthropomorphes se distinguent des représentations d'orants classiques (voir sous 4.2). Il s'agit des deux orants simplifiés attribués à la phase III, dans les carrés L/21 et L/34. En L/21, un petit orant cruciforme est surmonté d'un point (cupule peu profonde) et un deuxième point se trouve en dessous de lui (fig.

32 et 56). En outre, ce motif est contigu, de la même phase et de même facture, que les deux stèles anthropo- morphes qui figurent à sa droite (voir sous 4.13). L'autre représentation de ce type est gravée à plus de 13 mètres de là, en L/34. Il s'agit toujours d'un orant simplifié, mais cette fois avec les bras levés, entouré de quatre petites cupules. La tête du personnage est bien marquée, par une cupule peu profonde. Les deux cupules gravées de part et d'autre du corps pourraient être interprétées comme des seins et, dans cette hypothèse, caractériser une représentation féminine. Là aussi, cet orant appartient à la phase III, mais dans ce cas ce motif est associé à un double cercle concentrique qui lui est attribué à la phase I (fig. 33 et 34). Si le simple ou double cercle pointé est fréquemment interprété comme un motif solaire, on pourrait voir dans l'association de l'orant aux points et les cercles concentriques une scène de culte solaire, même si les deux motifs appartiennent à deux phases de gravure distinctes. Une telle scène (association entre un orant et un cercle pointé) est connue au Valcamonica.

4.13. STÈLES ANTHROPOMORPHES (PHASE III)

Dans le carré L/21, à gauche du petit orant déjà décrit, apparaît une représentation à la fois explicite et étrange. Il s'agit de deux surfaces piquetées rectangulaires, arrondies à leur sommet, dans lesquelles deux zones ont été laissées libres de piquetages dans la partie supérieure (fig. 32 et 56). Un tel dessin rappelle évidemment l'image d'une stèle anthropomorphe, du type de celles du Petit-Chasseur à Sion, de Saint-Martin de Corléans à Aoste et même, à plus longue distance, des statues-stèles de la Lunigiana sur la côte ligure italienne (Ambrosi 1972). Ce qui confère une certaine étrangeté à cette gravure c'est le fait que deux sujets de ce genre soient superposés et qu'ils soient associés (du moins par la facture de la gravure et la conservation) au petit orant qui figure à leur gauche. En revanche, l'interprétation de ces motifs comme étant des représentations de stèles anthropomorphes ne semble faire aucun doute. La forme en « obus » de la surface piquetée et la surface réservée qui évoque un « visage » sont présentes sur les stèles les mieux conservées de Sion ainsi que la plupart de celles de la Lunigiana. En outre, la stèle du bas montre un léger rétrécissement dans sa partie supérieure, qui évoque très nettement les épaules. En plus de la surface réservée en relation avec la position du visage, nous remarquons pour les deux stèles une autre surface sans piquetages, ménagée en dessous de cette dernière. La signification de cette deuxième réserve pourrait marquer l'emplacement d'un pectoral ou d'un collier, motifs fréquents sur de nombreux modèles de stèles. Précisons encore que la forme générale des stèles pourrait correspondre à celles de Sion, autant du type A (Néolithique final) que du type B (civilisation campa- niforme). En revanche, la surface réservée à l'emplacement du visage nous incite plutôt à rapprocher ce type de représentation des modèles de stèles campaniformes (Gallay 1995).

La contemporanéité de la gravure des deux stèles et également celle du petit orant pointé nous permet de parler d'une véritable composition ou « scène gravée », même si sa signification symbolique nous échappe pour le moment.

4.14. ORANTS SCHÉMATISÉS (PHASE IV)

Un type particulier d'orants est présent parmi les motifs de la phase IV, il s'agit de personnages très schématisés, sans jambes, mais avec les bras levés. Ce type de représentation pourrait aussi être appelé « orants dégénérés », mais cette appellation possède une connotation qualitative peu adéquate. Trois ou quatre motifs peuvent entrer dans cette catégorie, on les trouve dans les carrés J/26, J/25, I/25 et éventuellement J/22 (fig. 48 à 50 et 36).

Le motif J/25 est le plus représentatif et le plus explicite. C'est un anthropomorphe dessiné avec un trait pour le corps, surmonté d'une petite cupule à l'emplacement de la tête et de deux bras levés en forme de U, dont un est partiellement effacé (fig. 48 et 60). Un sexe masculin précise le genre du personnage, tandis qu'une cupule surmonte la tête d'une manière analogue aux deux orants de la phase III. Ce motif est d'une taille convenable (20 cm de haut sans la cupule) par rapport aux autres orants des phases II, III et IV. A la gauche de cet orant sont piquetées deux surfaces allongées, de même facture et donc probablement contemporaines.

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Aucune interprétation ne peut être confirmée actuellement, ni pour leur relation avec l'orant ni pour leur signification.

Dans le carré J/26 figurent deux représentations d'orants du même type que celui décrit précédemment.

L'un d'entre eux possède un sexe masculin, mais ils sont trop petits et schématisés pour pouvoir en dire plus (fig. 50). Un autre motif piqueté pourrait être interprété comme une représentation d'un orant atypique. Il s'agit du motif du carré I/25, où l'on peut reconnaître un corps d'où émerge faiblement une tête, sur le modèle des têtes des stèles anthropomorphe (fig. 49). De ce qui peut être appelé les épaules s'échappent deux bras tendus vers le ciel, avec à leurs extrémités des ébauches de mains. Dans le carré J/22, un dernier petit motif piqueté pourrait aussi être interprété comme une ébauche d'orant, sous toutes réserves (fig. 36).

4.15. HACHE OU HOUE ? (PHASES II ET IV)

Nous avons déjà mentionné un outil associé à une surface piquetée dans le carré I/26 (fig. 49). Cet objet, très schématisé, pourrait être interprété de différentes manières. Néanmoins, nous ne retiendrons que deux hypothèses : une hache ou une houe. Dans les deux cas, la matière de la lame nous est inconnue, pierre, métal, bois de cerf, os, etc. La forme du manche ferait plutôt penser à une hache du Néolithique moyen ou final, mais une attribution plus récente est tout aussi possible. Dans le domaine des modèles matériels, nous devons reconnaître notre ignorance de la diversité des types d'emmanchement utilisés dans la préhistoire valaisanne.

Un autre motif serait, lui, plutôt à attribuer à une houe, c'est celui du carré H/28, associé avec un trait sinueux qui relie deux surfaces piquetées interprétées comme des aires cultivées (fig. 38). Ici aussi, la forme est assez simple et pourrait correspondre à plusieurs types d'outils : houe, hache, bâton à sillonner, etc.

5. HYPOTHÈSES D'ATTRIBUTIONS CULTURELLES ET CHRONOLOGIQUES

Nous avons vu plus haut que la chronologie interne établie pour les gravures de la Crête des Barmes possède une certaine cohérence, autant dans l'attribution d'un motif donné à une phase de gravure plutôt qu'à une autre, que par la répartition chronologique des sujets gravés. A de très rares exceptions d'attribution discutable, en fonction d'une altération plus importante de la roche, il nous semble que les quatre phases définies représentent une certaine réalité archéologique qui, dans l'état de nos connaissances, peut être considérée comme acquise. L'opération suivante est donc de proposer un calage de ces phases de gravure dans l'échelle du temps et dans la succession des cultures préhistoriques connues dans le haut bassin rhodanien.

Pour réaliser cette délicate opération, il est utile de définir à nouveau un certain nombre de postulats, dont le choix sera déterminant sur le résultat de la construction chronologique obtenue.

1. En l'absence de représentation d'objets métalliques ou en d'autres matières pouvant être datées de l'âge du Fer ou d'époques plus récentes, nous postulons que la roche de Saint-Léonard n'était plus utilisée à l'âge du Fer. Cette hypothèse s'appuie aussi sur l'absence presque totale de découvertes dans la région à mettre en relation avec cette période.

2. Au niveau chronologique, nous choisissons de limiter le corpus de référence à la préhistoire valaisanne, telle qu'elle est connue aujourd'hui, pour les périodes comprises entre le Néolithique ancien et la fin de l'âge du Bronze final.

3. La proximité de l'habitat préhistorique de Sur le Grand-Pré nous incite à penser que la roche gravée a été utilisée pendant au moins une des périodes principales d'occupation de l'habitat. Soit entre le Néolithique moyen II de type Saint-Léonard et l'âge du Bronze ancien (culture du Rhône).

4. Les datations obtenues sur le site du Petit-Chasseur à Sion et en particulier celles proposées pour les stèles anthropomorphes peuvent être considérées comme sûres dans l'état actuel des recherches.

5. L'érection de l'alignement de menhirs du chemin des Collines à Sion est attribué au Néolithique moyen I, sur la base de sa position stratigraphique par rapport à la nécropole découverte à proximité et datée de 4500 à 3900 av. J.-C. Il en est de même des motifs gravés sur certains de ces menhirs.

6. Les quatre phases de gravure mise en évidence à la Crête des Barmes correspondent à des périodes successives qui ne se recoupent pas.

En fonction de ce cadre de travail, il est possible de tenter une construction chronologique pour proposer des limites culturelles et temporelles aux différentes phases de gravure. Essayons tout d'abord de fixer les limites globales de cette chronologie : son début et sa fin.

Pour la phase I, seuls les orants sont à prendre en compte pour la placer dans le temps par rapport à d'autres sites valaisans. Parmi les orants de la phase I, deux types sont présents : les « grands orants » aux contours

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LES GRAVURES RUPESTRES DE LA CRÊTE DES BARMES À SAINT-LÉONARD (VALAIS, SUISSE) 285

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