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Justice incertaine et pluralisme des valeurs à l'ère démocratique

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Justice incertaine et pluralisme des valeurs à l'ère démocratique

MANAI-WEHRLI, Dominique

MANAI-WEHRLI, Dominique. Justice incertaine et pluralisme des valeurs à l'ère démocratique.

In: Kellerhals, Jean, Manaï, Dominique et Roth, Robert. Pour un droit pluriel : études offertes au professeur Jean-François Perrin . Genève : Helbing & Lichtenhahn, 2002. p.

179-199

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:16591

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Justice incertaine et pluralisme des valeurs à Père démocratique

Dominique MANAÏ

Introduction

L'une des lignes de force de la réflexion de Jean-François PERRIN est celle du pluralisme juridique. Elle a traversé ses écrits aussi bien de l'angle de vue de la philosophie du droit, dans son ouvrage intitulé Pour une théorie de la connaissance juridique' que de celui de la sociologie du droit dans son ouvrage consacré à la Sociologie empirique du droW

Par pluralisme juridique, il comprend la conception qui s'oppose au mo- nopole de l'Etat dans la production des normes juridiques. Il part du constat qu'il existe des sources de droit infra-étatiques et observe que de nombreux groupes génèrent leur propre réglementation à laquelle il serait difficile de refuser le caractère normatif; ce phénomène, ille qualifie d' «autorégulation».

D'où l'incontournable intemormativité qui régit les rapports sociaux.

Cette problématique est à l'origine de mon intenogation sur l'idée de justice dans notre société marquée par le pluralisme tant juridique qu'axiologique.

Refusant de se confotmer aux courants de pensée dominants, Jean-Fran- çois PERRIN marche sur les pas d'ERASME et de toute la pensée humaniste du XVIe siècle, en traversant les différentes disciplines intellectuelles sans s'y en- fermer, afin que le questionnement s'enrichisse du décloisonnement des do- maines qu'il rencontre. Si bien que Jean-François PERRIN juriste se double du sociologue qui, à son tour, se double du théoricien du droit. En l'espèce, c'est à Jean-François PERRIN philosophe du droit que je voudrais rendre hommage

1 Jean-François PERRJN, Pour une théorie de la connaissance juridique, Genève, Droz, 1979.

2 Jean-François PERRIN, Sociologie empirique du droit, Bâle, Helbing & Lichtenhahn, 1999.

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Dominique MANAï

par ces quelques lignes, en reprenant l'une des préoccupations les plus ances- trales mais aussi et en même temps les plus actuelles des philosophes, à sa- voir la justice. Je l'envisagerai dans son rapport avec le droit pom la confronter au pluralisme des valeurs de notre société contemporaine où la liberté indi- viduelle se trouve souvent en conflit avec l'égalité des citoyens.

En effet, étudiante du Professem Jean-François PERRIN, puis son assistante, et à présent sa collègue honorée de poursuivre modestement son courant de pensée à la faculté de droit de Genève, je me propose, dans le cadre de cette contribution, de déplacer l'outillage conceptuel sociologique de Jean-François PERRIN pour l'appliquer sur la problématique philosophique de la justice con- temporaine. Pour ce faire, j'entends confi·onter le regard de trois philosophes:

John RAWLs qui a réactivé le débat sur la justice dès les années soixante dix et dont les prises de position ont suscité de nombreuses critiques, Michael W ALZER et Charles TAYLOR, deux penseurs parmi les plus brillants contradic- teurs de John RAwLs. Leurs arguments me permettront de cerner les contoms du souci de justice dans la pensée contemporaine afin d'éclairer le mien et de fournir des éléments de réponses aux questions suivantes: à quelle conception de la justice se rattache un droit régulant une réalité sociale vivante et plurielle?

Le plmalisme des valeurs conduit-il à un relativisme qui rend la justice introu- vable voire impossible? La quête de justice se réduit-elle à entériner les faits?

Le plmalisme du droit implique-t-ille pluralisme de la justice? Mais une justice plurielle n'est-elle pas la négation de la justice elle-même? Les valeurs dé- mocratiques de liberté et d'égalité sont-elles irréconciliables? Comment la jus- tice parvient-elle à en réaliser la synthèse?

I. Pluralisme des valeurs et normes de justice

L'époque contemporaine est incontestablement marquée par l'effacement des repères traditionnels, par l'ère du vide. En effet, les transcendances ont dis- paru, les idéaux suprêmes (Dieu, le progrès, la nature, la raison, le bien) ne légitiment plus le réel. La société ne partage plus une conception commune du bien et du mal, la philosophie du soupçon a progressivement gagné du terrain et a fait prendre conscience de la nature problématique de la légiti- mité des institutions et des nonnes. Le pluralisme secrète des pensées irré- conciliables entre elles; si bien que la culture démocratique ne peut être jus- tifiée par une doctrine particulière. Il est dès lors loisible de se demander si le pluralisme des valeurs renvoie à un relativisme qui exclut une référence à la justice. Je ne le pense pas, dans la mesure où cette «dynamique de la modemité»3 n'est pas exempte de normes. Si l'on en croit les philosophes

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Justice incertaine et pluralisme des valeurs à l'ère démocratique

Luc FERRY et Alain RENAUT, ils caractérisent la modernité à la fois par «une révolte des individus contre la hiérarchie au nom de l'égalité»4 et par la dé- nonciation des traditions au nom de la liberté. Egalité et liberté forment ainsi les valeurs fondamentales de notre société contemporaine. C'est ainsi que la modernité repose sur l'idée d'«auto-institutiom>5, c'est-à-dire sur l'idée que la loi se fonde sur la volonté des individus et non plus sur l'autorité de la tradition. La mutation est de taille. Il s'agit d'un changement radical qui im- plique un nouveau rapport à la loi, un rapport qui s'inscrit dans le registre de l'autonomie, au sens où Paul AMsELEK l'entend, à savoir «le dédouble- ment fonctionnel de la même volonté qui assume à la fois le rôle de pilote ou conducteur et celui de commandant de bord adressant des consignes de route au pilote»6, et non plus dans celui de l'hétéronomie, «c'est-à-dire le partage des rôles de pilote et de commandant entre deux volontés différen- tes»7. Si bien que la légitimité de la norme juridique a cessé de recourir à un référent extérieur à elle; elle doit sans cesse être démontrée et ravivée. Elle se justifie par l'argumentation. Cette dernière remplace la tradition8La nmme juridique est donc traversée par cette dynamique qui consiste à fonder un lien social par delà le pluralisme des valeurs, corollaire de l'égalité et de la liberté. D'où ce besoin de normes que réclame même une société pluraliste.

Jürgen HABERMAS a posé le concept de paradigme procédural du droit9 pour désigner un droit centré sur le citoyen, un citoyen qui participe à la formation de l'opinion et de la volonté: celui-ci ne peut parvenir à des régulations équitables pour son statut privé qu'à la condition de faire un usage approprié de ses droits politiques dans le domaine public. Il doit vouloir participer à la définition de ce qui est public, pour interpréter et évaluer ses propres besoins, avant que législateurs et juges puissent savoir ce que signifie dans chaque cas traiter également ce qui est semblable. Cette participation du citoyen à la détetmination du bien public est une conséquence de l'égale distribution des libertés pour chacun.

Luc FERRY et Alain RENAUT, «L'éthique et le droit à l'âge démocratique», p. 15, in Ethique et droit à 1 'âge démocratique, Actes du colloque de mai 1990, Cahier de philosophie politique et juridique, n° 18, Centre de philosophie politique et juridique de l'université de Caen, 1990.

4 FERRY et RENAUT, Ethique et droit (n.3), p. 14.

FERRY et RENAUT, Ethique et droit (n.3), p. 15.

6 Paul AMsELEK, Science et déterminisme, éthique et liberté: essai sur une fausse antinomie, Paris, PUF, 1988, p. 118.

7 AMsELEK, Science et déterminisme (n.6), p. 118.

FERRY et RENAUT, Ethique et droit (n. 3), p. 17.

9 Jürgen HABERMAs, Droit et démocratie entre faits et normes, Paris, Gallimard, trad. Fran- çaise, 1997, p. 466.

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En d'autres termes, le bien de l'individu au sein de sa communauté et la justice de la collectivité ne sont ni à opposer ni à mettre en concurrence. La justice ne se détermine pas contre le bien individuel, mais au plix d'un effort d'abstraction, intégrant ainsi le particulier dans l'universel. Le paradigme procédural du droit ne découle pas d'un idéal de la société, ni d'une vision déte1minée de la vie bonne, ni même d'une option politique déterminée. Il est formel et procédural, dans la mesure où il se «contente de désigner les conditions nécessaires dans lesquelles il est possible aux sujets du droit de s'entendre, dans leur rôle de citoyens, sur les problèmes qui sont les leurs et sur les solutions qu'il convient d'y apporter... le paradigme procédural du droit est lié à une attente autoréférentielle, celle de ne pas caractériser uniquement la vision qu'ont d'elles-mêmes les élites qui opèrent avec le droit en tant qu'ex- perts, mais également la vision qu'ont d'eux-mêmes tous les intéressés»10

Cette conception procédurale du droit m'amène à poursuivre mon enquête et à me demander quels sont les contours de la justice? Devient-elle à son tour purement procédurale et vide de toute substance?

De même que la société pluraliste se donne un droit auto-institué quipos- tule la pmticipation des citoyens dans la détermination du bien public, elle doit se doter d'une justice qui ne recourt pas à un référent extérieur à elle.

Mais alors la justice n'est-elle qu'un concept vide, de nature purement procédurale? Et si tel était le cas, ne perdrait-elle pas sa qualification de justice?

N'oublions pas que dans une société fondée sur les valeurs d'égalité et de liberté, le souci de justice se trouve propulsé au cœur de la tension sui- vante: d'une part, codifier des pratiques et réguler les rapports sociaux et d'autre part, reconnaître les particularismes dans leur singularité. Le plura- lisme des valeurs de notre société rend ainsi difficile à atteindre l'équilibre que postule la justice pour assurer la cohésion sociale. Se pose alors inéluc- tablement la question de savoir si le pluralisme, qui certes ne nous conduit pas à renoncer au souci de justice, nous incite alors à le réduire à une exi- gence minimale, à un simple refus de l'arbitraire?

Cette difficulté à cerner la justice à 1' ère du pluralisme a amené plusieurs philosophes contemporains à se préoccuper de sa place dans une société de plus en plus multiculturelle11C'est en ces termes qu'Alain BADIOU formule cette quête de justice qui devient, dès lors, de plus en plus difficile: «Ce dont

10 HABERMAS, Droit et démocratie (n.9), p. 474.

11 Le thème de la justice est central dans la philosophie contemporaine: par exemple, John

RAWLS Théorie de la justice, trad. Française, Paris, Seuil, 1987; du même auteur Justice et démocratie, trad.fi'ançaise, Paris, Seuil, 1993; Michael W ALZER, Sphères de justice, une dé- fense du pluralisme et de l'égalité, trad. Française, Paris, Seuil, 1997; W. KYMLICKA, Les

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Justice incettaine et pluralisme des valeurs à l'ère démocratique

il faut partir est ceci: l'injustice est claire, la justice est obscure. Car celui qui subit l'injustice en est le témoin irrécusable. Mais qui témoignera pour la justice? S'il y a un affect de l'injustice, une souffrance, une révolte, rien, en revanche, ne signale la justice, laquelle ne se présente ni comme specta- cle ni comme sentiment.

Faut-il alors se résigner à dire que la justice n'est que l'absence d'injus- tice? Est-elle la neutralité vide d'une double négation?»12

II. La justice à l'ère démocratique est-elle possible?

Devrais-je conclure à mon tour que le pluralisme des valeurs exclut toute référence positive à la justice? Les conflits de valeurs équivalentes, fmits de la liberté et de l'égalité, témoignent-ils d'une impossible justice? Je ne le pense pas. Je partirai plutôt de l'hypothèse que le pluralisme de valeurs s'accom- pagne non seulement d'un nouveau rapport à la loi mais aussi d'un nouveau rapport à la justice, que je me risque à caractériser de la manière suivante: la justice ne se donne pas d'emblée comme telle, il s'agit d'une justice à éta- blir sans cesse, une justice au contenu variable, une justice dynamique et positive, bref une justice incertaine, une justice qui prend le pluralisme des valeurs comme norme de base. Ainsi la justice à l'ère démocratique est cer- tes possible mais incertaine.

Ce qui m'amène à poursuivre mon investigation et à me demander quels sont les contours de cette justice incertaine?

Un bref regard rétrospectif me rappelle que l'Antiquité était l'époque de 1' âge d'or de la justice. Cette période était nourrie par le débat entre PLATON et ARISTOTE: alors que le premier pensait que le philosophe était capable de connaître l'idée de justice, le second invoquait l'idée de pmdence qui, par un raisonnement dialectique, permettait d'aboutir à une solution juste. On découvre alors que pour ARISTOTE la justice n'était pas perçue comme une norme universelle, une substance, mais plutôt comme une relation entre des sujets de droit et qu'elle pouvait coiffer des contenus variables. En effet, le juste était considéré comme une proportion, si bien que les parts des uns et

théories de la justice, trad. Française, Paris, La Découverte, 1999; cf aussi De la justice du droit au droit à la justice, Entretien avec Gianni V ATIJNO, Magazine littéraire, octobre 2001, n° 402.

12 Alain BAmou, «Vérités et justice», in Qu'est-ce que la justice? Paris, Presses universitai- res de Vincennes, 1996, p. 273.

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des autres n'étaient pas nécessairement égales13Une telle conception de justice distributive petmettait la recherche de ce qui est juste; le résultat n'était pas déduit d'un commandement, mais relevait d'une méthode dialectique à l'aide de laquelle on découvrait la solution par tâtonnements, par confron- tation d'opinions contradictoires. Dans la perspective aristotélicienne, la justice apparaît comme un concept vide dont les contenus varient selon le temps et le lieu et dont le critère qui guide la répartition des biens est lui aussi fluc- tuant.

Plus près de nous, l'époque moderne a fait descendre la justice de son piédestal, la débarrassant ainsi de sa transcendance pour devenir immanente au réel. Puis la société contemporaine a radicalisé ce mouvement, si bien que de nos jours, aucune valeur n'est a priori supérieure à une autre. Ainsi per- çue, la justice contemporaine n'implique pas l'obéissance à un commande- ment, elle n'est pas une norme universelle qu'il suffit d'appliquer à une si- tuation particulière; elle est relative au conflit de valeurs et peut donc revêtir des contenus très variables. La justice est donc à l'ère du pluralisme néces- sairement incertaine.

L'auteur qui, à mon sens, a jeté les fondements de ce nouveau rapport à la justice suscité par le pluralisme des valeurs est Georges GURVlTCH, socio- logue autant que philosophe du droit. Ce théoricien du pluralisme juridique s'est penché, déjà en 1938, sur l'idée de justice dans son ouvrage L'expé- rience juridique et la philosophie pluraliste du droiti4Il considère que «la théorie de la justice est la partie essentielle et première de la philosophie du droit»15Pour lui, il n'estplus question de justice métaphysique, mais de justice sociale. A l'instar du droit social, la justice est sociale, car elle intègre les individus dans <<Un ordre trans-personnel anti-hiérarchique»16Elle permet de produire la synthèse entre l'individu et une communauté, celle-ci étant irré- ductible à la somme de ses parties. Aussi la justice se déploie-t-elle dans le pluralisme des valeurs sans accorder un privilège quelconque à l'Etat. Elle ne relève pas du monopole de l'Etat.

L'intérêt de l'analyse de Georges GURVlTCH est de mettre en évidence que la justice présuppose l'existence d'un conflit entre valeurs morales équiva- lentes et qu'elle a pour fonction d'harmoniser les antinomies entre l'individu

13 ARisTOTE, Ethique à Nicomaque, V, 6, trad. par J. Tricot, Paris, Vrin, 1994, pp. 226-230.

14 Georges GuRVITCH, L'expérience juridique et la philosophie pluraliste du droit, Paris, Pedone, 1935, pp. 91-102.

15 GURVITCH, L'expériencejuridique (n.14), p. 101.

16 GURVITCH, L'expériencejuridique (n.14), p. 97.

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et le groupe sociaP7Loin d'être en dehors du droit ou de s'opposer à lui, la justice lui est inhérente. Elle en est l'un de ses éléments18 et le droit est une tentative de réaliser la justice dans un milieu social donné. Du reste, 1 'éty- mologie donne raison à G.GURVITCH, car initialement les notions de droit et de justice sont intimement liées19.

A une société pluraliste, à un droit vivant correspond une justice dynami- que et positive, une justice sociale, une justice qui prend acte des conflits de valeurs pour les dépasser.

De nos jours, le droit se présente à la fois comme vecteur et comme garant de la justice sociale. Droit et justice se trouvent façonnés par le même cou- rant, celui du pluralisme.

Les philosophes contemporains ont renoué avec le souci de justice, qui avait été écarté par le positivisme établissant une dichotomie entre les faits et les valeurs. C'est le philosophe américain John RAWLs qui a réactivé le débat. Son ouvrage Théorie de la justice20 eut, dès sa parution, un grand re- tentissement non seulement dans le monde américain mais aussi européen.

Il situe l'objet de sa préoccupation sur la justice sociale et non sur la justice métaphysique, en tant que structure de base de la société21.

Sa conception de la justice est modelée par les attentes de la société contemporaine, car pour lui la justice n'est pas une norme donnée a priori qu'il suffit d'appliquer au cas d'espèce. Elle est le résultat d'un processus de négociation, au cours duquel des individus soucieux de leurs propres intérêts établissent un accord sur les principes de base; ceux-ci sont des principes de justice qui devraient gouverner la «structure de base» d'une société juste. Il est bien question de justice, car la recherche des principes se fait d'un point

17 Pour G. GuRVITCH, «la justice est appelée à concilier d'une façon préalable les conflits réels entre les valeurs personnelles et trans-personnelles reconnues pour équivalentes», GURVITCH,

L'expérience juridique (n.l4), p. 99.

18 GuRVITCH, L'expériencejuridique (n. 14), p. 101.

19 En grec, justice «dikaiosunè» vient de «dikaiom> (droit), «to dikaiom> est l'objet de la jus- tice; de même en latin «justitia» vient de «jus». Il semble que ce sont les langues moder- nes qui ont effacé le rapport étymologique entre justice et droit.

20 Pam en 1971, traduit en français en 1987.

21 Il écrit: «Pour nous, 1' objet premier de la justice, c'est la structure de base de la société ou, plus exactement, la façon dont les institutions sociales les plus importantes répartissent les droits et les devoirs fondamentaux et déterminent la répartition des avantages tirés de la coopération sociale», RAwLs, Théorie (n. 11), p. 33. La justice, pour lui est «la première vertu des institutions sociales comme la vérité l'est des systèmes de pensée». Plus préci- sément, son objet est la structure de base de la société, c'est-à-dire non pas les institutions particulières mais l'agencement des principales institutions sociales en un système unique basé sur la coopération et non la domination. RAwLs, Théorie (n. 11), p. 29.

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de vue impartial. Une société juste est, selon la conception de John RAwLs, construite à pmtir de l'accord fictif d'individus qui recherchent les avanta- ges de la vie en société selon une procédure équitable22L'homme est inté- gré à une communauté; c'est par la coexistence humaine qu'il devient un sujet, une personne, avec et parmi les autres personnes.

Ainsi, à l'époque contemporaine, la justice n'est pas réductible à un re- fus de l'arbitraire, à un droit à la résistance. Elle n'est pas non plus impos- sible. Immanente au réel mais non subordonnée à lui, immergée dans la so- ciété, elle petmet de dépasser les conflits entre valeurs équivalentes mais antagonistes. Elle exprime une positivité. Elle est dynamique et incertaine, dans la mesure où son contenu n'est pas déterminé a priori mais plutôt dé- couvert à la suite de la confrontation des valeurs en jeu. Elle petmet l'arbi- trage des conflits d'intérêts. Quels sont alors plus précisément les critères de la justice qui concilient des valeurs antagonistes et aboutissent à une solu- tion juste? Quels sont les ingrédients de la justice?

Je me propose d'intenoger le souci de justice par rapport à trois axes: la place de la liberté individuelle face à 1' exigence de justice sociale; puis j' exa- minerai si l'équation justice- égalité est toujours valable; enfin je parcour- rai les différentes conceptions de la justice contemporaine, qui oscillent en- tre une justice procédurale et une justice substantielle.

III. La

justice sociale est-elle compatible avec la liberté individuelle?

Il est superflu de rappeler que notre société démocratique est fondée sur les valeurs de liberté et d'égalité. Elle prend l'individu comme pivot central autour duquel la communauté s'organise. Alors que les systèmes de valeurs tradi- tionnelles présupposaient l'existence d'une collectivité comme source des obli- gations morales, la société modeme fait au contraire de la liberté individuelle et de l'égalité entre tous les individus ses principes fondateurs. C'est l'indi- vidu qui est considéré comme la piene angulaire de 1 'ordre moral, il est la source première des obligations. Et c'est là l'une des difficultés majeures

22 John RAwLs exprime cette idée à plusieurs reprises: « ... la justice procédurale pure s'exerce quand il n'y a pas de critère indépendant pour détenniner le résultat correct; au lieu de cela, c'est une procédure corr-ecte ou équitable, quel qu'en soit le contenu, pourvu que la procédure ait été correctement appliquée .... Or, l'avantage pratique d'une justice procédurale pure, c'est qu'il n'est plus nécessaire de tenir compte de la variété infinie des circonstan- ces et des positions relatives changeantes des personnes particulières. On évite ainsi d'avoir à définir des principes pour résoudre les complications énormes qui ne manqueraient pas

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auxquelles se heurte le souci de justice. Se pose, en effet, la question de sa- voir si la justice sociale laisse une place à la liberté individuelle qui a priori lui est antinomique et le cas échéant, comment le fait-elle?

C'est de nouveau vers le philosophe John RAWLs que je me suis tournée pour tenter de trouver une réponse. Il a, en effet, élaboré une théorie de la justice modelée sur les valeurs qui légitiment la démocratie. Et c'est lui qui a le plus brillamment construit une théorie de la justice fondée sur la liberté individuelle. Comment procède-t-il?

Dans son ouvrage Théorie de la justice, John RAWLs transforme le pro- blème classique de la justice en problème relevant des conditions de choix des principes de justice. En effet, il considère que la justice est le résultat d'un processus de négociation au cours duquel des individus soucieux de leur propre intérêt établissent un accord sur des principes de base. Il se propose d'expliciter les idées propres à notre société démocratique en tant que «sys- tème équitable de coopération entre des personnes libres et égales»23. Loin d'entériner les faits, la justice est évaluée à l'aide du critère de la libetté individuelle, évitant ainsi de sombrer dans le relativisme des pratiques so- ciales. La liberté individuelle comme référent ultime de la justice découle des conditions de choix des principes fondamentaux sur lesquels s'échafau- dent la société et ses institutions. Or les principes de justice sociale sont con- sidérés comme légitimes si l'on parvient à démontrer qu'ils seraient choisis à 1 'unanimité par des individus libres et rationnels, poursuivant leurs inté- rêts mais placés dans une situation initiale d'égalité, situation qui est elle- même équitable.

Pour ce faire, John RAwLs établit deux critères de légitimité des institu- tions justes.

Le premier critère est celui de l'objet du choix rationnel:

L'objet du consentement entre les partenaires est le choix des principes de justice. Ce choix est guidé par un ensemble de convictions éthiques com- munément partagées, telles que l'égalité, l'autonomie des individus, le ca- ractère arbitraire des avantages découlant de la nature ou du contexte social, la nécessité d'une juste répmtition des avantages et des charges au bénéfice de tous les individus.

d'apparaître si de tels points de détail s'avéraient importants .... C'est l'organisation de la structure de base qui doit être jugée, et ce d'un point de vue général. Elle ne peut être critiquée que du point de vue d'uu individu représentatif pertinent; en dehors de cela, nous ne devons pas nous en plaindre», RAwLs, Théorie (n. 11), pp. 118-119.

23 John RAwLs, Justice et démocratie, trad. Française, Paris, Seuil,l993, p. 216.

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Les principes de justice sont ceux que choisiraient des personnes mora- les, libres et égales, placées dans une situation équitable, pour gouverner la structure de base par delà le pluralisme des valeurs.

Or selon l'hypothèse de John RAWLs, ces personnes choisiraient deux prin- cipes indépendants:

le premier, c'est le principe d'égale liberté, qui exigera l'égalité dans l'at- tribution de droits et devoirs de base; c'est-à-dire chaque personne doit avoir un droit égal au système le plus étendu de libertés de base égales pour tous24

Ce principe exige que les libertés fondamentales des individus demeurent aussi grandes que cela est compatible avec le respect réciproque de ces li- bertés entre les citoyens.

Le contractant est libre mais doit se préserver des méfaits possibles d'une liberté sans contrainte. Il est donc libre de se limiter, sans devoir se doter d'un Etat qui le contraigne par la force.

Le second, c'est le principe de différence, qui concerne la distlibution des biens; il exige une meilleure répartition possible pour l'ensemble de la so- ciété, de telle façon que personne ne soit désavantagé sans nécessité, et il donne à cette fin la formule qui gère ces inégalités inévitables. Le principe de différence réduira les inégalités contingentes, naturelles ou sociales. Les contractants désirent minimiser au maximum les inégalités, afin que les dé- favorisés profitent de toute différence de bien-être. En effet, partant d'une situation d'égalité, RAwLs suppose que l'introduction d'une différence puisse être- du fait de l'amélioration générale de la production qu'elle entraîne- de nature à améliorer la situation des plus défavorisés. Cette différence peut être poussée jusqu'au point à partir duquel elle deviendrait néfaste pour les défavorisés. La situation la plus juste est indiquée par le point de la courbe où la situation de ceux-ci est la meilleure25

Le second critère de légitimité des institutions est celui des conditions dans lesquelles le choix s'établit. RAwLs imagine une situation de départ hypo- thétique qu'il appelle la position originelle dans laquelle chacun ignore tant sa place dans la société, son statut social et son appartenance de classe, que ses capacités intellectuelles et physiques. Ils sont placés sous un voile d'igno- rance. Ce dernier dépouille l'individu de connaissances particulières le con- cernant, mais lui laisse les capacités d'un choix rationneF6Les partenaires sont ainsi placés dans une situation initiale d'égalité. Il s'agit d'un état hy- pothétique, non historique, pré-étatique et pré-constitutionnel que RAwLs

24 RAwLs, Théorie (n. 11), p. 52.

25 RAwLs, Théorie (n. 11), p. llO.

26 RAwLs, Théorie (n. 11), pp. 169-170.

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nomme position originelle. La démarche de RAwLs est très originale: élabo- rer une norme de justice à pmtir d'une situation théorique fictive qui la rend possible.

Ainsi, dans les sillages du libéralisme est affirmée la priorité de la liberté sur toutes les autres valeurs morales et politiques, réconciliant ainsi le plu- ralisme moral et la diversité des conceptions du bien. Loin de s'opposer à elle, la liberté individuelle est à la base de la conception de la justice dans une société démocratique. Loin d'être une individualisation qui l'annihile, la liberté constitue le critère général à l'aune duquel la justice se reconnaît.

La question de la liberté personnelle dans la justice sociale renvoie à la détermination du rapport de l'individu à la communauté: comment réconci- lier les valeurs d'appartenance au groupe social tout en défendant la libetté individuelle?

RAWLs affirme que la protection des libertés et des droits fondamentaux, des libertés civiles et politiques, des droits sociaux et économiques a prio- rité sur la recherche du bien-être de l'ensemble.

La théorie rawlsienne suscite l'adhésion de tout juriste qui réfléchit sur la justice, car il pose un ordre hiérarchique entre les valeurs au sommet duquel il place la liberté de chacun. Si bien que ni les pratiques sociales ni le con- sentement des partenaires ne suffisent à justifier 1 'obligation politique. C'est pourquoi, et contrairement aux théoriciens du contrat social, le consentement ne saurait engendrer d'obligation lorsqu'il porte sur des institutions mani- festement injustes. Est juste ce qui est jugé comme tel à partir d'un point de vue impartial. L'artifice de la position originelle permet de définir le juste sans référence, ni à des critères externes ni à une conception particulière du bien. C'est donc la structure de la situation et l'application équitable des règles qui détetminent la justice d'un résultat et non pas un critère externe et uni- que. Ce qui permet à RAWLs d'affirmer que «le résultat sera juste quel qu'il soit»27Les conditions du choix dans la position originelle garantissent l'égalité des contractants, l'autonomie et la liberté ainsi que l'impartialité de l'infor- mation. La procédure qui mène à l'adoption des principes de justice doit être juste et équitable pour tous, c'est-à-dire respecter les conditions fondamen- tales d'égalité et d'unanimité; elle vise à fonder l'impartialité28

27 RAWLS, Théorie (n. 11), p. 85.

28 La théorie de la justice de John Rawls est déontologique, dans la mesure où le respect des principes est un devoir. Elle s'oppose à une conception utilitariste qui ignore l'impmtance de la justice distributive et ne tient pas compte de la façon dont la somme totale des satis- factions est répartie entre les individus. Dans une perspective utilitariste, il serait possible d'organiser les institutions de la société de façon à réaliser la plus grande somme totale de

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La justice sociale se trouve ainsi, dans notre société démocratique, insé- parable de la libe1té individuelle.

IV. La justice exclut-elle les inégalités?

Comme nous venons de le voir, la défense de la libe1té individuelle n'exclut pas la justice sociale, celle-ci garantissant celle-là. Mais qu'en est-il du deuxième pilier des valeurs démocratiques, celui de 1' égalité des citoyens?

Souvenons-nous que le XVIII< siècle a établi une corrélation entre la justice et l'égalité, comme si les deux termes étaient synonymes.

Depuis ce moment-là le concept d'égalité est devenu la règle et l'inéga- lité l'exception. De surcroît, l'égalité est présumée juste, l'inégalité, par contre, doit être justifiée; si elle n'est pas justifiée, elle paraît arbitraire et donc in- juste. Centrale pour l'idée de justice, l'égalité semble inséparable d'elle.

Les philosophes contemporains procèdent à un réexamen de cette coné- lation entre la justice et l'égalité. Ils ne la récusent pas mais lui apportent des nuances. Proposant une alternative aux théories conséquentialistes, les philosophes contemporains - pour lesquels la justice ne se réduit pas à une arithmétique ou une addition de plaisirs- optent pour ce que l'on appelle à la suite d'ARisTOTE la <~ustice distributive». Elle concerne la manière dont les ressources limitées d'un groupe (argent, services et avantages divers) doi- vent être réparties entre ses membres. Celle-ci est essentielle, puisque la question de savoir si une société est juste ne dépend nullement de la quan- tité de biens primaires dont disposent les mieux nantis, mais seulement de la quantité de biens attribuée aux plus défavorisés.

Par delà cette perception commune quant à la justice distributive, chaque auteur réinterprète le concept d'égalité au cœur de la justice sociale, si bien qu'il n'est pas possible de dégager une conception homogène des philoso- phes contemporains sur cette question.

Pour John RAwLs, la justice s'accompagne de ce qu'il appelle «l'égalité démocratique», une égalité qui tend à la maximisation de la position des plus désavantagés, admettant ainsi l'inégalité à partir de l'égalité.

satisfaction pour l'ensemble des individus, dans la plus totale injustice, c'est-à-dire en sacrifiant une partie de la population à l'intérêt du plus grand nombre, en focalisant l'at- tention sur les conséquences de l'action. Ainsi, le sacrifice des uns pourrait servir à justi- fier un bien-être accru des autres. L'utilitarisme définit le bien-être social comme le résul- tat de la maximisation de la somme des satisfactions individuelles, la société additionne les plaisirs mais ne garantit pas que chacun ait du plaisir.

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Justice incertaine et pluralisme des valeurs à l'ère démocratique

Partant du postulat que l'égalité est juste, il convient qu'aucune inégalité ne peut se justifier par elle-même; si un avantage est accordé à quelqu'un, ce ne peut être qu'avec l'accord de tous.

Pourtant RAwLs considère que l'égalité complète serait anti-économique;

la coopération implique nécessairement une hiérarchie des fonctions socia- les, c'est-à-dire des inégalités de pouvoirs et de responsabilités. C'est pour- quoi il estime qu'il n'y a pas d'injustice dans le fait qu'un petit nombre obtienne des avantages supérieurs à la moyenne, pourvu que la situation des moins favorisés soit par là même améliorée. Si bien que seules sont permi- ses les inégalités qui améliorent la situation de chacun. Comme nous l'avons vu, le principe de différence admet que les inégalités socio-économiques soient considérées comme justes si elles produisent, en compensation, des avanta- ges pour chacun, en particulier pour les individus les plus défavorisés. Les inégalités sont justes lorsque la coopération est guidée par un accord qui résulte non d'un pouvoir extérieur aux partenaires de la position originelle, ni d'une loi divine, mais d'une procédure équitable où les contractants sont en situa- tion de réciprocité et de mutualité, où des associés dans la situation origi- nelle sont égaux.

Contrairement à RAwLs, d'autres auteurs renoncent à rechercher un foyer unique de justice et affirment une pluralité des principes de justice. Michael WALZER, par exemple, se réfère à la notion d'égalité complexe29Qu'entend- il par là?

L'égalité complexe est une notion réactive et corrective: elle vise à abolir la domination. Aussi affirme-t-il «l'égalité complexe est le contraire du to- talitarisme: une différenciation maximale par opposition à une coordination maximale»30Michael WALZER observe que la domination dans une société démocratique se produit par le mode de répartition des biens sociaux. A l'instar de John RAwLs, il ne remet pas en cause la corrélation entre la justice et l'éga- lité; il va même jusqu'à identifier l'idée d'égalité à celle de patiage juste.

Il procède plutôt à un déplacement de la question et considère que le péril le plus important pour nos sociétés vient de la coalition entre la propriété en tant que pouvoir sur les choses et du pouvoir politique qui s'exerce sur les hommes. C'est pourquoi il convient de limiter le pouvoir. D'où l'idée d'une juste délimitation des sphères, afin de prévenir les empiètements de l'une sur l'autre. Mais la difficulté consiste à savoir «OÙ poser les batrières; elles n'ont pas de place naturelle .... Les frontières sont donc vulnérables à des

29 WALZER, Sphère (n. 11), p. 437.

30 WALZER, Sphère (n. 11), p. 438.

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changements de significations sociales»31. La justice pour W ALZER consiste ainsi à établir les distinctions entre les composantes de la vie sociale. Ce qui l'amène à affinner que «dans tout société diversifiée, la justice ne produira l'hannonie que si elle produit la séparation. Les bonnes barrières font les bonnes sociétés»32

Le concept d'égalité complexe, proposé par WALZER, est secrété par le pluralisme; il exprime l'idée de justice.

De même que WALZER, Charles TAYLOR s'oppose aux éthiques rationalis- tes qui tendent à établir un principe de justice unique capable de fonder et d'englober la totalité du champ éthique33Il admet une grande diversité des principes de justice, et considère à son tour que dans certains cas justice et inégalité peuvent se concilier.

Pour lui, l'égalité est un pdncipe de justice fondamental qui régit tous les domaines (droit de vote, accès à certains services comme l'assurance-mala- die ... ).

En revanche, dans le cadre du marché économique capitaliste qui est le domaine de l'initiative privée et de la libre concurrence, les inégalités sont inévitables.

Et parfois c'est même l'idée de justice qui postule une forme d'inégalité:

ainsi lorsqu'une personne a contribué davantage, elle médte de recevoir plus.

Lisons Charles TAYLOR: «Alors que tous ont part au bien- parce que c'est le principe même de la communauté, .. .il est évident que nous devons plus aux personnes ayant apporté une contribution insigne. Ils méritent davantage que les autres .... Cette intuition de la juste distribution selon le mérite entre associés semble très profondément ancré dans la conscience humaine»34C'est ainsi la justice elle-même, en faisant place au mérite, qui requiert une inéga- lité.

Et TAYLOR d'invoquer, à la suite d'ARISTOTE, le principe d'égalité <<pro- portionnelle» pour justifier une forme de conciliation de l'égalité et de l'iné-

galité: une rétdbution juste doit être proportionnelle à la contdbution35

31 WALZER, Sphère (n. 11), p. 442. L'autonomie des sphères produira un partage plus grand des biens sociaux que tout autre dispositif concevable. Il précise « ... plus la justice a de portée, plus il est certain que l'égalité complexe sera la fmme que prendra la justice» W ALZER, Sphère (n. 11), p. 437.

32 WALZER, Sphère (n. 11), p. 441.

33 Charles TAYLOR, «Le juste et le bien», Revue de métaphysique et de morale, janvier-mars 1988, pp. 33-56.

34 TAYLOR, Le juste (n. 33), p. 52.

35 TAYLOR, Le juste (n. 33), p. 52.

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Justice incetiaine et pluralisme des valeurs à l'ère démocratique

Ainsi nous le voyons, la justice à l'ère du pluralisme s'accommode de certaines inégalités. Mais la corrélation entre justice et égalité demeure, qu'il s'agisse d'une égalité démocratique, d'une égalité complexe ou d'une éga- lité proportionnelle.

V.

Universalisme ou particularisme de la justice?

Le souci de justice au cœur du pluralisme des valeurs, secrété par la liberté individuelle et l'égalité des citoyens, est bien différent de celui qui a animé le courant jusnaturaliste. Mon enquête sur la justice incertaine dans un con- texte social marqué par le pluralisme m'incite à soulever une dernière ques- tion: peut-on encore prétendre à une justice universelle ou au contraire con- clure qu'il ne n'y a de justice que particulière et spécifique à une société?

Dans cette dernière hypothèse, le relativisme ne contribue-t-il pas subrepti- cement à saper les fondements de la justice elle-même?

Ma lecture des philosophes contemporains met en exergue deux grandes options: une conception de la justice substantielle s'oppose à celle d'une justice procédurale dans la mesure où ces deux conceptions résolvent différemment le rapport entre le bien et le juste.

Alors que pour les uns, tel John RAwLs, le pluralisme des valeurs renvoie à une justice procédurale et universelle, pour les auh·es au contraire, tels Char- les TAYLOR ou Michael W ALZER, il renvoie à une justice substantielle et par- ticulière à la société dans laquelle elle se déploie.

L'auteur qui a provoqué le débat contemporain sur cette question, dans les sillages de la tradition des théories procédurales de l'éthique, est sans con- teste John RAwLs. En effet, pour lui comme nous l'avons vu, le juste est engendré par des moyens procéduraux: c'est dans la position originelle et sous un voile d'ignorance, que les citoyens doivent construire les principes de justice dans une situation contractuelle hypothétique.

Le juste n'est donc pas connu d'avance; il résulte de la délibération te- nue dans une condition initiale d'équité absolue. Il est le point d'aboutisse- ment de tout un processus de négociation.

En effet, la position originelle est une procédure de construction qui satisfait à cetiaines conditions raisonnables, et au sein de cette procédure, des personnes caractérisées comme des agents rationnels et impartiaux, parviennent par un accord quant au choix des principes de justice. Ce choix n'est pas le résultat d'une enquête empirique sur ce qui est universellement considéré par les êh·es humains comme nécessaire à leur bonheur. La justice n'est pas à la remorque des faits. Elle doit être définie indépendamment des pratiques particulières

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de toute société, afin de conserver sa portée critique. Elle est plutôt le produit d'une réflexion sur les conditions de base requises pour une société juste.

Or, ces principes ne sont pas arbitraires et sont pas au service d'intérêts particuliers. Ils sont au contraire choisis de manière impatiiale, car ils semblent les plus raisonnables pour tous. L'effort essentiel de RAWLs est de reformuler un contrat social en mettant l'accent sur la procédure de délibération et sur la condition initiale d'équité grâce au voile d'ignorance.

Par ailleurs, RAwLs est convaincu, à l'instar de KANT, que l'idée de jus- tice exige pour chaque individu des droits inaliénables, des droits de 1 'homme qui ne sauraient être supplantés par le bien-être de la société dans son en- semble. Or, les principes de justice servent à l'arbitrage des conflits sociaux réels ou potentiels, ils fournissent un moyen de fixer les droits et les devoirs dans les institutions de base de la société36L'objet de l'accord originel est la détermination publique de principes universellement acceptables par des personnes libres et égales.

Ainsi la métaphore du voile d'ignorance permet à John RAWLs d'affitmer l'universalité des principes de justice. Elle définit les conditions dans les- quelles de justes principes seront choisis parmi d'autres. Il s'agit donc d'une notion de justice procédurale. Ainsi entendue, la justice suppose seulement une procédure acceptable par tous. Ce pluralisme de valeurs empêche que les hommes parviennent à s'entendre sur une notion commune de bien. Ils ne peuvent que déterminer ensemble la forme acceptable de répartition des moyens à partir desquels chacun pourra poursuivre son bien37

Le juste ou l'injuste sont ainsi les prédicats de procédures. La mise en scène de la position originelle et de la délibération sous voile d'ignorance constitue selon RAWLs une procédure <~uste»: ses résultats, à savoir les prin- cipes sur lesquels les sociétaires se mettent d'accord, sont donc eux-mêmes 1' expression de la justice. Il affirme que la justice procédurale pure est à la base de sa théorie, ce qui signifie que le résultat obtenu ne peut être juste que si la procédure elle-même est équitable. Ce n'est qu'à patiir du juste, c'est-à-dire une définition contractuelle de l'ordre social, que le bien de la société peut être affirmé.

Aussi convaincante que puisse être cette conception d'une justice procédurale respectant le pluralisme des valeurs, la priorité du juste sur le bien est pourtant fortement contestée dans le débat philosophique contem- porain.

36 RAWLS, Théorie (n. 11) p. 30.

37 RAwLs, Théorie (n. 11), pp. 172-173.

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Justice incertaine et pluralisme des valeurs à l'ère démocratique

A 1' opposé de la conception d'une justice procédurale émerge celle d'une justice substantielle, une justice particulière à 1 'écoute des pratiques socia-

les.

Ainsi, la philosophie morale de Charles TAYLOR s'éloigne explicitement des courants universalistes et rationalistes. Il critique vigoureusement ce qu'il appelle les «éthiques du juste», comme celle de John RAwLs, qui ont ten- dance à faire de la justice la valeur morale la plus fondamentale38

Pour lui, les éthiques du juste sont des éthiques minimales et formelles, qui laissent la détennination du bien à 1' exercice de la liberté et qui restent neutres sur cette question. Cette éthique se réduit au respect de certaines nor- mes restrictives, de limites et de règles de procédures qui définissent une manière juste de traiter tous les individus et de résoudre les conflits suscep- tibles de les opposer. Les valeurs de justice, d'impartialité, d'égalité, de dé- mocratie et de droits individuels y occupent une place importante. Il pro- pose une conception de la morale plus substantielle et positive, une éthique qui affirme la supériorité morale d'une manière de vivre, de certaines vertus et de certains buts, ce qu'il appelle une «éthique du bien»39

Pour qu'une vie ait un sens, elle doit être orientée vers des buts jugés su- périeurs et importants. Il faut donc réintégrer dans la morale ces questions fondamentales que les éthiques du juste avaient voulu évacuer sous prétexte que nous vivons à l'âge du pluralisme moral, une époque où les interroga- tions fondamentales doivent demeurer l'affaire de chacun.

Cette perspective pe1met de réconcilier les valeurs d'appartenance à la com- munauté et de liberté individuelle. Il convient, lors de nos choix moraux, de faire la distinction entre la matière et la manière: le milieu social fournit à l'individu la matière de ses choix moraux. Mais la libe1té définit la manière dont ces choix doivent s'effectuer. TAYLOR se fait l'avocat du respect des dif- férences et de la recherche de compromis. Il s'oppose à la rigidité d'une éthi- que du juste qui refuse toute dérogation à ces principes universalistes.

Il concède que la liberté et l'autonomie individuelles constituent des biens supérieurs. Et ces valeurs ne sont pas seulement des droits que tout un cha- cun doit respecter. Elles incarnent une manière de vivre jugée moralement supérieure, une vie dont le parcours a été dessiné par la volonté propre de l'individu, une vie dont l'individu peut assumer la responsabilité. Or la priorité

38 Il écrit: «la faiblesse des théories procédurales ... apparaît lorsqu'on demande ... qu'est- ce qui oblige à suivre les procédures privilégiées? La réponse doit consister en une cer- taine compréhension de la vie humaine et de la Raison, en une doctline anthropologique, et donc en une conception du bien», TAYLOR, Le juste (n. 33), p. 40.

39 TAYLOR, Le juste (n. 33), p. 37.

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de la liberté, la priorité du juste sur le bien conduisent à 1me conception asociale et abstraite de la personne humaine à laquelle la justice s'applique et empê- che de voir que la cohésion sociale est l'objectif final de la justice.

Certes, la conception d'une justice procédurale s'accommode de n'importe quel contenu pourvu que la procédure de choix équitable soit respectée. Mais sa faiblesse est son incapacité à résoudre un conflit de valeurs équivalentes.

D'autres auteurs, appmienant au courant communautarien, se proposent d'ancrer la justice dans la réalité effective d'un groupe humain. Tel Michael WALZER, à la fois historien, sociologue et philosophe, souligne qu'il ne peut pas y avoir un principe unique de justice, mais différents principes dont chacun serait applicable dans une sphère spécifique de la vie sociale. Ce philosophe affirme ainsi le pluralisme des principes de justice.

Michael W ALZER, dans son ouvrage Sphères de justice, est tenu pour un des plus brillant contradicteur de John RAwLs et de son concept abstrait, for- mel et strictement procédural de la justice. Pour lui, 1 'universalisme propose une conception trop abstraite et trop individualiste de la morale. En mettant l'accent sur les valeurs de liberté et d'égalité, il donne une vision étriquée de la dimension collective de la vie en société. En effet, dans la perspective universaliste, les valeurs du groupe social ne auraient avoir de primauté de principe sur la liberté des individus. RAwLs n'a pas explicité le lien entre les principes de justice et l'autorité politique. Car pour lui les principes de jus- tice, même s'ils sont choisis et librement consentis, doivent avant tout être obéis.

A la question du fondement de la justice, Michael W ALZER répond que la justice est une réalité d'ordre essentiellement social. La justice est pour Michael W ALZER une construction humaine et par cela même, «il est douteux qu'elle puisse se réaliser d'une seule manière»40Elle ne se situe pas au niveau mé- taphysique ou supra-étatique, mais au niveau infra-étatique.

Le pluralisme moral, le pluralisme des valeurs ne renvoie pas à une jus- tice procédurale, mais plutôt au particularisme, à l'histoire, à la culture et à l'appartenance à une communauté.

Ainsi, les valeurs morales n'ont pas de valeur absolue, elles sont relati- ves à la réalité singulière de chaque communauté humaine41

40 WALZER, Sphère (n. 11), p. 26.

41 W ALZER écrit: «la justice est relative à des significations sociales .... Une société donnée est juste si sa vie substantielle est vécue d'une certaine manière- c'est-à-dire d'une ma- nière qui soit fidèle aux compréhensions partagées de ses membres», WALZER, Sphère (n. 11), pp. 433-434.

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Justice ince1taine et pluralisme des valeurs à l'ère démocratique

Le pluralisme des valeurs implique la reconnaissance de la pluralité des principes de justice42

Ces arguments qui s'opposent avec force à la conception d'une justice universelle ont amené John RAwLs à admettre dans ses écrits ultérieurs que les principes de justice qu'il propose sont ceux qui fondent et gouvernent une société démocratique et donc n'ont pas de vocation universelle.

Ainsi, les contours de la justice que dessinent les philosophes contempo- rains sont ceux d'une justice particulière à une société, une justice qui peut être soit procédurale comme pour John RAWLs, soit substantielle comme pour Michael WALZER ou Charles TAYLOR.

En guise de conclusion

Je me suis proposée d'identifier les ingrédients qui constituent la justice à l'ère du pluralisme des valeurs.

Je suis partie de l'idée, gravée dans ma mémoire, selon laquelle l' Anti- quité, âge d'or de la justice, était marquée par le débat entre PLATON et ARis- TOTE; ces deux perceptions différentes de l'idée de justice me semblaient être un horizon indépassable. Or il m'apparaît que la philosophie contem- poraine poursuit cette réflexion sur la justice et l'actualise en la vivifiant.

Force est de constater que, de nos jours, le pluralisme des valeurs a réactivé le souci de justice et a généré des perceptions de justice très riches et nuan- cées en les débarrassant de leur transcendance, en les immergeant dans le social et en les revitalisant. Ce qui m'amène à conclure que le souci de jus- tice est très présent dans notre société démocratique en dépit du triomphe de la mondialisation et de l'hégémonie de la pensée économique qui l'ac- compagne.

Aussi m'importe-t-il de souligner que le pluralisme des valeurs n'impli- que pas nécessairement le relativisme qui fait perdre à la justice son centre de gravité ni la subordination de celle-ci aux faits sociaux. Le pluralisme a déjà imposé l'idée que le droit n'est pas réductible à la loi; mon analyse de

42 C'est en ces termes qu'il exprime cette idée: «Personne ne songe à nier qu'il y ait toute une gamme de réalisations possibles moralement justifiables. La thèse que je veux défen- dre a une portée plus large: les principes de justice sont eux-mêmes pluralistes dans leur forme même, on doit répartir différents biens sociaux pour toutes sortes de raisons, en accord avec toutes sortes de procédures, faisant chaque fois intervenir des agents différents; et toutes des différences ont leur source dans les conceptions différentes que l'on peut avoir des biens sociaux eux-mêmes, qui sont le produit inévitable de particularisme historiques et culturels», WALZER, Sphère (n. 11), pp. 26-27.

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la pensée contemporaine m'a permis de découvrir que la justice n'est pas non plus le monopole de l'Etat. La démocratie secrète un nouveau rapport à la justice, une justice qui ne recourt pas à un référent extérieur à elle, une justice incertaine mais pas impossible. Une justice perçue comme une conquête, comme le résultat d'un processus de négociation, donc une jus- tice à contenu variable. La justice n'est plus métaphysique mais sociale, en ce sens qu'elle pmi de l'individu et l'intègre dans une communauté. Une justice ce1tes sociale, mais une justice qui ne se borne pas à cautionner les rapports sociaux comme ils sont.

Les piliers de la justice dans une société démocratique sont la liberté in- dividuelle et l'égalité des citoyens. La justice sociale est désormais insépa- rable du respect de la liberté de chacun. Les philosophes contemporains con- viennent que la liberté personnelle ne s'oppose pas à la justice sociale. De plus, si la justice sociale est inséparable de l'égalité, elle ne saurait s' accom- moder d'une égalité absolue; égalité démocratique, égalité complexe, éga- lité propmtionnelle, les interprétations philosophiques de l'idée d'égalité con- vergent pour admettre que certaines inégalités sont justes.

Ainsi, l'idée de justice au début du vingt-et-unième siècle se déploie et prospère dans un pluralisme des valeurs. Son contenu est donc inéluctable- ment variable. L'idée de justice est donc marquée à son tour par le plura- lisme des principes de justice. La grande césure qui traverse la philosophie contemporaine est la hiérarchie entre le juste et le bien. Alors que pour les uns, tel John RAwLs, le juste est prioritaire et seule une justice procédurale garantit la liberté individuelle, pour les autres, tels Charles TAYLOR ou Michael W ALZER, le bien déte1mine le juste et la justice ne saurait être que substan- tielle, dans la mesure où elle trouve sa racine dans diverses conceptions des pratiques sociales.

Tandis que le pluralisme juridique place la justice au cœur de la société, le pluralisme des valeurs la rend incertaine. Le juste n'est pas donné a priori mais il est plutôt une pratique livrée aux usagers du droit, un processus de discussion balisé par les valeurs démocratiques. Bref, une justice négociée avec comme toile de fond la libe1té individuelle et 1' égalité des citoyens.

Est-il superflu de rappeler qu'aucune paix n'est possible ou encore moins durable en l'absence de justice? Or, à l'instar du droit, la justice devient complexe et acquiert ainsi un espace de déploiement aussi exceptionnel que prometteur à l'ère du défi de la mondialisation. Au moment où la pensée libérale nourrit la mondialisation43 en subordonnant les instances étatiques et en constituant non seulement un Sud pauvre mais aussi une banlieue de misère qui cerne les cités développées du Nord4\ l'enjeu de la justice sur la scène internationale est d'une actualité brûlante. Il interpelle non seulement

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Justice incertaine et pluralisme des valeurs à l'ère démocratique

le philosophe du droit quant aux rappmis de la justice à la pluralité des valeurs qui sous-tend la dynamique démocratique, mais aussi et surtout le simple citoyen imprégné de cette nouvelle culture démocratique qui ne renonce pas à aspirer à la correction des injustices sociales45.

43 «En cette fin de siècle, tous les Etats sont pris dans le grand mouvement de la mondiali- sation qui rend les économies dépendantes les unes des autres. Les marchés financiers tressent une toile invisible qui relie les pays et, en même temps, ligotent et emprisonnent les gou- vernements. Aucun Etat, pratiquement, ne peut plus s'isoler du reste de la planète. Quelles conséquences pour les citoyens? pour la démocratie?», Ignacio RAMONET, Géopolitique du chaos, Paris, Gallimard, 2001, p. 10.

44 «L'aggravation des inégalités entre le Nord et le Sud trouve son prolongement au sein même des pays les plus développés. Bien que faisant partie des 20 % de la population de la pla- nète qui se partage plus que 80% du revenu mondial, l'Union européenne compte plus de 50 millions de pauvres: le nombre de chômeurs y atteint en 1999les 20 millions. La machine économique fabrique de plus en plus de marginaux, notamment parmi les jeunes, les fem- mes et les émigrés», RAMONET, Géopolitique du chaos, (n. 43), p. 9.

45 «Afin de faire cesser l'injustice structurelle ... il y a urgence .... Nous devons prendre conscience de 1 'injustice sociale qui règne au niveau mondial, en particulier par rapport au

«troisième monde», déstructuré économiquement et politiquement. Nous avons globale- ment régressé, depuis quarante ans, sur la voie de l'aide économique aux pays pauvres.

Appliquées à leur situation, nos recettes monétaristes, néolibérales, sont à la fois ridicules et odieuses», Entretien avec Jean-Marc FERRY, Le Temps, 25 octobre 2001, p. 12.

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