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A propos de l'imagination géographique ou réflexions dans les marges pour tenter de penser le centre

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Academic year: 2022

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A propos de l'imagination géographique ou réflexions dans les marges pour tenter de penser le centre

RAFFESTIN, Claude

RAFFESTIN, Claude. A propos de l'imagination géographique ou réflexions dans les marges pour tenter de penser le centre. Géotopiques : L'imagination géographique les niveaux indicateur territoriaux, la marginalité, l'économie submergée , 1985, p. 5-7

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:4353

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A PROPOS DE L'IMAGINATION GEOGRAPHIQUE OU REFLEXIONS DANS LES MARGES POUR TENTER DE PENSER LE CENTRE

Claude RAFFESTIN Université de Genève

Lorsque j'ai écrit le texte sur l'imagination géographique dans le premier numéro de Géotopiques, j'avais bien évidemment dans l'esprit le projet d'une rencontre entre géographes intéressés par le thème, mais j'ignorais encore ce que j'allais déclencher. J'avais choisi d'aborder le thème de plein fouet, c'est-à-dire de parler directement immédiatement de ce que je pensais être, pour moi, l'imagination géographique. De manière à me distancer pourtant du sujet, j'avais choisi de parler de "névroses"

auxquelles, pour m'amuser, j'avais accolé quelques noms célèbres, à savoir le complexe d'Hérodote, le syndrome de Newton et la passion de Prométhée.

Ces névroses ne sont pas totalement passées inaperçues et je les ai retrouvées sous quelques plumes. C'était mon tour de passer sur le "divan"

des notes infrapaginales et surtout de découvrir que l'on pouvait être étrangement interprété pour ne pas dire incompris. Mais peu importe! Ce que je retiens de cette aventure pas tout à fait folle ni non plus totalement ironique, c'est la nécessité qu'il y a à obliger les géographes à réfléchir sur leur pratique et, pourquoi ne pas persister dans mes erreurs, sur leurs _ névroses. Je ne connais guère de vrais géographes qui ne soient pas obsédés, donc légèrement névrosés, par telle ou telle pratique. Ne serait-ce pas, sur le mode positif, le signe de la création donc de l'imagination?

Les premiers à avoir fait preuve d'imagination dans le domaine de la géographie ne sont-ils pas ceux qui, voulant connaître la terre, se sont mis à regarder le ciel? Il f a l l a i t faire le point, comme disent les marins, il fallait dessiner l'une ou l'autre de ces lignes imaginaires qu'on appelle coordonnées géographiques; en d'autres termes il f a l l a i t regarder "autre chose" que la chose que l'on observait pour la connaître.

C'est une leçon que nous avons perdue, peut-être même la première que nous ayons perdue: pour baliser la terre, il faut déchiffrer le ciel ou encore, bien que sous une forme un peu différente, pour comprendre le proche, il faut pointer le lointain.

Je pressens, là, une "grande loi" de la pensée à l a q u e l l e les sciences de l'homme n'ont pas cessé, ces trois dernières décennies, de tourner le dos. En effet, elles ont cru découvrir dans la relation d'enquête empirique, dans "l'interpellation" de l'homme singulier, la clé ou l'une des clés de la connaissance de l'homme social aux prises avec le monde. C'est la méthode policière élevée au rang de méthode scientifique:

c'est le syndrome du flic de quartier par opposition au paradigme indiciel de Sherlock Holmes si bien décrit par Carlo Ginsburg. Ce n'est pas par

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hasard que nous parlons d'enquête: "il faut faire une enquête". Le terme est on ne peut plus policier et il implique, de fait, ces jeux de questions directes auxquels nous soumettons une ou des séries de témoins censés avoir assisté "au crime" et qui, plus, est, se trouvent sur les "lieux du crime".

Pas un seul instant, il ne nous vient à l'esprit que les réponses statistiquement significatives peuvent révéler le mensonge plutôt que la vérité qui, elle, n'apparaîtra pas parce que recluse dans ce que nous laissons de côté. Nous sommes plus attentifs aux déclarations pseudo-unanimes qu'aux déclarations discordantes ou douteuses. C'est l'application du fameux principe "vox populi vox dei".

Nous n'avons pas encore compris que les réponses à des questions directes posées à des groupes de témoins parfaitement choisis (au sens de la probabilité) nous révèlent surtout les mécanismes mimétiques d'une société, ce que René Girard a mis en scène dans la "Route antique des hommes pervers". Le grand oublié, le grand perdant de l'enquête c'est le phénomène qui l'a suscitée. Les seules enquêtes possibles sont celles qui s'appliquent à des "réponses" à propos desquelles il n'y a pas eu de ...

questions! Je veux dire par là que l'homme singulier, en tant qu'il appartient à un groupe, laisse dans le sillage de son action des traces, des résultats, des marques dont il n'est pas conscient, mais qui n'en existent pas moins. Ce sont ces traces et ces marques qu'il faut soumettre à l'interprétation et certainement pas les réponses à des questions sur ces traces et ces marques.

Ce sont les pratiques des hommes qui intéressent le chercheur, pas ce que les hommes disent de ces mêmes pratiques. L'opposition entre le

"faire" et le "dire" est fondamentale. Avant de s'occuper du dire, il faut prendre en compte le faire. Si le fameux groupe d'arbres de Wittgenstein est si intéressant c'est qu'il n'est pas là pour dire quelques chose et que son faire nous contraint à l'interprétation. Qu'est-ce que le groupe d'arbres veut dire? A travers cette question est posée celle de l'imagination scientifique et donc de l'imagination géographique.

L'imagination réside dans ce cas dans l'interprétation et ses appareils conceptuels. La proposition de Wittgenstein pourrait d'ailleurs servir, au premier degré, de possible fondement de l'interprétation géographique.

A ce propos le mot géographie peut présenter en tout cas trois significations qui nécessitent d'être identifiées. Il y a la géographie comme réalisation et ordre du réel, je l'appellerai géostructure. Elle est, au sens propre et immédiat, une production. L'imagination des producteurs territoriaux serait à prendre en compte. Une production territoriale peut effectivement démontrer des combinaisons inattendues: on peut, à cet égard, "lire" une infinité de possibles dans les utopies.

Il y a la géographie comme représentation, c'est le géogramme. La représentation d'une géostructure est la recherche d'un géogramme essentiel et structurant. Que signifie dans ce cas la recherche de l'essentiel et du structurant? Cela signifie choisir des éléments qui sont en relation avec un univers de significations du sujet. L'imagination est partie prenante dans ce choix. E l l e est commandée par les besoins du déchiffrement du

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quotidien.

Il y aussi et enfin la géographie comme langage, c'est la métagéographie, qui mobilise et met en forme les éléments choisis. Là aussi, l'imagination est infinie en théorie mais les langages durent longtemps. Toute théorie géographique est une victoire de l'imagination, tout modèle et toute méthode aussi.

Réfléchir dans les marges pour tenter de comprendre quelques choses au centre c'est une condition préjudicielle à l'imagination, je ne doute pas que les textes et les commentaires qui sont proposés dans ce volume aideront grandement à faire découvrir quelques-unes des nombreuses facettes de l'imagination géographique. A cet égard, il me semble inopportun de les commenter. Ils se suffisent à eux-mêmes, il s parlent d'eux-mêmes et je regretterais, en les présentant par avance, de priver le lecteur du plaisir de la découverte ou de lui imposer une grille de lecture qui l'engagerait sur une voie unique. Tous les textes contenus dans ce volume sont d'une grande richesse et c'est pourquoi nous avons décidé, Jean-Bernard Racine et moi-même, de les publier dans la langue où ils ont été écrits. En effet, une traduction les aurait immanquablement appauvris et de plus les auteurs auraient pu à juste titre très certainement nous renvoyer à l'adage italien: traduttore, traditore.

J'aimerais ici, en m'inspirant d'une phrase célèbre de Heidegger, dire que ce qui donne le plus à penser dans la géographie qui donne à penser c'est que nous ne la pensons pas encore. Pourtant, il me semble qu'après le colloque que nous avons vécu cette phrase n'est plus tout à fait vraie. Nous commençons à penser la géographie et si nous commençons à la penser, c'est que justement nous regardons ailleurs, c'est que justement nous cherchons à la baliser en traçant des repères philosophiques. Pendant trop longtemps, nous nous sommes contentés de philosophies implicites dont nous n'étions guère conscients. Aujourd'hui, se manifestent des géographes qui n'ont aucune gêne à traquer les fondements de leur discipline et à chercher leur inspiration dans des champs de connaissances qu'ils n'osaient pas pénétrer autrefois.

La transgression est un vieux thème cher à Hérodote, mais là encore c'est une leçon que nous avions oubliée et que nous sommes en train de retrouver.

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