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L’état d’urgence français et la conformité de certaines de ses mesures avec la Convention européenne des Droits de l’Homme

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Academic year: 2022

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Master

Reference

L'état d'urgence français et la conformité de certaines de ses mesures avec la Convention européenne des Droits de l'Homme

BOLUDA, Elena

Abstract

Ce travail illustre certaines des mesures dont peut se doter le gouvernement français lorsque celui-ci déclare l'état d'urgence pour des motifs liés au terrorisme. Le but est d'examiner la conformité de ces mesures avec les normes de la Convention européenne des droits de l'Homme. Il traite enfin de l'instauration de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme et la problématique de l'inclusion de l'état d'urgence dans le droit commun français, notamment du point de vue de la liberté de mouvement.

BOLUDA, Elena. L'état d'urgence français et la conformité de certaines de ses mesures avec la Convention européenne des Droits de l'Homme. Master : Univ.

Genève, 2020

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:147889

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Université de Genève – Faculté de droit Elena BOLUDA

Mémoire

Année académique 2019-2020

L’état d’urgence français et la conformité de certaines de ses mesures avec la Convention européenne des Droits de

l’Homme

Travail effectué sous la direction du Professeur Frédéric BERNARD

Assisté par Monsieur Nicolas CONTI

Dans le cadre du séminaire « La lutte contre le terrorisme : perspectives de droit suisse, international et comparé ».

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Table des matières

Liste des abréviations 2

Introduction 3

I. L’état d’urgence français : historique, conditions et mise en œuvre 4

II. Les conditions d’application de l’article 15 CEDH 5

a. Les modalités de mise en œuvre 5

b. Les conditions procédurales 7

III. Examen du respect et/ou de la violation de certaines normes de la CEDH

lors de l’état d’urgence 10

a. L’article 5 CEDH, droit à la liberté, en lien avec l’assignation à

résidence 10

b. L’article 8 CEDH, droit au respect du domicile, en lien avec

les perquisitions 14

c. Les moyens de recours 17

IV. L’instauration de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme et la problématique de l’inclusion de

l’état d’urgence dans le droit commun français 18

Conclusion 22

Bibliographie 23

Annexe I : liste des lois et décrets 33

Annexe II : déclaration anti-plagiat 35

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Liste des abréviations

c. contre

CEDH Convention européenne des Droits de l’Homme

Cf. Confer

CNCDH Commission nationale consultative des droits de l’homme

consid. considérant

COP21 La Conférence de Paris de 2015 sur les changements climatiques COUREDH Cour européenne des Droits de l’Homme

La COUR Cour européenne des Droits de l’Homme

Ibid. Ibidem

n. note de bas de page

ONG Organisation non gouvernementale

n° numéro

para. paragraphe

p. page

pp. pages

QPC Question prioritaire de constitutionnalité

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Introduction

« Les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée Nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'Homme, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les Membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs (…)1 ». En ce 26 août 1789, l’Assemblée Nationale française vote le texte final de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, élevant notamment au rang de droit

« naturel, inaliénable et sacré de l’homme2 », la liberté, dans les limites de celle d’autrui3. Ce texte jouit d’une importance capitale dans le respect des Droits de l’Homme en France, puisqu’il est aujourd’hui cité en tête de liste dans le préambule de la Constitution française4. Ce texte inspirera les rédacteurs de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, adoptée le 10 décembre 1948 à Paris5 et dont la France est l’un des précurseurs, puisque le juriste français René CASSIN participe à sa rédaction6. La France semble être fortement engagée dans le respect des droits humains. Malgré son implication nationale, il faudra, sur le plan européen, presque 20 ans pour que la France adopte un texte de loi lui permettant de ratifier la Convention européenne des Droits de l’Homme7. C’est ainsi qu’en 1973, la France s’engage à respecter, protéger et promouvoir les droits encrés dans la CEDH, parmi lesquels figurent le droit à la liberté, le droit au respect de la vie privée et familiale, la liberté d’expression ou encore la liberté d’association et de réunion8. Cette ratification offre une protection accrue aux droits de l’Homme par le biais de sa COUR9, pouvant être saisie d’une requête individuelle10. Bien que la CEDH impose aux états le respect des obligations qu’elle contient, elle réserve une possibilité de dérogation à son article 1511. Cette possibilité, qui semble être une ultima ratio de par son intitulé « dérogation en cas d’état d’urgence12 », a été utilisée par la France à cinq reprises, dont la dernière fait suite aux attentats de Paris et de Saint-Denis du 13 novembre 201513.

Ce travail a pour objectif d’examiner dans quelle mesure l’instauration de l’état d’urgence en France peut entrer en conflit avec le respect des droits fondamentaux imposés par la CEDH.

Nous nous concentrerons uniquement sur l’état d’urgence ayant suivi les attentats terroristes du 13 novembre 2015. Pour ce faire, nous commencerons par examiner les modalités de la mise en place de l’état d’urgence en relation avec l’enclenchement de l’art. 15 CEDH. Nous examinerons ensuite les effets de cette situation sur le respect de certaines normes de la CEDH.

Finalement, nous traiterons de la situation législative française suivant l’état d’urgence, par

1 ASSEMBLÉE NATIONALE, Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, préambule.

2 ÉLYSÉE, La Déclaration des Droits de l’Hommes et du Citoyen.

3 ASSEMBLÉE NATIONALE, Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, article 4.

4 ASSEMBLÉE NATIONALE, Constitution de la République française, préambule.

5 FRANCE DIPLOMATIE,MINISTÈRE DE L’EUROPE ET DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, 70 ans de la DUDH.

6 NATIONS UNIES, Histoire de la rédaction de la DUDH.

7 VILLEVIELLE, p. 922.

8 Articles 5, 8, 10 et 11 CEDH ; BOND, p. 10.

9 BOND, p. 3.

10 Articles 34 et 35 CEDH.

11 Article 15 CEDH.

12 Ibid.

13 ROUSSEAU, pp. 22-23.

(6)

l’instauration de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

I. L’état d’urgence français : historique, conditions et mise en œuvre

En France, lorsque l’état dit « d’urgence » est prononcé, l’état de droit, dont le but est d’assurer l’équilibre entre le respect des droits fondamentaux et la sauvegarde de l’ordre public, est mis à mal14. Autrement dit, en situation d’état d’urgence, un déséquilibre dans le respect des droits fondamentaux peut s’opérer au profit de la sauvegarde de la sécurité publique15. L’état d’urgence est prévu par la loi du 3 avril 1955 sur l’état d’urgence, initialement adoptée pour faire face et lutter contre l’insurrection algérienne16. Une fois déclaré, il prévoit douze mesures de police administrative à l’attention des préfets et du Ministre de l’Intérieur, dans le but de prévenir un trouble à l’ordre public17. Ainsi, décréter l’état d’urgence permet de « suspendre »18 certains droits, au profit de l’ordre et de la sécurité publique et d’appliquer des mesures dont la nature serait illégale en temps normal19. Par définition, cet état d’urgence est donc un état d’exception20, en raison de l’atteinte qu’il porte à l’état de droit.

Selon l’art. 1 de la loi sur l’état d’urgence, celui-ci peut être décrété « (…) soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Les notions de « péril imminent » et de « calamité publique » n’étant pas précisées par la loi, il revient au Président de la République de déterminer si la situation à laquelle le pays doit faire face entre dans l’une ou l’autre de ces notions21. La loi sur l’état d’urgence prévoit que sa durée est initialement de douze jours. Une prolongation est toutefois possible si elle est autorisée par une loi distincte votée par le Parlement22 et si ladite loi prévoit expressément la durée de la prolongation23. De par sa nature extraordinaire24, l’état d’urgence se doit d’être provisoire25.

Dans la nuit du 13 novembre 2015, à la suite des attentats de Paris et de Saint-Denis, le Président de la République française de l’époque, François HOLLANDE, décrète l’état d’urgence à compter du 14 novembre 2015 à minuit26. Le décret instaurant l’état d’urgence ne fait pas mention d’un péril imminent ou d’une calamité publique, comme l’exige pourtant l’art. 1 de la loi sur l’état d’urgence27. Celui-ci indique simplement que « vu l’urgence » l’état d’urgence est déclaré28. Ce manquement peut s’expliquer par l’ampleur des évènements, ayant conduit le Président de la République à prendre cette mesure dans l’extrême urgence, puisque le décret a été publié

14 ROUSSEAU, p. 19.

15 Ibid.

16 Ibid., p. 20.

17 RAIMBOURG/POISSON,p. 8.

18 ROUSSEAU, p. 21.

19 RAIMBOURG/POISSON,p. 11.

20 FRAGNON/ROUDIER, p. 54.

21 GUILLOT, p. 265.

22 VIE PUBLIQUE, État d’urgence et autres régimes.

23 Articles 2 et 3 de la loi sur l'état d'urgence.

24 GUILLOT, p. 265.

25 MASTOR/SAINT-BONNET,p. 64.

26 Article 1 du Décret n° 2015-1475.

27 Décret n° 2015-1475 ; Article 1 de la loi sur l’état d’urgence.

28 Décret n° 2015-1475.

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quelques heures seulement après la perpétration des attentats. Partant, on peut implicitement comprendre qu’il existait une situation de péril imminent ayant justifié le recours à l’état d’urgence. À la fin du délai légal de douze jours, une première prolongation est instaurée par la loi du 20 novembre 2015, actualisant la durée de l’état d’urgence à trois mois29. Par la suite, l’état d’urgence sera prolongé à cinq autres reprises, avec des durées diverses, expressément prévues par les lois30 et prendra définitivement fin le 1er novembre 201731.

La loi sur l’état d’urgence ne fixe aucune limite quant au nombre de prolongations possibles, ni quant à la durée que peuvent revêtir ces prolongations. Est-ce que cela signifie que la durée de l’état d’urgence peut, par hypothèse, être prolongée ad aeternam ? L’état d’urgence se doit d’être limité dans le temps, en raison de sa nature exceptionnelle. Bien que la loi soit défaillante à ce propos, il paraît évident que la durée ne peut s’étendre de manière indéfinie, faute de quoi cela entrerait en conflit avec le principe même de l’état d’urgence et avec la CEDH. Il n’en demeure pas moins que ce manquement crée une incertitude quant à la marge de manœuvre dont dispose l’état, manquement qui devrait, à mon sens, être précisé dans la loi.

On l’a vu, l’instauration de l’état d’urgence peut conduire à des atteintes au respect de certains droits fondamentaux. Pour faire face à ses obligations européennes, la France a dû déclarer la mise en œuvre de l’article 15 CEDH.

II. Les conditions d’application de l’article 15 CEDH

L’art. 15 CEDH permet aux états parties qui font face à une situation exceptionnelle de bénéficier de certaines dérogations à leur obligation de protection des droits et libertés contenus dans la CEDH, qui doivent être « limitées et supervisées »32. Le paragraphe 1 énonce les modalités de mise en œuvre de cette dérogation et le paragraphe 3 traite des obligations procédurales33. Le paragraphe 2 réserve quant à lui l’impossibilité de déroger à certains droits, notamment celui de l’interdiction de la torture34.

a. Les modalités de mise en œuvre

L’art. 15 para. 1 CEDH énonce les cas stricts permettant de prendre des mesures dérogatoires aux obligations de la Convention. L’état partie doit se trouver en situation « de guerre ou (…) d’autre danger public menaçant la vie de la nation35 ». Sur cette dernière notion, la jurisprudence de la COUR précise qu’il doit s’agir « d’une situation de crise ou de danger exceptionnel et imminent qui affecte l’ensemble de la population et constitue une menace pour la vie organisée de la communauté composant l’État »36. Dans un arrêt Aksoy c. Turquie, la

29 Article 1 de la loi du 20 novembre 2015.

30 Loi du 19 février 2016 ; Loi du 20 mai 2016 ; Loi du 21 juillet 2016 ; Loi du 19 décembre 2016 ; Loi du 11 juillet 2017.

31 Déclaration n° 6.

32 COUREDH, Guide sur l’article 15, para. 1.

33 Ibid., para. 3.

34 Ibid.; Article 15 para. 2 CEDH.

35 Article 15 para. 1 CEDH.

36 COUREDH, 01 juillet 1961, affaire Lawless c. Irlande, n° 332/57, para. 28.

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COUR « rappelle qu’il incombe à chaque état contractant, responsable de « la vie de [sa]

nation », de déterminer si un « danger public » la menace et, dans l’affirmative, jusqu’où il faut aller pour essayer de le dissiper »37. La France a formulé une réserve à l’égard de l’art. 15 para.

1 CEDH38. Celle-ci prévoit que l’état d’urgence entre dans le champ d’application de l’art. 15 para. 1 et constitue de ce fait une situation de danger public permettant d’enclencher le processus de cet article39.

Le 24 novembre 2015, la Représentante Permanente de la France auprès du Conseil de l’Europe transmet une Déclaration au Secrétariat Général du Conseil de l’Europe, qui doit être comprise comme « une information au titre de l’article 15 de la Convention »40. Selon cette Déclaration, la France décrète l’état d’urgence par un décret n° 2015-1475 permettant l’application de la loi sur l’état d’urgence, assimilé à une des situations prévues par l’art. 15 para. 1 selon la réserve française41. Dans sa Déclaration, la France fait uniquement mention de l’application de la loi sur l’état d’urgence, pour faire face aux « attentats terroristes de grande ampleur (…)42 », sans ajouter qu’elle se trouve effectivement en situation de « guerre » ou de « danger public ».

En tenant compte de la jurisprudence de la COUR visiblement souple, les états jouissent d’une grande marge de manœuvre dans la qualification de la notion de danger public. De plus, la France a expressément assimilé l’état d’urgence à une situation de danger public emportant application de l’article 15 CEDH par sa réserve. Partant, il semble probable, au regard de la jurisprudence de la COUR, que la simple mention de l’instauration de l’état d’urgence soit suffisante pour admettre la mise en œuvre de l’art. 15 para. 1 CEDH.

On pourrait tout de même se poser la question de la légitimité de la réserve émise par la France.

En effet, par ce biais la France s’est accordée un pouvoir discrétionnaire quant à la qualification précise d’une situation « d’autre danger public menaçant la vie de la nation »43. Cette question n’est pas l’objet de ce travail, mais il est important de préciser que, pour l’heure, la COUR, qui est compétente pour statuer sur les réserves émises par les états parties, ne s’est pas prononcée sur la réserve française44.

En ratifiant la Convention, les états parties acceptent de se soumettre aux obligations qui en découlent. Si l’article 15 para. 1 CEDH accorde un droit à l’état de déroger à certaines dispositions de la Convention dans les cas d’urgence, il semble que ce même article impose également une obligation, celle d’un contrôle de la proportionnalité des mesures par la COUR. En effet, l’art. 15 para. 1 in fine CEDH « dans la stricte mesure où la situation l’exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international » laisse entendre que la COUR conserve un pouvoir de contrôle sur l’enclenchement de cet article 15 et sur les mesures que l’état partie entend mettre en place45.

37 COUREDH, 18 décembre 1996, affaire Aksoy c. Turquie, n°21987/93, para. 68.

38 Réserve consignée dans l’instrument de ratification ; article 57 CEDH.

39 Réserve consignée dans l’instrument de ratification.

40 Déclaration auprès du Conseil de l'Europe.

41 Ibid.

42 Ibid.

43 Article 15 para. 1 CEDH ; GONZALEZ, p. 94.

44 LAMBERT/BRACONNIER MORENO, p. 4 N 17.

45 GONZALEZ, p. 94.

(9)

De plus, la COUR ajoute que l’état partie qui se prévaut de l’art. 15 CEDH ne saurait jouir d’un

« pouvoir illimité » dans la dérogation des droits prévus par la Convention46. À l’égard des mesures prises, la COUR rappelle, dans un arrêt Brannigan et McBride c. Royaume-Uni, qu’elle

« a compétence pour décider, notamment [si les états] ont excédé la « stricte mesure » des exigences de la crise. La marge nationale d’appréciation s’accompagne donc d’un contrôle européen. Quand elle exerce celui-ci, la COUR doit en même temps attacher le poids qui convient à des facteurs pertinents tels que la nature des droits touchés par la dérogation, la durée de l’état d’urgence et les circonstances qui l’ont créé »47. Pour se déterminer, la Cour doit alors procéder à un examen approfondi de la proportionnalité, dans lequel elle recherche, entre autres : « si les lois ordinaires auraient été suffisantes pour faire face à la situation de danger public ; si les mesures prises constituent une véritable réponse à une situation de danger public ; si ces mesures ont été utilisées pour le but aux fins duquel elles ont été adoptées (…) »48. Partant, avoir recours à l’art. 15 CEDH ne permet pas à l’état partie de faire ce qu’il veut et de passer entre les mailles du filet d’un contrôle par la COUR. Ledit contrôle reste opérant, tout en tenant compte de l’art. 15 CEDH, et se fait nécessairement a posteriori, lorsque la COUR est saisie d’une requête individuelle au sens des articles 34 et 35 CEDH.

b. Les conditions procédurales

Pour exercer ce droit de l’art. 15 CEDH, encore faut-il informer le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe de divers éléments49. L’état partie doit notifier les mesures qui ont été prises et les « motifs qui les ont inspirées »50. Le texte reste muet quant à la forme que doit revêtir la notification. Si le texte n’impose pas qu’une mention directe des dispositions auxquelles l’état entend déroger soit faite51, il doit tout de même être possible de les déterminer par le biais de la Déclaration faite par l’état partie52. La jurisprudence de la COUR apporte quelques précisions sur cette question : Dans l’arrêt Lawless c. Irlande, l’Irlande a sollicité le recours à l’application de l’art. 15 CEDH53. Dans sa notification au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, l’Irlande a annexé à sa Déclaration le texte de loi dans lequel figurait les mesures que l’Irlande entendait prendre au regard de l’article 15 para. 3 CEDH54. Il était précisé, dans la Déclaration, que ces mesures étaient prises « pour empêcher la perpétration de délits contre la paix et l’ordre publics et le maintien de forces militaires ou armées autres que celles autorisées par la Constitution »55. Il est important de préciser que le texte de loi annexé à la Déclaration prévoyait de manière détaillée les mesures que l’Irlande entendait prendre et qu’il était ainsi aisé de comprendre quels droits risquaient d’être mis à mal56. La COUR a considéré que les mesures et les motifs qui les ont inspirées avaient été suffisamment notifiés au Secrétaire Général57. Cet article 15 para. 3 CEDH ne donne aucune indication quant au laps de temps dans

46 Arrêt Aksoy c. Turquie, para. 68.

47 COUREDH, 26 mai 1993, affaire Brannigan et McBride c. Royaume-Uni, n° 14553/89 ; 14554/89, para. 43.

48 COUREDH, Guide sur l’article 15, para. 21.

49 Article 15 para. 3 CEDH.

50 Ibid.

51 ERGEC, p. 307.

52 Ibid., p. 308.

53Arrêt Lawless c. Irlande, arrêt entier.

54Ibid., para. 47.

55Ibid.

56 Offences Against the State (Amendment) Act, 1940.

57 Arrêt Lawless c. Irlande, para. 47.

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lequel ces informations doivent être communiquées, si bien qu’il convient à nouveau de se référer à la jurisprudence de la COUR. Dans l’arrêt Lawless C. Irlande, la COUR a considéré que la notification des mesures prises par l’Irlande douze jours après le début de celles-ci l’a été

« sans retard » et, partant, dans le respect de l’art. 15 para. 3 CEDH58. Une notification dûment formulée permet une application rétroactive de l’art. 15 CEDH dès la déclaration nationale des mesures dérogatoires59.

La Déclaration de la Représentante Permanente de la France parvient au Secrétaire Général onze jours après l’instauration de l’état d’urgence, en date du 24 novembre 201560. Au regard de la jurisprudence, le délai de notification semble tout à fait adéquat. Dans sa Déclaration, la Représentante Permanente de la France se borne à mentionner cinq décrets61 et une loi62, joints en annexe, « nécessaires pour empêcher la perpétration de nouveaux attentats terroristes »63 et dont certaines mesures « sont susceptibles d’impliquer une dérogation aux obligations résultant de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales64 ». Si le motif donnant lieu aux mesures semble clair, la question est plus délicate s’agissant des mesures elles-mêmes. Dans la Déclaration, aucune indication n’est faite quant à la teneur des mesures ni même aux droits qui pourraient être touchés. S’agissant du contenu des textes, les cinq décrets ne donnent aucune information sur les mesures que l’état français entend prendre. Quant à la loi, elle instaure principalement des modifications de la loi sur l’état d’urgence. Il n’est pas fait mention de manière précise des mesures que l’état entend prendre, ni de quels droits s’en trouveraient alors compromis. On lit notamment que le Ministre de l’Intérieur peut prononcer une assignation à résidence lorsque le comportement d’un résidant est soupçonné de constituer une menace pour l’ordre public65. Cette formulation, très vague, pourrait entrer en conflit avec l’exigence de clarté quant aux mesures que l’état entend prendre. En outre, les lois de prolongation de l’état d’urgence ont également servi à modifier le système des mesures en place, en octroyant notamment une nette augmentation des pouvoirs aux autorités de police66. Par ce biais, certaines mesures ont été renforcées ou modifiées, entraînant un flou supplémentaire dans leur mise en œuvre et une insécurité juridique forte du fait de l’imprévisibilité des mesures.

Partant, contrairement à la situation de l’Irlande, on ne peut pas déduire des textes joints en annexes de la Déclaration française quelles sont les mesures qui peuvent être prises et quels en seraient les droits concernés. Il est donc fondé de se demander si la notification a été faite en bonne et due forme.

À ce propos, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a constaté, certes, que la notification française ne précise pas quels sont les droits auxquels la France entend déroger, mais rappelle que l’art. 15 para. 3 CEDH n’exige pas une telle précision67. Ne faisant aucune mention sur le peu de clarté des mesures envisagées, il semble que l’Assemblée parlementaire

58 Ibid.

59 GONZALEZ, p. 96.

60 Déclaration auprès du Conseil de l'Europe.

61 Décrets n° 2015-1475 ; n° 2015-1476 ; n° 2015-1478 ; n° 2015-1493 ; n° 2015-1494.

62 Loi du 20 novembre 2015.

63 Déclaration auprès du Conseil de l'Europe.

64 Ibid.

65 Article 4 de la loi du 20 novembre 2015.

66 Cf. supra n. 30 ; GUILLOT, p. 267.

67 ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE DU CONSEIL DE L’EUROPE, Résolution 2209, para. 10.

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du Conseil de l’Europe considère que la notification française a été faite en bonne et due forme.

Quid d’un éventuel contrôle subséquent de la COUR, est-ce que la COUR considérera que les mesures sont suffisamment précises ? Il n’est pas aisé d’émettre une hypothèse sur la question, mais il est somme toute possible d’imaginer que la COUR devra interpréter les mesures françaises très largement si elle entend les accepter. Le risque, si la COUR déclare que les mesures n’ont pas été suffisamment bien étayées et que, partant, la notification n’a pas été faite en bonne et due forme, est que toute mesure prise au titre de l’article 15 CEDH soit déclarée nulle. En effet, l’article 15 CEDH s’applique de manière rétroactive uniquement si la notification est valable68. Si la Cour reconnaît la conformité de la notification, elle pourra procéder à un examen des mesures, en tenant compte de l’applicabilité rétroactive de l’art. 15 CEDH.

L’art. 15 para. 3 2ème phrase exige de l’état partie qu’il informe de la fin des mesures afin que les dispositions de la Convention retrouvent leur pleine effectivité69. Ne fixant aucune durée maximum, il convient de se référer à la jurisprudence de la Cour pour déterminer combien de temps cet article 15 peut être mis en œuvre par un état partie. Dans l’arrêt Brannigan et McBride c. Royaume-Uni, la COUR affirme que l’art. 15 para. 3 CEDH « commande un réexamen constant de la nécessité de mesures d’exception (…) »70. La COUR ajoute « qu’un « danger public » au sens de l’article 15 peut persister plusieurs années71 ». S’agissant précisément d’attentats terroristes, « La Cour estime que des mesures dérogatoires mises en œuvre immédiatement après les attentats perpétrés par Al-Qaida sur le territoire américain et soumises à un réexamen annuel par le Parlement ne sauraient être déclarées invalides au motif qu’elles ne sont pas « provisoires » »72.

Dans sa Déclaration relative à l’application de l’art. 15 CEDH, la France fait état d’une menace terroriste « durable ». Les cinq prolongations de l’état d’urgence français ont été communiquées par une Déclaration auprès du Secrétaire général du Conseil de l’Europe. De telles Déclarations n’étant pas requises par l’art. 15 CEDH, il semblerait qu’elles aient été communiquées afin de justifier la prolongation des mesures dérogeant aux droits de la CEDH et de justifier la nécessité des mesures d’exception. Le Gouvernement français rappelle en outre dans chacune de ses Déclarations qu’un contrôle juridictionnel des mesures prises est effectué73. Cela laisse entendre que la France entend, par ce biais, justifier ses prolongations et assurer à la COUR que toute dérogation aux droits fait l’objet d’un contrôle et respecte ainsi l’exigence de proportionnalité exigé par l’art. 15 CEDH. Le 2 novembre 2017, la France transmet au Secrétaire général du Conseil de l’Europe une Déclaration informant de la fin de l’état d’urgence survenu un jour plus tôt74.

Partant, au regard de la jurisprudence il semble que la France ait respecté les exigences de contrôles des mesures prises et que la durée dans laquelle ces mesures se sont inscrites n’est pas excessive. Il est important de préciser que la COUR se prononce bien a posteriori des mesures prises. Cela signifie, si elle est amenée à statuer sur la question française, qu’elle

68 GONZALEZ, p. 96.

69 Article 15 para. 3 CEDH.

70 Arrêt Brannigan et McBride c. Royaume-Uni, para. 54.

71 COUREDH, 19 février 2009, affaire A. et autres c. Royaume-Uni, n°3455/05, para. 178.

72 Arrêt A. et autres c. Royaume-Uni, para. 178.

73 Déclarations n° 1 ; n° 2 ; n° 3 ; n° 4 ; n° 5 et n° 6.

74 Déclaration n° 6.

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disposera certainement d’éléments dont l’état français n’avait pas encore connaissance au moment du prononcé des prolongations de l’état d’urgence. De plus, la COUR s’oblige à conserver une certaine réserve lorsqu’elle se prononce. En effet, l’état partie est en principe le mieux placé pour déterminer quelles sont les meilleures mesures à prendre pour sauvegarder l’ordre public et protéger sa population. De ce fait, il existe, à mon sens, de fortes chances que la COUR considère que le caractère « durable » soit effectivement reconnu et ait justifié de telles prolongations.

Il convient à présent de se pencher de plus près sur les mesures que l’état français a concrètement pris durant l’état d’urgence. Deux des mesures de police administrative sont sous le feu des projecteurs en matière de potentielles violations des droits de la CEDH et méritent une attention particulière.

III. Examen du respect et/ou de la violation de certaines normes de la CEDH lors de l’état d’urgence

L’état d’urgence permet aux préfets et au Ministre de l’intérieur de prendre certaines mesures dites de « police administrative », qui relèvent, en temps normal, des pouvoirs judiciaires75. L’objectif des mesures administratives est de maintenir l’ordre public, par opposition aux mesures de police judiciaire qui visent la répression et la constatation d’une infraction pénale, afin de mettre en place l’arsenal de l’action pénale en découlant76. De ce fait, la mesure de police administrative se veut préventive, alors que celle de police judiciaire se veut répressive77. Les mesures de police judiciaire permettent une intrusion aux droits fondamentaux de la personne concernée plus forte et assurent en outre que toutes les garanties liées à la procédure pénale soient accordées au prévenu78. En ayant recours aux mesures de police administrative dans le cadre de l’état d’urgence, les intrusions et restrictions aux droits de la personne concernée peuvent s’avérer aussi importantes que lors du prononcé d’une mesure judiciaire, sans pour autant que les mêmes garanties procédurales ne s’appliquent. Cela se justifie par le caractère exceptionnel de l’état d’urgence. Cependant, cela ne saurait en aucun cas justifier une violation des droits fondamentaux. Entre restriction et violation, la frontière n’est pas aisément discernable. L’assignation à résidence et les perquisitions sont particulièrement concernées par cette question et vont faire l’objet d’une analyse approfondie.

a. L’article 5 CEDH, droit à la liberté, en lien avec l’assignation à résidence L’article 5 CEDH protège la liberté et la sûreté de toute personne, afin d’éviter la privation de liberté arbitraire79. En application de l’art. 15 CEDH, l’état peut déroger à la mise en œuvre de l’art. 5 CEDH. Déroger ne signifie pas violer, si bien que l’état ne peut déroger à l’art. 5 CEDH que dans la mesure du strict nécessaire. L’assignation à résidence constitue une restriction à la liberté d’aller et venir80. Il n’en demeure pas moins que cette restriction peut se transformer en

75 ODINET, p. 275.

76 FARDET, p. 157.

77 CNCDH, Avis sur le projet de loi, p. 5.

78 Ibid., pp. 5-6.

79 BESSON/KLEBER,p.17;COUREDH, 21 juin 2011, affaire Amadov c. Suisse, n°3052/06, para. 51.

80 CNCDH, Avis sur le suivi de l’état d’urgence, p. 4 para. 11.

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une véritable perte de liberté81, susceptible d’engendrer la violation de l’art. 5 CEDH. La limite entre restriction et privation de liberté réside dans une différence de « degré ou d’intensité »82. Pour se déterminer, « il faut partir de [la] situation concrète [de l’individu] et prendre en compte un ensemble de critères comme le genre, la durée, les effets et les modalités d’exécution de la mesure considérée »83. L’arrêt Guzzardi c. Italie permet de préciser cette limite entre restriction et violation de liberté dans le cadre d’une assignation à résidence. Monsieur Guzzardi a été assigné à résidence sur l’île d’Asinara84. Plusieurs obligations lui étaient en outre enjointes, notamment de trouver un travail, de se présenter deux fois par jour aux autorités de police, ou encore d’être obligatoirement à l’intérieur de son logement entre 22 heures et 07 heures85. Dans son examen de la violation de l’art. 5 CEDH, la COUR prend en compte les éléments de l’assignation à résidence comme un tout, et considère qu’une telle situation se rapproche de

« l’internement dans une « prison ouverte » », de sorte que cela emporte une violation de l’article 5 CEDH86. Partant, pour se déterminer sur une violation de l’art. 5 CEDH en cas d’assignation à résidence, il ne faut pas examiner chaque élément de la restriction séparément, mais considérer l’ensemble comme un tout et se déterminer au cas par cas.

Avant les attentats du 13 novembre 2015, la loi sur l’état d’urgence permettait au Ministre de l’Intérieur d’assigner à résidence une personne « dont l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité et l’ordre publics »87. L’art. 4 de la loi du 20 novembre 2015 modifie substantiellement les conditions permettant l’assignation à résidence, de sorte qu’il suffit qu’il existe, à l’égard d’une personne, « des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics »88. La notion de « raisons sérieuses » implique que ledit Ministre soit à même d’apporter « des éléments de preuve suffisants pour justifier la mesure89 », émanation du principe de proportionnalité, lors d’un éventuel contentieux90. Cette modification permet tout de même de se fonder uniquement sur le comportement de la personne, et non plus sur une action concrète, ce qui rend l’application de cette mesure largement plus étendue91. Ce changement ne manque pas d’être critiqué. Selon un rapport de la CNCDH, les conditions de l’assignation à résidence sont « insuffisamment déterminées »92. Ainsi, ce manque de clarté ouvre les portes à l’arbitraire93. L’art. 4 de la loi du 20 novembre 2015 ajoute en outre certaines charges. La personne peut être astreinte à demeurer dans un lieu d’habitation durant au maximum douze heures sur vingt-quatre ou encore devoir se présenter, jusqu’à trois fois par jour, aux services de police94. De surcroît, le lieu d’assignation n’est pas automatiquement le lieu d’habitation de l’intéressé. En effet, c’est au Ministre de l’Intérieur que revient le choix du lieu de l’assignation de l’individu, qui peut par ailleurs y être conduit de force.95 Quant à la

81 Ibid.

82 COUREDH,6 novembre 1980,affaire Guzzardi c. Italie, n°7367/76, para. 93.

83 Arrêt Guzzardi c. Italie, para. 92.

84 PELLOUX, p. 291.

85 Ibid., p. 294.

86 Arrêt Guzzardi c. Italie, para. 95.

87 Article 176 (V) de la loi du 17 mai 2011.

88 Article 4 de la loi du 20 novembre 2015.

89 RAIMBOURG/POISSON,p. 64.

90 Ibid.

91 HENNETTE-VAUCHEZ, p. 27.

92CNCDH, Avis sur le suivi de l’état d’urgence et les mesures anti-terroristes, p. 15.

93 Ibid.

94 Article 4 de la loi du 20 novembre 2015.

95 Article 6 de la loi sur l’état d’urgence.

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durée de l’assignation, elle prend fin au plus tard à l’expiration de l’état d’urgence96 et, en cas de prolongation de celui-ci, elle doit alors être renouvelée97. La loi du 19 décembre 2016 prorogeant pour la cinquième fois l’état d’urgence apporte une précision quant à la durée maximale du renouvellement de l’assignation à résidence. Selon son art. 2, la durée maximale ne peut être supérieure à douze mois, prolongeable pour une durée maximale de trois mois. Le Ministre de l’Intérieur doit alors obtenir l’aval du juge des référés du Conseil d’État98. La notification de l’assignation à résidence mentionne les voies de recours et les éventuels aménagements dont l’intéressé peut bénéficier, notamment en cas d’obligations professionnelles99.

Un bilan du Ministère de l’Intérieur fait état de 754 assignations à résidence durant l’état d’urgence100. Un bon nombre d’entre elles ont été ordonnées sur la base des « notes blanches »101. Ces « notes blanches » proviennent des services de renseignement102 et ne font pas mention de la source de provenance de l’information, ni de la date, ni même de la signature du rédacteur103. L’objectif de ces assignations à résidence prononcées durant l’état d’urgence était d’« empêcher de futures attaques terroristes »104. La mesure doit toujours être adéquate et proportionnée au but qu’elle poursuit. Or, on peut se demander si la proportionnalité n’est pas, dans certains cas, passée à la trappe en matière d’assignation à résidence.

Dans un de ses rapports, AMNESTY INTERNATIONAL fait état de ses inquiétudes concernant les éléments de preuve permettant d’assigner une personne à résidence. Ceux-ci sont, selon l’organisation, « extrêmement légers » et leur application est « discriminatoire et arbitraire »105. AMNESTY INTERNATIONAL donne l’exemple d’un jeune homme, assigné à résidence pour avoir, selon les autorités, « facilité le recrutement de jeunes hommes désireux de se rendre en Syrie106 ». Or, le recrutement terroriste est appréhendé par un article 421-2-1107 du code pénal qui est donc censé faire l’objet d’une enquête de la police judicaire au sens de l’article 75-2 du code de procédure pénale. Dans un tel cas, AMNESTY INTERNATIONAL dénonce le risque de restrictions aux droits humains. En effet, la procédure judiciaire liée à la poursuite pénale assure certaines garanties obligatoires en matière de droits humains, garanties pouvant être mises de côté par les mesures administratives prises au titre de l’état d’urgence108.

Dans une autre affaire, le Ministre de l’Intérieur avait assigné un homme à résidence, lui prescrivant de se présenter quatre fois par jour aux services de police en raison notamment de ses liens présumés avec des « musulmans radicaux »109. Or, la loi prévoit qu’une personne ne peut être tenue de se présenter plus de trois fois par jour aux services de police110. Bien que

96 Article 14 de la loi sur l’état d’urgence.

97 CONSEIL CONSTITUTIONNEL, Décision n° 2015-527 QPC, consid. 13.

98 Article 2 de la loi du 19 décembre 2016.

99 RAIMBOURG/POISSON,p. 70.

100 MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR, Un bilan et des chiffres clés, p. 3.

101 CNCDH, Avis sur le suivi de l’état d’urgence et les mesures anti-terroristes, p. 15.

102 AMNESTY INTERNATIONAL, Des vies bouleversées, p. 28.

103 SLAMA, p. 37.

104 AMNESTY INTERNATIONAL, Des vies bouleversées, p. 17 ; Déclaration auprès du Conseil de l'Europe.

105 AMNESTY INTERNATIONAL, Des vies bouleversées, p. 18.

106 Ibid., p. 19.

107 Cf. aussi CONSEIL DE L’UNION EUROPÉENNE, Décision-cadre 2008/919/JAI, article 1.

108 AMNESTY INTERNATIONAL, Des vies bouleversées, p. 20.

109 Ibid., p. 22.

110 Article 4 de la loi du 20 novembre 2015.

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cette exigence ait par la suite été réduite à trois fois par jour111, le Ministre de l’Intérieur semble avoir volontairement décidé de s’écarter de la loi. Cet élément, qui pose une interrogation au regard du principe de la proportionnalité, ajouté au fait que cet homme n’a pas pu se rendre à ses engagements professionnels, pourraient-ils être considérés comme une violation de l’art. 5 CEDH ? Considérant l’objectif visé par la mesure, soit empêcher une future attaque terroriste, la mesure semble, à mon sens, disproportionnée et dépassant la simple « restriction » de l’art.

5 CEDH.

Finalement, une situation bien éloignée du terrorisme a engendré un certain nombre d’assignation à résidence, celle de la COP21. Ces personnes projetaient de manifester en faveur du climat, durant la période de la COP21. Or, selon le Ministère de l’Intérieur, cette manifestation présentait un risque pour l’ordre public que les forces de police n’auraient pas été à même de gérer, vu les circonstances de menaces terroristes et la nécessité de protéger le déroulement de la COP21112. Ces assignations n’ayant aucune connexité directe avec l’objectif des mesures pouvant être prises durant l’état d’urgence, soit la lutte contre le terrorisme, un des assignés à résidence a demandé qu’un contrôle constitutionnel de l’art. 6 de la loi sur l’état d’urgence soit émis par le Conseil constitutionnel113. Il est vrai que, selon le texte de la loi, il suffit que la personne représente une « menace pour la sécurité et l’ordre publics » sans que cette menace soit en corrélation directe avec les motifs ayant déclenché l’état d’urgence114. Le Conseil d’État rappelle toutefois que le Ministre doit tenir compte du péril ayant enclenché l’état d’urgence115. S’agissant de la COP21, le Conseil d’État considère que, dans le contexte, les assignations à résidence sont proportionnées et ne portent pas « une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir »116. De son côté, le Conseil constitutionnel a confirmé la conformité des mesures de l’art. 6 de la loi sur l’état d’urgence avec la Constitution117.

Conforme à la Constitution ne signifie pas derechef que la mesure ne saurait entraîner une restriction disproportionnée à la CEDH. Deux problèmes découlent des exemples qui précèdent. Premièrement, concernant les assignations à résidence en lien avec le terrorisme. Le fondement sur lequel certaines assignations sont prononcées est parfois minime. De simples liens présumés avec l’islam radical sont-ils vraiment suffisants pour justifier une telle mesure restrictive de liberté ? Il en découle des entraves, parfois disproportionnées, tant au niveau professionnel, personnel que familial, ouvrant la fenêtre à une qualification de mesures privatives et non plus que restrictives de liberté, pouvant contrevenir à l’art. 5 CEDH118. Deuxièmement, s’agissant des assignations sans lien direct avec le terrorisme, comme celles prononcées en raison de la COP21, justifier la restriction de droits fondamentaux au motif du manque de disponibilité des membres de police est dangereux, car il permettrait de justifier à l’avenir d’autres restrictions, dès lors que les effectifs policiers sont considérés comme restreints119. Or, il appartient, à mon sens, à l’état, qui se doit de faire respecter les droits

111 AMNESTY INTERNATIONAL, Des vies bouleversées, p. 22 n. 51.

112 Ibid., p. 19.

113 CONSEIL CONSTITUTIONNEL, Décision n° 2015-527 QPC.

114 Article 6 de la loi sur l’état d’urgence.

115 CONSEIL D’ÉTAT, Communiqué de presse relatif aux décisions n° 395009 et n° 394990.

116 Ibid.

117 CONSEIL CONSTITUTIONNEL, Décision n° 2015-527 QPC, « Décide ».

118 CNCDH, Avis sur le suivi de l’état d’urgence et les mesures anti-terroristes, p. 16 ; CNCDH, Avis sur le suivi de l’état d’urgence, p. 4 para. 12 et p. 9 para. 24.

119 CNCDH, Avis sur le suivi de l’état d’urgence et les mesures anti-terroristes, pp. 21-22.

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fondamentaux, de prendre les mesures nécessaires pour que les forces de police soient à même de permettre l’exercice desdits droits. Partant, si l’on s’en tient à la jurisprudence de la COUR

qui commande de se déterminer en fonction de l’ensemble des éléments du cas, il semble que pour les trois exemples précités, la restriction se rapproche plus d’une privation de liberté pouvant emporter la violation de l’art. 5 CEDH. Une privation de liberté peut toutefois être licite si elle entre dans une des situations prévues à l’art. 5 para. 1 let. a à f CEDH. Cette question, qui ne fait pas l’objet de ce travail, ne sera en conséquence pas développée. En tout état de cause, une personne qui s’estime privée de sa liberté doit pouvoir faire contrôler la légalité de la mesure d’assignation devant un juge, comme le prévoit l’art. 5 para. 4 CEDH.

b. L’article 8 CEDH, droit au respect du domicile, en lien avec les perquisitions L’article 8 de la CEDH protège notamment le droit de toute personne au respect de son domicile. De ce fait, une ingérence est rendue possible uniquement lorsqu’elle est prévue par la loi et nécessaire, notamment pour des raisons de sécurité nationale120. L’art. 11 de la loi sur l’état d’urgence prévoit les modalités permettant de prononcer une perquisition, qui doit toujours s’examiner au regard de la nécessité et de la proportionnalité121. Pour permettre l’application de l’article 11 de la loi sur l’état d’urgence, le décret qui déclare l’état d’urgence ou la loi qui proroge ce-dernier doit expressément le prévoir par une disposition122. Dans sa teneur modifiée par la loi du 20 novembre 2015123, l’art. 11 de la loi sur l’état d’urgence prévoit qu’une perquisition peut être ordonnée par les autorités administratives, « en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit (…) lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ». La perquisition doit se dérouler en présence d’un officier de police judiciaire, qui peut en outre accéder aux éventuelles données informatiques présentes sur le lieu, les copier sur un autre support et, si une infraction est constatée, procéder à la saisie des objets jugés utiles124. La copie des données informatiques sur un support distinct a très vite été déclarée inconstitutionnelle, car, n’étant pas autorisée par un juge, « le législateur n’a pas prévu de garanties légales propres à assurer une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et le droit au respect de la vie privée »125. Il est important de préciser que la présence de l’intéressé sur les lieux n’est pas requise, dès lors que deux témoins ou cas échéant le représentant de l’intéressé sont présents126. Par la suite, d’autres mesures ont été ajoutées à l’art. 11 de la loi sur l’état d’urgence, soit notamment la possibilité de retenir physiquement les personnes présentes sur le lieu de la perquisition, pendant la durée de celle-ci et au maximum pour quatre heures, s’il « existe des raisons de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics »127. Au fur et à mesure des prolongations de l’état d’urgence, l’art. 11 de la loi sur l’état d’urgence n’a cessé d’être modifié, souvent de manière à permettre une incision plus importante des autorités administratives dans la vie privée des personnes faisant l’objet de cette mesure.

120 Article 8 para. 1 et 2 CEDH.

121 MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR,Les perquisitions dans le cadre de l’état d’urgence.

122 Article 11 de la loi sur l’état d’urgence.

123 Article 4 de la loi du 20 novembre 2015.

124 Ibid.

125 CONSEIL CONSTITUTIONNEL, Décision n° 2016-536 QPC, consid. 14.

126 Article 4 de la loi du 20 novembre 2015.

127 Article 5 de la loi du 21 juillet 2016.

(17)

Dans une circulaire destinée aux préfets, le Ministre de l’Intérieur pose le cadre en matière de perquisitions128. Il rappelle ainsi qu’une perquisition est une mesure de police administrative

« qui, même en état d’urgence, doit être nécessaire et motivée (…) »129. Elle doit en outre être proportionnée et respecter les droits de la personne touchée par cette mesure130. La perquisition ne peut déboucher sur une procédure judiciaire qu’en présence de « fuite suspicieuse ou comportement de nature à faire soupçonner la commission d’un crime ou d’un délit »131. Le Ministre détaille également les modalités de la perquisition, précisant que, s’agissant de l’ouverture de la porte du lieu à perquisitionner, celle-ci doit se faire premièrement en recherchant l’occupant qui peut permettre l’accès sans dégâts matériels, ou à défaut et selon le degré d’urgence, par un serrurier132. Un recours à la force est tout de même possible, comme ultima ratio, si des « critères objectifs de dangerosité et d’urgence peuvent être regardés comme réunis »133, au sens de l’article 122-7 du code pénal. En ce sens, la perquisition administrative s’apparente à la perquisition judiciaire134.

Les chiffres officiels font état d’un total de 4469 perquisitions135, dont plus de 2000 ont eu lieu le 30 novembre 2015136. Selon un rapport de deux députés de l’Assemblée Nationale, les perquisitions ont été ordonnées sur la base de motifs divers. Certaines se basent directement sur des éléments provenant des services de renseignement et dont le but est de « déstabiliser le microcosme radicalisé, d’éviter des répliques d’attentats tirant profit de l’effet de sidération immédiatement consécutif au 13 novembre et de s’assurer que les individus concernés n’avaient pas échappé à des procédures judiciaires antiterroristes »137. D’autres perquisitions ont été menées du simple fait que le nom de l’intéressé figurait au « fichier de traitement des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste » ou encore pour des raisons relatives à la législation sur les armes et sur les stupéfiants, qui relèvent pourtant du droit commun138. Entre le 20 novembre 2015 et le 25 mai 2016, sur un total de 3750 perquisitions, ce sont 44%

d’entre elles qui ont été menées de nuit, entre 21 heures et 06 heures139. À cet égard, le Conseil d’État insiste sur le fait que la perquisition ne peut être menée de nuit que si elle est « justifiée par l’urgence ou l’impossibilité de l’effectuer de jour »140. En outre, sur ces 3750 perquisitions, 605 ont donné lieu à une procédure judiciaire, dont seulement 36 pour des éléments en lien avec le terrorisme141.

Quant à la mise en œuvre concrète de ces perquisitions, il faut se pencher sur des rapports et des témoignages, qui attestent de la différence entre la théorie et la pratique. AMNESTY

INTERNATIONAL a pu consulter certains documents ayant mené aux perquisitions, que l’ONG qualifie de « brefs », « ne contenant que peu d’informations »142. À en croire le rapport

128 MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR, Circulaire sur les perquisitions.

129 Ibid., p. 1.

130 Ibid.

131 Ibid., p. 2.

132 Ibid.

133 Ibid., p. 3.

134 Ibid.

135 MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR, Un bilan et des chiffres clés, p. 3.

136 RAIMBOURG/POISSON,p. 32.

137 Ibid.,p. 39.

138 Ibid.,p. 40.

139 Ibid.,p. 45.

140 Ibid.,p. 47

141 Ibid.,p. 49.

142 AMNESTY INTERNATIONAL, Des vies bouleversées, p. 10.

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d’AMNESTY INTERNATIONAL, la réalité semble bien éloignée des modalités théoriques. Coups portés au visage, personnes menottées, dégâts matériels ou encore arme pointée sur les occupants des locaux faisant l’objet des perquisitions font partie des débordements policiers dont témoignent bon nombre de personnes143. Plus surprenant encore, au soir du 21 novembre 2015, un groupe de policiers perquisitionne un restaurant et casse trois portes, dont l’ouverture avait pourtant été proposée par le propriétaire des lieux qui disposait des clés144. Ces débordements et recours à la force fréquents étaient-ils nécessaires et proportionnés ? Il est légitime de se poser des questions. Il est passé 23 heures lorsque la police intervient chez Marc à coup de pied dans sa porte. Réfugié dans la salle de bain avec sa femme et son fils, Marc reçoit un coup de poing au visage et est, durant toute la durée de la perquisition, menotté, de même que sa femme, alors enceinte de huit mois145. Aucune instruction à l’encontre de Marc ou de sa famille ne fera suite à cette perquisition musclée146.

Le constat qui peut être tiré de ces pratiques est loin d’être brillant. L’usage de la force, qui est pourtant une ultima ratio, semble être relayé au rang des pratiques banales et paraît fréquemment utilisé. Quant aux principes de nécessité et de proportionnalité, ils semblent avoir été tout simplement oubliés. On peut d’abord reprocher à certaines perquisitions de ne pas avoir été ordonnées conformément à la règlementation légale. En effet, la condition que l’individu représente une « menace pour la sécurité et l’ordre public »147 implique que le Ministre de l’Intérieur soit en possession de suffisamment d’informations laissant entendre que l’individu représente, par son attitude, une réelle menace. Or, on a pu le voir par le biais du rapport d’AMNESTY INTERNATIONAL148, il arrive que les informations autorisant la perquisition soient succinctes, vagues et, en conséquence, insuffisantes pour qualifier le comportement de l’individu de menace. Partant, le fondement du prononcé de la perquisition risque d’être entaché d’arbitraire, entrainant une atteinte illicite au respect du droit au domicile149. Finalement, même si l’on pouvait qualifier l’ingérence de licite, car s’inscrivant dans le respect d’une loi et nécessaire à la poursuite du but visé, la mise en œuvre de cette ingérence pourrait être synonyme de violation de l’article 8 CEDH, en ce sens que les modalités ne respectent à tel point pas les exigences légales, notamment par l’usage fréquent de la violence, qu’une violation du droit au respect de la vie privée et familiale pourrait en découler. Dans les divers exemples illustrés, les principes de nécessité et de proportionné sont mises à mal et sont partant susceptibles, à mon sens, d’entraîner une violation de l’art. 8 CEDH.

Avant de se tourner vers la COUREDH, une personne qui s’estime victime d’une violation d’un des droits contenus dans la CEDH doit avoir épuisé les voies de recours nationales150. Il convient à présent de se pencher sur la question des voies de recours françaises, concernant tant l’assignation à résidence que la perquisition.

143 Ibid., p. 11.

144 Ibid.

145 Ibid., p. 12

146 Ibid.

147 Article 11 de la loi sur l’état d’urgence.

148 Cf. supra n. 142.

149 CAHN, p. 10.

150 Article 35 CEDH.

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