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La suppression de la rente après divorce du fait du concubinage

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La suppression de la rente après divorce du fait du concubinage

CHAPPUIS, Christine

CHAPPUIS, Christine. La suppression de la rente après divorce du fait du concubinage. La Semaine judiciaire , 1993, vol. 115, no. 25, p. 389-423

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:42920

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(2)

LA

SEMAINE JUDICIAIRE

publiée sous les auspices de la

SOCIÉTÉ GENEVOISE DE DROIT ET DE LÉGISLATION

paraissant à GENÈVE chaque semaine Rédaction:

Bernard COR BOZ, juge au Tribunal fédéral Bernard BERTOSSA, procureur général Pierre DINICHERT, juge à la Cour de cassation Christian REYMOND, juge à la Cour de justioe André SCHMIDT, anc. juge à la Cour de justioe Gabriel AUBERT, avocat, professeur à l'Université

S.OMMAIRE. - La suppression de la rente après divorce du fait du concubinage. - Bibliographie.

La suppression de la rente après divorce du fait du concubinage*

par Christine CH APPUIS, Docteur en droit. avocate

1. INTRODUCTION

Depuis une quinzaine d'années, le problème est devenu classique pour les tribunaux. Suite à une procédure de divorce, l'ex-époux est condamné à verser une rente. Quelques temps après, l'ex-épouse refait sa vie avec un autre homme. L'ex-époux est-il justifié à refuser le ver- sement de la rente?

Deux remarques préliminaires s'imposent. Premièrement, par mesure de simplification, j'ai choisi de traiter l'hypothèse de ! 'homme

Texte annoté et remanié d'une conférence donnée le 8 février

'

1993 devant la Société genevoise de droit et de législation.

(3)

condamné à verser une pension à son ex-épouse, ce qui correspond aux situations les plus fréquentes en pratique.1 Deuxièmement, cette étude sera limitée au droit suisse pour éviter de trop longs développ~ments.

Confonnément à l'art. 153 al. 1 CC, "l'époux auquel une rente via- gère a été allouée par jugement ou convention, à titre de dommages- intérêts, de réparation morale ou d'aliments, cesse d'y avoir droit s'il se remarie". La loi mentionne le remariage, mais n'indique.pas com- ment traiter le concubinage.

Le présent exposé sera divisé en deux parties. La première sera consacrée à l'examen de la jurisprudence du Tribunal fédéral. Dans un deuxième temps, seront analysés les problèmes de principe que pose l'intervention du juge en la matière.

Trois questions serviront de repère lors de l'analyse de la jurispru- dence: quel est le fondement juridique d'une intervention du juge, à quelles conditions intervient-il, quelles sont les conséquences de cette intervention. Base légale, conditions, conséquences, tel est l'ordre logique dans lequel il conviendrait de traiter ces questions. Les consé- quences juridiques seront pourtant examinées en premier lieu, pour passer du plus simple au plus compliqué.

Les huit arrêts (1978 à 1992) du Tribunal fédéral examinés ci-après seront abordés dans l'ordre chronologique, car chaque arrêt apporte un élément nouveau dans l'élaboration des règles actuellement appliquées.

II. LA JURISPRUDENCE DU TRIBUNAL FEDERAL

A. Conséquences juridiques

. On peut imaginer quatre types de conséquences juridiques: le maintien de la rente malgré le concubinage, la suppression pure et simple de la rente, la suspension pour une durée détenninée ou indéterminée et éventuellement la réduction de la rente2•

2

En 1990, sur 6'892 rentes après divorce accordées, 46 l'ont été à des hommes (chiffres cités dans le commentaire relatif à !'Avant-Projet de modification du Code civil suisse [conclusion du mariage et divorce, état civil, filiation, dette alimentaire, tutelle, asiles de famille et courtage matrimonial) du 31.01.92, p. 32).

Selon la pratique de certains tribunaux zurichois, signalée par Trachsel, p. 99, le montant attribué à un conjoint vivant en concubinage est diminué de moitié lors du calcul du besoin (bei der Bedarfsberechnung).

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La solution du Tribunal fédéral est claire: en cas de concubinage qualifié, la rente est supprimée et non suspendue. Cette règle a été posée dans un arrêt de 19813 et n'a pas été revue depuis.

La rente est supprimée parce que le Tribunal fédéral applique l'art.

153 al. 1 CC par analogie. "L'effet est automatique" selon ses propres tennes. C'est le choix du fondement jwidique de l'intervention du juge - l'art 153 al. 1 CC applicable par analogie - qui impose la solu- tion de la suppression de la rente.

A mon avis, la suppression de la rente n'est pas la solution qui s'impose en l'espèce.

B. Bases légales et conditions

Depuis 1978, date à laquelle la question a été posée pour la première fois au Tribunal fédéral dans une affaire zurichoise, la jurisprudence a passablement évolué.

1) Dans cette affaire4, le Tribunal fédéral se rallie à l'opinion du juge cantonal selon lequel "il y a abus de droit manifeste au regard de cette disposition (art. 153 al. 1 CC) lorsque l'époux auquel une rente a été allouée fonne, après le divorce, une nouvelle communauté de vie avec une personne du sexe opposé, mais ne l'épouse pas pour éviter la perte de rente que cela entraînerait ex lege".

La base légale de l'intervention du juge est l'art. 2 al. 2 CC, l'abus de droit "au regard" de l'art. 153 al. l CC.

Les conditions de la suppression de la rente après divorce sont au nombre de deux: la fonnation d'une nouvelle communau(é de vie avec une personne du sexe opposé et l'absence de remariage dans le but d'éviter la perte de la rente.

Il est intéressant de relever que dans cette affaire, la rente a effecti- vement été supprimée. La durée du concubinage n'était pas encore un élément détenninant pour le juge, raison pour laquelle l'arrêt n'indique pas depuis combien de temps l'épouse divorcée vivait en concubinage.

On peut supposer que le concubinage n'avait pas duré plus d'un an.

2) Deux ans plus tard, en 19805, le Tribunal fédéral complète cette jurisprudence.

3 4 5

ATF 107 Il '297.

ATF 104 Il 154, JT 1979 1212, commenré par Hausheer RJB, p. 99 ss.

ATF 106 Il 1, JT 1980 1 542.

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La première condition (nouvelle communauté de vie) est précisée dans le sens que ~tte nouvelle communauté doit offrir des avantages comparables à ceux du mariage pour que l'abus de droit puisse être admis.

En ce qui concerne la seconde condition (les motifs de l'absence de remariage), l'arrêt hésite sur la question de savoir s'il faut ou non exi- ger que les concubins aient, comme le soutient Merz6, l'intention exclusive de ne pas perdre le droit à la rente. Après avoir critiqué Merz qui irait trop loin, le Tribunal fédéral se fonde pourtant sur cette idée dans son examen des faits7 , pour rejeter la demande. La femme djvorcée avait en effet établi un motif plausible justifiant qu'elle ne se remariât pas.

Cet arrêt voit toujours dans l'abus de droit le fondement juridique de la suppression de la rente.

3) Dans un arrêt de 19818, le Tribunal fédéral amorce un tournant en ce qui concerne la question de la base légale.

Voici le passage topique:

"Dans le cas où la situation de la concubine est assimilable à celle d'une femme mariée selon les critères dégagés par les arrêts précités ( ... ), de telle sorte que la crédirentière commet un abus manifeste de droit en prétendant à la rente, l'art. 153 CC s'ap- plique par analogie. Cette disposition prévoit expressément la suppression de la rente et non sa suspension. Il s'agit bien d'une application analogique; en effet lorsqu'il y a remariage, l'art. 153 CC dispose que la rente cesse. L'effet est automatique".

Il ne s'agit plus ici d'un abus de droit "au regard" de l'art 153 CC (selon les termes utilisés par le Tribunal fédéral dans son premier arrêt), mais d'une application de cette disposition par analogie dans l'hypothèse d'un abus de droit. On pourrait poser la règle suivante: s'il y a abus manifeste de droit, alors il y a lieu d'appliquer l'art. 153 CC par analogie.

Pour la première fois, dans cet arrêt, l'application par analogie de l'art. 153 al. 1 CC prend place à côté de l'abus de droit comme fonde- ment juridique de l'intervention du juge. Toute solution autre que supprimer ou maintenir la rente est désormais exclue.

6 7 8

N. 578 ad art. 2 CC.

JT cité, p. 546.

ATF 107 Il 297, commenté par Schnyder, RJB 1983/119 65 ss.

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4) Un arrêt de 19839 met fin au doute qui subsistait à propos de la seconde condition, celle de l'absence de motifs plausibles au non rema- riage. Le Tribunal fédéral admet en effet la conception de M erz selon laquelle commet un abus de droit la personne qui ·ne se remarie pas dans l'intention exclusive de ne pas perdre le droit à la rente.

Les deux conditions de l'abus de droit sont par conséquent: l'exis- tence d'une communauté de vie semblable à une union conjugale et l'absence de remariage dans le but unique d'éviter la perte du droit à la rente.

Cet arrêt présente une deuxième nouveauté importante. Etant donné que les deux conditions de l'abus de droit sont très difficiles à prou- ver, le Tribunal fédéral institue une présomption de fait. Si le concu- binage a duré cinq ans au moment de l'ouverture de l'action (fait indice ou fait prémisse, factum probans), deux autres faits sont présu- més: premièrement l'existence d'une communauté de vie "semblable" à l'union conjugale; deuxièmement que les concubins renoncent à sè remarier uniquement pour éviter de perdre le droit à la rente (fait pré- sumé ou éonséquence, factum probandum).

En ce qui concerne le fondement juridique, on observe une sorte de rechute par rapport à l'arrêt précédent, le Tribunal fédéral ne mention- nant cette fois que l'abus de droit.

5) Dans un arrêt de 198810, le Tribunal fédéral fait une remarque intéressante quant au problème de la baise légale. On peut y lire que la perte de la rente repose "comme par le passé" sur l'application par ana- logie de l'art. 153 al. 1 CC et qu'il "n'y a cependant aucune raison de s'écarter complètement de la conception de l'abus de droit".

Cette dualité de fondements juridiques a des répercussions sur les conditions posées pour la suppression de la rente, donc sur les faits que l'époux créditrentier est admis à prouver pour s'opposer à la sup- pression.

9

Le Tribunal fédéral considère quel 1:

"Face à ce genre d'union libre [stable depuis longtemps], on peut présumer que l'époux crédirentier ne se remarie pas, dans l'intention exclusive de ne pas perdre sa prétention à l'entretien conférée par Je droit du divorce. Le conjoint crédirentier doit

ATF 109 Il 188, JT 1985 1 301, commenté par Schnyder, RJB 19851121 84 ss.

10 ATF 114 11295, JT 1991 166, commenté par Schnyder, RJB 126/1990 94 ss.

11 JT cité, p. 69.

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cependant être admis à prouver que des motifs particuliers et sérieux ne lui pennettent pas de compter sur un entretien sem- blable à celui auquel le mariage lui donnerait droit. Il ne s'agit donc pas tant d'alléguer des motifs plausibles pour lesquels les concubins ne veulent ou ne peuvent pas se marier."

Apparemment, quoique la question reste floue, il ne s'agit plus d'avancer des motifs plausibles pour lesquels les concubins renoncent à se marier, mais d'expliquer pourquoi la nouvelle communauté de vie n'est pas assimilable au mariage.

La leçon .à tirer de cet arrêt est que, face à un concubinage qui a duré cinq ans, deux faits sont présumés : l'existence d'une communauté de vie semblable à l'union conjugale; l'absence de remariage dans l'inten- tion exclusive de ne pas perdre le droit à la rente, l'époux crédirentier étant admis à prouver que des motifs particuliers ile lui pennettent pas de compter sur l'entretien de son partenaire.

6) Un arrêt de 199012, apporte une clarification sur ce dernier point.

En effet, la femme divorcée avait invoqué des motifs sérieux pour les- quels elle renonçait à se remarier, mais le Tribunal fédéral a refusé d'entrer en matière sur ces motifs jugés, cette fois clairement, non per- tinents.

L'arrêt est par ailleurs significatif quant au problème de la base légale. Le Tribunal fédéral résume sa propre jurisprudence en expli- quant qu'initialement la justification de son intervention se fondait uniquement sur l'abus de droit et que, par la suite, il s'est approché d'une application par analogie de l'art. 153 al. 1 CC sans pour autant abandonner complètement le recours à l'abus de droit13.

La balance penche de plus en plus du côté de l'application par ana- logie de l'art. 153 al. 1 CC.

7) En janvier 1992, le Tribunal fédéral rend un arrêt14 qui confirme cette dernière jurisprudence en précisant pour la première fois ses exi- gences quant à la preuve du fait-indice de la présomption, c'est-à-dire celle de l'existence d'un concubinage au sens étroit. II ne suffit pas,

12 ATF 11611394, JT 1993 11, SJ 1991 252 (rés.), commenté par Schnyder, RJB 1991/121 SS.

13 ATF, p. 396: • ... nâherte sich in der Fol9e einer analoge.n Anwendung von Art. 153 Abs 1 ZGB ... [es] wurde bis anhin abgelehnt, ganz von der Betrachtungsweise des Rechtsmissbrauchs abzurücken".

14 ATF 11811235,SJ1992 590 (rés.).

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selon le Tribunal fédéral, que le demandeur établisse que le crédirentier vit en union domestique avec une personne d'un autre sexe et donne ainsi l'apparence d'avoir constitué une communauté de vie assimilable au mariage. Le demandeur doit fournir la preuve stricte d'un concubi- nage au sens étroit ayant duré cinq ans.

Et, selon cet arrêt, un concubinage au sens étroit est une tommu- nauté de vie entre deux personnes de sexe différent, communauté exclusive et destinée à durer un certain temps, et qui présente les trois caractéristiques suivantes: il doit s'agir d'une union spirituelle, corpo- relle et économique qui soit une communauté de toit, de table et de lit.

Ces trois éléments ne sont pas nécessairement cumulatifs. L'élément corporel ou économique peut faire défaut pour autant que les parte- naires vivent dans une union stable et exclusive et s'accordent mutuel- lement fidélité et assistance. Tout ceci est l'objet de la preuve du fait- prémisse selon cet arrêt.

8) Un dernier arrêt15, également de 1992, aborde le problème qui nous occupe, quoique dans un contexte un peu différent. Il ne s'agis- sait pas de modifier un jugement de divorce pour supprimer une rente, mais de statuer sur mesures provisoires dans le cadre d'une demande en divorce.

Cet arrêt considère comme un abus de droit le fait pour la femme qui divorce de réclamer une pension alors qu'elle est totalement entretenue par son concubin, qui lui assure ainsi l'entretien de la même manière que s'ils étaient des époux unis par le lien du mariage.

Le refus de la pension sur mesures provisoires est uniquement fondé sur l'abus de droit.

C. Survol critique de la jurisprudence

La jurisprudence a évolué de manière parallèle sur plusieurs points.

En premier lieu, quant à la base légale. A l'origine, l'intervention du juge était fondée uniquement sur l'abus de droit. A partir du 4ème arrêt cité, elle a été fondée sur l'application par analogie de l'art. 153 al. 1 CC, conçue d'abord comme une conséquence de l'abus de droit, puis invoquée de manière cumulative avec l'art. 2 al. 2 CC.

Ce changement progressif de base légale se traduit par un change- ment correspondant des conditions de la suppression de la rente.

15 ATF 118 11225, SJ 1993 12.

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A l'origine, le demandeur avait la charge de prouver:

l'existence d'une communauté de vie avec une personne du sexe opposé16;

le fait que cette communauté présente des avantages (économi- ques) semblables à une union conjugale;

le fait que les partenaires renoncent à se marier dans le but exclusif d'éviter de perdre le droit à la rente.

La présomption17 instituée par le Tribunal fédéral avait pour but d'alléger la preuve très difficile des deux derniers faits mentionnés.

Le fonctionnement de la présomption était le suivant. L'existence d'une communauté de vie ayant duré cinq ans constitue le fait-indice, deux faits étant présumés: d'une part que cette communauté est assimi- lable à une communauté conjugale, d'autre part que la seule raison pour laquelle les concubins ne se marient pas est d'éviter de perdre le droit à la rente.

Le deuxième fait présumé, relatif aux motifs du non remariage, est un élément itT1p6rtant dans un raisonnement fondé sur l'abus de droit.

En effet, il n'y a abus que si une institution juridique (ici le droit à la rente fondé sur les art. 151 et 152 CC, et limité par l'art. 153 CC) est utilisée dans un but non protégé par la loi18. Cette définition oblige à rechercher quel est le but poursuivi par la partie qui, prétendument, abuse de son droit. Il faut par conséquent se demander pour quel motif la concubine ne se remarie pas. Dans l'hypothèse où son seul but est d'éviter de perdre le droit à la rente, elle abuse de ce droit.

Par la suite, le deuxième fait présumé a été modifié, la question des motifs du non remariage perdant peu à peu sa pertinence. Au cas où une union libre de cinq ans était prouvée, il était présumé que la crédi- rentière n'avait aucun motif particulier et sérieux de continuer à pré- tendre au versement d'une rente. Cette modification correspond à celle que subit la base légale.

16 Cene exigence qui exclut la prise en considération de concubins homosexuels et qui est maintenue à travers toute l'évolution de la jurisprudence depuis le premier arrêt (ATF 104 Il 154, JT 1979 1 212), se justifie+elle? Ou bien faut-il assimiler les concubins homosexuels aux concubins bisexuels? Il est vrai que la question de l'entretien d'un partenaire par l'autre (qui explique l'assimilation du concubinage au remariage) ne se pose peut·être pas de la même manière lorsqu'il s'agit d'un couple homosexuel, cas dans lequel on peut supposer que les ·deux partenaires travaillent et assurent chacun son propre entretien, comme s'ils vivaient seuls.

17 Critique la jurisprudence en tant que le Tribunal fédéral admet qu'une simple présomption de l'homme ait pour conséquence un renversement du fardeau de la preuve: Voge/, p. 104 ss.

18 Cl. infra 111/0/1 .

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Le point de non-retour dans la progression de l'abus de droit vers l'application par analogie est atteint dans l'arrêt de 198819, lorsque le Tribunal fédéral annonce que "comme par le passé" la suppression de la rente repose sur 153 al. 1 CC par analogie. Jusqu'alors, sur les quatre arrêts examinés, trois étaient fondés sur l'abus de droit ...

C'est dans cet arrêt que règne la plus grande hésitation sur les conditions à prouver par le demandeur et les objections possibles de la défenderesse. Après avoir insisté sur le fait qu"'il ne s'agit donc pas tant d'alléguer des motifs plausibles pour lesquels les concubins ne veulent ou ne peuvent pas se marier"20, le Tribunal fédéral se dit lié par les constatations de l'autorité cantonale selon lesquelles la défen- deresse peut invoquer des motifs plausibles et compréhensibles à l'en- contre de la conclusion d'un nouveau mariage (séquelles psychiques dues au premier mariage et au divorce, crainte d'être à nouveau déçue21 ).

On ne sait plus comment traiter les motifs pour lesquels les concu- bins renoncent à se· marier. Sont-ils encore pertinents? Dans une conception fondée sur l'abus de droit, on l'a vu, ces motifs sont impor- tants. S'ils sont valables, il n'y a pas d'abus. En revanche, ils sont sans pertinence dans le cadre d'une application par analogie de l'art. 153 al.

1 CC, qui suppose surtout l'existence des conditions d'équivalence entre mariage et concubinage.

L'attraction de l'art. 153 al. I CC appliqué par analogie a finalement raison de l'abus de droit. Les motifs du non remariage perdent toute importance au profit d'une insistance toujours accrue sur la quaiité de la vie commune qui doit se rapprocher le plus possible d'une union conjugale.

L'avant-dernier arrêt examiné22 pose des exigences très sévères quant au fait-indice (concubinage au sens étroit ayant duré 5 ans). Cet arrêt appelle deux remarques.

Premièrement, on peut douter que le demandeur soit concrètement en mesure de prouver autre chose qu'une apparence de concubinage pré- sentant toutes les caractéristiques décrites. Il peut prouver l'adresse commune, éventuellement que les repas sont pris en commun, les vacances partagées, et encore. Mais comment pourrait-il prouver la

19 ATF 114 11295, JT 1991 166, 69.

20 JT cité. p. 69.

21 JT cité, p. 70 c. 2.

22 ATF 118 Il 235, SJ 1992 590 (rés.).

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communauté de lit, la communauté économique, le lien si étroit que les concubins s'accordent mutuellement fidélité et assistance? Un arrêt zurichois23 tire les conséquences de cette impossibilité de preuve et se contente de l'apparence d'une communauté de vie semblable à une union conjugale, en laissant à l'époux crédirentier la possibilité de prouver qu'il n'existe entre les partenaires qu'un rapport obligationnel (sous-location) ou un lien affectif lâche.

En second lieu, le Tribunal fédéral introduit une confusion entre l'un des deux faits présumés (l'existence d'avantages semblables à une union conjugale) et le fait-indice (le concubinage au sens étroit). Dans un sens si étroit qu'il faut prouver davantage que l'apparence d'une communauté de vie assimilable au mariage. Mais, dans la mesure où il faut prouver l'existence d'avantages.semblables, quel est le fait pré- sumé? Il ne reste que le deuxième fait déjà mentionné, l'absence de motifs permettant de continuer à prétendre au versement d'une rente.

En ce qui concerne ces motifs, quels pourraient-ils être? Je ne vois guère que l'incapacité matérielle du nouveau partenaire d'assurer l'en- tretien de l'époux crédirentier. Mais le Tribunal fédéral refuse expres- sément de prendre cet élément en considération24. A la question, pour quelle raison valable un concubin ne pourrait-il prétendre à l'entretien de la part du partenaire, on ne peut apporter qu'une réponse: parce que le concubinage n'est pas suffisamment stable et étroit. Du fait présumé on en revient au fait indice. Il s'agit en fin de compte de prouver ce qui, selon la jurisprudence antérieure, était présumé.

Dans le cas d'espèce, il ne s'agissait que d'une sorte de sous-location améliorée, raison pour laquelle la suppression de la rente a été refusée, probablement à juste titre d'ailleurs. Mais cette affaire a amené le Tri- bunal fédéral à poser des exigences trop sévères quant à la preuve à charge du demandeur. L'utilité de la présomption posée, de même que son fonctionnement en sont affectés, au point que l'on ne sait plus très bien qui doit prouver quoi.

En résumé, sur sept arrêts qui ont tranché la question, la rente a été supprimée dans trois cas pour une durée du concubinage inconnue dans un cas, mais ne dépassant pas de beaucoup une année, 3 1/2 mois dans le second cas, 6 ans dans le dernier. La rente a été maintenue dans

23 ZR 7711976 no 126, p. 269, 290·291.

24 ATF 11611394, 396.

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quatre cas, pour une durée du concubinage de 3 mois, 1 an, 4 ans et enfin 5 ans et 2 mois.

La jurisprudence cantonale25 se situe dans la même ligne que la jurisprudence fédérale - elle est fondée principalement sur l'abus de droit. On peut notamment citer un arrêt de la Cour de Justice gene- voise du 27 janvier 198926, qui admet la suppression de la rente sur la base de la présomption résultant d'un concubinage ayant duré 5 ans.

Cet arrêt se fonde uniquement sur l'abus de droit et se réfère au qua- trième arrêt du Tribunal fédéral examiné ci-dessus17. Il faut cependant signaler la jurisprudence dissidente des tribunaux bâlois qui refusent de s'aligner sur la jurisprudence fédérale et prononcent la suspension de la rente28.

Pour ce qui est de la doctrine, elle critique la jurisprudence fédérale essentiellement quant au fait que la rente est automatiquement suppri- mée et non suspendue. On regreue la rigidité de la solution du Tribu- nal fédéral29, ainsi que le flou laissé par la jurisprudence entre applica- tion par analogie de l'art. 153 al. 1 CC et abus de droit30•

Ill ANALYSE THEORIQUE DES FONDEMENTS JURIDIQUES DE L'INTERVENTION DU JUGE

A. Introduction

1. Principes

Dans l'ordre logique, l'intervention du juge a trois fondements théo- riques possibles:

En premier lieu, la loi que le juge applique après l'avoir, au besoin, interprétée (art. 1 al. 1 CC). Puis, s'offre une alternative.

25 ZR 7411975 317, no 97: 77/1978 289, no 128; RSJ 7211976 162, no 48.

26 SJ 1989 273.

27 ATF 10911188, JT 19851301.

28 BJM 1987 142; 1984 23; Rapp F., in BJM 1980 294-295.

29 Bucher Archiv, p. 69 ss; Grossen, p. 251; Schnyder, RJB 11911983 65 ss; Kehl·

Zefler, p. 40 ss: Messmer, p. 61: Frank, p. 94: Augsburger-Bucheli, p. 161 ss, 165.

La possibilité de suspendre la rente est simplement mentionnée par Bühler/Spühler, n. 23 ad art. 153 CC. Rapportent la jurisprudence sans la critiquer, Hegnauer, p. 105; Hausheer, p. 183 ss.

30 Rey, p. 5.

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Soit la loi ne fournit pas de réponse, et le juge admet l'existence d'une lacune. A défaut de coutume, il est appelé à combler la lacune ei:i faisant acte de législateur, par exemple en appliquant par analogie une disposition légale visant une situation similaire (art. 1 al. 2 CC).

Soit la loi fournit une réponse, mais cette réponse est considérée comme choquante, et le juge peut corriger le résultat inadmissible par le biais de l'abus de droit (art. 2 al. 2 CC). Il faut donc, pour qu'il intervienne sur la base de l'art. 2 al. 2 CC, que la loi fournisse une réponse: Il sied d'ajouter que l'abus de droit est un moyen subsidiaire, une ultima ratio, à laquelle il n'est possible de recourir qu'après avoir épuisé les ressources de l'interprétation et du comblement de la lacune31.

On aura reconnu la trilogie classique: interprétation32 - comble- ment - correction de la loi33.

2. Critique de la jurisprudence du Tribunal fédéral

A mon avis, quelle que soit la voie théorique choisie (celle du com- blement de la lacune ou celle de l'abus de droit), la solution préconi- sée par le Tribunal fédéral, soit l'application par analogie de l'art. 153 al. 1 CC, n'est pas la bonne, ni quant à sa co.nséquence pratique, ni quant à son fondement juridique.

L'art 153 al. 1 CC, appliqué par analogie, oblige le juge à suppri- mer puremt:nt et simplement la rente. Ce résultat est doublement insa- tisfaisant. Du point de vue de l'ex-mari, il est choquant de devoir continuer à verser une rente à son ex-épouse pendant 5 ans - avant de pouvoir bénéficier de la présomption posée par le Tribunal fédéral - alors qu'elle est entretenue par un autre homme. Du point de vue de la femme, il est choquant de voir sa rente supprimée alors qu'elle se trouve dans une situation précaire qui n'a rien à voir avec un rema- riage. II est intéressant de relever à cet égard que, quelques mois après le premier arrêt (1979) où le Tribunal fédéral a prononcé la suppres- sion de la rente, la femme divorcée a été abandonnée par son concu- bin34.

31 Deschenaux, p. 145.

32 Interprétation au sens étroit, cf. Deschenaux, p. 105 n. 17.

33 Deschenaux, p. 144·145; Meier-Hayoz. n. 38·42, 300 ad art. 1 CC: Merz, Auslegung, p. 40; n. 23 ss, n. 104 ad art. 2 CC: Ha.te/in, Bindung, p. 129, Lückenfüllung, p. 121.

34 Grossen, p. 251, signale ce fait qui a été rapporté par la presse.

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Le Tribunal fédéral voit un double fondement juridique à la sup- pression de la rente: l'application par analogie de l'art. 153 al. 1 CC et l'abus de droit A l'origine, seul l'abus de dfoit était retenu comme jus- tification de la suppression de la rente, ce qui, nous le verrons, peut être un raisonnement valable. En revanche, dans son arrêt de 198135, le Tribunal fédéral conçoit l'application par analogie comme une consé- quence de l'abus de droit, puis, plus récemment36, il cumule les deux moyens. Les deux conceptions sont critiquables.

Sur un plan théorique, on voit mal l'application par analogie d'une disposition légale être la conséquence d'un abus de droit. En effet, selon le texte même de l'art. 2 al. 2 CC, la conséquence de l'abus de droit est que le droit n'est pas protégé. Ce principe a trouvé diverses concrétisations.

Ainsi, en matière de vice de forme. Si un vice de forme est invoqué abusivement. le droit de se prévaloir du vice n'existe pas, ce qui a pour conséquence pratique que l'acte juridique déploie, malgré sa nullité de principe, certains effets37, en, tout cas à l'égard de celui qui se prévaut abusivement du vice de forme.

Dans l'hypothèse de la prescription invoquée abusivement, le droit de se prévaloir de la prescription n'est pas protégé, donc le droit en principe prescrit peut malgré tout être déduit en jus- tice38.

La résiliation abusive d'un contrat de travail posait, avant la modification de mars 1988, de délicats problèmes quant à ses conséquences. Les tribunaux n'admettaient un abus de droit en la matière qu'avec la plus extrême retenue (par exemple en cas

35 ATF 107 11297.

36 ATF11411295,JT1991166.

37 En principe, l'art. 2 al. 2 CC n'a pas d"effet positif: Deschenaux, p. 182; Merz n.

485, 487 ss ad art 2 CC. Exemples où une action en constatation de la nullité d'une vente immobilière a été considérée comme abusive: ATF 112 Il 330, JT 1987 1 70; ATF 104 1199,JT1979 116, 23; ATF 92 Il 323, JT 1967 1 338, 340 ss;

ATF 68 Il 236 c. Ill, JT 1943 1 77. Cas exceptionnels où un certain effet positif est reconnu à l'art. 2 al. 2 CC: ATF 112 Il 107, JT 1986 1 587, 589 ss (action en transfert de deux anciens chemins; refus justifié par la nullité de la convention, abusif; demande admise malgré la nullité de la convention); ATF 98 Il 23, JT 1972 1541, 546.

38 Cf. Engel, p. 530-540; Bucher, p. 469; v. Tuhr!Escher § 81, p. 232 et Suppl.§ 81 n.

44. Abus de droit admis: ATF 10811278, 287 ss; 89 11256, JT 1964 1151, 156 ss;

ATF 89 Il 26, 30 (recours à l'abus de droit inutile, car un sursis contractuel à la prescription était admis). ACJ du 5 mars 1968, SJ 1970 118, 127.

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de licenciement à titre de représailles~9). Si le droit de résilia- tion n'est pas protégé parce qu'exercé abusivement, cela devrait signifier que la résiliation est nulle, donc que le travailleur doit être réintégré. Un tel droit n'a jamais été admis; seul, le droit à wte indemnité était reconnu au travailleur40. Les art. 336 et 336 a CO actuels constituent une concrétisation de l'interdiction de l'abus de droit41 et reprennent en partie la jurisprudence qui avait été développée sur ce point. La majorité de la doctrine admet que l'art. 2 al. 2 CC reste applicable à la résiliation des rapports de travail42•

Potirquoi, dans le cas qui nous occupe, appliquer l'art. 153 al. 1 CC par analogie en cas d'abus de droit? Si l'idée est de supprimer la rente, l'application par analogie n'est pas nécessaire. L'art. 2 al. 2 CC, dont l'application a pour conséquence que le droit à la rente n'est pas pro- tégé, le permettrait lui-même directement, sans qu'il faille vérifier de nouvelles conditions (similitude entre concubinage et remariage) qui introduisent une confusion avec celles qu'implique l'abus de droit. De ce point de vue, l'application par analogie de l'art. 153 al. 1 CC comme conséquence de l'abus de droit n'est théoriquement pas satisfai- sante.

La seconde conception, application par analogie de l'art. 153 al. 1 CC sans "s'écarter complètement" de l'abus de droit, ne résiste pas non plus à l'examen. Les deux moyens seraient-ils invocables cumulative- ment? C'est à nouveau théoriquement peu orthodoxe. Il faut choisir.

Soit il y a lacune, ce qui permettrait - éventuellement - d'appliquer par analogie l'art. 153 al. 1 CC. Soit il n'y a pas lacune, ce qui ouvre la possibilité d'invoquer l'abus de droit.

Il convient de souligner l'importance de la distinction entre interpré- tation et comblement de la loi. Le procédé de l'application par analogie relève de l'étape du comblement de la lacune. En effet, si une disposi- tion légale doit être appliquée par analogie, c'est qu'elle ne peut l'être directement parce que ses prévisions ne sont pas réalisées. Il y a

39 Ju9emen1 des Prud'hommes de Genève du 17.3.87, SJ 1988 586. Sur la retenue à observer, cf. ATF 111 11242, JT 1986178, 80.

40 Brunner!Bühler!Waeber. N 1 ad art. 336, N 1 ad art. 336 a CO.

41 Brunner!Bühler!Waeber, N 1 ad art. 336 CO; StreiffN. Kaenel, N 2.ad art. 336 CO;

Humbert, p. 24 SS.

42 Brunner!Bühler/Waeber, N 3 ad art 336 CO; Humbert, p. 24 ss, 28, admet la réserve de l'abus de droit mais considère son application comme

"unwahrschelnlich".

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lacune. On peut citer dans ce sens le professeur Deschenaux: "Le pro- cédé de l'analogie introduit dans la loi quelque chose qui n'y est pas.

Le seuil de l'interprétation est franchi"43• L'étape suivant celle de l'in- terprétation est celle du comblement d'une lacune par le procédé de l'application par analogie d'une disposition légale. TI est vrai que la question n'est pas unanimement admise et que la frontière entre inter- prétation et comblement de lacune par application analogique n'est pas claire44 • J'invoquerai cependant l'autorité du professeur Deschenaux pour opposer interprétation de la loi (art. 1 al. 1 CC) et application par analogie (art 1 al. 2 CC)45.

Voici quelles sont en résumé les critiques principales qui peuvent être adressées à cette jurisprudence:

l'application par analogie de l'art. 153 al. 1 CC n'est pas satis- faisante quant à ses conséquences pratiques;

d'un point de vue théorique, l'application par analogie suppose la constatation préalable d'une lacune de la loi, ce que le Tribu- nal fédéral n'a jamais fait;

la lacune une fois admise, il aurait fallu vérifier que l'applica- tion par analogie de cette disposition à un état de fait qu'elle ne vise pas est justifiée, ce qui n'a jamais été fait non plus.

Le problème de l'effet du concubinage sur la rente après divorce sera, dans les pages qui suivent, passé au triple crible de l'interprétation, du comblement, puis de la correction de la loi, étant entendu que la fron- tière entre les trois raisonnements est loin d'être claire et précise.

B. La loi

1. Art. 145 al. 2 CC, 153 al. 2 CC et 156 CO

La loi, aux art. 145 al. 2 CC, 153 al. 2 CC et 156 CO, offre certaines possibilités de solutions qui n'ont pas été assez prises en considéra- tion.

43 Deschenaux, p. 105 n. 17. Par exemple, ATF du 9 mars 1979, cause V. con1re Z., SJ 1981 314, 319. Geny, p. 300 SS, 309, 314.

44 Merz, Abhandlungen, p. 65, 75.

45 La doctrine, notamment récente, contesle la distinction entre interprétation et comblemenl de la loi: cf. par exemple, HAfe/in, Lückenfüllung, p. 121 ss, Bindung, p. 129 ss. Riemer, p. 74 n. 142, au contraire, insiste sur le bien-fondé de la distinction; dans le même sens, Gygi, p. 79.

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a) En matière de mesures provisoires, l'art. 145 al. 2 CC prescrit au juge de prendre les mesures "nécessaires" à l'entretien de la famille.

Curieusement, la jurisprudence se fonde sur l'abus de droit pour refu- ser à la femme l'entretien pendant la durée du procès. Or, selon les tennes mêmes de l'art. 145 al. 2 CC, il s'agit d'une question laissée au pouvoir d'appréciation du juge (art. 4 CC). Dans la pesée des intérêts qu'implique l'art. 4 CC, la circonstance du "concubinage" doit être prise en considération. Dans cette optique, il n'apparaît pas nécessaire d'obliger le mari à entretenir son épouse alors qu'elle vit en concubi- nage avec un autre homme qui lui assure l'entretien. Il s'agit d'un pro- blème d'application de la loi, de pouvoir d'appréciation du juge, et non d'abus de droit. La distinction est importante: pour que le juge refuse une rente provisoire sur la base de l'art. 2 al. 2 CC, il faut un abus manifeste du droit à la rente. Alors qu'en application des art. 145 et 4 CC, il suffit que la rente n'apparaisse pas comme "nécessaire". Pour être une circonstance relevante, le concubinage doit évidemment pré- senter une certaine stabilité, même seulement relative s'agissant d'une appréciation provisoire de la situation46• S'il apparaît que la rente en faveur de l'épouse n'est pas nécessaire, celle-ci n'y a pas droit. Or, elle ne peut abuser d'un droit dont elle ne jouit pas. Le recours à l'art. 2 al.

2 CC n'est par conséquent pas justifié dans cette hypothèse.

b) En ce qui concerne la rente déjà accor.dée, une solution pourrait être tirée de l'art. 153 al. 2 CC, selon lequel "la pension alimentaire allouée à titre de secours sera supprimée ou réduite, à la demande du débiteur, si l'ayant droit n'est plus dans le dénuement ou si la gêne dans laquelle il se trouvait a sensiblement diminué; il en sera de même si la pension n'est plus en rapport avec les facultés du débiteur".

La question de savoir si et dans quelle mesure l'art. 153 al. 2 CC est applicable aux deux sortes de rentes, celle fondée sur l'art. 151 al. 1 CC aussi bien que celle fondée sur l'art. 152 CC, a été longtemps controversée. Un arrêt de juin 199147 a mis fin à cette controverse en admettant que les deux types de rentes étaient sujettes à réduction ou suppression, en cas notamment d'amélioration importante, durablè et non prévisible au moment du jugement de divorce, de la situation du bénéficiaire.

46 Deschenaux, p. 129. Cf. arrêt Cour d'appel bernoise du 25.6.1985, RJB 123/1987 236 (les exigences sont moins sévères dans le cadre de mesures provisoires, p.

238).

47 ATF 11711211, confirmé in ATF 117 Il 359.

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Le Tribunal fédéral s'est demandé si ces principes pouvaient être appliqués au concubinage. Il a reconnu qu'un concubinage stabilisé au sens de la jurisprudence remplirait ces conditions, mais a considéré que dans cette hypothèse la rente devait être supprimée48La possibi- lité d'appliquer l'art. 153 al. 2 CC a donc été refusée dans ce contexte.

Cet arrêt soulève un intéressant problème quant à la hiérarchie des moyens dont dispose le juge (interprétation, comblement, correction de la loi). Le débat relatif au champ d'application de l'art. 153 al. 2 CC relève véritablement de l'interprétation de la loi: quel sens donner aux mots "pension alimentaire", "à titre de secours"? Quel est le rapport entre les rentes des art. 151 et 152 CC? Pourquoi la diminution ne serait-elle possible que pour les rentes de l'art. 152 CC, alors que cel!es de l'art. 151 CC ont aussi une composante de secours? Ainsi dans la mesure où l'interprétation de l'art. 153 al. 2 CC conduit à admettre son application aux rentes prononcées sur la base de l'art 151 al. 1 CC, il s'agit d'une application directe de la loi, après interpréta- tion. Si la situation du concubinage correspond aux conditions posées par la jurisprudence d'une amélioration importante, durable et non pré- visible, de la situation de la bénéficiaire, l'art. 153 al. 2 CC s'applique directement et doit prévaloir sur les moyens subsidiaires que consti- tuent le comblement de la lacune ou la correction de la loi.

Dans le cadre de l'application de l'alinéa 2 de l'art. 153 CC, les pro- blèmes que le Tribunal fédéral cherche à résoudre en appliquant par analogie l'alinéa 1 demeurent: à quelles conditions un concubinage conduit-il à une amélioration importante de la situation de la femme divorcée, dans quelles circonstances cette amélioration est-elle durable?

Les difficultés de preuve sont également semblables. C'est la situation financière du concubin qui permettrait d'apprécier si celle de l'épouse divorcée est meilleure. Or, le concubin est un tiers dans Je procès opposant les ex-époux. Cela étant, l'écoulement d'un certain temps devrait permettre de déterminer si les conditions de l'art. 153 al. 2 CC sont réalisées.

Autre problème, celui de la conséquence juridique prévue par l'art.

153 al. 2 CC. Il autorise le juge à supprimer ou réduire la pension, deux conséquences mal accordées au caractère juridique précaire et non définitif du concubinage. Une possibilité est offerte par un arrêt du

48 ATF 117 Il 359, 364-365: .. Diesfalls sind jedoch die Voraussetzungen 9egeben, um die Scheidungsrente ganz aufheben zu lassen". Solution confirmée dans le résumé que fait SJ 1992 252 de l'ATF 116 Il 494.

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Tribunal fédéral de 192549. Dans cet arrêt, considérant qu'il fallait tenir compte de ce que les circonstances justifiant la suppression ou la réduction de la rente pouvaient avoir de passager ou de provisoire, le Tribunal fédéral a admis la suppression de la rente jusqu'au jour où la recourante, atteinte de démence paranoïde en état de rémission, retom- berait dans un état aigu et ne parviendrait plus à subvenir à ses besoins. La jurisprudence a donc prévu, dans un cas similaire, la pos- sibilité de suspendre la rente.

L'art. 153 al. 2 CC, ainsi interprété, est susceptible de trouver appli- cation dans l'hypothèse où le concubinage entraîne une amélioration importante, durable et non prévisible de la situation du bénéficiaire, avec pour conséquence envisageable, la suspension de la renteso.

c) Une autre disposition parfois évoquée par la jurisprudence et la doctrine est l'art. 156 CO. Cet article figure au Titre IVème Chap. II

"Des obligations conditionnelles". Il prévoit que "la condition est réputée accomplie quand l'une des parties en a empêché l'avènement au mépris des règles de la bonne foi". Selon la doctrine, cette disposition est une concrétisation de l'interdiction de l'abus de droit (art. 2 al. 2 CC). Le remariage serait la condition réputée avenue si les concubins y renonçaient au mépris des règles de la bonne foi. L'application de l'art. 156 CO arriverait au même résultat que celle de l'art. 153 al. 1 CC par analogie, c'est-à-dire la suppression de la rente.

Je vois deux objections à l'application de l'art. 156 CO. Première- ment, une partie de la doctrine nie que l'art. 156 CO soit applicable aux conditions potestatives51 . Le remariage en serait une. TI est vrai que le Tribunal fédéral et certains auteurs admettent l'application de l'art. 156 CO aux conditions potestatives52. Deuxièmement et surtout, il est contesté que cette disposition, applicable notamment à un contrat dont la résolution est subordonnée à l'arrivée d'un événement incertain (art. 154 al. 1 CO), soit transposable à une situation de droit du divorce53. En effet, si l'art. 156 du Code des obligations était appli-

49 ATF 51 1113.

50 Un arrêt de la Cour d'Appel bâloise du 14.2.86, cause R. Th. contre H.M. Th.-K .. in BJM 1987 142, 145, se fonde sur cette ancienne jurisprudence du Tribunal fédéral pour justifier la solution de la suspension de la rente.

51 Bucher, p. 513: GauchtSchluep, 4ème éd., p. 321 n. 2665, moins absolus: Sème éd., p. 373 n. 4148.

52 ATF 117 Il 273, JT 1992 1290, 297 ss; Secrétan, p. 351 SS, 357 SS.

53 Rey, p. 4-5.

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cable à une matière du Code civil, ce serait par renvoi de l'art 7 CC.

Or dans ce cadre, il y a toujours lieu de vérifier si l'application d'une certaine disposition du Code des obligations est bien idoine. Il faut ainsi se garder de transposer sans autres un principe juridique à une situation qu'il n'est à l'origine pas destiné à régler54• A mon avis, l'art.

156 CO n'est pas une disposition idoine en l'espèce. Et ce, pour les mêmes motifs que ceux qui me conduisent à réfuter l'application par analogie de l'art. 153 al. 1 CC. Nous y reviendrons en examinant le raisonnement fondé sur le comblement de la lacune.

En conclusion, sont directement applicables les art. 145 al. 2 CC en ce qui concerne les mesures provisionnelles et l'art. 153 al. 2 CC, à condition de l'interpréter de manière extensive. L'application de l'art.

156 CO peut être rejetée.

2. Interprétation de l'art. 153 al. 1 CC

Toujours dans la première étape, il reste à se demander si l'on peut trouver une solution au problème par interprétation de l'art. 153 al. 155. Il faut ainsi examiner s'il est possible d'appliquer directement l'art 153 al. 1 CC, en interprétant la notion de remariage.

On pourrait être tenté de soutenir que vu l'évolution des moeurs, le concubinage est devenu un mode de vie tellement répandu56, prépon- dérant par rapport au mariage, qu'il se justifie d'interpréter l'art. 153 de manière objective actualisante57 et d'en proposer une relecture qui rende cette disposition adéquate à la situation sociale d'aujourd'hui, profondément différente de celle qui prévalait au début du siècle.

Selon la jurisprudence, "la loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre( ... ). Toutefois, si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, il faut alors rechercher quelle est la véritable portée de la nonne, en la dégageant de tous les élé- ments à considérer, soit notamment des trav~ux préparatoires, du but

54 Meier·Hayoz n. 50 ss. 63 ad art. 7 CC. Pour une illustration de cette problématique. cf. ATF 118 111, 5. Autre exemple: ATF 107 Il 396, JT 1983 1 66, 68 (applicabilité de l'art. 43 al. 2 CO à l'art. 151 CC).

55 Admet que la solution repose sur une interprétation de l'art. 153 al. 1 CC: Kehl- Zeller, p. 40 ss.

56 Dans ce sens, Favre, p. 287, écrit: ·ouanc à !"union libre, dont le contenu est le même que celui du mariage et qui en diffère uniquement par la forme ou plutôt par l'absence de forme, la raison voudrait qu'on lui donne, sous réserve de la vocation successorale, le même statut qu'au mariage. La seule difficulté se situe au niveau de la preuve. Elle n'est pas plus insurmontable qu'en matière de fiançailles·.

57 ATF 116 la 359, JT 1992 198, 105 ss. Perrin, SJ, p. 616 ss et arrêts cités.

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de la règle, de son esprit ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales"ss.

Le texte de l'art. 153 al. 1 CC est apparemment clair: le terme de

"remariage" ne prête pas à confusion. Il s'agit bien de ce lien entre un homme et une femme qui se noue selon la forme prescrite aux art. 105 à 119 CC. L'examen de la ratio legis de l'art. 153 al. 1 CC confirme cette interprétation. Si cette disposition fait cesser la rente en cas de remariage, c'est parce que l'ex-époux remarié acquiert à nouveau le droit à l'entretien et de manière plus générale tous les droits attachés au statut de personne mariée59 , donc qu'il n'a plus besoin de l'assis- tance de son précédent conjoint.

Devant un sens clair de la loi, l'interprète ne peut aller plus loin dans le raisonnement:

A l'issue de cette première phase, celle de l'application de la loi, après interprétation, il apparaît que les art. 145 al. 2 et 153 al. 2 CC sont de nature à fournir des éléments de solution, la première disposi- tion pour ce qui est des mesures provisoires, la seconde de manière plus générale en ce qui concerne le sort de la rente après divorce en cas de concubinage, pour autant qu'elle soit interprétée de manière exten- sive.

C. La lacune et son comblement éventuel

Dans ce cadre, il s'agit en premier lieu de déterminer si lacune il y a. Dans l'affirmative et en l'absence de coutume, la lacune doit être com- blée, conformément à l'art. 1 al. 2 CC.

1. La lacune

Dans l'hypothèse où, contrairement à la jurisprudence du Tribunal fédéral, on admet que l'art. 153 al. 2 CC est susceptible de régler l'état de fait du concubinage, il est clair qu'il n'y a pas de lacune. Dans le cas contraire! puisque l'état de fait du concubinage n'est pas non plus visé par l'art. 153 al. 1 CC, il faut se demander si la loi contient une lacune.

58 ATF 113 Il 406. 41 O. Cf. sur œne question, Perrin. p. 243 ss.

59 ATF 106111, JT 1980 1542, 544. l'ATF 11611394 397 considère au contraire que la raison d'être de œne suppression réside dans le fait qu'on ne peut pas exiger ("zumuten") de l'ex-mari qu"il continue à entretenir son ex-épouse vivant dans une union durable et exclusive avec un nouveau partenaire.

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Sans faire une véritable théorîe de la lacune, j'aîmerais mettre en évidence les deux couples de notions opposées qui sont ici néces- saires: la lacune par opposition au silence qualifié et la lacune véri- table par opposition à la lacune imparfaile.

La loi présente une lacune, une véritable lacune que le juge doit combler, lorsqu'elle laisse sans réponse une question juridique qui se pose inévitablement60. Ainsi si elle institue une action, mais n'en indique pas le for61, fixe un délai, mais n'en détermine pas le point de départ, etc. Face à un silence de la loi, il faut cependant se garder de conclure trop rapidement à l'existence d'une lacune. II se peut en effet que la loi ne s'exprime pas positivement sur une question parce qu'elle a entendu la résoudre négativement. Elle se tait alors en apparence, parce qu'elle règle exhaustivement une situation, qu'elle énumère com- plètement les conditions d'application d'une norrne62. Dans ce cas, il y a silence qualifié63 pour ce qui concerne les questions non visées par la norme.

60

61 62 63

Pour la définition de la lacune, cl. Deschenaux. p. 90; Du Pasquier, p. 19; Meier- Hayoz, n. 251 ss ad art. 1 CC; For.stmoser/Sch/uep, p. 373 N. 40.

La nouvelle loi fédérale sur le droit international privé fournit un bel exemple de

lacune véritable, en ne prévoyant aucune disposition relative à la révision des sentences arbitrales (ATF 118 11199, SJ 1992 453).

Autres exemples: ATF 116 la 461, 464 ss, concernant la loi vaudoise sur les améliorations foncières; cette loi ne contient aucune disposition sur le délai et le point de départ de la prescription des prétentions en dommages·intérêts des propriétaires co'ntre le Syndicat d'améliorations foncières en raison des dégâts causés aux fonds par 1·exécution de travaux (construction de chemins, pose de collecteurs d'assainissement, etc.); ATF 114 lb 261, 267 ss.

ATF 114 lb 261, 267.

Deschensux, p. 90 et 91.

Le nouveau droit de la personnalité contient un exemple de silence qualifié (ATF 116 Il 1, 4 ss. Cl. sur ce sujet, Tercier, p. 221, n. 1669). En matière de droit de réponse, 1·art. 28 1 CC prévoit la possibilité de recourir au juge si l'entreprise empêche l'exercice du droit de réponse. Cette disposition ne précise en revanche pas le délai dans lequel l'auteur de la réponse doit s'adresser au juge. Le Tribunal fédéral se fonde sur les travaux préparatoires pour admettre que le législateur a consciemment omis de fixer ce délai dans la loi, étant donné qu'il dépend essentiellement des circonstances. Il y a un silence qualifié quant à ce problème. Le juge ne saurait donc par la voie du comblement de la lacune introduire un tel délai.

Exemple de lacune par opposition à un silence qualifié: ATF 109 Il 130, JT 1984 1 43, 46-48, concernant l'art. 686 al. 4 aCO qui prévoit que l'inscription sur le registre des actions d'une société anonyme ne peut être refusée lorsque ces actions ont été acquises par succession, en vertu du régime matrimonial ou dans une procédure d'exécution. Qu'en est-il de la fusion? Le Tribunal fédéral admet une lacune de la loi qu'il comble en appliquant l'art. 686 al. 4 aCO par analogie.

Cl. le commentaire d'A. Heritier Lachat, p. 127 ss. La question n·a apparemment pas été résolue par le nouveau droit de la SA. L'art. 685 d al. 3 CO (actions nominatives cotées en bourse) mentionne les hypothèses de la succession, du partage successoral, du régime matrimonial, les art. 685 al. 1 et 685 b al. 4 CO

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La lacune imparfaite (ou improprement dite, "unechte Lücke") n'est pas une lacune véritable ("echte Lücke")64, elle est un défaut, une erreur qu'on reproche au législateur. Elle peut notamment se pro- duire lorsque les circonstances se sont modifiées depuis la promulga- tion de la loi de sorte que la disposition ne donne manifestement plus satisfaction et que son application peut constituer un abus de droit La jurisprudence et la doctrine rattachent la théorie des lacunes impropre- ment dites à l'abus de droit, l'art. 2 al. 2 CC dans sa fonction correc- trice. Le juge n'a la compétence de corriger la loi qu'aux conditions de l'abus de droit65. C'est au législateur qu'il appartient de l'adapter aux circonstances nouvelles.

La notion de lacune imparfaite en tant que telle est critiquée66• Elle mérite cependant d'être conservée pour deux raisons au moins. Premiè- rement, les deux types de lacunes connaissent un traitement juridique différent: la véritable lacune est comblée conformément à l'art. 1 al. 2 CC, alors que la lacune imparfaite ne peut être corrigée qu'aux condi- tions extrêmement restrictives de l'abus de droit (art. 2 al. 2 CC). En second lieu, cette distinction permet de mieux définir, par opposition, ce qu'est une véritable lacune.

Meier-Hayoz67 fournit un critère de distinction entre ces deux sortes de lacune qui est apparemment simple: si la loi ne fournit aucune réponse, elle contient une lacune véritable. Si elle fournit une réponse insatisfaisante, il s'agit d'une lacune improprement dite68_69.

(actions nominatives non entièrement libérées, actions nominatives non cotées en bourse) ajoute celle de l'exécution forcée. Nulle mention de la fusion. Est-ce à dire que le nouveau droit contient un silence qualifié?

64 Du Pasquier, p. 19 ss: ForstmoserlSchluep, p. 375 N. 58.

65 ATF 117 11523. 527; 115 Il 272. 275; 114 Il 353, 356 c. 1 c). Deschenaux. p. 94 ss; Meier-Hayoz, n. 275 ss ad art. 1 CC: Forstmoser/Schluep, p. 379 ss.

66 Hlifelin, LOckenfüllung, p. 123 ch. 2; Gygi, p. 79 ss. Contra: Riemer, p. 55 n. 90.

67 N. 271 ad art. 1 CC; dans le même sens, Forstmoser/Sch/uep, p. 376 N. 60.

68 Cl. par ailleurs, Caroni, p. 140 ss.

69 Les arrêts relatifs aux excès inévitables du droit de propriété illustrent bien cene problématique. L'art. 679 CC présuppose l'existence de deux situations possibles seulement: soit un propriétaire excède son droit, auquel cas il doit remettre les choses en l'état ou prendre des mesures pour écarter evou réparer le dommage:

soit le propriétaire n'excède pas son droit et son comportement doit être toléré. La loi ne tient pas compte d'une catégorie de situations intermédiaires, celle d'un excès qui est inévitable, donc ne peut être interdit. Après avoir dans un premier temps admis une lacune véritable à ce sujet (ATF 91 Il 100, JT 1965 1 590), le Tribunal fédéral, sensible aux critiques de Meier-Hayoz, n. 2221224 ad arl. 684 CC, hésite sur la qualification de lacune véritable ou non. Il met en doute la validité de son premier argument, selon lequel on pouvait à peine envisager cene lacune de la loi lors de l'entrée en vigueur du CC, mais qu'elle est apparue

(24)

En ce qui concerne la suppression de la rente après divorce, l'alterna- tive est la suivante: soit il y a une lacune véritable que le juge doit combler conformément à l'art. 1 al. 2 CC, soit il y a un silence qualifié de la loi, .une lacune imparfaite et, le cas échéant, correction selon l'art.

2al. 2CC.

Une partie de la doctrine70 voit dans notre cas un problème de lacune imparfaite, donc d'abus de droit. En revanche, la solution pré- conisée par le Tribunal fédéral, l'application par analogie de l'art. 153 al. 1 CC, implique l'existence d'une véritable lacune comblée par la voie d~ l'analogie (art. 1 al. 2 CC)71

Je me bornerai à indiquer quelques arguments en faveur d'une thèse puis de l'autre, sans trancher définitivement. Quoi qu'il en soit, le même résultat peùt être atteint par les deux voies.

En faveur de la lacune proprement dite, il faut relever que le concu- binage est actuellement un fait social important. La loi n'en tient pas compte parce que le législateur historique, Eugène Huber, ne pouvait prévoir au début de ce siècle que le concubinage prendrait l'importance SQCiale qu'on lui connaît depuis quelques décennies. C'est pourquoi le Code civil omet de régler un problème, le concubinage, qui doit néces- sairement l'être.

Deux arguments peuvent être opposés à cela.

Premièrement, depuis que le problème s'est posé dans différents contextes, la tendance a toujours été d'ignorer le concubinage, de ne pas l'assimiler au mariage et d'éviter de le régler comme tel72• Cela est si vrai que l'avant-projet de modification du Code civil actuellement en discussion (texte du 3-1.01.92) prévoit que la rente peut être dimi- nuée, supprimée ou suspendue si la situation du créancier change

toujours plus nettement au cours des décennies à la suite du développement des méthodes de construction mécanique et en raison de l'occupation toujours plus fréquente du sol public (JT cité, p. 596, remis en question dans l'ATF 114 11230, JT 1989 1 144, 148, 149). la modification des circonstances depuis l'adoption de

la loi indiquerait en effet plutôt l'existence d'une lacune imparfaite.

70 Hinderling, p. 145; Bühler!Spühler n. 23 ad art. 153 CC; Riemer, p. 53 N 86 a;

Caroni, p. 143 ss.

71 Dans le même sens, Schnyder, RJB 12111985 85 ss. Oeschenaux!Tercier, p. 130 no 680, proposent cette voie romme une alternative sans prendre parti.

72 la non assimilation du concubinage au mariage semble être un principe au vu duquel la solution apportée par le Tribunal fédéral en matière de rentes après divorce ne laisse pas de surprendre. Cf. Hausheer, p. 99.

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