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Le principe de collégialité dans le contentieux de l’Union européenne

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Le principe de collégialité devant le juge de l’Union européenne Eleftheria Neframi

Professeur à l’Université Paris 13 PRES Sorbonne Paris Cité, Chaire Jean Monnet

Si la collégialité est souvent abordée sous l’angle de son application aux juridictions, la présente contribution ne traitera pas de la formation collégiale des juridictions de l’Union européenne. Le contentieux de l’Union ne laisse pas de place aux opinions dissidentes et réserve un rôle limité au juge unique1. En outre, dans le cadre de l’invocabilité du droit à un procès équitable à l’égard du juge de l’Union, il est considéré que la collégialité est réputée neutraliser le risque de partialité d’un membre de la formation. La Cour de justice a estimé que le fait que le même juge présent dans les deux formations successives du Tribunal de l’Union se soit vu confier les fonctions de juge rapporteur "est par lui-même sans incidence sur l’appréciation du respect de l’exigence d’impartialité dès lors que lesdites fonctions sont exercées dans une formation collégiale"2. En revanche, c’est dans le cadre de l’exercice de son contrôle que le juge de l’Union érige la collégialité en principe du droit administratif européen et en précise la portée. C’est ainsi le traitement contentieux du principe de collégialité qui retiendra notre attention.

Plus précisément, la collégialité en droit de l’Union européenne concerne la Commission européenne. L’article 17§8 du traité sur l’Union européenne, relatif à la responsabilité de la Commission devant le Parlement européen, fait référence à la Commission en tant que collège. C’est ainsi collectivement que les membres de la Commission doivent démissionner de leurs fonctions en cas d’adoption d’une motion de censure. Par ailleurs, l’article 250 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ancien article 219 CE) prévoit que les délibérations de la Commission sont acquises à la majorité de ses membres. C’est cette disposition qui, selon la jurisprudence, établit le principe de collégialité. Celui-ci se concrétise dans l’article 1er du règlement intérieur de la Commission3, selon lequel "la Commission agit en collège conformément aux dispositions du présent règlement intérieur".

La collégialité est ainsi premièrement une modalité de fonctionnement de la Commission européenne. Il s’agit d’une règle de droit dont le respect relève du contrôle par le juge de l’Union de la légalité externe des actes adoptés par les institutions. Si la collégialité régit toute action de la Commission, y compris l’élaboration des propositions d’actes législatifs, c’est surtout dans le cadre du contrôle des actes non-législatifs, adoptés par la Commission dans les cas d’administration directe, que le moyen relatif à son respect est susceptible de mettre en question la présomption de validité de l’acte attaqué. La collégialité paraît ainsi comme une règle du droit administratif européen, concernant le fonctionnement d’une institution identifiée à l’administration européenne4.

La collégialité n’est cependant pas uniquement une règle de procédure. Elle exprime l’exigence d’impartialité, qui constitue le noyau dur du principe de bonne administration.

Malgré l’incertitude sur l’existence autonome d’un tel principe5, l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne consacre le droit à une bonne administration, qui

1 V. C. PARISI, "L’extension du système de juge unique en Europe", Revue international de droit comparé, n°3/2007, p. 647 et s.

2 CJCE, 1er juillet 2008, Chronopost SA c/ Commission, C-341/06 P et C-342/06 P, Rec. p. I- 4777, pt 53.

3 JO, n° L 55 du 5 mars 2010.

4 P. CRAIG, EU Administrative Law, Oxford University Press, 2006, p. 31 et s. J-P. JACQUE, "Pouvoir législatif et pouvoir exécutif dans l’Union européenne", in -B Auby, J. Dutheil de la Rochère (dir), Droit administratif européen, Bruylant ; 2007, p. 25 et s. D. RITLENG, "L’identification de la fonction exécutive dans l’Union", in J. Dutheil de la Rochère (dir), L’exécution du droit de l’Union, entre mécanismes communautaires et droits nationaux, Bruylant, 2009, p. 27 et s.

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signifie que "toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l’Union". Or, l’impartialité dans l’action de la Commission présuppose le respect de la collégialité. La collégialité est ainsi une règle protectrice des administrés et le juge de l’Union est appelé à garantir son respect dans le but d’une protection juridictionnelle effective. La collégialité s’inscrit dans le cadre plus large de l’exigence d’une bonne administration, exprimée dans l’article 298§1 TFUE6, considéré comme le fondement du principe de bonne administration et concrétisé dans la Charte des droits fondamentaux7. C’est le rattachement de la collégialité au droit à une bonne administration qui justifie son statut de principe du droit administratif européen, de droit procédural relevant du contrôle du juge et s’inscrivant dans la balance des intérêts au profit de la protection des administrés8. Dans cette approche, le principe de collégialité enrichit le droit à une bonne administration, contribuant à la considération de la bonne administration comme un principe autonome, même si celui-ci est en même temps l’expression de principes spécifiques, tels le principe de transparence ou l’exigence de motivation. Le rattachement implicite de la collégialité au principe de bonne administration permet au juge d’interpréter la règle procédurale de manière à assurer l’effectivité du droit à une bonne administration9.

La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne sera présentée sous l’angle du rattachement de la collégialité à la bonne administration. Nous traiterons d’abord du principe de collégialité en tant que forme substantielle (I), pour l’aborder ensuite en tant que droit subjectif des administrés (II).

I. Le principe de collégialité comme forme substantielle

La violation de la collégialité constitue un vice de procédure qui conduit à l’annulation de la décision adoptée. La violation de la collégialité peut également être invoquée comme exception d’irrecevabilité dans le cadre de la procédure en manquement. La collégialité étant une forme substantielle dans l’objectif de protéger les intéressés, bénéficiant d’une source matérielle spécifique, elle exprime la règle d’impartialité et acquiert le statut de principe par son traitement contentieux. Le juge européen se réfère en effet à la collégialité pour encadrer et sanctionner l’action de la Commission, ce qui est une caractéristique des principes10. Le principe de collégialité s’inscrit implicitement dans le cadre du principe de bonne administration. Certes, le principe de collégialité trouve un fondement juridique propre et spécifique. Mais le principe de bonne administration étant conçu comme embrassant la collégialité, dans le sens de l’impartialité, le rattachement permet de justifier le caractère

5 L. AZOULAI, "Le principe de bonne administration", in J-B Auby, J. Dutheil de la Rochère (dir), Droit administratif européen, Bruylant ; 2007, p. 493 et s. D. SIMON, "Le principe de bonne administration ou la bonne gouvernance concrète", in Le droit de l’Union européenne en principes, Liber amicorum en l’honneur de Jean Raux, Rennes, Apogée, 2006, p. 155 et s. Le juge de l’Union a explicitement qualifié le droit à une bonne administration de principe général du droit dans l’affaire Max.Mobil Telekommunikation. TPICE, 30 janvier 2002, Max.Mobil Telekommunikation Service GmH c/ Commission, T-54/99, Rec. p. II-313, pt 48. CJCE, 22 février 2005, Commisszion c/ T-Mobile Autria GmbH, C-141/02 P, Rec. p. I-1283, pt 72.

6 Selon cette disposition, "dans l’accomplissement de leurs missions, les institutions, organes et organismes de l’Union s’appuient sur une administration européenne ouverte, efficace et indépendante".

7 E. CHEVALLIER, Bonne administration et Union européenne, Thèse, Université de Limoges, 2010, p. 173.

8 J. SCHWARZE, Droit administratif européen, Bruxelles, Bruylant, 2009, p. 159.

9 Il s’agit en effet de la conséquence du recours aux principes généraux, qui sont utilisés par l’interprète afin de renforcer l’effectivité d’une règle. V. J. BENGOETXEA, "Is Direct Effect a General Principle of European Law ?", in U. Bernitz, J. Nergelius, C. Cardner, General Principles of EC Law in a Process of Development, Wolters Kluwer, 2008, p. 20.

10 C. BLUMANN, "Objectifs et principes en droit communautaire", in Le droit de l’Union européenne en principes, Liber amicorum en l’honneur de Jean Raux, Rennes, Apogée, 2006, p. 39 et s.

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fondamental du principe de collégialité, qui justifie son traitement contentieux. La jurisprudence précise la portée du principe (A) et son statut contentieux (B).

A. La portée du principe de collégialité

Selon une jurisprudence constante du juge de l’Union, le fonctionnement de la Commission est régi par le principe de collégialité. Le principe repose sur l'égalité des membres de la Commission dans la participation à la prise de décision et implique notamment que les décisions soient délibérées en commun et que tous les membres du collège soient collectivement responsables, sur le plan politique, de l'ensemble des décisions arrêtées11.

Le principe de collégialité couvre la motivation de l’acte adopté. Selon l’arrêt de la Cour de justice Commission c/ BASF, le dispositif et motifs d'une décision, qui doit être obligatoirement motivée en vertu de l’article 296 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ancien article 253 CE) constituent un tout indivisible, de sorte qu'il appartient uniquement au collège des membres de la Commission, en vertu du principe de collégialité, d'adopter à la fois l'un et les autres, toute modification des motifs dépassant une adaptation purement orthographique ou grammaticale étant du ressort exclusif du collège12.

Le Tribunal a considéré que les affirmations des parties intervenantes au soutien d’une décision de la Commission en matière de concurrence ne sont pas couvertes par le principe de collégialité et ne sauraient pallier le défaut de motivation dont serait entachée la décision13. Même si les affirmations des intervenants justifient la décision adoptée, la motivation doit figurer sur le texte de l’acte, en vue d’un contrôle juridictionnel effectif.

Le Tribunal a de même annulé pour défaut de motivation une décision de la Commission en matière d’aides d’Etat, considérant que c’est le collège des membres de la Commission qui exerce le pouvoir spécifique de se prononcer sur la compatibilité des aides d’Etat avec le marché intérieur. L’argumentation présentée par les agents de la Commission devant le Tribunal ne saurait remédier à l’insuffisance de la motivation de la décision attaquée14.

Toutefois, le principe de collégialité n’est pas incompatible avec le recours à l’habilitation et les délégations de signature. En effet, les mesures de gestion ou d’administration peuvent être adoptées sur habilitation, seules les décisions de principe doivent être adoptées par la Commission en collège. Le juge de l’Union considère en outre que les délégations de signature constituent le moyen normal par lequel la Commission exerce ses compétences15.

Le juge de l’Union devra ainsi déterminer si une mesure adoptée par dérogation au principe de collégialité constitue effectivement une mesure d’exécution. Toutefois, l’intérêt de la question sera renouvelé dans la mesure où la catégorie des actes délégués, introduite par le traité de Lisbonne (article 290 TFUE) se place entre l’adoption de nouvelles normes et l’exécution de l’acte législatif de base.

Dans la jurisprudence existante, le recours à l’habilitation est admis uniquement pour ce qui concerne les actes d’exécution. Ainsi, le principe de collégialité est invoqué par Chypre16

11 CJCE, 23 septembre 1986, AKZO Chemie c/ Commission, 5/85, Rec. p. 2585, pt 30. CJCE, 21 septembre 1989, Hoechst c/ Commission, 46/87 et 227/88, Rec. p. 2859. CJCE, 15 juin 1994, Commission c/ BASF, C-137/92 P, Rec. p. I-2555, pt 63. CJCE, 29 septembre 1998, Commission c/ République fédérale d’Allemagne, C-191/95, Rec. p. I-5449, pt 39. CJCE, 13 décembre 2001, Commission c/ France, C-1/00, Rec. p. I-9989, pt 79. Trib. UE, 25 juin 2010, Imperial Chemical Industries c/ Commission, T-66/01, Rec. p. II-2631, pt 175.

12 CJCE, 15 juin 1994, C-137/92 P, Rec. p. I-2555, pts 66-68. V. aussi, TPICE, 18 janvier 2005, Confédération nationale du Crédit mutuel c/ Commission, T-93/02, Rec. p. II-143, pt 124.

13 TPICE, 25 juin 1998, British Airways plc c/ Commission, T-371/94 et T-394/94, Rec. p. II-2405, pt 118.

14 TPICE, 18 janvier 2005, Confédération nationale du Crédit mutuel c/ Commission, T-93/02, Rec. p. II-143.

15CJCE, 11 octobre 1990, FUNOC c/ Commission, C-200/89, Rec. p. I-3669, pts 13-14. TPICE, 7 novembre 1997, Azienda Agricola «Le Canne» Srl c/ Commission, T-218/95, Rec. p. II-2055, pt 36.

16TPICE, 2 octobre 2009, République de Chypre c/ Commission, T-300/05 et T-316/05, Rec. p. II-192*.

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et l'Estonie17 dans le cadre d'un recours en annulation à l'encontre du règlement n°832/2005, établissant de mesures transitoires à l'égard des nouveaux Etats membres, en matière agricole.

Le Tribunal estime que, si la Commission a habilité trois de ses membres à adopter le règlement litigieux sans consulter le collège, elle n'a pas méconnu le principe de collégialité.

Il est rappelé que "le recours à la procédure d’habilitation pour l’adoption de mesures de gestion ou d’administration est compatible avec le principe de collégialité"18. De plus, "un tel système d’habilitation apparaît nécessaire, compte tenu de l’augmentation considérable du nombre des actes décisionnels que la Commission est appelée à prendre, pour mettre celle-ci en mesure de remplir sa fonction"19. En l'espèce, le règlement n° 832/2005 est considéré comme une mesure de gestion ou d’administration et non comme une décision de principe.

Malgré sa nature normative, il a pour seul but de déterminer les excédents de certains nouveaux États membres selon la procédure fixée à cet égard dans le règlement nº 60/2004, dont il constitue un acte d’exécution. Le Tribunal estime qu'effectuer un tel calcul ne peut être considéré comme une décision de principe. Le juge affirme que "la Commission doit, dans le respect du principe de collégialité, se voir reconnaître le pouvoir de confier à certains de ses membres la tâche de réaliser un exercice comptable, si complexe soit-il, en vue de déterminer les quantités d’un produit agricole donné existant sur le territoire de certains États membres, sous peine de porter sérieusement atteinte à sa capacité à gérer de façon efficace la politique agricole commune, domaine nécessitant une gestion simultanée et rapide des informations relatives aux productions, aux réserves et à d’autres variables résultant d’exercices de calcul", tels que ceux effectués en l’espèce20.

Dans l’affaire Maja c/ Commission21, le Tribunal considère que l’habilitation du membre de la Commission responsable de la pêche à adopter les décisions relatives à la suppression des concours financières ne porte pas atteinte au principe de collégialité. Le juge estime que

"la décision attaquée, adoptée dans le cadre du contrôle de l'exécution d'un projet pour lequel le bénéficiaire a obtenu, sous conditions, des subventions, constitue un acte d'administration et de gestion du système de concours financier, instauré par le règlement n° 4028/86. Le fait que cette décision, qui supprime un concours préalablement octroyé, peut entraîner des conséquences graves pour la requérante (…) n'est pas susceptible de remettre en cause cette appréciation"22.

Dans l’affaire Autriche c/ Conseil23, la Cour de justice a reconnu la possibilité de modification d’une proposition de règlement de la Commission par le commissaire habilité, lorsque la modification porte sur de questions de nature technique. La Cour rappelle que, selon l’article 13 du règlement intérieur de la Commission, celle-ci peut charger un ou plusieurs de ses membres, en accord avec le président, d'adopter le texte définitif d'une proposition à soumettre aux autres institutions, dont elle a défini la substance lors de ses délibérations. En l’espèce, l’habilitation donnait au commissaire compétent le pouvoir de modification de la proposition au cas où un compromis obtiendrait le soutien de la majorité qualifiée du Conseil, ce qui s’est produit. En outre, la modification portait sur l’application de la méthode de calcul des écopoints pour les camions de marchandises en transit à travers l’Autriche, aspect technique et sur lequel les avis des Etats membres divergeaient.

17TPICE, 2 octobre 2009, République d’Estonie c/ Commission, T-324/05, Rec. p. II-192*.

18 T-300/5 et T-316/05, pt 213; T-324/05, pt 67.

19 T-300/5 et T-316/05, pt 214; T-324/05, pt 68.

20 T-300/5 et T-316/05, pt 224. La position du Tribunal est confirmée par la Cour de justice : CJUE, 23 mars 2011, République d’Estonie c/ Commission, C-535/09P.

21 TPICE, 12 mars 2003, Maja Srl c/ Commission, T-254/99, Rec. p. II-757.

22 Point 43.

23 CJCE (ord), 23 février 2001, République d’Autriche c/ Conseil, C-445/00 R, Rec. p. I-1461.

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Dans le domaine des aides d’Etat, le Tribunal de l’Union européenne a estimé que les décisions par lesquelles la Commission se prononce sur l’existence d’une aide d’État, sur la compatibilité de celle-ci avec le marché commun et sur la nécessité d’en ordonner la récupération supposent un examen de questions factuelles et juridiques complexes et ne peuvent, en principe, être qualifiées d’actes d’administration et de gestion. Ainsi, c’est uniquement au collègue qu’il appartient d’adopter le dispositif et les motifs de telles décisions24.

Outre les mesures de gestion ou d’administration, un membre de la Commission peut apporter au texte adopté en collège des adaptations purement orthographiques ou grammaticales. D’ailleurs, selon l’article 13 al. 2 du règlement intérieur de la Commission, le collège des membres de la Commission peut charger l’un ou plusieurs de ses membres d’adopter le texte définitif d’une décision dont il a défini la substance lors de ses délibérations.

Dans l’affaire France Télécom c/ Commission25, la requérante considère que, en habilitant le membre chargé des questions de concurrence à procéder à une révision juridico- linguistique du texte final de la décision attaquée et en ne vérifiant pas l’usage fait de cette habilitation, la Commission a violé le principe de collégialité. La requérante fait valoir que la version finale de la décision comporte de modifications importantes à la version approuvée par le collège des membres de la Commission, qui vont au-delà de simples adaptations orthographiques ou grammaticales et qui portent sur des aspects juridiques fondamentaux de la décision attaquée, modifiant son sens. Le Tribunal rappelle qu’il appartient "en principe, au collège des membres de la Commission d’adopter la version définitive des décisions statuant sur l’existence d’aides d’État et sur la compatibilité de celles-ci avec le marché commun. À la suite de cette adoption, seules des adaptations purement orthographiques ou grammaticales peuvent encore être apportées au texte de cette décision, toute autre modification étant du ressort exclusif de ce dernier"26. Il constate en l’espèce que le texte de la décision attaquée divergeait en au moins deux points du projet approuvé par le collège des membres de la Commission. Toutefois, ces divergences ne présentaient pas de caractère substantiel. Il s’agissait de divergences formelles qui n’avaient pas d’incidence sur la portée de la décision attaquée, ce qui a permis au Tribunal de conclure que le membre de la Commission chargé des questions de concurrence n’avait pas excédé les limites de l’habilitation qui lui avait été consentie.

La procédure d’habilitation ne peut pas concerner les décisions d’adoption d’un avis motivé et d’introduction d’un recours en manquement qui doivent être adoptées par la Commission, agissant en collège. Selon la Cour de justice, il n’est pas contesté que de telles décisions sont soumises au principe de collégialité27. En effet, la procédure en manquement constitue l'un des moyens par lesquels la Commission veille à l'application par les États membres du droit de l’Union. Les décisions d'émettre un avis motivé et d'introduire un recours s'inscrivent ainsi dans le cadre général de la mission de surveillance dont la Commission est chargée par les traités28. La décision d'émettre un avis motivé ne saurait être qualifiée de mesure d'administration ou de gestion, et ne peut faire l'objet d'une délégation. La Cour rappelle qu’en émettant l'avis motivé, la Commission exprime sa position formelle à l'égard de la situation juridique de l'État membre concerné et qu’en constatant formellement la violation du traité qui est reprochée à l'État membre concerné, l'avis motivé conclut la procédure précontentieuse. Il en va de même de la décision de saisir la Cour d'un recours en

24 TPICE, 30 novembre 2009, France Télécom SA c/ Commission, T-17/05, Rec. p. II-4315, pt 117.

25 T-17/05, précité, note 24.

26 Point 118.

27 CJCE, 29 septembre 1998, Commission c/ Allemagne, C-191/95, Rec. p. I-5449, pt 34.

28 Ibid. pt 35.

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manquement, qui relève du pouvoir discrétionnaire de la Commission et ne saurait être qualifiée de mesure d’administration ou de gestion29.

B. Le statut contentieux du principe de collégialité

Le principe de collégialité a un statut autonome dans le contentieux de l’Union européenne. Le moyen d’annulation tiré de la violation du principe de collégialité a un contenu bien précis, correspondant à la portée du principe, et ne peut pas comprendre tout vice de procédure. Ainsi, le Tribunal a considéré que le moyen tiré de l’absence de consultation d’un comité consultatif constitue un moyen nouveau, qui ne saurait être produit dans le mémoire en réplique. Un tel moyen ne saurait être considéré comme un développement de celui tiré de la violation du principe de collégialité30.

La violation du principe de collégialité constitue un vice de procédure qui conduit à l’annulation de la décision adoptée. Le non-respect des règles de procédure relatives à l’adoption d’un acte constitue une violation des formes substantielles, au sens de l’article 263, deuxième alinéa, TFUE (ancien article 230 CE), laquelle peut être examinée par le juge de l’Union même d’office. Le Tribunal de l’Union a confirmé que la violation du principe de collégialité constitue un moyen pouvant être soulevé d’office31.

Le vice de procédure consistant dans la violation du principe de collégialité ne peut pas être corrigé par une mesure de régularisation rétroactive, après le dépôt de l’acte introductif d’instance contre la décision qui en serait entachée. Toutefois, le juge admet la possibilité pour la Commission de rétablir, par un corrigendum adopté par le collège de ses membres, le texte de principe approuvé par le collège, au cas où la version finale issue d’une habilitation présenterait de divergences non substantielles. Dans un tel cas, la Commission peut procéder à la notification d’une version consolidée de la décision attaquée intégrant ces rectifications, et ce même après l’introduction du recours32.

Le juge de l’Union reconnait que le moyen d’annulation relatif à la méconnaissance du principe de collégialité peut mettre en doute la présomption de validité des actes de la Commission. Il exige cependant que les requérants invoquent des indices ou des circonstances précises de nature à écarter la présomption de validité dont bénéficient les actes de l’Union33.

Dans le contentieux de la concurrence, la présomption de validité d’une décision de la Commission pourrait être mise en doute au cas où ladite décision serait signée par le membre de la Commission en charge des questions de concurrence34. Le juge exige toutefois que le requérant invoque des indices ou des circonstances précises, de nature à écarter lé présomption de validité, surtout lorsque le texte de la décision indique qu’il s’agit d’une décision de la Commission et qu’il ressort du texte que c’est la Commission qui, considérant les faits et l’appréciation juridique a arrêté la décision. Dans un tel cas, la circonstance que la copie de la décision adressée aux requérants porte le nom du membre de la Commission en charge des questions de concurrence ne constitue pas un indice de ce que la décision a été adoptée en violation du principe de collégialité, ni d’ailleurs la circonstance que la décision ait été adoptée sans discussion au sein du collège35. En l’absence d’un tel indice, il n’appartient pas au juge européen d’ordonner les mesures d’instruction sollicitées36.

29 Ibid. pts 36, 37.

30 TPICE, 14 mai 1998, Cascades SA, c/ Commission, T-308/94, Rec. p. II-925.

31 TPICE, 2 octobre 2009, République de Chypre c/ Commission, T-300/05 et T-316/05, Rec. p. II-192*, pt 205.

32 T-17/05, précité note 24, pt 129.

33 TPICE, 14 mai 1998, Cascades SA, c/ Commission, T-308/94, Rec. p. II-925, pt 68.

34 TPICE, 20 avril 1999, Wacker-Chemie c/ Commission, T-305/94, T-306/94, T-307/94, T-313/94, T-314/94, T- 315/94, T-316/94, T-318/94, T-325/94, T-328/94, T-329/94 et T-335/94, Rec. p. II- 931, pt 305.

35 Ibid. pts 308 et 311.

36 Ibid. pt 310.

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Dans les affaires Solvay 37 et Imperial Chemical Industries38, le Tribunal estime que la reproduction des déclarations de la porte-parole de la Commission dans un communiqué de presse d’une agence de presse, datant de la veille de l’adoption d’une décision à l’encontre de la requérante, en matière de concurrence, ne suffit pas pour mettre en cause le principe de collégialité. Pour le Tribunal il n’y a pas d’indice selon lequel la décision aurait déjà été adoptée la veille de la délibération du collège des commissaires, même si la porte-parole avait annoncé que la Commission adopterait ladite décision. "Le simple fait qu’un communiqué de presse d’une société privée fasse mention d’une déclaration ne présentant aucun caractère officiel ne saurait suffire à considérer que la Commission a violé le principe de collégialité.

En effet, le collège des commissaires n’était aucunement lié par cette déclaration et, lors de sa réunion (…) il aurait donc pu également décider, au terme d’une délibération en commun, de ne pas adopter la décision attaquée"39.

Dans le cadre d’un recours en annulation dirigé contre une décision de réduction par la Commission d’un concours financier, signée par le chef d’unité faisant fonction de la DG responsable de la pêche, le secteur économique bénéficiaire du concours communautaire, le Tribunal a considéré que la requérante n’avait fourni aucune indication permettant d'estimer que la Commission se serait départie de l'observation du principe de collégialité. Le Tribunal a rappelé que les délégations de signature constituent le moyen normal par lequel la Commission exerce ses compétences40.

La présomption de validité des actes du droit dérivé implique que si le principe de collégialité couvre la motivation des actes, celle-ci ne doit pas porter sur le respect de ce principe. La Cour de justice a considéré, dans l’affaire Pays-Bas c/ Parlement et Conseil41, que la justification apparente, dans le texte d’une directive, du respect du principe de collégialité n’est pas nécessaire. L’absence d’une telle justification ne constitue pas un défaut de motivation. La Cour précise que "l'obligation de motivation des directives qui résulte de l'article 190 du traité CE (devenu article 253 CE) (actuel article 296 TFUE) n'a pas pour portée d'imposer que les visas des propositions et avis, mentionnés par le même article, comportent le rappel des circonstances de fait permettant d'établir que chacune des institutions intervenant dans la procédure législative a respecté ses règles de procédure. Ce n'est, en outre, que dans le cas où un doute sérieux existerait sur la régularité de la procédure préalable à son intervention qu'une institution serait fondée à s'en enquérir. Or, il n'est ni démontré ni même allégué que le Parlement ou le Conseil aurait, en l'espèce, eu des raisons valables de penser que la délibération de la Commission sur sa proposition était irrégulière"42.

II. Le principe de collégialité comme droit des administrés

Le principe de collégialité exprimant l’exigence d’impartialité de la Commission, il intègre le noyau dur du droit à une bonne administration. Outre un principe procédural, le principe de collégialité constitue ainsi un droit procédural des administrés43, dont le respect conditionne l’étendue du contrôle du juge (A). Par ailleurs, le droit à une bonne administration embrassant

37 Trib. UE, 17 décembre 2009, Solvay SA c/ Commission, T-57/01, Rec. p. II-4621.

38 Trib. UE, 25 juin 2010, Imperial Chemical Industries Ltd c/ Commission, T-66/01, Rec. p. II-2631.

39 T-57/01, pt 154 ; T-66/01, pt 178.

40 TPICE, Azienda Agricola «Le Canne» Srl c/ Commission, précité, note 15.

41 CJCE, 9 octobre 2001, C-377/98, Rec. p. I-7079.

42 Points 86-87.

43 Dans l’affaire Manuel Grau c/ Commission (TPICE, 6 avril 2006, T-309/03, Rec. p. II-1173) le juge a estimé que la règle d’impartialité vise, outre l’intérêt général, la protection des personnes concernées et leur confère un droit subjectif au respect des garanties correspondantes.

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de principes spécifiques du droit administratif européen, le juge de l’Union est appelé à intégrer le principe de collégialité dans la balance des différents intérêts (B).

A. L’étendue du contrôle du juge

Le contrôle du respect du principe de collégialité incombe tout d’abord à la Commission, qui doit procéder à l’authentification de ses décisions. Il s’agit de l’obligation de la Commission d’identifier avec certitude le texte complet des actes adoptés par le collège. Le juge considère que l'authentification a pour but "d'assurer la sécurité juridique en figeant, dans les langues faisant foi, le texte adopté par le collège, afin que puisse être vérifiée, en cas de contestation, la correspondance parfaite des textes notifiés ou publiés avec le texte adopté et, par là même, avec la volonté de leur auteur"44.

Le contrôle du juge porte ainsi premièrement sur l’authentification comme élément du principe de sécurité juridique. L’absence d’authentification constitue une violation de forme substantielle qui entraîne la nullité de l'acte indépendamment des conséquences concrètes de la violation. Il s’agit en outre d’un moyen soulevé d’office. Le contrôle juridictionnel de l’authentification est indépendant et préalable au contrôle du respect du principe de collégialité45. Ainsi, le défaut d’identification est sanctionné même en l’absence d’indices quant à la méconnaissance du principe de collégialité. La Cour souligne que "l'élément intellectuel et l'élément formel constituant un tout indissociable, la mise en forme écrite de l'acte est l'expression nécessaire de la volonté de l'autorité qui l'adopte"46. Le principe de sécurité juridique exige ainsi que tout acte de l’administration produisant des effets juridiques soit certain notamment quant à son auteur et à son contenu47.

Toutefois, l’adoption formelle d’une décision par le collège et son authentification ne suffisent pas pour témoigner du respect du principe de collégialité. En présence d’indices quant à la méconnaissance dudit principe, le juge européen est appelé à exercer son contrôle dans le but d’une protection juridictionnelle effective du droit à une administration impartiale.

La Cour de justice a jugé que les sujets de droit concernés par les effets juridiques produits par une décision de la Commission sont intéressés par le respect du principe de collégialité48.

Le contrôle du juge porte ainsi sur la régularité de l’exercice de l’habilitation et sur la connaissance réelle par les membres du collège du contenu des éléments à la base de la décision. En d’autres termes, le contrôle du juge ne se limite pas à l’adoption en collège, mais couvre la décision en collège. Le juge vérifie que les actes adoptés expriment effectivement la volonté du collège, qui en assume la responsabilité politique.

Afin de prouver le respect effectif du principe de collégialité lors du processus décisionnel, la Commission doit produire devant la Cour de justice ou le Tribunal les procès-verbaux de ses réunions, ainsi que les documents qui y sont mentionnés. Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, le juge ordonne à la Commission de produire ces documents.

Toutefois, les décisions de la Commission bénéficiant d’une présomption de validité, il faut que le requérant produise les indices de violation du principe de collégialité (v. supra sous IB).

L’étendue du contrôle du juge est fonction des effets des actes adoptés à l’égard des administrés et de la protection juridictionnelle dont ceux-ci ont besoin. En cas d’adoption des actes qui visent directement les particuliers, qui constatent une infraction, contiennent des

44 CJCE, 15 juin 1994, Commission c/ BASF, C-137/92 P, Rec. p. I-2555, pt 75. CJCE, 6 avril 2000, Commission c/ Solvay SA, C-287/95 P et C-288/95 P, Rec. p. I-2391, pt 20.

45 C-287/95 P et C-288/95 P, précité note 44, pt 50.

46 C-137/92 P, précité note 44, pt 70. C-287/95 P et C-288/95 P, précité note 44, pt 42.

47 C-287/95 P et C-288/95 C, pt 49.

48 C-137/92 P, précité note 44, pt 64. CJCE, 29 septembre 1998, Commission c/ Allemagne, C-191/95, Rec. p. I- 5449, pt 40.

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injonctions et infligent des sanctions, le juge est plus exigent. Ainsi, dans le domaine de la concurrence, les entreprises ou les associations d'entreprises destinataires devaient être assurées que le dispositif et la motivation des décisions de la Commission avaient été adoptés par le collège49. Dans l’affaire France Télécom c/ Commission50, le juge procède à un contrôle entier de l’exercice de l’habilitation, ne se limitant pas à constater les divergences entre la version de la décision adoptée en collège et la version définitive. Il examine, après contrôle détaillé des éléments produits, s’il s’agit de divergences substantielles, si bien que le collège des membres de la Commission ne peut être considéré comme ayant arrêté la décision attaquée dans tous ses éléments de fait et de droit. En l’espèce, le Tribunal considère qu’il s’agit de divergences sans incidence sur la portée de la décision attaquée, celle-ci étant considérée comme adoptée dans tous ses éléments par le collège des commissaires, conformément au principe de collégialité.

En revanche, dans le cadre de la phase précontentieuse de la procédure en manquement, le respect du principe de collégialité est plus facile à établir.

Plus précisément, dans le cadre de la procédure en manquement, la question se pose de savoir sous quelles conditions les membres du collège sont censés disposer réellement de toutes les données de droit et de fait pertinents pour s’assurer de l’absence d’ambiguïté quant au contenu de l’avis motivé et de la décision d’introduction du recours, actes couverts par le principe de collégialité.

En réponse à l’exception d’irrecevabilité soulevée par les Etats membres visés par le recours et reprochant à la Commission de ne pas avoir démontré le respect du principe de collégialité lors de l’adoption des décisions relatives à l’émission de l’avis motivé et à l’introduction du recours, celle-ci soutient que, pour des raisons d'efficacité, au regard du nombre de procédures en manquement, les commissaires n'ont pas à leur disposition les projets d'avis motivés lorsqu'ils adoptent la décision d'émettre de tels actes. Pour la Commission, cela ne serait pas nécessaire eu égard au fait que ces actes sont dépourvus d'effets juridiques contraignants immédiats. La Commission admet toutefois la nécessité pour le collège de disposer des informations importantes, telles les faits incriminés et les dispositions du droit de l’Union censées être violées. En revanche, l'élaboration des avis motivés se fait au niveau de l'administration, sous la responsabilité du membre de la Commission compétent en la matière, et ce après l'adoption par le collège de la décision d'émettre cet acte.

Dans l’affaire Commission c/ Allemagne51, la Commission répond à l’exception d’irrecevabilité que c'est en pleine connaissance de cause que le collège aurait pris position sur les propositions de ses services d'émettre l'avis motivé et d'introduire le recours, même si les commissaires n’avaient pas à leur disposition le projet d'avis motivé. La Cour de justice confirme que les conditions formelles liées au respect effectif du principe de collégialité varient en fonction de la nature et des effets juridiques des actes adoptés par cette institution.

Elle estime que l’émission d’un avis motivé constitue une procédure préliminaire qui ne comporte pas d'effet juridique contraignant à l'égard du destinataire, mais qui a pour but de permettre à l'État membre de se conformer volontairement aux exigences du traité ou, le cas échéant, de lui donner l'occasion de justifier sa position. Au cas où cet effort de règlement n'est pas couronné de succès, l'avis motivé a pour fonction de définir l'objet du litige. En revanche, la Commission n'a pas le pouvoir de déterminer de manière définitive par des avis

49 C-137/92 P, précité note 44, pts 65-67. Trib. UE, 17 décembre 2009, Solvay SA c/ Commission, T-57/01, Rec.

p. II-4781, pt 152. Trib. UE, 25 juin 2010, Imperial Chemical Industries Ltd c/ Commission, T-66/01, Rec. p. II- 2631, pt 176.

50 Précité, note 24.

51 CJCE, 29 septembre 1998, Commission c/ Allemagne, C-191/95, Rec. p. I-5449.

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motivés les droits et les obligations d'un État membre, ou de lui donner des garanties concernant la compatibilité avec le droit de l’Union d'un comportement déterminé. La détermination des droits et des obligations des États membres ainsi que le jugement de leur comportement ne peuvent en effet résulter que d'un arrêt de la Cour.L'avis motivé n'a donc un effet juridique que par rapport à la saisine de la Cour, qui dépend du pouvoir discrétionnaire de la Commission. La Cour estime par ailleurs, que la décision d’introduction d’un recours en manquement ne modifie pas par elle-même la situation juridique litigieuse. Par conséquent, si les décisions de la Commission d'émettre un avis motivé et d'introduire un recours en manquement doivent être délibérées en commun par le collège et si les éléments sur lesquels ces décisions sont fondées doivent être disponibles pour les membres du collège, "il n'est pas nécessaire que le collège arrête lui-même la rédaction des actes qui entérinent ces décisions et leur mise en forme définitive"52. En l’espèce, la Cour de justice a rejeté comme non fondée l’exception d’irrecevabilité et a conclu au respect du principe de collégialité, même si tous les commissaires ne disposaient pas du projet d'avis motivé, étant donné que "tout élément que les membres du collège estimaient utile aux fins de leur prise de décision était disponible pour ces derniers, lorsque le collège a décidé (…) d'émettre l'avis motivé et a approuvé (…) la proposition d'introduire le présent recours"53.

Dans l’affaire Commission c/ République de Chypre54, relative à l’introduction d’un recours en manquement pour non respect des règles européennes et les principes généraux régissant la passation des marchés publics, Chypre a également soulevé une exception d’irrecevabilité, reprochant à la Commission de ne pas avoir démontré que le principe de collégialité avait été respecté lors de l’adoption des décisions relatives à l’émission de l’avis motivé et à l’introduction du recours. Selon l’Etat membre, la Commission ne lui avait pas transmis une copie des décisions du collège des commissaires d’émettre un avis motivé. La Commission a toutefois précisé que les décisions d’envoyer l’avis motivé et d’introduire le recours avaient été prises dans le cadre d’une procédure écrite, conformément à son règlement intérieur. Il s’agit de la procédure habituelle de prise de décision du collège, selon laquelle "le projet de décision est soumis à tous les membres de la Commission, puis réputé adopté si, dans un délai déterminé, aucun membre n’a formulé d’observations ou de réserves"55. Aux fins de l’adoption de ces décisions, la Commission avait communiqué aux membres du collège une fiche d’infraction comportant les éléments fondant l’adoption de l’avis motivé et l’introduction du recours. La Cour de justice considère qu’au regard de cette fiche d’infraction, ainsi que de la lettre du secrétariat général de la Commission attestant de la clôture de la procédure écrite, "ces décisions ont été adoptées dans le respect du principe de collégialité, tel que prévu à l’article 1er du règlement intérieur de la Commission"56.

On constate ainsi le rattachement de l’étendue du contrôle du juge aux effets de l’acte adopté sur les administrés, qui s’explique par l’intégration du principe de collégialité dans le droit à une bonne administration. Le droit à une bonne administration comportant le droit d’accès aux documents, le juge européen est également appelé à intégrer le principe de collégialité dans la balance des différents intérêts.

B. Le principe de collégialité dans la balance des intérêts

Le droit à une bonne administration comprend le droit d’accès de toute personne au dossier qui la concerne, dans le respect des intérêts légitimes57.

52 Points 44-48.

53 Point 49.

54 CJCE, 17 février 2011, C-251/09.

55 Point 15.

56 Point 17.

57 Conformément à l’article 41 par. 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : "Ce droit comporte notamment: (…) b) le droit d'accès de toute personne au dossier qui la concerne, dans le respect des

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Le juge européen peut être appelé à mettre en balance le droit d’accès aux documents avec l’aspect du principe de bonne administration consistant dans l’impartialité, exprimé par le principe de collégialité. Plus précisément, la Commission peut opposer son refus d’accès aux documents en invoquant l’intérêt de la bonne administration et du bon fonctionnement interne des institutions. Le juge de l’Union doit ainsi chercher l’équilibre entre le principe de transparence qui tend à assurer une meilleure participation des citoyens au processus décisionnel et à garantir une plus grande légitimité, une plus grande efficacité et une plus grande responsabilité de l’administration à l’égard des citoyens dans un système démocratique, et le principe de collégialité qui exprime l’égalité entre les membres de la Commission et le noyau dur du principe de bonne administration, consistant dans l’impartialité dans la prise des décisions.

Dans l’affaire NMH Stahlwerke58, la Commission a soutenu que la confidentialité serait une condition essentielle du principe de la responsabilité collégiale. Le Tribunal considère que l’intérêt du bon fonctionnement de la Commission revêt une importance particulière dans le cadre de l’application des règles de concurrence. Dans ce domaine, les documents internes ayant servi à l’adoption de la décision de la Commission ne sont portés à la connaissance des requérants que si de circonstances exceptionnelles l’exigent, sur la base d’indices sérieuses de méconnaissance des règles de concurrence, que les requérants devront fournir59. Le Tribunal confirme que la restriction d’accès aux documents internes "est justifiée par la nécessité d'assurer le bon fonctionnement de l'institution concernée dans le domaine de la répression des infractions aux règles de concurrence du traité"60. Il relève toutefois, dans un souci d’équilibre entre les deux manifestations du principe de bonne administration, collégialité et accès aux documents, "qu'au lieu d'autoriser la divulgation aux parties requérantes des documents internes de la Commission il peut, le cas échéant, adopter telles mesures d'instruction et/ou d'organisation de la procédure qui lui paraissent indiquées"61.

Dans l’affaire MyTravel Group62 le Tribunal fait clairement primer la préservation du processus décisionnel de la Commission, qui comprend le respect du principe de collégialité.

Plus précisément, le juge est dans cette affaire saisi d’un recours en annulation du refus d’accès aux documents relatifs à l’autorisation d’une opération de concentration. La requérante a demandé la communication de divers documents, comme le rapport du groupe de travail de la Commission et sa préparation, en vertu du règlement n°1049/2001 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents des institutions63. Certes, l’essentiel de ces documents est interne aux services de la Commission.

Toutefois, la requérante aurait pu utiliser ces documents afin de fonder son recours en indemnité. La Commission lui a refusé l’accès en invoquant, conformément à l’article 4 du règlement 1049/2001, le risque d’une atteinte grave à son processus décisionnel, argument retenu par le Tribunal. En effet, le Tribunal fait une distinction entre les cas où les institutions agissent en qualité de législateur, dans lesquels un accès plus large aux documents devrait être autorisé, et ceux où l’institution agit dans le cadre de ses fonctions administratives. Il souligne que l’intérêt du public à obtenir communication d’un document au titre du principe de transparence n’a pas le même poids en ce qui concerne un document relevant d’une procédure administrative visant l’application des règles régissant le contrôle des concentrations ou le droit de la concurrence en général qu’en ce qui concerne un document relatif à une procédure

intérêts légitimes de la confidentialité et du secret professionnel et des affaires; (…)".

58 TPICE, ord., 10 décembre 1997, NMH Stahlwerke GmbH c/ Commission, T-134/94, Rec. p. II-2293.

59 Point 35.

60 Point 36.

61 Point 39.

62 TPICE, 9 septembre 2008, MyTravel Group plc c/ Commission, T-403/05, Rec. p. II-2027.

63 JOCE, n° L 145, du 31 mai 2001, p. 43.

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dans le cadre de laquelle l’institution communautaire intervient en qualité de législateur. En l’espèce, les documents en cause intéresseraient principalement les entreprises concernées et leur divulgation pourrait conduire à l’autocensure de leur auteur. Par conséquent, la Commission ne pourrait plus bénéficier de l’opinion libre et complète de la part de ses agents et fonctionnaires et se retrouverait privée d’une critique interne constructive, destinée à lui faciliter la prise de décision en ce qui concerne l’introduction d’un pourvoi contre l’arrêt du Tribunal ou l’amélioration des ses procédures administratives dans le cadre du droit de la concurrence. Le Tribunal remarque que la divulgation des documents en l’espèce permettrait en outre de comparer le contenu du rapport – lequel est un document préparatoire qui contient les avis et les recommandations du groupe de travail – avec les décisions finalement prises sur ces points par le membre de la Commission chargé de la concurrence ou au sein de la Commission et, partant, de divulguer la discussion interne à celle-ci. "Or, cela risquerait de porter gravement atteinte à la liberté décisionnelle de la Commission, laquelle se prononce en application du principe de collégialité, dont les membres doivent exercer leurs fonctions en pleine indépendance dans l’intérêt général de la Communauté"64. Le Tribunal retient ainsi l’argument du risque raisonnablement prévisible d’atteinte grave au processus décisionnel, argument qui comprend le respect du principe de collégialité.

En guise de conclusion, nous pouvons considérer que la jurisprudence de la Cour de justice et du Tribunal de l’Union européenne relative au principe de collégialité enrichit le contentieux des principes de droit administratif européen, contribuant à donner substance au principe de bonne administration. La Cour a confirmé que le principe de bonne administration peut constituer une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers lorsqu’il constitue l’expression de droits spécifiques comme, entre autres, le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable ou le droit d’être entendu65. Le droit de voir ses affaires traitées par le collège des commissaires constitue une expression spécifique du principe de bonne administration, alors que la règle positive de collégialité permet au juge de préciser sa portée et son statut contentieux. Il reste à voir si le principe de collégialité peut trouver une place dans le contentieux de la réparation, auquel cas son rattachement au principe de bonne administration comme règle qui accorde de droits aux particuliers serait explicite.

64 Point 51.

65 CJUE, ord. 22 mars 2010, Société des plantations de Mbanga SA c/ Conseil et Commission, C-39/09 P, Rec. p.

I-38*, pt 65.

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