HAL Id: jpa-00233989
https://hal.archives-ouvertes.fr/jpa-00233989
Submitted on 1 Jan 1946
HAL is a multi-disciplinary open access
archive for the deposit and dissemination of
sci-entific research documents, whether they are
pub-lished or not. The documents may come from
teaching and research institutions in France or
abroad, or from public or private research centers.
L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est
destinée au dépôt et à la diffusion de documents
scientifiques de niveau recherche, publiés ou non,
émanant des établissements d’enseignement et de
recherche français ou étrangers, des laboratoires
publics ou privés.
Les neutrons de fission et la réaction en chaine
L. Kowarski
To cite this version:
LES NEUTRONS DE FISSION ET LA
RÉACTION
EN CHAINEPar L. KOWARSKI.
Conférence à la Société
française
dePhysique
(8juin 1946).
Sommaire. 2014
Historique des recherches relatives à l’émission des neutrons lors de la fission de l’uranium (Collège de France, mars 1939, et Columbia University), à la détermination du nombre de neutrons par fission et à la réalisation de la réaction nucléaire en chaîne divergente.
Le titre de cette conférence résume et délimite
le
domaine
dephysique
nucléaireexpérimentale,
dontl’exploration
fut lapremière étape
dans la marche vers laconquête
del’énergie ’atomique.
C’est dans cette
étape
relevant de laphysique
pure, que l’effortpionnier
de la sciencefrançaise
a pu se manifester d’unefaçon
particulièrement
efficace. Les romanciersd’imagination
furent lespremiers
à énoncer l’idée que la libération de
l’énergie
atomique
sur unegrande
échelle deviendraitpossible
lejour
où l’on réussirait à créer une réaction nucléaireen
chaîne,
une réaction où les atomes, en sedécom-posant,
arriveraient à contaminer des atomes voisins en nombre suffisant pour que le nombre dedécompo-sitions par
unité
detemps
aille en croissant. J’aitrouvé cette
idée,
exprimée
d’unefaçon
assezclaire,
dans le roman « Last and First Men »
publié
parOlaf
Stapledon
en 192~. Il était naturel que lessavants
professionnels
attendissent d’en savoir un peuplus
long
sur les processus nucléaires avant de serisquer
à émettre desopinions
du même genre.Frédéric Joliot mentionna le
concept
de la réactionen chaîne
divergente
enig34,
dans une de sespremières
conférences sur la radioactivité artifi-cielle. Je crois savoir que LeoSzilard,
à peuprès
simultanément,
avança une tentativeplus
poussée
dans la même direction en se basant sur desdonnées,
que nous savonsaujourd’hui
erronées,
sur laconsti-tution du
béryllium.
Dans cettetentative,
et cellesqui
luisuccédèrent,
un facteur nouveau fut reconnu :le neutron,
qui
à cetteépoque
venait àpeine
d’êtredécouvert,
seprêtait
toutparticulièrement
au rôle del’agent
de transmission d’un noyau à l’autre.En
effet,
on savaitdéjà
que le neutron est trèsapte
à provoquer des réactions nucléaires de toutessortes, même et surtout
quand,
il estdépourvu
d’énergie cinétique,
tandis que lesparticules qui
étaient connuesprécédemment,
comme leproton
ou laparticule
alpha,
ne sont efficacesqu’à
l’étatrapide,
et peu detemps
après
leur émissiondeviennent
inaptes
à entrer en réaction avec les noyaux environnants.Le
problème
seprécisait
donc de la manièresuivante : existe-t-il une réaction nucléaire
qui puisse
êtreprovoquée
parl’impact
d’un neutron et donner naissance àplusieurs
neutrons ?(un
neutronproduit
seraitinsuffisant,
car la réaction ainsipropagée
n’aurait pas le moyen des’amplifier).
Ladécouverte,
par F.Heyn
enig37,
de la réaction dite(n, ~ n)
répondait
bien à cettedéfinition,
maiscomme le neutron initial devait être très
rapide
et les neutrons émis ne l’étaient pas, les conditionsnécessaires pour la
propagation
de la chaînen’étaient
pasremplies.
La situation
changea brusquement après
l’annonce de ladécouvertes
amorcée par Hahn et Strassmann etcomplétée
par Frisch etJoliot,
de la fission del’uranium. Cette
réaction,
exothermique
à undegré
jusqu’alors
inconnu,
était bienprovoquée
parl’impact
des neutrons, etl’hypothèse
fut immédia-tement annoncée(par
Joliot et,indépendamment,
par
Fermi)
que cetteexplosion
violente du noyau de l’uranium devaits’accompagner
d’une émission de neutrons libres.Voyons
deplus près
les raisons de cetteprédiction.
La
dissymétrie
fondamentale entre les deux états de laparticule
nucléaire élémentaire - l’étatneutron, sans
charge,
et l’étatproton,
chargé
- semanifeste d’une
façon
frappante
dansl’opération
imaginaire,
et souventimaginée, qui
consiste à bâtir un noyau lourd enempilant
lesparticules
élémen-taires une à une et enpassant
ainsi successivementpar toutes les valeurs du nombre de masse. Les niveaux
protoniques
etneutroniques
tendent d’abord à êtreoccupés
sur unpied d’égalité,
donnant des noyaux dont leZ,
nombre decharge,
estégal
à la moitié de A, nombre de masse. Au delà d e A =4o
il
apparaît
nettement que l’introduction d’un nouveau254
proton
est entravée par larépulsion
coulombienne entre lesprotons
déjà
enplace
et le nouvelarrivant,
tandisqu’un
nouveau neutron ne se heurte à aucuneopposition
de ce genre. Cetteprédilection
pour lesneutrons n’est pas
absolue;
elle se traduit seulementpar un excès de neutrons sur les
protons
dans tous les noyauxstables,
c’est-à-dire par le fait que A devientsupérieur
à ~ Z. A mesureque Z
croît,l’opposition
colombienne aux nouvelles arrivées deprotons
s’accentue et la différence A - 2 Zva en croissant. Le fait essentiel 1 à retenir est que cette différence n’est nullement
proportionnelle
à A, ainsi que laprogression
suivante le met etl évidence(nous
choisissons des Aimpairs
afin d’éviter lescomplications
dues à l’existence desisobares) :
Dès
qu’il
était devenuprobable
que l’uraniumenrichi d’un neutron, c’est-à-dire le noyau
composé
236 ouz3g,
oupeut-être
lesdeux,
étaitcapable
de se scinder en deux morceaux, l’unpesant
environ go-10ounités,
l’autre environ135-150,
laquestion
se posa aussitôt : que devient unepartie
des neutrons excédentaires del’uranium,
puisque
les deux morceaux,pris
ensemble,
n’enpeuvent
accommoder que 35 à4o
augrand
maximum,
tandis que les noyauxcomposés
enquestion
enrenferment,
respectivement,-
52 ou 5~ ?Les deux morceaux, les
fragments
de fissioncomme on les
appelle aujourd’hui,
seront;3-radio-actifs,
se ditJoliot,
carl’activité ~,
ou la trans-formation des neutrons enprotons
à l’intérieurdes noyaux, est la voie naturelle de la
résorption
des excédentsneutroniques
démesurés. Et c’esten
partant
de cette idéequ’il
put
prouver,indé-pendamment
de la preuve donnée parFrisch,
la réalitéphysique
de la fission de l’uranium. Maisla radioactivité j3
est un processus assez lent. Aumilieu
du remous créé par la violente dislocation de l’édifice nucléaire del’uranium,
quelques-uns
au moins
parmi
les neutrons surnuméraires neprendraient-ils
pas le chemin de l’évasion pure etsimple ?
L’expérience
était d’autantplus
intéressante à tenter, que lapremière exploration
duphénomène
de ta fission avait
déjà
laissé entendre que, dans certains cas aumoins,
les neutrons n’avaient pasbesoin d’être pourvus d’une
énergie
cinétique
considérable pour déclencher la fission. Rien ne
s’opposait
donc,
apriori,
à ce que les neutrons émis lors de lafission,
si cette émission seconfirmait,
fussent trouvés
capables
de provoquer d’autresfissions. Cette
chaîne,
une foiscommencée,
serait-ellecapable
d’aller ens’amplifiant ?
Laréponse
affirmative à cette dernière
question
ouvrait laporte
à toutes sortes despéculations;
aujourd’hui
il estplus
exact dedire,
à toutes sortesd’antici-pations.
Laquestion
complète pouvait
être articulée en troisétapes
successives :i° Des neutrons sont-ils émis lors de la fission ? 2° Si
oui,
leur nombre par fission est-ilsupérieur
à i ?3° Si
oui,
est-ilpossible
de créer unsystème
uranifère danslequel
les «plus
d’un » neutronsissus d’une fission soient
capables
de provoquer«
plus
d’une »fission,
compte
tenu du faitqu’un
neutronpeut
disparaître
dusystème
ou y êtreabsorbé avant d’avoir
provoqué
une fission ?~
La tendance de sauter de la
question
i ° à laques-tion 3° était
irrésistible,
ainsiqu’en
témoigne
uncertain passage du
Rapport
officiel américain en cequi
concerneWashington,
et mes propressouvenirs en ce
qui
concerneParis;
la datedu 26
janvier
I g3g
joue
-par pure coïncidence
-un rôle
important
dans les deux cas.Szilard,
bienpréparé
par ses méditationsantérieures,
commençaà se
préoccuper
desrépercussions politiques possibles
dès le début de
février;
cet envold’imagination
allait d’ailleurs depair
avec un effortproprement
scientifique
concentré sur lapremière
étape-preuve
ou réfutation del’hypothèse
suivantlaquelle
des neutrons seraient émis lors de la fission. Des effortsparallèles
étaient exercéspar l’équipe
deFermi
travaillant côte à côte avec celle de Szilard à ColumbiaUniversity,
New-York,
et parl’équipe
que Joliot venait de constituer auCollège
de France. Unphénomène provoqué
par les neutrons nepeut
être observé que si une source de neutrons estprésente
dans lesystème.
Parmi les neutronsémis
primairement
par la source, unepetite
minorité seulement arrive à se manifester dans lafission,
où elle
disparaît
et, en mêmetemps,
donnepeut-être naissance à un nombre à
peine plus
grand
de neutrons secondaires. Tout détecteuremployé
pour déceler laprésence
de ces neutrons secondaires serait en mêmetemps
submergé
par les neutronsprimaires, beaucoup plus
nombreux. Latechnique
de ladétection
des neutrons est encore, et était biendavantage
enjanvier
193~,
assezgrossière
et sonadaptation
auproblème envisagé exigeait
le recours à ce que nouspouvions qualifier
à cetteépoque
d’artificesspéciaux.
C’est dans cetesprit
que Joliots’adjoignit
le concours de deux travailleurs de sonlaboratoire,
Halban etKowarski,
qui,
à cetteépoque,
s’intéressaientparticulièrement
à l’inter-action des neutrons de différenteénergie
avec les différents élémentschimiques.
,que nous
pourrions qualifier
dequantitative,
consis-tait àplonger
la source dans unsystème
absorbantsuffisamm,ent vaste pour
qu’aucun
neutronproduit
à l’intérieur n’ait une chanceappréciable
de s’enéchapper.
Par des mesuresappropriées
de densiténeutroniques
locale et de vie moyenne on arrive à se rendrecompte
du nombre des neutrons absorbé dans lesystème
par unité detemps.
Ce nombrechange-t-il,
et dansquel
sens, si l’on introduit de l’uranium dans lesystème ?
Il est évidentqu’une
augmentation
est une preuve directe et suffisante de l’émission des neutrons par l’uranium. Une diminution estplus
délicate àinterpréter,
car ellepeut
signifier
que l’émission réelle n’arrive pas àcompenser, dans les conditions de
l’expérience,
les différents processusd’absorption
parl’uranium,
dont certains(comme
lqcapture
des neutrons lents parl’isotope
238)
n’entraînent pas la fission. De toutefaçon,
puisque
l’effet recherché nepouvait
être
qu’une
différence relativementpetite
entre deuxquantités
beaucoup plus grandes
et mesuréesavec une
précision
assezlimitée,
le résultat del’expérience
risquait
de manquer de netteté. L’autre méthode reconnaissant les difficultés de lapremière,
ne visaitqu’à
un résultat franchementqualitatif.
Au lieud’essayer
dedistinguer
entre lesapports
des neutronsprimaires
et secondaires dans l’indication dudétecteur,
nepourrait-on
pasemployer
un détecteurqui
serait franchement insen-sible aux neutrons
primaires,
sensible aux neutronssecondaires ? Certaines sources ne
produisent
que des neutrons
d’énergie
assezfaible;
c’est le cas, parexemple,
dubéryllium
soumis aux’ rayons
y des éléments de la famille du radium ou du thorium. D’autrepart
onpouvait
s’attendreà ce que les neutrons émis dans la fission
fussent assez
énergiques.
Des détecteurs de neutronsrapides,
insensibles aux neutronsplus
lents,
étaientdéjà
bien connus à cetteépoque;
c’étaient essentiel-lement des substancesqui réagissent
selon le schéma(rt, p)
ou ~n,a)
en donnant naissance à desproduits
radioactifs. Le réactif choisi fut le soufrequi
se transmute enphosphore
radioactif(période
15
jours)
sous l’action des neutrons deplusieurs
millions devolts,
mais ne donne rien avec lesneutrons émis par une source
y-béryllium
dontl’énergie
n’atteint quequelques
centaines de kilo-volts.Les deux
expériences
furent montées côte à côteau
Collège
de France en févrierIg3g :
l’expérience
quantitative,
avec ses cuvesremplies
de nitrated’uranyle
en solution aqueuse, ou de nitrated’ammonium
qui
fut choisi comme substancetémoin;
etl’expérience
qualitative,
avecplusieurs
litres de sulfure de carbone entourant la source
primaire
y-béryllium,
avec une couche denitrate,
d’uranyle
oud’ammonium,
interposée
entre lasource et le sulfure. Le résultat définitif ne
pouvait
. être obtenu
qu’au
bout dequelques
semaines de travail : lapremière expérience exigeait
d’innom-brables et laborieuses mesures de densiténeutro-nique
aux différents endroits de la cuve; la secondeexigeait
delongues
irradiations nécessaires pouraccumuler une activité mesurable dans un détecteur de
période
aussilongue (I ~ jours).
Ce fut
l’expérience
en cuvequi
fournit lespremiers
résultatsconcluants,
et ces résultats furent d’unenature toute différente de ceux en vue
desquels
l’expérience
avait étéentreprise
1Car,
bien avant que ledécompte
des neutrons absorbés dans lacuve ait été
parachevé,
nous nous aperçumes du fait que, dans la cuve àuranium,
l’absorption
seproduisait
en moyenne à uneplus grande
distancede la source, que dans la cuve à ammonium. Ceci
pouvait
dire que le neutron voyage en moyenneplus
loin,
doncqu’il
estplus
énergique,
doncqu’il
estqualitativement
différent,
etl’expérience
à la cuverejoignait
ici d’une manière inattendue l’argu-mentationqualitative
etl’expérience
au soufre. Cecipouvait
dire aussi que le voyage du neutron commence non pas à la sourcecentrale,
mais dansune
région plus périphérique
de la cuve;l’expé-rience arrivait à différencier ainsi les neutrons
secondaires non
plus
par leurénergie
mais par leur lieu de naissance. Ce fut la conclusion de notrepremière
communication datée du 8 mars; les résultats del’expérience
au soufre n’étaientacquis
que
plus
d,e deux semainesplus
tard.Les deux
équipes
de la ColumbiaUniversity
n’étaient distancées que d’une
semaine,
car lespremières
communications de Fermi et de Szilardétaient datées du 15 mars ! Par un curieux
parallé-lisme,
la bifurcation en voiequantitative
et voiequalitative
eut lieu à New-York exactement-comme à Paris. Fermi et sescollaborateurs,
Anderson etHanstein,
adoptèrent
leprincipe
dudécompte
desneutrons; ils avaient utilisé une
disposition
géomé-trique
différente de la nôtre et conduisirent leurexpérience
d’unpoint
de vue strictementquantitatif.
Szilard etZinn,
aucontraire,
adoptèrent
immédia-tement leprincipe
d’utiliser une source de neutrons relativement lents et un détecteurqui n’enregistre
que des neutrons relativementrapides;
le détecteur était ici une chambre d’ionisation à hélium. Cettepremière expérience
fournit même unepremière
indication,
trèsgrossière,
du nombre de neutrons par fission enanticipant
ainsi sur ce que nous avonsappelé
la deuxièmeétape
de notre programme. Cespremiers
résultats obtenus par leséquipes
américaines ne furent suivis par des résultats
plus
approfondis qu’à plusieurs
mois de distance. Durantce même
intervalle,
l’équipe
de Pariss’attaqua
résolument auproblème
de la réaction en chaîne en suivant deprès
le programme en troisétapes
que nous avons énoncé tout à l’heure.256
neutrons de
fission,
était désormaisfranchie;
surtoutaprès
quel’expérience
au soufre avait donné unrésultat nettement
positif
et immédiatementinter-prétable.
La deuxièmeétape,
détermination du nombre des neutrons parfission,
exigeait
laconnais-sance de certaines constantes
physiques
del’uranium,
notamment les valeurs desprobabilités
relatives des différents modes d’interaction avec les neutrons lents. Certaines de cesprobabilités,
présentées
comme d’habitude sous forme de « sections efficaces ) »
attribuées au noyau de l’uranium pour tel ou tel
processus, venaient d’être mesurées en
Amérique;
d’autres,
notamment celles pour lacapture
des neutrons lents et très lents parl’isotope
238,
furent mesurées parl’équipe
même de Paris. Laconnais-sance de ces constantes
permettait
de calculer la vie moyenne des neutrons dans unsystème
uranifère donné et de là déduire le nombre des neutrons naissant dans lesystème
par unité detemps,
ensupposant
que le nombre des neutronsprésents à
chaque
instant dans lesystème
soit fourni par unedétermination
expérimentale
directe.Notre
expérience
ditequantitative,
consistant àdénombrer les neutrons
présents
dans une cuve àuranium,
fournissaitprécisément
une telledéter-mination
directe,
et c’est ainsiqu’il
nous futpossible
d’en déduire unepremière
évaluation du nombre de neutronsémis,
en moyenne, par fission.La valeur que nous avons
publiée
en avrilic,~3,9,
3,5
neutrons secondaires parfission,
apparaît
aujourd’hui
comme nettementtrop
élevée,
et il estcurieux de constater que la
première
évaluationgrossière
de Szilard etZinn,
deux neutrons parfission,
étaitprobablement plus proche
de la réalité.L’inexactitude de notre
premier
résultat était due au faitqu’au
lieu deprovenir
de l’observationdirecte,
comme celui de
Szilard,
il n’étaitqu’un sous-produit
d’une étude
plus
vaste, mettant enjeu
toute unesérie d’observations sur l’interaction des neutrons
avec les milieux uranifères. A mesure que notre connaissance des autres facteurs du
problème
s’améliorait,
laprécision
de ce résultatparticulier,
le nombre de neutrons par
fission, s’améliorait
aussi et en mêmetemps
une connaissance deplus
en
plus profonde
de la réaction en chaîne était obtenue.Nous voici donc en
plein
dans la troisièmeétape :
recherche d’un
milieu.
uranifère danslequel
les neutrons sont amenés àproduire
la fissionplutôt
qu’autre
chose;
danslequel
les« plus
d’un » neutronsissus d’une fission ont si peu de chances de
dispa-raître dans les processus
d’absorption parasites,
que le nombre de fissions ultérieuresqu’ils
causent resteplus
grand
que un. Je crois utile d’abandonner ici l’ordrehistorique
et deprésenter
Je
problème
avec les notions et
explications empruntées
à lapublication
officielleaméricaine,
diteRapport Smyth.
J’ajouterai
que lesgrandes
lignes
de ceraison-nement étaient
déjà
ébauchées parl’équipe
deParis,
dès octobreiç39,
mais devaient être tenues secrètes à cause des conditions de guerre.Deux faits
physiques
dominent la situation. Lepremier
est que les neutrons de fission sont émis avec uneénergie dépassant à
peine
le seuil(de
l’ordre de i million devolts)
nécessaire pour provcquer la fissionde l’isotope
abondant 238 et que, de toutefaçon,
laperte
d’énergie
par chocsinélastiques
amèneimmédiatement
lagrande
majo-rité d’entre eux au-dessous de ce seuil.L’isotope
238 dès le débutjoue
donc un rôle presque exclusivementimproductif -
il absorbe des neutrons sans enproduire
de nouveaux. Le deuxième fait dominant est
qu’aux
énergies
neutroniques
trèsbasses,
de l’ordrethermique,
la section efficace del’isotope
235 pourl’absorption
fissigène (je
vous demandepardon
de ce
néologisme calqué
sur des mots bienacadé-miques
tels que fissile oufissipare)
augmente
trèsconsidérablement,
sans que la section efficacede 238 pour
l’absorption improductive
accuse unaccroissement
comparable.
Il y a donc un intérêt évident à ralentir les neutrons avantqu’ils
aientune chance
appréciable
defrapper
l’un des deuxisotopes
del’uranium,
et cecipeut
être obtenu enmélangeant
l’uranium avec un élément trèsléger.
Notez
qu’aux
débuts de l’étude de la réactionen chaîne on n’osait pas
envisager,
comme une chosepraticable,
le moyen leplus
direct de sedébarrasser de l’effet nocif de
l’isotope
238,
cemoyen consistant
simplement
àopérer
avecl’iso-tope
235 pur ou sensiblement pur. Notre raison-nement supposetoujours
que les deuxisotopes
sontprésents
dans leurproportion
naturelle,
un 235pour
j4o
atomes de 238; que le milieucontient,
en outre, l’élément
léger
ralentissant et que l’exten-sion dumilieu
estindéfinie,
ceci afin depouvoir,
audébut,
faire abstraction de laperte
des neutrons parévaporation
à la surface extérieure dusystème.
Considérons le sort de N neutrons introduits dans
un tel
milieu,
avec desénergies
initiales compa-rables à celles dont les neutrons de fission sont dotés au moment de leurémission;
ilimporte
peu que nos N neutrons soient en effet dus à des fissions antérieures ouproviennent
d’une source extérieurequelconque.
Nous venons de voirqu’un
petit
nombreparmi
ces N neutrons serontcapables
de provoquer la fission de U 238 et deproduire
ainsiquelques
neutronssupplémentàires;
nousexprimons
ce faiten
multipliant
le nombre N par un facteur elégè-rement
plus
grand
qu 1. Les Ne neutrons, encorerapides,
maisdéjà incapables
de causer la fission de U 238, continuent à diffuser dans lesystème
en
dissipant
peu à peu leurénergie cinétique
dansdes chocs
élastiques
contre les noyaux de l’élémentléger
modérateur. Au moment oùl’énergie
du neutronarrive,
en descendant par sautsdiscontinus,
quelques
volts àquelques
centaines devolts),
l’énergie
risque
deprendre
une des valeurs assezétroitement ùélin1itées,
qui
rendent le neutronanormalement
susceptible
d’être absorbé par l’U 238. Unepartie
nonnégligeable
du nomhre total Ne reste ainsi sur le carreau, sij’ose
dire,
et c’est seulement lenombre
Nep
(p,
facteurplus
petit
queI)
qui parvient jusqu’aux énergies
de l’ordrethermique.
Une fois devenuthermiques,
le neutron diffusejusqu’à
cequ’il
soitabsorbé,
soit parl’élément
modérateur,
soit par l’uranium sans que lacapture
entraîne la fission
(on
connaissaitdéjà
lacapture
conduisant à
l’isotope ~-actif
U 239, sansqu’il
fût
possible
de nier lapossibilité
d’autres processus decapture
improductive),
soit enfin par l’uraniumavec fission comme résultat. En
désignant
par(I - f ),
1 (1 - c)
etle
lesprobabilités
relatives de ces trois modesd’absorption,
et par v le nombre moyen de neutrons émis parfission,
nous arrivons à la conclusion que le nombre de fissionscorrespondant
à nos N neutrons
rapides
initiaux seraNep f c
et le nombre de neutrons
rapides
résultant de cesfissions sera
Nep f c v. Chaque
neutron donne naissance à1~ = ep f c v
neutrons de lagéné-ration
suivante;
il est évident que la réaction enchaîne tend à se propager ou à s’étouffer suivant
que
estplus grand
ou moinsgrand
que I.La troisième et oernière
étape
de notre recherche devait donc fournir uneréponse
à laquestion;
est-il
possible
de créer unmilieu,
composé
d’uranium naturel et d’unmodérateur,
danslequel
soitplus
grand
que 1 ‘~Parmi les différents facteurs
qui
entrent dansl’expression
del~, v
et c sont des constantesnaturelles de
l’uranium;
leurs valeurs nedépendent
donc pas de la
composition
ou del’agencement
du milieu,. Le facteur e esttoujours
voisinculez ;
lesdispositions
que l’onpeut
prendre
pour lui donnerune valeur maxima ne
peuvent
produire
de toutefaçon
que des améliorations du deuxième ordre. C’est sur p, laproportion
des neutronsqui échappe
à lacapture
improductive
par résonance, et surf,
laproportion
des neutronsthermiques qui échappe
à la
capture
par l’élémentmodérateur,
que l’effortprincipal
dut êtreporté.
La chance
d’échapper
à lacapture
par résonance est d’autantplus grande
que les atomes ralentissants-son
plus
légers
etplus
nombreux par atomed’uranium
présent.
La chanced’échapper
à lacapture
par le modérateur est d’autantplus
grande
que les atomes modérateurs ont moins d’affinité pour lesneutrons, et
qu’ils
sont moins nombreux par atomed’uranium
présent.
D’où unepremière
orientation :prendre
un élément trèsléger,
ayant
une faiblesection efficace pour la
capture
des neutronsther-miques,
et en introduire unequantité qui
réalise le meilleurcompromis
entre les deuxexigences
contradictoires énoncées ci-dessus.Un autre
con1promis
concerne la distributiongéométrique
des deux constituants du milieu. Il ya intérêt à
placer
l’uranium et le modérateur dans des zonesgéométriquement
distinctes,
car aumoment où le neutron en cours de ralentissement
atteint la bande
dangereuse
d’énergie,
ceci a lieu nécessairement à l’intérieur d’une des zonesremplies
par le modérateur, et le neutron se trouve soustrait
au
danger
immédiat d’être absorbé par résonance. D’autrepart,
puisque
l’arrivé
dans le domainethermique
se passe, elleaussi,
à l’intérieur d’une des zonesmodératrices,
il y a unrisque
accrud’absorption
du neutronthermique
par le modé-rateur avantqu’il
arrivejusqu’à
une zone uranifère.En
résumé,
on améliore p en distribuant lesingré-dients en zones de
grandes
dimensions;
onaméliore f
en
adoptant
une cellule élémentaire aussipetite
quepossible.
Les dimensionsoptima
réalisant le maximum duproduit pf
peuvent
être calculées àpartir
des considérationsthéorique
assez élémen-taires.Telles étaient les considérations
qui
avaientguidé
nos efforts dès octobre
1939,
et nousapprîmes
parla suite que nos
collègues
américains,
Fermi et Szilard entête,
suivaient un cheminanalogue.
Acette
époque
nous savionsdéjà
que lesmélanges
homogènes
d’eau etd’oxyde
d,’uranium nepermet-traient d’atteindre
qu’un
facteur dereproduction
k de l’ordre deo,8
à o,g;l’avantage
évident del’hydro-gène,
son extrême efficacité à faire passer auxneutrons la bande
d’énergie
dangereuse,
n’arrivait pas ainsi à compenser sondéfaut,
unetrop grande
afplnité pour les neutronsthermiques.
Il étaitprobable,
etdéjà
confirmé par lesexpériences
préli-minaires,
que l’amélioration résultant d’unarran-gement
hétérogène
n’arriverait pas à pousser k au delà de i. Il fallait donc s’orienter résolumentvers
l’adoption
d’un élément modérateur peuabsorbant. Atome par atome il serait évidemment
moins efficace que
l’hydrogène, puisque
moins
léger,
mais comme il serait
permis
del’employer
enconcen-tration
plus grande,
onpouvait
essayer decorriger
la
qualité
par laquantité.
Les éléments trèslégers,
maniables et peuabsorbants,
ne sontguére
nombreux;
ledeutérium,
lebéryllium
et le carbone semblent être les seulespossibilités
pratiques.
Et le mot«
pratiqu,e o paraît
bientéméraire,
quand
on penseque les
quantités disponibles
dedeutérium,
debéryllium
et même de carbone d’unepureté
sul~’1-sante se mesuraient en kilos tout auplus,
tandis que laquantité
nécessaire pour alimenter et main-tenir la réaction en chaîne une foisamorcée,
pouvait
être évaluée àquelques
tonnes ou dizaines de tonnesau moins. Le mouvement
d’opinion
nécessaire pour mettre en oeuvre des programmes aussigigan-tesques
restait àcréer;
laplausibilité
de nosprévisions
258
avant
qu’une
mise de fondsimportante
soitengagée.
Pour cetteraison,
il étaitimportant
de trouver les moyens d’étudier le mécanisme de lareproduction
neutronique
dans- dessystèmes
de masseréduite,
c’est-à-dire insuffisante à maintenir la réaction enchaîne,
mais
dont lesingrédients
seraientplus
faciles à réunir.Ce sont ces considérations
qui
nous ontamenés,
au
printemps
1940,
à ramener en France le stocknorvégien
de l’eau lourde et à le faire passer enAngleterre
à un moment dicté par la situationmilitaire. Les résultats obtenus à
Cambridge,
fin
i g§o,
furentjugés
décisifs par les milieuxgouver-nementaux intéressés. Un an et demi
plus
tard,Fermi
et sonéquipe
arrivaient à unpoint
analogue
et ledépassaient
immédiatement,
enemployant
le
graphite
comme modérateur. En décembreJ 9[~~,
lapremière
pile
àgraphite
devenait lesiège
d’une réaction nucléaire en chaînedivergente,
réalisantla transmutation et le
dégagement
d’énergie
atomique
sur une échelle
macroscopique
et fournissant ainsiune preuve