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LA FRANCE EST UNE IDEE NEUVE EN EUROPE

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Thierry de Beaucé

LA FRANCE

EST UNE IDEE NEUVE EN EUROPE

Pour la première fois dans son histoire, l'Europe se retrouve.

Après avoir donné l'exemple des divisions et des multiplicités, elle découvre l'espoir d'un destin partagé. Cet état de grâce est un point d'équilibre, au moment minuscule où les forces com- posent. Jamais un empereur ou un pape, ou quelque idéologue

aux visées totalitaires n'avait inspiré un tel rapprochement.

' I es tensions sont là qui menacent cette unanimité incer-

L

taine. L'Histoire éveille aussi de très vieilles méfiances. La , I logique et la géographie, la confusion des cultures et des langues, la force préservée des minorités, les frontières trop ré- centes et trop souvent aménagées laissent osciller des peuples entre les Etats. Et les Etats rétifs à des visions communes sauront justifier encore ce qui les oppose. Bien souvent les difficultés éco- nomiques - on le devine - serviront de prétexte aux crispations.

Autant de dangers qui montent.

Antagonistes, il y avait Rome et Byzance, la chrétienté et le Turc, Hitler et les autres, les deux camps d'après Yalta. Un conti- nent souvent divisé sacrifiait ses zones d'ombre. "Je vis des grands

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troupeaux d'âmes nues qui pleuraient toutes misérablement et qui paraissaient soumises à des lois différentes (1). "

Aujourd'hui, une étrange liberté est apparue par lassitude, quand la Russie s'est repliée et que chaque peuple a cessé de croire aux illusions qui l'assommaient. Cette révolution n'est pas venue d'un coup. Elle est descendue des crépuscules, à pas de velours, entre chien et loup.

L'Europe émerveillée se fait sans l'avoir voulu vraiment, datant sa renaissance de l'immense vieillesse d'un pouvoir trop ver- moulu. Pour la première fois, un des plus grands chambardements de l'Histoire se fait sans utopie et sans dessein. Lassés des lende- mains qui chantent, les peuples hésitent entre les chemins. Faute de promesses, ils regardent en arrière vers des querelles d'un autre âge. Les totalitarismes avaient figé un passé à leur convenance, immobile depuis la Seconde Guerre mondiale. L'idéologie formelle du communisme maintenait sous la chape de glace les mammouths intacts des rancœurs nationales et d'un antisémitisme possible.

Aujourd'hui, on voit remonter les vieux reproches du traité de Trianon qui dépeça la Hongrie, de Versailles qui imposa des fron- tières, des abandons munichois ou du militarisme allemand. A nouveau, les débats diplomatiques mentionnent les Carpates, la Transylvanie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, les Sudètes, la Slovénie, cette géographie qui, pendant des siècles, a désigné tant de nos drames et suscité alliances de revers et contournements.

Que l'Allemagne se mette à aimer lEurope !

La liberté peut décevoir. La crise économique est là, doulou- reuse et quotidienne. La démocratie n'apportera pas de pain. Il fau- dra bien de la sagesse aux gouvernements et aux peuples pour se résoudre à la patience sans que ces disciplines n'en appellent à la dictature.

"7/ faudrait que l'Allemagne se mette à aimer l'Europe, s'in- quiétait Moravia dans une taverne de Rome, mais, décidément, elle

ne semble pas l'aimer. " Certains y regardent à rebours, réveillant de vieux fantômes et ne corrigeant que par la modernité économique

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les vieilles menaces que l'on attise. A Cracovie, à Prague, l'Allemagne paraît un obstacle qu'il faudrait contourner pour rejoindre l'autre partie du continent. Comme s'il y avait et l'Alle- magne et l'Europe et qu'il faille toujours choisir entre ces deux perspectives.

Il y a urgence. La République fédérale d'Allemagne mène son jeu qui dresse les ambiguïtés contre elle. La Grande-Bretagne se désintéresse en critiquant en bloc et sans solution. La France n'a pas le droit de se taire. Elle est devenue le symbole d'un autre équilibre de raison.

Elle défend l'achèvement de la construction communautaire.

Parce que les réussites de cette Europe-là paisible et réaliste ont servi de modèle. Elle a su réunir les Etats les plus farouchement adversaires, imbriquer les économies, mêler les jeunesses et les espérances, faciliter les échanges et les compréhensions, sans s'iso- ler dans une forteresse.

Après la construction économique : les projets monétaires, sociaux, culturels et l'achèvement politique qu'esquissent, au- jourd'hui, les propositions de Roland Dumas sur un exécutif qui tiendrait lui aussi sa légitimité du suffrage universel. Il faut que la Communauté soit forte pour retenir la dérive allemande et relati- viser le poids de la réunification. Autrement, chacun pour soi, entraîné par la spirale des replis et des protections, remettra en cause, avec l'acquis économique, la stabilité de l'ensemble.

Une Europe à revivre

C'est cette complémentarité entre deux tentations de l'Europe que doit inspirer l'intensité de la relation franco-allemande.

François Mitterrand propose une confédération européenne, qui donnerait à tous les peuples la certitude d'un avenir partagé.

Aux grands bouleversements répondrait la seule espérance que la paix s'installe, que les frontières ne soient pas remises en cause, et que, dans un ensemble mieux défini, les tensions s'estompent sur la définition d'un projet commun. Antonin Liehm, qui a tant milité pour ces retrouvailles, nous faisait remarquer à Bucarest que les

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gens de l'Est étaient spontanément plus européens que nous. Tout au long des années de plomb, ils avaient gardé, enfoui, mêlé aussi de nostalgies, cet espoir d'une Europe à revivre, telle qu'ils ne l'avaient jamais vécue. Il faut leur rendre cette utopie incertaine, celle qu'appelle la complexité historique où chaque peuple d'amour ou de haine a fini par devoir vivre ensemble.

La France peut la proclamer sans être soupçonnable. Elle n'a pas d'empire à faire, ni d'économie à imposer en solitaire. Sa culture lui inspire d'accueillir la diversité, de comprendre des peuples dont les siècles confortent les affinités.

La Révolution française a porté les références d'une année de libérations inattendues. Un peu 1789, un peu 1848 aussi. Les lumières de Paris, le souvenir des luttes sociales, la Commune, Victor Hugo mais aussi Zola, l'humanisme et l'individualisme d'une littérature d'analyse et de psychologie, autant d'espaces où des intellectuels, des étudiants pouvaient sauver leurs rêves. Contre les souvenirs nazis, la Russie dominante, la France avait droit à cette distance d'indulgence où, sous les nostalgies, se nichait toujours le goût de la liberté. "Apprendre le français était notre forme de sub-

version", me disait un intellectuel roumain.

Aujourd'hui, la culture est le moteur d'une Europe à faire. La restauration économique prendra du temps. A l'encontre des déceptions qu'elle suscitera, il faut précipiter une prise de conscience européenne. La France, dans ce domaine, maintient son avantage. Par tradition et par nécessité, l'Université est respec- tée dans les pays du communisme. Ses professeurs et ses étudiants ont souvent engagé le processus de contestation. De ce savoir aca- démique, la France garde la réputation. Ses historiens sont atten- dus, à l'heure où le problème des peuples est justement de relire l'Histoire et de la remettre en conformité ; ses philosophes sont écoutés quand il faut définir autrement les ressorts de la société.

Autant de prestiges qui sont les nôtres. Ce qui n'exclut, bien sûr, aucune des disciplines modernes de la science, de la technologie ou de la gestion mieux adaptée d'une économie mixte.

Le ministre tchèque de l'Education affirmait : "La Sorbonne est notre véritable maison commune. " Comme au Moyen Age, la civilisation européenne se définit dans le droit à partager les ensei- gnements. Avec Michèle Gendreau-Massaloux, recteur des univer-

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sites de Paris, nous avons conduit "la Sorbonne à Bucarest". Michel Serres, Alain Touraine, Maurice Duverger, Marc Augé, Madeleine Rebérioux, tant d'autres venaient, pour la première fois après tant d'années soumises, enseigner librement devant les étudiants et les professeurs. Michel Serres l'a raconté avec émerveillement : "Ils me dévoraient comme des loups." Ils le dévoraient d'interrogations.

Nous assistions ensemble au réveil de la pensée, et c'était fasci- nant, à la renaissance d'une pensée adulte, argumentée par la pra- tique politique et par la structuration théorique du marxisme.

Les médiévistes, les sociologues, les historiens, les philo- sophes, les littéraires de l'Europe orientale ont spontanément une connaissance globale du continent. Ils ont dû refuser le repli natio- nal. Leur cosmopolitisme est européen. Les crises qu'ils ont à affronter, les réponses qu'ils proposent sont européennes.

Une grave responsabilité

Certes, la situation antérieure ne se retrouve pas. Il y a des intensités plus fortes d'universel : l'imbrication de l'économie, la proximité de l'audiovisuel, la technique qui rassemble, la conscience des dépendances financières, énergétiques, industrielles, la raison des marchés, les équilibres militaires de la dissuasion. Mais ces évi- dences s'opposent aux tentations du repli. Elles ne les résolvent pas toujours, dans des nations si peu riches qu'elles peuvent être tentées de discipliner leur misère dans une forme d'autarcie.

A la France de savoir répondre à leur attente, de retrouver, à son tour, dans cette dimension plus vaste d'Europe, le lieu de l'uto- pie. Nous avons une responsabilité grave, car, sans cette prise de conscience européenne, toutes les dérives resteront possibles entre des peuples qui n'auront pas appris à se reconnaître.

La France a toujours préféré une définition universelle de la civilisation européenne. La Renaissance accueillait l'Antiquité plus vaste de Rome et de la Grèce. Les croisades défiaient l'islam.

Les bourgeois cultivés du siècle des Lumières légiféraient pour l'univers. La colonisation ouvrait dramatiquement d'autres curio- sités. La nécessité des voisinages, la Méditerranée, l'Afrique, le

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monde arabe, l'au-delà des mers, aujourd'hui le dialogue Nord-Sud ont toujours valu pour la France. Elle ne saurait envisager une Europe enclose. Paris, ville lumière, est la ville de tous les cosmo- politismes. Tandis que le monde allemand enferme l'Europe mal- gré l'alibi du dynamisme économique et l'intensité de sa culture. Il inspire des peuples sur ses marches. Son histoire ne traverse pas les mers. Il draine un continent. Il ne le projette pas.

La langue française a sa signification particulière

Les nations d'Europe orientale ont la nécessité de parler plu- sieurs langues. Elles ont gardé le français. L'américain traduisait les espérances de l'autre camp manichéen. Aujourd'hui, cette dimen- sion s'estompe. La priorité appelle à l'Europe. L'allemand en profite (qui se camouflait dans une sorte d'universalisme anglo-saxon), mais le français y découvre un nouveau dynamisme. "Les langues sont la merveille de l'Europe", me disait Alberto Moravia. Sauvons cette merveille.

La France est une idée neuve en Europe. Ne nous dérobons pas. L'enjeu est trop essentiel. Il ne s'agit ni d'éclats, ni de paillettes, ni de rencontres en trompettes, ni de coups médiatiques qui ne vaudraient que pour nous, mais, en profondeur, d'une réconciliation.

Il ne faut pas se tromper sur notre identité. L'inquiétude atteint la France parce qu'elle ajuste mal sa mesure dans la Com- munauté qui dépouillerait partie des tâches de l'Etat et dans l'en- semble européen où d'autres menaces apparaissent. Inquiétudes, incertitudes sont les termes d'une même confusion quanti les valeurs s'estompent, quand les morales ne se transmettent plus.

Alors, on se replie sur l'idée vague d'une identité, puis sur les peurs et les fantasmes qui l'expriment faute de mieux. Comme si les promesses de l'avenir devaient se retrouver dans des souvenirs enfouis, dans une réinvention de la mythologie nationale où les racines ne tiendraient pas un arbre vers les cimes. L'Europe peut nous redonner la formulation plus vaste de l'histoire et de la culture

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qui sont les nôtres, entremêlées d'invasions réciproques et de séductions, de partages dynastiques, de religions et de souverai- neté. Emerveillés de constater que lentement, au long des siècles, nous avons été nous-mêmes, sans rien rejeter des autres parce que quelque certitude de raison, la tradition d'une Histoire en ordre nous interdisaient d'en avoir peur.

Thierry de Beaucé

1. Dante, la Divine Comédie.

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