L’UTILISATION DIGESTIVE RÉELLE DU PHOSPHORE DU FOIN DE LUZERNE PAR LE MOUTON,
MESURÉE A L’AIDE DE 32 P
L. GUEGUEN
Michelle FRASNIER-LANGLOIS Station de Biochimie et de Nutyition,
Centre national de Recherches
zootechniques, Jouy-en-Josas (Séiné-ei-Oise)
SOMMAIRE
L’excrétion fécale
endogène
dephosphore
a été estimée chez trois béliers adultes à l’aide d’une méthode de dilutionisotopique simplifiée.
Des bilans dephosphore
ont été effectués àpartir
du6
e
jour après
uneinjection unique
de 32P, et les radioactivitésspécifiques
duphosphore
duplasma
et des fèces ont été
comparées.
Les évolutions des activités
spécifiques
duphosphore
duplasma
et des fèces sontremarquable-
ment
parallèles
entre animaux.En moyenne 60 p. 100du
phosphore
fécal estendogène. Ainsi,
le coefficient d’utilisationdigestive
réelle du
phosphore
du foin de luzerne distribué est de 55p. roo, tandis que son utilisationdigestive
apparente est
négative.
L’excrétion fécale
endogène
dephosphore
est de 2,1 g parjour
et peut être assimilée au besoin d’entretienpuisque
les pertes urinaires sontnégligeables.
Pour couvrir les besoins d’entretien il faudrait donc apporter 3,8 g dephosphore
parjour.
Cecicorrespond
à 4z mg dephosphore
parkg
de
poids
vif de l’animal.I,es
expériences classiques
de bilans nepermettent
d’évaluer que l’utilisationdigestive apparente
et la rétentionapparente
duphosphore
de la ration. Pour estimeravec certitude l’utilisation
digestive
réelle duphosphore
il est nécessaire de con-naître la fraction
endogène, déjà
utilisée à des finsmétaboliques,
duphosphore
excrétépar les fèces. En
effet,
lephosphore
réexcrété dans l’intestin etprovenant
del’organisme
se retrouve dans les fèces au même titre que lephosphore
nondigéré
de la ration.
Le coefficient d’utilisation
digestive
réelle est donc ainsi défini :sachant que Pi est la
quantité
dephosphore ingérée, P f
laquantité
dephosphore
excrétée par les fèces et
P »
lapartie endogène
duphosphore
fécal.L’estimation de l’utilisation
digestive
etmétabolique
réelle duphosphore
estparticulièrement importante
pourcalculer,
àpartir
des besoins nets(entretien, croissance, lait),
lesapports
dephosphore
recommandés pour un étatphysiologique
déterminé. De
même,
pour évaluer l’efficacitébiologique
deplusieurs
sources dephos- phore
il est nécessaire de comparer lesdigestibilités
réelles. En outre, chez les rumi-nants adultes où l’excrétion urinaire de
phosphore
estnégligeable,
l’excrétion endo-gène
fécale dephosphore
constitue la totalité despertes métaboliques
etpeut
doncêtre assimilée au besoin d’entretien
(dans
la mesure où ce besoin estconstant).
L’excrétion fécale
endogène
dephosphore peut
être facilementestimée,
dans des conditionsphysiologiques
normales, parl’emploi
de la méthode de dilutionisotopique.
Cette
technique, employée
pour lapremière
fois par HEVESY( 1939 )
a été mise aupoint
etperfectionnée
par Kr,mrirx et al.(io, 5 i) puis
par Lo!GRE!N et KLEIBER(i95.!)
pour l’étude de l’excrétion fécale
endogène
dephosphore.
PRINCIPE DE I,!1
MÉTHODE
Un
injectant
à l’animal une solution contenant 32p onobtient,
au bout dequel-
ques
jours,
un état stationnaire tel que le taux de sécrétion de 32P dans l’intestin demeure constant. KLEIBERet ral.( I g 5 I )
obtenaient cet étatd’équilibre
en effectuantdes
injections bi-quotidiennes
durant 12jours.
On admet alors que, dans cet état
d’équilibre,
lephosphore
duplasma
et lephosphore endogène
sécrété dans l’intestin ont la même radioactivitéspécifique.
Sachant que toute la radioactivité
apparaissant
dans les fèces résulte de l’excrétionendogène
deP,
il est facile de calculer la fractionendogène j e ,
connaissant les acti- vitésspécifiques
de P duplasma, Ap,
et desfèces, A,,
ainsi que laquantité
totalede P excrétée par les
fèces,
F.La
proportion
de Pendogène
dans le P fécal total est donc donnée par lerapport
des radioactivités
spécifiques
de P des fèces et duplasma.
Toutefois,
il est nécessaire que lesquantités journalières ingérées
demeurentconstantes durant
l’expérience,
de tellefaçon
que la dilution duphosphore endogène marqué
par lephosphore
stabled’origine
alimentaire soit constante.L
OFGREEN et KLEIBER
( 1954 )
ont considérablementsimplifié
cette méthode enmontrant
qu’il
suffisait de faire une seuleinjection
sous-cutanée au début del’expé-
rience et que l’on
obtenait, après
le4 e jour,
uneparfaite
corrélation entre les radioacti- vitésspécifiques
de P duplasma
et des fèces(radioactivités spécifiques qu’il
n’estdonc pas nécessaire de maintenir
constantes).
Deplus,
la relation entre les radioacti- vitésspécifiques
de P duplasma
et des fèces d’unepart
et letemps
d’autrepart,
estexponentielle
du 4eau7 e jour
et linéairedu 7 e
auI4 e jour.
Il suffiraitdonc,
en utili-sant cette
période
de décroissancelinéaire,
deprélever
du sang le7 e
et le 13ejour
et de confectionner un échantillon moyen des fèces recueillis du
9 e
aui 5 e jour, compte
tenu d’un
décalage
de 2jours
entreplasma
et fèces(L!OFGREEN ig6o).
Nous avons
adopté
cette dernièretechnique,
mais eneffectuant,
à titre de vérifi-cation, plusieurs prélèvements
de sang et d’excreta durant lapériode
utilisée.MATÉRIEL EXPÉRIMENTAL
ETMÉTHODES UTILISÉES
1<’ ,4 1<1»ia><.; el ali;nenlalio>i
L’expérience
aporté
sur 3 béliers. de race Ile de 1&dquo;>.an<e, âges de 3ans et demi à 4ans et pesant de 8; à 9okg.
Les animaux ont été maintenus en cages à métabolismes
(permettant
de séparer les urines et lesfèces)
durant 6 jours ayant le début deJ’expérience,
afin d’obtenir un niveaud’ingestion
pratique-ment constant.
Lc foin de luzerne, dont la
composition
minérale moyenne estindiquée
dans le tableau r, a été distribué deux fois par jour, avec de l’eau à volonté. Lesquantités
distribuées et les refus out étépesés chaque jour pour chaque animal.
2
() /)1>>.oi/lenie>il de
l’e. ^£ pjrie)i(e
Les 3 béliers _1, B, C, ont reçu
respectivement
parinjection
sous-cutanée (à l’intérieur de lacuisse), environ .I,!-3,o et !,7
mC
de 32p sous forme de solution neutre stérileisotonique
de P04 H:Ba2’
Pour éviter des contaminations
importantes
par les fortes excrétions de radioactivité se pro- duisant durant lespremiers
jours, les planchers des cages à métabolismes et lesrécipients
de récoltedes excreta ont été renouvelés avant la
première période
de bilans.Des
prises
de sang ont été effectuées dans la veinejugulaire gauche
le 6e, le 9e, le 12e et le 1g
ejour
après l’injection,
tandis que des bilanscomplets
étaient réalisés durant despériodes
de 24heu-res du 8eau 2 le jour.
j°
7’;’t’!M)’a<!0!
des Ùhantillons et màhodes de dosageLe sang, recueilli sur
liéparine,
a étécentrifugé
immédiatement pour séparer leplasma.
Pour le sang et l’urine, les comptages ont été effectués sur des
prises
de i ou 2MIplacées
dansdes
coupelles
en aluminium et séchées sous une lampe à infra rouge. Ledosage
de P a été effectuéaprès
minéralisationnitro-perchlorique
d’une prise de 10ml.Pour les fèces, une mise en solution a été effectuée avant le comptage. 1?n effet, des mesures
relatives suffisent pour déterminer le rapport des activités
spécifiques
de P duplasma
et des fèces,à condition que les
géométries
de comptage soientrigoureusement identiques.
Ainsi, uneprise
de20g de fèces frais a été effectuée â partir
d’un
échantillonreprésentatif
de 200g et a étébroyée
dansun mixer
Waring-Blendor (les
échantillons étantbroyés
dans des pots différents) avec 180ml d’eaudistillée. Puis, environ 40 g du broyat
homogénéisé
ont été séchés sur un bain de sable dans une cap- sule en silice et incinérés au four à 53°-550°C. Les cendres ont étéreprises
par HCI pur,puis
par FIN03à io p. 100 sur un bain de sable et diluées convenablement. Les
dosages
de P et les comptagesont été effectués sur des
prises aliquotes
de cette solution.Le
dosage
de P dans les fourrages a été effectuéaprès
incinération au four de i g deproduit
secet mise en solution comme dans le cas des fèces.
Les
dosages
de P ont été effectués par colorimétrie duphosphovanadomolybdate
d’ammoniumet les comptages de radioactivité à l’aide d’un compteur
Geiger- 1 Iüller équipé
d’un passeur automati- que d’échantillons. Le mouvement propre très réduit( 1 chocs /mn)
du compteur apermis
de mesurerdes activités faibles (taux de comptage de 5o à 5oo chocs jinn avec
prédétermination
de i ooo chocspour toutes les mesures).
Les activités des échantillons de fèces ont été
corrigées
pour tenir compte dudécalage
de 2jours
avec les
prélèvements
de sangcorrespondants.
RÉSULTATS
W
Évolution
des radioactivitésspécifiques
duphosphore
duplasma et
desfèces
Pour les trois
animaux,
les évolutions des radioactivitésspécifiques
de P duplasma
et des fèces sontremarquablement similaires, compte
tenu du fait que le bélier B n’a reçu que 3,0mC au lieu de 4,5 mC pour les deux autres(fig. z).
Comme l’avaient montré I,oxGR!!rr et Kr,mB!x
( 1954 )
les décroissances sontpratiquement
linéaires durant lapériode
allant du7 e
aui 4 e jour après l’injection
(fig. 2 ).
Il est doncpossible
de se limiter à cettepériode
pour effectuer les calculs.2
0
Évaluation
de laproportion de phosphore endogène
dans lephosphore fécal
total Lerapport
moyen des activitésspécifiques
duphosphore
des fèces et duplasma,
donnant la
proportion
de Pendogène
dans le P fécaltotal,
a étécalculé,
d’unepart
durant lapériode
de 6jours
entre le Ieret le3 e prélèvement (méthode préconisée
par I,oxGx!EN et KLEIBER,1954 ),
d’autrepart,
en faisant la moyenne des résultats obte-nus pour les
quatre prélèvements.
Dans lepremier
cas les valeurs obtenues pour les 3animaux
A, B,
et C sontrespectivement
de0 ,56,
0,59 eto,62.
Dans le second cas lesrapports
sont de 0,57, 0,57eto,62.
Le fait d’utiliser unepériode
de 6jours
et unnombre limité de
prélèvements
semble donc très valable.Ainsi,
en moyenne, 59p. 100duphosphore
excrété par les fèces chez le mouton adulte à l’état d’entretien estendogène.
3
0
Bilan et utilisationdigestive
réelle duphosphore
dufoin
de luzerneDurant la
période
étudiée les animaux sont en bilan faiblementnégatif (tabl. 3 )
et le coefficient d’utilisation
digestive apparent
moyen est inférieur à zéro. Comme chez tous les ruminantsadultes,
l’excrétion urinaire de P est très faible.Toutefois,
l’excrétionendogène
fécale de P étant élevée(en
moyenne 2,1 g parjour)
lesquantités
réelles absorbées sont en moyenne de1 , 7 6
g parjour
et très voisineschez les 3 animaux. Ainsi le coefficient d’utilisation
digestive
réel moyen est de 54,9 p. ioo.Puisque
l’excrétion urinaire de P estnégligeable (i
p. 100 de l’excrétiontotale)
l’excrétion fécale
endogène
de P fournit la totalité despertes métaboliques.
Le besoind’entretien
peut
donc être estimé à 2,1 g de P parjour. Compte
tenu du CUDréel
de 55 p. 100, ceci conduirait à recommander
l’apport journalier
de3 ,8
g de P.DISCUSSION
La méthode de dilution
isotopique employée
pour évaluer l’excrétion fécale endo-gène
de Y sembleparticulièrement
fidèle et les évolutions des activitésspécifiques
de P du
plasma
et des fèces sontremarquablement
similaires. Comme l’avaientpré-
conisé LOFGREEN et Kt,W skx
( 1954 ’)
il se semble pas nécessaire d’effectuer despré-
lèvements très
nombreux, compte
tenu de l’existence d’unepériode
deplusieurs jours
durantlaquelle
la diminution des radioactivitésspécifiques
de P duplasma
et desfèces est linéaire.
Certains auteurs
rapportent
l’activitéspécifique
de P des fèces à l’activitéspéci- fique
de P del’urine,
cequi
constitue unesimplification
considérable(W RIGH T
1955,C=üTT! et
al., 19 6 1 ). Toutefois.
cettetechnique
serait surtout utilisable chez les mono-gastriques,
oit l’excrétion urinaire de 32P est élevée. Chez les ruminants il ne semble pas exister de relation continue entre les excrétions urinaires et fécales de 32I’.La
proportion
de P fécalendogène
dans le P fécal total de 59p. 100est intermé- diaire entre les deux valeurs de 43 et 70 p. 100trouvées par Kr,!m!R et al.(ig5i)
sur deux vaches laitières consommant des
quantités
très différentes de matière sèchesous forme de foin de luzerne et d’aliment concentré.
Les bilans
négatifs
observés durant lapériode expérimentale peuvent
résulter de l’insuffisance desquantités
de Pingérées :
les moutons ne recevaient que dufoin,
et en
quantité
limitée(r
50o g de matière sèche parjour
enmoyenne). Cependant,
ladigestibilité
réelle de P du foin de luzerne est élevée( 55
p.100 )
etproche
de la valeurde
6!
p. 100trouvée par BRÜGGEMAN et c!l.(ig 5 g)
sur des moutons adultes recevantexclusivement du foin et
qui
se trouvaientégalement
en bilannégatif.
K!,W B!x etal.
( 1951 )
sur deux vaches recevant un foin de luzerne et un aliment concentré trouvent que 50 et6 4
p. 100du P de la ration totale estabsorbé,
tandis que WRIGHT(ig551,
travaillant sur
brebis, indique
desdigestibilités
réelles de5 6
et 82 p. 100 pour le P d’une rationcomprenant
un foin mixte et un aliment concentré.Le besoin
d’entretien,
estimé à 2,1 g de P parjour,
est couvert par unapport journalier
de3 ,8
g de P, soit 42mg de P parkg
depoids
vif.L’apport
habituellement recommandé chez les bovins adultes est de 30mg parjour
et parkg
depoids
vif.Compte
tenu del’ingestion
moyenne de 1.500 g de matière sèche parjour,
lateneur en P recommandée dans la ration totale serait donc de 2,5 g de P par
kg
dematière sèche.
Cependant,
des rations différentes conduiraient à des consommations normalesplus
élevées( 2 kg
de matière sèche parjour)
et il suffirait alors de 2g de P parkg
de matière sèche pour couvrir les besoins d’entretien.Reçu en mai i96z.
SUMMARY
1’IIE AVAILABILITY TO SHEEP OF PHOSPHORUS OF LUCERNE HAY, MEASURED WITH 32P.
The faecal metabolic excretion of
phosphorus
has been estimated in three adult ramsby
asimpli-
fied method of
isotopic
dilutionaccording
to LorcttEEa and KLEIHER. The balance ofphosphorus
were effected from the 6 th
day
after asingle injection
of 32pand thespecific
activities ofphos-
phorus of the plasma and the faeces have been compared.The
specific
activities ofphosphorus
of the plasma and the faeces followed a linear decrease from the 6th to the 14thday
after the injection and theparallelism
between the three animals wasremarkable. In order to
verify
thevalidity
of thissimplified
method theexperiment
was extendedto the 21st
day (fig.
i and 2).On an average, 60 p. 100of the
phosphorus
excretedbv_
the faeces wasendogenous.
Thus, the truedigestibility
of thephosphorus
of the lucernehay
distributed was 55 p. I oo, while its apparentdigesti-
bilitywas
negative
(tab. 3).The
faecal metabolic excretion of phosphorus was 2.6 g perday;
this constitutesapproximately
themaintenance
requirement
since theurinary
loss ofphosphorus is negligible (about i p. 100 of the
total excretion).
To cover the maintenance
requirement,
!.8g of phosphorus
should be given perday.
Thiscorresponds
to 42 mg ofphosphorus
per kg liveweight
of the animal and about 2.5 g ofphosphorus
per
kg
dry matter fed.RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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