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LA REVUE THEATRALE. Au Théâtre des Arts-Hébertot

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Academic year: 2022

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LA REVUE THEATRALE

A u T h é â t r e des A r t s - H é b e r t o t

Jules R o m a i n s : Donogoo Lorsqu'il était élève de l'Ecole normale, Louis Farigoule se divertissait à inaugurer des plaques de rue dont i l possédait dans sa turne tout un assortiment ou à soutenir des candidatures fantaisistes aux élections. Devenu Jules Romains (Romains au pluriel pour faire singulier, disait-il), i l a prolongé le canular dans son œuvre et il l'a élevé à la dignité du mythe. Il y a au fondement de cette opération une idée sur le pouvoir créateur de l'imagination. Jules Romains, qui est agrégé de philosophie et qui a lu Hegel, pense qu'il n'y a de réel que le mental. Ainsi, du Bourg régénéré à Mort de quelqu'un, l'imaginaire, chez l u i , a-t-il sécrété et façonné la réalité. Mais le goût de la farce aidant, la réalité tirée de la seule imagination, la réalité ne connaissant plus de limites peut prendre des proportions fabuleuses et l'on est alors projeté dans l'empire céleste du canular où le Blagueur dispose de tous les pouvoirs du Verbe de Dieu. Donogoo a été au théâtre l'illustration la plus éclatante de ce que Robert Brasil- lach a appelé la mystification transcendantale.

M . Jean-Laurent Cochet a célébré le centenaire de Jules Romains en reprenant au Théâtre Hébertot Donogoo. Jouée pour la première fois en 1930 par Louis Jouvet, dans une époque qui venait d'être secouée par la gigantesque blague des Poldèves, peuple opprimé auquel la partie la plus généreuse de la classe politique française avait cru devoir s'intéresser, cette comédie- farce est l'histoire d'une escroquerie non seulement qui réussit, mais qui convertit la fable en réalité et qui est créatrice de richesses. Donogoo est le produit d'une erreur scientifique. L e

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professeur Le Trouhadec a décrit au chapitre du Brésil de sa Géographie universelle une ville qui n'existe pas. Ce manque de rigueur, pour ne pas dire cet excès d'imagination peut lui coûter son élection à l'Institut. Le hasard place heureusement sur ses pas le fameux Lamendin, de la bande des Copains, en disponi- bilité d'emploi. De cette rencontre organisée par des dieux malins, naîtra, avec l'appoint technique du banquier véreux M a r - gajat, l'entreprise publicitaire de la Donogoo-Tonka. L a ville de Donogoo n'existe pas ; on fera comme si elle existait. A u fond du Brésil, qui irait vérifier ? O n crée et l'on distribue dans le monde entier des actions pour le développement et l'embellisse- ment de la capitale d'un district que l'on proclame de surcroît aurifère. Des colonnes de pionniers convergent des quatre points cardinaux à travers la forêt vierge vers cette ville inexistante, suivant des itinéraires tracés par les agences de voyages. L ' i m - posture triomphe ; le mirage y joint ses fascinations. On est en pleine tartarinade. Mais, alors que le peuple tarasconnais, voguant avec sa Tarasque sur l'océan Indien vers la colonie de Port-Tarascon dont le duc de Mons lui a vendu la concession, découvrira, en débarquant sur l'atoll où règne Negonko, le néant de ses illusions, les pionniers de Jules Romains désespérant de trouver dans la forêt vierge l'emplacement de la cité fabuleuse planteront n'importe où un poteau où ils inscriront le nom de Donogoo, et de la fiction naîtra, par le pouvoir de l'imagination appuyé des artifices de la publicité, une réalité qui s'avérera féconde en richesses matérielles. Jules Romains, n'oubliant pas qu'il est l'auteur d'un Manuel de déification, dresse au centre de Donogoo un monument à l'Erreur scientifique, source de vérité, et élève au rang de divinité créatrice la Force de l'illusion. E n cet endroit, la farce qui a réussi vise peut-être à se faire prendre au sérieux, et elle dégénère en conte philosophique d'où une moralité, voire une politique sont tirées. L a création de Donogoo pose des problèmes de société et de civilisation. Sous Jules Romains perce Duhamel.

M . Jean-Laurent Cochet, éludant les problèmes, a monté Donogoo dans un style de bande dessinée très cocasse et allègre.

Les tableaux se succèdent, cinquante comédiens évoluent, sans se bousculer, dans un périmètre limité par les dimensions de la scène, entre le canal Saint-Martin et le Mato Grosso, le chemin de fer à vapeur souffle et siffle comme au bon vieux temps, un paquebot transatlantique roule sur les flots. M . Jean-Laurent Cochet a transformé le Théâtre Hébertot en Châtelet de poche.

Sans moyens, i l n'a eu recours, lui aussi, q u ' à la puissance créa-

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trice de l'imagination. Avec quelques accessoires, quelques tou- ches allusives, d'un léger tour de main, il crée la réalité. C'est une réalité de carte postale. On y croit, on y est, on redécouvre la vraie joie du théâtre. De la même manière, M . Jean-Laurent Cochet, acteur, campe son personnage de Margajat. Quelques jeux de physionomie, quelques gestes, une façon de s'éponger le front ou de déboutonner son gilet, il le dote en une pirouette de la plus épaisse des réalités. M . Jacques Eyser dessine du même trait, sans appuyer, en y ajoutant une teinte de suavité, la silhouette du savant Le Trouhadec. M . Jean-Claude Régnier (Lamendin) entraîne dans un mouvement alerte la bande des Copains, M . Max Fournel, M . Raymond Baillet, M . Roland Faruggia, M . Guy Pintat. Des jeunes gens et des jeunes filles, toute la classe de M . Jean-Laurent Cochet, ont achevé de donner à ce spectacle, que Paris n'aura pu voir que pendant un mois, la note de gaieté d'une amusante récréation théâtrale.

M a u r i c e D r u o n : Un voyageur

Jules R e n a r d : Poil de carotte Le petit employé d'une fabrique de boîtes de conserve, inventeur de petits trucs, méconnu de son patron, de surcroît amoureux dédaigné de la femme de celui-ci, décide de se venger de l'un et de l'autre. Il va se faire passer pour le représentant d'une grande firme internationale, loue une suite luxueuse dans le palace de la ville, convoque le P . - D . G . de sa société pour lui vendre l'ouvre-boîtes qui doit révolutionner l'industrie de la conserve et s'arrange en se déclarant porteur de nouvelles d'une amie étrangère pour amener madame l'épouse du P . - D . G . à lui rendre visite dans son appartement. M . Maurice Druon a tiré de cette situation, qui pourrait n'être qu'innocente, des conséquen- ces qui le sont moins, dans un petit acte intitulé Un voyageur que les Comédiens-Français ont créé en 1963 et que M . Jean- Laurent Cochet a repris au Théâtre Hébertot malheureusement pour une série limitée de représentations.

« Mon secret, a dit Feydeau, est de mettre en présence dans un certain lieu des personnes qui ne devraient jamais s'y rencon- trer. » M . Gamberone survenant dans l'appartement du « voya- geur » pour lui remettre son chèque de vingt millions au moment précis où Mme Gamberone sort dans le plus simple appareil de la chambre voisine est une de ces situations à la préparation desquelles Feydeau consacrait tout son temps. M . Druon a orga-

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nisé cette rencontre saugrenue en un tournemain. Mais là où Feydeau, brave homme, s'empressait d'arranger les choses après les avoir bien détraquées, M . Druon prend un malin plaisir à aggraver la situation par des révélations perturbatrices de la paix conjugale. Après quoi, il ne restera au « voyageur », farceur, mais aussi escroc et maître chanteur, q u ' à savourer une vengeance bien rétribuée en laissant les époux face à face et en allant pren- dre des vacances avec le chèque du mari.

M . Maurice Druon a écrit un petit acte très drôle, mais, sinon méchant, du moins assez coquin et son héros, qui a la gentille mine de M . Jean-Claude Régnier, interprète déjà de Figaro et de Lamendin, sortirait plutôt de chez Regnard que de chez Feydeau. Il est de la race des Frontin. O n rit, on se moque de M . et Mme Gamberone, mais on craindrait de connaître la suite. Ce « voyageur » ira loin. Peut-être jusqu'au bagne... Cepen- dant, ne prêtons pas de sinistres arrière-pensées à M . Druon, ne noircissons pas trop le fond d'un tableau qui doit rester un léger croquis. Si M . Jean-Claude Régnier pose dans la ponctuation de la pièce quelques points de suspension qui pourraient amorcer une réflexion un peu amère, M . Jean-Laurent Cochet et Mlle Christine Fabrega se contentent de dessiner d'un trait rapide des silhouettes de vaudeville classique et ils nous entraînent dans un mouvement de gaieté où i l faut se laisser aller.

Poil de carotte accompagne Un voyageur au programme du Théâtre Hébertot. Le personnage principal de ce spectacle où l'on a convié les enfants des écoles pour leur faire entendre le procès de la famille, « réunion forcée sous un même toit de plu- sieurs personnes qui ne peuvent pas se sentir » (« Familles, je vous hais ! »), n'est pas tant l'enfant martyr que le mari martyr. Nous ne nous intéressons q u ' à M . Lepic. Mlle Danielle Ajoret, pour- tant, a réussi à rendre bien intéressante Mme Lepic et, à la faveur de deux ou trois jeux de physionomie, elle a pu laisser entendre que celle-ci n'était peut-être pas la mégère que l'on croit sur la foi des accusations de Jules Renard, mais une mère de famille calomniée, parce que dévote et amie des curés. L e Poil de carotte de M . Cochet a le mérite de proposer une réhabilitation.

J a m e s S a u n d e r s : Guérison américaine

(Théâtre L a Bruyère) M . Laurent Terzieff présente au Théâtre L a Bruyère Gué- rison américaine, une œuvre de M . James Saunders. M . Terzieff

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a été l'introducteur en France du théâtre d'Edward Albee. Il a été en 1965 le metteur en scène de Zoo Story. Il y a entre Zoo Story et Guérison américaine une parenté. M . Saunders est plus près d'Albee que de Pinter auquel on le compare.

Guérison américaine est l'épilogue d'un chassé-croisé amou- reux entre deux couples amis. Echange banal de partenaires, de la situation qui aurait pu n'être que vaudevillesque, est né le drame. Les femmes sont parties avec les amants ; elles sont revenues, conclusion classique, vers leurs maris. Seulement, neuf ans après, les couples se retrouvent. L ' u n , qui s'était exilé en Amérique, y a suivi une cure psychologique. L a plaie s'est refer- mée. Il est guéri. Il est réinstallé dans la tranquillité et la sécurité.

L'autre est toujours dans la même névrose d'insatisfaction, d'in- quiétude, de désarroi, sous la menace permanente d'on ne sait quoi. Après une exposition un peu longue et peut-être inutile, composée d'une succession de scènes brèves et heurtées en forme de fîashes où les quatre personnages, les quatre figures du carré, apparaissent, disparaissent, reparaissent comme dans un jeu de cartes, selon une règle avec laquelle on ne peut tricher, on entre dans le vif du sujet : le chassé-croisé est terminé, le jeu est redis- tribué, cartes sur table, les quatre personnages vont s'expliquer.

Cette explication commence sur le ton banal de la conver- sation mondaine un peu coincée, un peu gênée entre des gens qui n'ont rien oublié de ce qui s'est passé entre eux et qui savent, en multipliant les faux-fuyants, qu'ils ne vont parler que de ça.

O n sent bien que M . Terzieff, qui a imaginé, provoqué, organisé ces retrouvailles, ne cherche pas tant à obtenir de ses amis le secret de leur thérapie salvatrice q u ' à investir leur quiétude, réin- troduire le trouble dans leurs rapports, rouvrir la plaie, la réinfec- ter. Autour de M . Philippe Laudenbach, image parfaite de bour- geois autosatisfait, proclamant qu'il a oublié le passé, qu'il ne veut penser ni à l'avenir ni à la mort, qu'il se contente de vivre dans l'instant présent, affichant ainsi un existentialisme béat et borné et de Mlle Francine Walter dont la fragilité, sous une apparence de tranquillité, est perceptible grâce à la finesse d'un jeu merveilleusement nuancé, M . Laurent Terzieff, long corps convulsé, comme entortillé dans un inextricable lacis de nœuds, ne communiquant avec les autres que par la lucarne où filtre le regard fiévreux et aigu d'un homme traqué, compose une danse de mort dont Mlle Pascale de Boysson est le témoin consterné et impuissant. M . Terzieff appelle à l'appui de son entreprise d'investissement et de destruction du bloc qui lui résiste mais qu'il sent déjà s'effriter, toutes les puissances du rêve et de la

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poésie, voire de la folie. « La réalité, quel ennui! », s'écrie-t-il.

Rationaliste, c'est au-delà de la raison, là où les mots ont perdu le contact avec les choses et ne sont plus que les signes arbitraires d'un faux idéalisme, que cet intellectuel dévoyé pousse, dans un soubresaut d'escrimeur, son ultime pointe. Mais c'est dans le vide.

Guérison américaine est un très remarquable produit de ce théâtre anglo-saxon d'intimisme trouble, où, sous le couvert d'une conversation de salon n'excédant jamais les limites du bon ton, même si elle s'aventure dangereusement sur des confins à ne pas dépasser, se glisse insidieusement la dénonciation la plus véhé- mente et la plus radicale. L'auteur se solidarise-t-il avec le dénon- ciateur ? O u n'éprouve-t-il pas plutôt la nostalgie de l'ordre moral générateur de paix sur lequel i l le fait s'acharner ? Sournoisement luciférien, M . Saunders a pour but d'inquiéter en ne semant que le doute. M . Laurent Terzieff et ses camarades contribuent, avec le maximum d'intelligence complice, à la réussite de ce projet.

P H I L I P P E S E N A R T

P.-S. Je signale a u Lucernaire une p i è c e « muette » de M . Peter Handke, Le pupille veut être tuteur. M . Antoine Caubet et M . M a u - rice Denarnaud en sont les i n t e r p r è t e s . Ils s'affairent une heure durant à des a c t i v i t é s silencieuses o ù ils ne font que se regarder.

A u c u n texte à juger pour le critique l i t t é r a i r e q u i est en tout critique t h é â t r a l , mais le critique t h é â t r a l doit r e c o n n a î t r e que ce spectacle constitue une performance d'acteurs. O n se rappellera à ce propos l'extraordinaire Jacques M a u c l a i r dans le r ô l e muet d u

Formidable bordel de M . Ionesco au T h é â t r e Montparnasse o u Mlle Nathalie Becue dans le r ô l e quasi muet d'Yvonne, princesse de Bourgogne, à l ' O d é o n .

Je tiens aussi à signaler à mes lecteurs deux t r è s i n t é r e s - santes revues c o n s a c r é e s au t h é â t r e :

— Corps écrit, revue trimestrielle é d i t é e par les P.U.F., 12, rue Jean-de-Beauvais, 75005 Paris, et d i r i g é e par M m e B é a t r i c e Didier. L e n u m é r o 10 comprend des textes de Jacques Copeau, d ' E u g è n e Ionesco, d'Yves Florenne, Pierre Dux, Jacqueline de Romilly, Casamayor, Claude Mauriac, Roger Planchon, Silvia M o n - fort, F r é d é r i q u e H é b r a r d , etc.

— Théâtre en Europe, revue trimestrielle merveilleusement i l l u s t r é e , avec, dans le dernier n u m é r o , une remarquable suite d ' é t u d e s sur le t h é â t r e de Strindberg. J'y reviendrai. Notez l'adresse : Editions Beba, 103, rue de R é a u m u r , 75002 Paris. L e directeur est M . Giorgio Strehler. M . B e r n a r d Dort est membre d u conseil de r é d a c t i o n .

P. S.

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