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LA REVUE THEATRALE 709

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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PHILIPPE SENART

LA REVUE THEATRALE

De la c o m é d i e moscovite à la c o m é d i e parisienne : le Suicidé, par Nicolai Erdman (Odèon). — Le Nou- veau Testament, par Sacha Guitry, chez Jean-Laurent Cochet (Théâtre des Arts-Hébertot).

Nicolai' Erdman avait vingt-trois ans lorsque le grand metteur en scène russe Meyerhold créa en 1925 sa première pièce, le Mandat. C'était une pièce comique. Les services de la statistique relevèrent qu'on y riait quatre-vingt-seize fois par heure. Erdman, encouragé par ces constatations officielles, se mit à écrire une seconde pièce, le Suicidé. Soumise à la censure, elle ne fit pas rire les dirigeants de l'Union soviétique. Staline, dit-on, la jugea « vide et même nuisible ». Elle ne fut pas jouée et son auteur disparut dans une trappe. Erdman reparaîtra en

1956 après la mort de Staline, mais il est oublié et n'a plus qu'à mourir pour de bon. E n 1982, le Suicidé a été joué au Théâtre de la Satire à Moscou. L a pièce avait déjà été jouée à Paris en 1974 par la compagnie Renaud-Barrault dans une mise en scène de M . Jean-Pierre Granval. Elle est reprise à l'Odèon par les Comédiens-Français sous la direction de M . Jean- Pierre Vincent.

Le Suicidé est l'histoire d'un chômeur. Simon Podselka- nikov, affamé, se lève la nuit pour aller manger du saucisson dans sa cuisine. Sa femme se réveille et découvre qu'il n'est plus dans son lit. Elle appelle sa mère qui appelle un voisin.

On Je cherche partout, sauf là où il est. O n ne trouve que son pantalon. O n en conclut que Simon Podselkanikov est sorti en chemise et que, dans cette tenue, i l n'a pu qu'aller se suicider.

A u bout d'un moment, alors qu'on le cherche aux quatre coins du quartier, le chômeur repu reprend sa place au lit. Mais o n

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lui aura mis d a n s la tête l'idée qu'il a voulu se suicider. Il la juge intéressante. Le voisin, astucieux, la juge encore plus inté-

ressante. Il va l'exploiter. Cet homme sans emploi ne sert à rien. Mais s'il se tue en expliquant pourquoi, dans un testament- manifeste où il dénoncera le régime qui l'a réduit à la famine, sa mort aura servi à quelque chose. Le voisin astucieux alerte les intellectuels, les artistes, les petites et moyennes entreprises, les femmes en quête d'amours passionnelles, tous les syndicats de mécontents, de déçus et de frustrés. Il y a une occasion à profiter, un mort à saisir, un message à délivrer, si j'ose dire, par la bouche d'un cadavre que l'on ne pourra ni fermer ni censurer. Le chômeur se laisse convaincre ; il était sans emploi, il joue désormais un rôle. Il a le sentiment, enfin, qu'il existe, au moins pour les autres.

M . Michel Vinaver à qui nous devons l'adaptation de cette pièce est, on s'en souvient, l'auteur de la Demande d'emploi, jouée avec succès il y a quelques années sur les scènes pari- siennes. Aussi bien s'est-il plu, en spécialiste, à souligner que le Suicidé est une pièce sur le chômage. M . Jean-Pierre Vincent a passé sur ce drame social un badigeon de métaphysique. L a société est, dans l'Etat socialiste, ce qui donne forme et vie aux hommes. Exclu de la société, l'individu sans emploi ne peut que retourner au néant. Il en sera tiré dès lors qu'il se mettra à exister pour les autres. Jean-Paul Sartre dans l'Etre et le Néant ne dit rien d'autre. M . Jean-Pierre Vincent remet Sartre en selle au moment où l'on allait l'oublier. Mais il y a dans le Suicidé une question que Sartre voulait évacuer de sa philo- sophie. Y a-t-il une vie dans l'au-delà ? O n comprend qu'elle préoccupe Simon Podselkanikov. II ne cesse de la poser, tandis qu'autour de lui on improvise un banquet pour boire joyeuse- ment à sa mort, mais parce qu'elle est adressée à un sourd-muet, elle ne peut recevoir de réponse. C'est cette question que M . Jean-Pierre Granval mettait en valeur dans la première ver- sion du Suicidé appelée le Suicidaire au Théâtre Récamier, il y a dix ans. L a manière dont elle était posée par M . Granval donnait à la pièce une coloration mélangée de scepticisme et de mélancolie. O n voyait, à la fin, dans le cimetière où Simon Podselkanikov, qui n'est pas mort et qui n'a fait que boire un peu trop de C h a m p a g n e pour s'encourager dans son suicide, sort de son cercueil et se réveille de sa cuite, tous les personnages du Suicidaire se mettre à danser autour du cadavre qui leur échappait et qui affichait, bien que revenu à la vie, un air absent, un ballet doucement désenchanté. C'était un film de René Clair.

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O n aurait pu l'appeler le Mort en fuite. M . Jean-Pierre Vincent a conservé à son Suicidé son caractère de film-poursuite et de Chapeau de paille d'Italie où une noce courait derrière un corbillard, mais en en ralentissant le mouvement et en en décom- posant les figures dans le style analytique qui lui est propre et, pour mieux faire apparaître ses intentions sociométaphysiques, il souligne d'un trait précis et bien noir tout ce qu'il y a de cruel dans l'aventure dérisoire de ce vivant-pour-rien qui ne trouve d'emploi q u ' à la faveur de la mort. Le comique de M . Jean- Pierre Vincent est à base de sarcasme et d'amertume. Il se fraye dans la satire politique une voie facile. Il s'est déjà manifesté ainsi dans la Cagnotte, i l y a quelques saisons. M . Vincent avait tiré de la comédie de Labiche où l'on voyait, au terme d'une folle nuit de prodigalités, les petits bourgeois ruinés de Cham- bourcy lever leurs poings fermés dans les ruines du Palais Bron- gniart, une critique du capitalisme qui n'y était peut-être pas, et i l ne peut tirer de la comédie de Nicolaï Erdman que la critique du socialisme qui y est certainement. A travers Labiche et Erdman, a travers le capitalisme comme à travers le socia- lisme, M . Vincent ne nous offre que sa vision du monde. Elle est sombre.

II s'en dégage une gaieté grinçante, un air de farce macabre, où, sous la satire politique, on doit surtout entendre la protes- tation de l'individu contre tous les mécanismes qui le broient, à commencer par ceux que le vaudeville met en mouvement, son aspiration à un bonheur sans histoires, sa revendication de quelques droits de l'homme dont celui de manger du saucisson à deux heures du matin n'est pas le moindre. C'est à M . Alain Pralon qu'est dévolu dans le théâtre Guignol de Nicolaï Erdman le rôle du pantin exemplaire, du héros-malgré-lui de toutes les résistances, du cadavre manipulé, mais joueur de tours inattendus.

II se tire de ce rôle avec moins de jactance, mais autant d'esprit que celui qu'il mettait dans le rôle d'un autre « résistant », Figaro.

M . Michel Aumont, M . Yves Gasc, M . François Beaulieu, Mlle Evelyne Didi, Mlle Catherine Samie, M . François Chau- mette, Mlle Bérengère Dautun, Mlle Paule Noëlle, j'en passe, composent autour de M . Alain Pralon un ballet cocasse de marionnettes. Deux très grands comédiens, Mlle Catherine Samie, et M . Michel Aumont, y montrent, sous les masques en carton- pâte de la commedia dell'arte moscovite, des visages d'humanité où la vérité et la vie font reconnaître leurs traits éternels.

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« Dans vingt ans, une aventure telle que celle qui nous arrive ne se comprendra plus. » Ainsi, dans le Nouveau Testa- ment, le docteur Marcelin s'adresse-t-il à sa femme, au jeune homme qui est son amant, à une de ses anciennes maîtresses qui est la mère du jeune homme et au monsieur qui est le mari de la dame sans être pour autant le père de son fils, tout en étant le meilleur ami du docteur. L a situation décrite par Sacha Guitry en 1934 risque en effet de n'être plus très bien comprise de nos jours où il paraît que le mariage est une institution anachro- nique et où, par voie de conséquence, l'adultère privé de son justificatif, vidé de sa saveur mondaine et déjà déclassé en tant que délit pénal, ne serait même plus un sujet de vaudeville.

M . Jean-Laurent Cochet tient néanmoins le pari de nous inté- resser à cette situation périmée et il le gagne sans difficulté. L a comédie de Sacha Guitry présentée par M . Cochet au Théâtre des Arts-Hébertot ne relève nullement du genre archéologique auquel la promettait son auteur dans les années à venir. Les années sont venues, on ne sait trop si, dans le changement univer- sellement prôné, ce sont les lois ou les mœurs qui ont changé, mais les sentiments demeurent et le Nouveau Testament reste une comédie parisienne bien vivante. On peut toujours, sous le couvert démodé ou non du mariage, badiner avec l'amour.

Là est la différence entre la comédie moscovite de Nicolaï Erdman, dont le comique sarcastique et amer est rien moins que badin, et la comédie parisienne de Sacha Guitry où le badinage est la règle. Pourtant, la situation dans laquelle se trouvent placés les personnages de cette comédie par la découverte inopinée d'un testament dans la poche d'un veston perdu et retrouvé, au moment de passer à table pour un joyeux dîner entre bons amis, n'est pas en elle-même des plus drôles. Mais, comme dit Sacha Guitry, « les événements qui nous arrivent doivent toujours être considérés comme des événements heureux ; sinon, on ne s'en sortirait jamais ». L a découverte par le docteur Marcelin de l'adultère de sa femme survenant alors que, la cinquantaine arrivée, sa vie conjugale lui paraît un peu monotone et alors qu'il a engagé une nouvelle secrétaire qui peut tout d'abord passer pour sa maîtresse, mais qui n'est que sa fille, adultérine il est vrai, pourrait provoquer un drame. Le contraire se produit, et de cette accumulation de bombes domestiques en une soirée, s'il naît une explosion — ce qui donne lieu à la comédie — , elle ne fait que détendre les nerfs, nettoyer l'atmosphère momenta- nément alourdie et permettre à tout le monde de repartir d'un bon pied vers de nouvelles destinées sentimentales où l'amour,

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la morale et le simple plaisir trouveront également leur satisfac- tion. L'optimisme obstiné de Sacha Guitry a fait qu'il a pu tirer ses personnages d'une affaire aussi dangereusement arrangée.

Sans prendre la défense du mariage contre les fauteurs externes de trouble, ou celle de l'union libre, il aime mieux faire le procès de la « désunion libre ». Sacha Guitry, qui en était déjà alors à sa troisième femme et qui, forcément, n'étouffait pas de respect pour la sacro-sainte institution, donne au Nouveau Testa- ment, avec un maximum d'élégance et un minimum de morale, une conclusion acceptable pour tous, celle du bon ton et du bon sens.

Témoin dans cette comédie, comme dans tant d'autres, d'un moment de vie parisienne auquel est lié, chez Pauteur- acteur qui vivait, par-dessus la rampe, à la ville comme au théâtre et au théâtre comme à la ville, un fond d'aventure personnelle, Sacha Guitry s'inscrit à la fois dans la tradition d'observation légère et malicieuse qui caractérise la chronique et qu'on peut suivre de Dancourt à Lavedan et dans celle plus grave de la critique des mœurs. Depuis Molière, le juge y est aussi partie et la sensibilité de l'auteur ne peut, à travers les situations où i l est personnellement engagé, que se réfléchir sur le sujet de son observation en le surchargeant d'émotion. Le résultat est qu'un tel théâtre ne saurait être limité à un temps et à un accent.

M . Jean-Laurent Cochet prouve que, vingt ans ou même cinquante ans après qu'elle est née et morte dans le même soir éphémère de son succès, une comédie de Sacha Guitry, même si on veut la placer dans la perspective d'une nouvelle société, peut encore être vue et entendue. On condamne trop souvent précisément Sacha Guitry à n'être qu'un témoin de son temps en se bornant à l'imiter et en essayant de rendre à nos oreilles le timbre de sa voix ou la mélopée de son chant, hélas ! éteint à jamais. M . Jean-Laurent Cochet ne l'imite pas. Jouant une pièce de Sacha Guitry, c'est avec ses propres moyens d'acteur et son propre caractère d'homme. Ainsi assure-t-il à ce qui serait voué à l'oubli ou à la reconstitution archéologique, une nouvelle vie.

L a personnalité de Jean-Laurent Cochet s'imprimant sur une pièce de Sacha Guitry, c'est aussi un spectacle. Il ne faut pas le manquer.

On retrouve toujours avec le même plaisir sur la scène du Théâtre Hébertot aux côtés du chef d'entreprise ceux qui sont ses compagnons : i c i , Mlle Liliane Sorval, M . Max Fournel, Mlle Catherine Griffoni, M . Patrick Rollin, M . Jean-Claude

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Régnier. Il faut ajouter à ces noms ceux de Mlle Catherine Georges, qui ne fait qu'apparaître mais que trois répliques suffi- sent à juger, et de Mlle Christine Fabrega, nouvelle recrue de cette Nouvelle Comédie-Française des Batignolles à laquelle on ne peut, au seuil d'une nouvelle saison théâtrale, que souhaiter bonne chance et longue vie.

P H I L I P P E S E N A R T

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