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Passe, meḿoire et lustration

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Texte intégral

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LXXXIX-4 | 2018

Évolutions dans le socialisme yougoslave 1960-1990

Passe ́ , me ́ moire et lustration

Le droit dans le complexe imbroglio yougoslave

Past, Memory and Lustration : Law in the Imbroglio Yugoslavian Complex

Catherine Lutard

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/res/2319 DOI : 10.4000/res.2319

ISSN : 2117-718X Éditeur

Institut d'études slaves Édition imprimée

Date de publication : 31 décembre 2018 Pagination : 583-598

ISBN : 978-2-7204-0-558-7 ISSN : 0080-2557 Référence électronique

Catherine Lutard, « Passé, mémoire et lustration », Revue des études slaves [En ligne], LXXXIX-4 | 2018, mis en ligne le 31 décembre 2019, consulté le 14 décembre 2020. URL : http://

journals.openedition.org/res/2319 ; DOI : https://doi.org/10.4000/res.2319 Ce document a été généré automatiquement le 14 décembre 2020.

Revue des études slaves

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Passe ́ , me ́ moire et lustration

Le droit dans le complexe imbroglio yougoslave

Past, Memory and Lustration : Law in the Imbroglio Yugoslavian Complex

Catherine Lutard

Introduction

1 Opération délicate tant par ses enjeux que par ses conditions spécifiques, l’analyse du régime précédent est au cœur de la justice transitionnelle qui concerne les pays sortant de phases de dictature, mais aussi de ségrégation raciale ou de guerres. Dans les années 1990, le processus de transition des pays communistes européens se caractérise, entre autres, par la promotion de transferts de réformes judiciaires des acteurs internationaux comme les États-Unis ou l’Union européenne (Delpeuch, 2009), jusqu’à constituer un modèle normatif par excellence. Il conjugue à la fois des stratégies politiques qui dépendent des influences sociales et peuvent conduire à des abus entretenus par la mémoire officielle, mais également une « mémoire vive, souvenirs d’un passé vécu ou transmis portés par les individus » (Gensburger, Lavabre, 2005).

Inséparable de l’identité, le travail de mémoire (individuel et collectif) reste une préoccupation inhérente à cette transition. Source de conflits, l’enjeu mémoriel fait l’objet d’une compétition sans cesse réactivée (Lutard, 2011). La mémoire collective (sociale et historique) est constituée à la fois de souvenirs propres augmentés de symboles (Halbwachs, 1997). Dans une attente de réconciliation, la notion de victime peut être instrumentalisée jusqu’à produire « des abus de mémoire » (Ricœur, 2003) et mettre de côté l’individu au profit du symbole. Par exemple, les ONG qui proposent en Serbie des alternatives à des formes institutionnalisées, une recherche de vérités plurielles axée sur l’échange et l’inclusion, sans pour autant approfondir les dimensions politiques et la qualification de ces droits, ni relayer les dissonances catégorielles de l’espace victimaire (Lutard, 2018).

2 Changer le nom des rues, déboulonner les symboles communistes, etc., sont autant de décisions prises sans débats publics qui permettraient d’impulser un regard analytique

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sur le passé. Encore faut-il trouver comment approcher la « vérité » sur le communisme, ce qui comporte un caractère normatif.

3 La décommunisation comprend la restitution des biens, la condamnation des auteurs de crimes commis sous le communisme, la création d’instituts de mémoire et la lustration.

La lustration, elle, envisage d’aborder la violence institutionnalisée par le régime et prévoit la mise à l’écart des postes à responsabilités des personnes impliquées, pour anticiper les menaces qu’elles pourraient faire peser sur le nouvel État. Du latin lustratio, cette cérémonie de la Rome antique signifiait la purification : le processus a en lui une fonction cathartique. Emprunté après la chute du mur de Berlin (1989), ce concept devait représenter la « purification » des secteurs clés du pays (politique, économique, culturel, etc.) de tous ceux supposés ou réels qui auraient participé aux services secrets. Ceci évidemment ne manque pas de poser la difficile question des degrés d’implication de chacun dans les rouages du système communiste.

4 Le droit a pu être invoqué pour régler des questions qui ne sont pas de son ressort – comme l’appréciation du communisme, jugement moral ou politique questions qui occupèrent une place dans la (re)construction d’un nouvel ordre international (Corten, Delcourt, 2001). Sont visées les violations des droits de l’homme même si ceux-ci sont des principes abstraits, des « normes imprécises » (Delmas-Marty, 1994 : 8). Par conséquent, le processus de décommunisation pose la question de sa fonction politique (Gonzales, 1998).

5 La puissance 1 du droit se déploie dans des interactions mobilisant des stratégies complexes. Parce qu’il est difficile d’en établir les limites, « la lustration est la mesure de justice transitionnelle la plus controversée » (Ulla, 2013 : 619). Pour autant, si le processus est respectueux du droit, il peut avoir des effets positifs et durables sur les jeunes démocraties et leurs citoyens (Milosavljević, 2006). En effet, si le droit peut être conflictuel avec un pouvoir de transformation de la société, la société est capable d’avoir un pouvoir sur le droit.

6 Notre hypothèse de départ est que la lustration pose frontalement la question mémorielle: comment traiter ce passé et la violence institutionnalisée par le communisme ? Faut-il punir les acteurs sociaux ayant collaboré et sur quels critères, pour quelles périodes et avec quelle légitimité constitutionnelle ? Autant de questions complexes qui embarrassent le droit. En effet, il s’agit de définir le principe de justice qui régit les textes de la loi, décider comment réparer les torts, attribuer des responsabilités individuelles, avec en toile de fond savoir si l’interprétation du passé est compatible avec le droit. Nous verrons quelles sont les raisons qui poussent à l’adoption ou non de la lustration, qui sont les décideurs de ces procédures et dans quelles mesures elle peut être instrumentalisée.

7 Sur la base d’un travail empirique2, nous montrerons en quoi l’ex-Yougoslavie, par sa double particularité (période communiste, guerres), se distingue des autres pays qui sortent du communisme. Nous verrons les enjeux posés par le processus de lustration (I), puis les différentes options adoptées par les pays ex-yougoslaves (II).

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1. La lustration et le droit

1.1. Les différentes options

8 La notion de lustration nous projette vers l’exploration d’expériences protéiformes évaluant l’expérience communiste. La loi d’épuration votée à l’automne 1991 par le Parlement tchécoslovaque interdisait à tout ancien fonctionnaire membre du Parti communiste ou agent de la police secrète, d’occuper pendant cinq ans des fonctions dans l’administration. Elle s’opposait à l’époque à la « politique du gros trait », proposée par T. Mazowiecki dans sa première intervention en tant que chef du gouvernement (1989), qui consistait à séparer présent du passé par un gros trait : oublier en quelque sorte qui a fait quoi auparavant. Ce qui comptait était la loyauté actuelle des acteurs sociaux.

9 Il n’existe pas d’uniformité (Ulla, 2013), ni pour la décommunisation, ni pour la lustration puisqu’il s’agit bien souvent :

10 1) soit d’un sujet qui n’est pas abordé ouvertement au départ (en RDA, destruction des dossiers de la STASI pour accélérer le processus d’unification) ;

2) soit d’un compromis trouvé avec le retour des communistes au pouvoir (Hongrie ou Pologne au milieu des années 1990) ;

3) ou à l’inverse, la résolution des difficultés économiques rencontrées par le pays est présentée comme dépendante de la lustration (Tchécoslovaquie en1991) ;

4) soit d’une guerre des mémoires avec la délicate question de l’ouverture au public des archives secrètes de la police politique, et la désignation des personnes à lustrer. Pour exemple la Pologne (Paczkowski, 2008) : la loi sur la lustration est étendue à partir de 2007 et vise enseignants, journalistes, universitaires, élus des collectivités locales, sans pour autant approfondir le rôle ambigu joué par les citoyens polonais dans certains pogroms (comme Jedwalne en 1941 et Kielce en 1946), ou encore la collaboration des prêtres catholiques avec le pouvoir communiste : 10 % à 15 % des prêtres auraient eu des relations avec les services de sécurité (Paczowski, 2008 : 94). L’Institut de la mémoire nationale3 créé en 1998 peine aussi à appréhender objectivement la période de la Seconde Guerre mondiale.

11 Par conséquent, les modalités de la transition ont été différentes d’un pays à l’autre, allant de manifestations populaires conduisant à la démission des dirigeants communistes (Tchécoslovaquie et Albanie), jusqu’au transfert du pouvoir des élites communistes aux nouvelles élites (Hongrie), en passant par des évictions ponctuelles.

Par ailleurs, la question cruciale de la confrontation avec le passé pose des limites temporelles : l’exemple polonais interroge la période à circonscrire jusqu’à étendre la lustration à la Seconde Guerre mondiale. Pertinent, cet exemple démontre l’importance du contrôle de la mémoire nationale par le pouvoir politique, jusqu’à vouloir effacer les moments peu glorieux, jusqu’à enfreindre les valeurs de l’UE.

12 Dans tous les cas, c’est la règle du droit qui va essayer d’organiser cette transition.

13 1.2. La difficile intervention du droit

14 La fin du communisme sous-entendait de modifier le droit positif, d’adopter de nouvelles normes pour rompre avec le système juridique précédent. En raison de la participation massive, la nature du système communiste ne permet pas véritablement de délimiter une ligne de fracture nette au sein de la population. Éclairée par le

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mécanisme de la soumission4, l’adhésion au communisme indique un pouvoir complexe, avec des allers-retours et des interconnexions parmi le peuple. Dans le contexte de la violence institutionnalisée, le droit peut difficilement déterminer la responsabilité pénale individuelle. Par ailleurs, il est impossible de prouver la collaboration des citoyens puisque des dossiers ont été détruits à la fin des années 1980 dans tous les pays communistes. Sans dossier, il est impossible de prouver la responsabilité individuelle dans la violation des droits de l’homme. À ce jour, il n’y a eu aucune condamnation individuelle par la justice sous la forme d’un procès.

15 Le juriste J. Priban (Priban, 2001 : 11) rappelle que les lois de lustration peuvent être contestables car discriminatoires (exemple des collaborateurs de la police secrète).

Repérer les hauts fonctionnaires pour les évincer semble plus facile que de déterminer exactement l’implication des autres collaborateurs plus « ordinaires » et le degré de leur collaboration (ont-ils collaboré par contrainte ou par conviction). Et le juriste de rappeler qu’ « aucune loi de décommunisation ou de lustration n’est capable d’apprécier un motif moral », mais qu’en République tchèque, la loi de lustration a permis de « créer une égalité civique par la discrimination ». Par conséquent, les effets politiques de la lustration (éliminer les communistes du pouvoir) prennent le pas sur le droit dans ce processus.

16 À partir de la deuxième moitié des années 1990, non seulement à leur propre initiative mais aussi avec le soutien de l’UE, de nombreux pays se dotèrent de nouvelles lois. La résolution 1096 du Conseil de l’Europe5 concernant les mesures de démantèlement de l’héritage des anciens régimes préconisait d’éviter la vengeance et la mauvaise utilisation sociale et politique du processus. La lustration devait rester compatible avec

« un État de droit démocratique». Les pays étaient tenus de respecter deux critères, à savoir :

17 1) considérer la responsabilité individuelle (et non pas collective) ;

2) garantir la présomption d’innocence et le droit de défense. Il avait été en effet reproché de discriminer selon des convictions politiques.

18 Quant à la résolution 1481, votée en 20066, elle porte sur la « nécessité d’une condamnation internationale des crimes des régimes communistes totalitaires ». Si elle condamne les violations des droits de l’homme et invite la communauté internationale à prendre clairement position sur les crimes commis « au nom de la théorie de la lutte des classes et du principe de la dictature du prolétariat », elle déplore l’absence « d’une enquête internationale » (par. 5) qui permettrait peut-être d’apporter un regard neuf sur les régimes précédents.

19 Pour autant, il n’était pas question de se substituer aux instances nationales qui devaient s’approprier cette régulation juridique et répondre aux demandes des victimes du communisme.

20 En fonction des besoins du moment, le passé communiste est instrumentalisé par certains partis politiques, car la lustration s’applique aux fonctions électives ainsi qu’aux postes à responsabilité dans la fonction publique. Le problème des violations des droits de l’homme commises pendant la période communiste est évincé au profit de stratégies politiciennes. Avec ses variations au cas par cas en fonction de querelles politiques, le « bricolage » de chacun des pays fixe la politique mémorielle choisie.

21 Le cas yougoslave mérite d’être examiné puisque des guerres furent menées conjointement à la sortie du communisme.

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22 2. Des exemples ex-yougoslaves7

23 S’il faut se prémunir contre tout systématisme, beaucoup de faits nous incitent à ne pas négliger les particularités propres à l’exemple yougoslave. La sortie du communisme a eu lieu par des guerres civiles ou interétatiques. Cette situation particulière lui confère une double particularité juridique avec tous les enjeux de mémoire à gérer (Lutard, 2014).

24 À la mort de Tito (1980), la direction collégiale choisie par Tito lui-même, se garda de critiquer le maître disparu, et poussa même la nostalgie à clamer la continuité en scandant : “I posle Tita – Tito !” (“Et après Tito – Tito !”). Personne ne proposa de faire le bilan du titisme pour procéder à la « détitoïsation ». Et pour cause : la forte bureaucratie formant une classe sociale homogène (avec une conscience de classe commune), mais nationalement hétérogène, avait eu besoin du titisme car elle en était un produit. Grèves et manifestations qui touchaient tous les secteurs restèrent sans coordination fédérale. Sont apparus de nouveaux leaders misant sur le registre nationaliste, se gardant de critiquer le système précédent, jusqu’à empêcher une rupture avec celui-ci. Sonnant la fin du monopartisme, les élections de 1990 potentialisèrent un morcellement du pays avec des partis politiques nationalistes exclusifs représentatifs de chaque groupe ethnique, produits de luttes internes entre les différentes républiques et provinces autonomes constitutives du pays.

25 La lustration n’a pas constitué un enjeu politique prioritaire. Habitués au pouvoir, les acteurs communistes ont su se réorganiser dans les nouveaux services (y compris les services secrets), précisément parce que la Ligue des communistes (SKJ) était elle- même rongée de l’intérieur par des querelles nationalistes depuis les années 1960 (Lutard, 1997). Créés le 15 mars 1946, les services secrets yougoslaves se divisaient en deux branches : l’UDBA8 (Uprava državne bezbednosti) désignait la branche civile du contre-espionnage yougoslave et dépendait du Ministère de l’Intérieur, le KOS (Kontraobaveštajna služba) la branche militaire dépendant du Ministère de la Défense.

Ces services se réorganisèrent au sein des nouveaux États.

26 Par ailleurs, à partir de 1990, la Croatie et la Serbie ont en commun la construction d’un État autoritaire autour de deux figures charismatiques et deux partis hégémoniques : le HDZ (Hrvatska Demokratska Zajednica) parti anticommuniste et nationaliste pour la Croatie, et le SPS (Socijalistička Partija Srbije) parti socialiste ex-communiste pour la Serbie (Lutard, 1993). Cette recomposition des modes de gouvernement et de légitimité des deux États influencera non seulement les guerres à venir mais empêchera le processus de lustration de se faire. Pour d’autres raisons, le processus est inexistant en Bosnie-Herzégovine et au Monténégro. Quant à la Macédoine du nord, les tentatives de lustration resteront massivement associées à des règlements de compte politiques.

2.1. La Croatie

27 Le succès de F. Tuđman9 a permis le renforcement du nationalisme. Le leader procéda à une espèce de « lustration illégale » en éliminant les fonctionnaires serbes considérés comme des ennemis internes, mais aussi tous ceux qui s’opposaient au HDZ. En revanche, aucune procédure de lustration légale n’a été organisée, le président lui- même ayant été un haut gradé dans la hiérarchie militaire yougoslave. En 1993, une vaste campagne publicitaire « Nous mettons de l’ordre dans notre pays » promouvait une opération de sélections des « bons citoyens » (Lutard, 1993). La mise à pied de ces

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fonctionnaires consistait davantage en un nettoyage des opposants, paravent politique destiné à exclure des institutions étatiques tous ceux susceptibles de ralentir voire d’empêcher le fonctionnement du régime autoritaire.

28 Par conséquent, la fonction réconciliatrice dont la politique du leader passait pour faire la promotion s’adressait exclusivement aux Croates (excluant les minorités nationales), quelles que soient leurs anciennes allégeances politiques. C’est pourquoi d’anciens membres des services secrets se sont retrouvés avec des exilés politiques de retour voire des proches de la mouvance fascisante héritière de Pavelić. Par cette ambivalence, rappelée par le politologue Milardović (Milardović, 2007 : 96), des membres des services secrets yougoslaves côtoyaient ceux qu’ils surveillaient jadis puisqu’ennemis de la Yougoslavie titiste et soutiens du nationalisme indépendantiste croate. La responsabilité des personnes impliquées dans la violation des droits de l’homme sous le régime titiste ne constituait pas la priorité de ces réorganisations structurelles du fait de ce projet de « réconciliation de tous les Croates » (Milardović, 2007).

29 Face à cette représentation du passé devenue très polémogène, aucune loi de lustration n’a été votée par le Parlement. Cette question reste uniquement soulevée par des petits partis politiques populistes de droite (Milardović, 2007 : 102) comme le parti d’extrême droite HSP (Hrvatska Stranka Prava) qui voit ses propositions (1998 et 2006) toujours rejetées10.

30 Jusqu’à présent, aucun parti politique influent ni aucune élite croate n’ont fait valoir la violation des droits de l’homme sous le titisme, reléguant la question de la lustration à la polémique. Le parti majoritaire HDZ s’y est toujours fermement opposé précisément parce qu’une grande partie de ses membres auraient été dans le rang des accusés, à commencer par son fondateur, Tuđman.

2.2. La Bosnie-Herzégovine

31 En Bosnie-Herzégovine, aucune loi sur la lustration n’a été votée. Le monopole de l’espace politique par les partis nationalistes représentatifs des trois groupes ethniques (Croates, Serbes et Bochniaques-Musulmans) empêche un compromis sur la question du passé, de la collaboration aux services de renseignement. Comme dans les autres États ex-yougoslaves, des personnalités publiques influentes du régime titiste proches des services secrets ou de l’Armée fédérale (JNA) ont pu se reconvertir après 1990 et prêter allégeance aux nouvelles forces politiques et militaires émergentes, faisant oublier leur statut antérieur. La fragilité institutionnelle du pays a mis de côtéla question de la lustration. Sur fond de tensions ethniques, les questions de gouvernance politique ou encore économique11 que connaît le pays supplantent les réflexions mémorielles, que ce soit sur les violences de masse des années 1990 ou pendant la période communiste. Les trois groupes ethniques ne parviennent pas à proposer des programmes politiques inclusifs et continuent leur rhétorique nationaliste.

2.3. Le Monténégro

32 Le Monténégro est le seul pays qui a maintenu une continuité sans faille avec le système précédent, tout particulièrement incarnée par l’actuel Président de la République (2018), M. Đukanović12, poste qu’il avait déjà occupé (1998-2002). Celui-ci a

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rempli d’autres fonctions comme celle de Premier ministre (1991-1998 ; 2003-2006 ; 2008-2010 et 2012-2016), ou comme chef du DPS (Demokratska partija socijalista Crne Gore) fondé en 1990, héritier direct de la Ligue des Communistes du Monténégro. Même si le Parti libéral (LP) a proposé une loi sur la lustration dès l’indépendance du pays (2006), le DPS y est toujours resté fermement hostile, craignant l’éviction d’une partie de ses dirigeants.

2.4. La République de Macédoine du Nord

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33 Le cas macédonien illustre la complexité du processus lorsqu’il est appliqué. La première loi macédonienne14 est votée par le Parlement en 2008 puis une seconde en 201115 qui souhaite élargir la liste des personnes concernées. Ces lois ordonnent qu’aucune personne identifiée comme informateur des services secrets pour la période 1944-2006, ne peut assumer des charges publiques. Tous les acteurs des différents secteurs comme les universitaires, journalistes, membres de l’Académie des sciences et des arts, avocats, fonctionnaires publics, membres des institutions politiques et religieuses furent sommés de prouver qu’ils n’étaient pas des informateurs. Une commission de onze membres fut formée (2009) dirigée par T. Adžiev (avocat de formation) pour établir une liste de personnes suspectées d’avoir collaboré, liste publiée en août 2012. Cette même année, une nouvelle loi16 durcit la procédure, toujours votée sans aucune concertation avec l’opposition. Des personnes publiques furent licenciées, même si leur collaboration fut difficilement établie. La politisation des membres composant la commission, l’approximation des preuves concernant les citoyens licenciés voire les connexions entre les citoyens « lustrés » et leur critique du pouvoir en place (Trajkovski, 2017) représentent autant d’indices qui compromettent l’objectivité de ce processus. Par ailleurs, la période considérée (1944-2006) était suffisamment longue pour brouiller la visibilité du communisme et des services secrets opérant au sein de la Yougoslavie (SFRJ), puis dans la Macédoine indépendante (1991).

De nombreuses polémiques ont entouré cette commission accusée d’appliquer la loi pour écarter tous les critiques actifs du nouveau régime, ce qui a suscité des réprobations de la part de Bruxelles (2015). L’UE recommandait, entre autres, d’éviter de concevoir la loi sur la lustration comme un facteur idéologique, et conseillait d’interdire l’immixtion du parti au pouvoir dans le processus mené par la commission17. Des citoyens ont porté plainte devant la CEDH18. La loi fut déclarée caduque en 2015 par le Parlement.

3. La Serbie

34 En Serbie, il y a eu continuité de la Ligue des communistes (SKJ) avec Milošević19 (Lutard, 1998). L’opposition s’organisa davantage sur des différences de personnes que sur des programmes politiques soucieux de l’État de droit. L’absence de volonté politique pour un processus de lustration a aussi été rendue possible par une apathie populaire : au contraire d’autres pays (par ex. la Tchécoslovaquie), aucun mouvement populaire ne s’est organisé pour exiger la destitution des anciens cadres.

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3.1. Les changements de direction politique

35 Après la destitution de Milošević20 (2000), une nouvelle équipe dirigée par Z. Đinđić 21 prit le pouvoir avec comme président V. Koštunica22, leader du Parti Démocrate de Serbie (DSS), et une coalition regroupant 19 partis politiques (DOS). Alors que la lustration faisait partie des dix promesses électorales, elle disparut du calendrier politique. Rappelons que cette coalition ne partageait pas les mêmes raisons de lutter contre Milošević : certains combattaient le socialisme, d’autres le nationalisme, d’aucuns sa politique guerrière. D’ailleurs, le soutien populaire à cette coalition traduisait davantage une volonté d’amélioration des conditions de vie qu’une réelle critique de la politique autoritaire du leader déchu. Il y avait donc peu de chances que la lustration soit mise en pratique23. Lors de son adoption (2003), la Serbie traversait une période de grand trouble puisque Đinđić venait d’être assassiné. Par ailleurs, la loi ne prévoyait pas d’écarter de la vie publique les élus en poste. La lustration fut votée par le Parlement davantage pour donner plus de légitimité à la nouvelle équipe, que par volonté d’écarter les anciens alliés de Milošević.

36 Cette loi24 prévoyait la lustration pour une durée de 10 ans à partir du 23 mars 197625, date de l’entrée en vigueur du Pacte international relatif aux droits civils et politiques26. Toutefois, ni budget ni conditions de réalisation ne furent prévus. Les articles 2, 3 et 4 prévoient l’engagement de la responsabilité individuelle en cas de violation des droits de l’homme. Or, l’article 8 pose une exception à l’encadrement de responsabilité dans le cas où un citoyen a donné des informations aux services secrets ou à d’autres services de l’État. Cette clause limite toute investigation sur les citoyens soupçonnés d’avoir collaboré avec les services de renseignements.

37 Quant à la responsabilité pénale, les contours de la lustration27 restent vagues. L’article 10 énumère les fonctions concernées (parlementaires, président de la république, juges, fonctionnaires des services secrets, etc.). L’article 12 détermine les investigations sur la responsabilité individuelle, mais les modalités d’exécution de ces transgressions des droits de l’homme restent floues, sans analyse réelle de la hiérarchie des personnes visées dans les services incriminés.

38 L’article 30 recense les compétences de la commission chargée du processus (Komisija za lustraciju) à qui il appartient de statuer sur la question de la violation des droits de l’homme. Elle est un organe indépendant et autonome (art. 22), basée à Belgrade et financée par un budget spécial de l’État. Elle est composée de neuf membres : trois juges de la Haute Cour de Serbie, trois juristes, un juge du parquet, deux députés d’obédience politique différente diplômés en droit. Les articles 23, 24, 25, 26, 27 et 28 définissent les modalités d’élection et la durée du mandat. À aucun moment la loi ne mentionne la Fédération yougoslave (SFRJ) ni le régime communiste, ni les crimes ou arrestations commis en son nom.

39 Prévue pour une durée de 10 ans (art. 34), cette commission incomplète – car les membres de l’opposition ne proposèrent de candidats à aucun moment comme le prévoyait la loi – ne se rencontra que quelques fois. L’impuissance à faire fonctionner ce processus s’explique par les querelles politiciennes des partis de tous bords. C’est ce que rappelle Z. Živković28, président du Nouveau parti (NS) qu’il a créé en 2013 :

En 2003, il y eut de nombreuses obstructions de la part de l’opposition car la loi prévoyait que dans la commission pour la lustration, je ne me souviens plus exactement le nombre de membres, il fallait quelqu’un de l’opposition.

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40 Ils n’ont pas voulu nommer un des leurs, et ça a empêché pendant six mois que la commission fonctionne. Mais après les élections de décembre 2003 et la formation du nouveau gouvernement en février 2004 jusqu’en 2013, quand le délai de la loi fut expiré, alors que l’opposition était favorable à nommer quelqu’un, c’est le pouvoir qui était réticent. Donc, pratiquement pendant les 10 ans de la validité de la loi, l’obstruction à l’exercice de cette loi est venue de Koštunica et de Tadić, des radicaux, des socialistes, et tout le monde. Je comprends pour les radicaux et les socialistes, mais pour les démocrates je ne comprends pas pourquoi ils ont fait obstruction. (Entretien réalisé au siège du parti, Belgrade, 16 décembre 2014)

41 Ici, l’ancien ministre insiste sur le fait que cette loi avait le pouvoir d’effrayer les politiciens de tous bords par crainte non seulement d’être évincés, mais encore par l’ouverture des dossiers des services secrets qui les compromettraient eux-mêmes ou leurs proches. L’alternance des équipes politiques a directement affecté les difficultés d’exécution de cette loi. L’absence de dispositifs contraignant la commission à exécuter la loi, comme une astreinte prononcée à son encontre, a de facto empêché son exécution.

42 La commission fut dissoute en 2004 avec la démission de ses membres. Aucun candidat au Parlement (élections de 2004) ne fit l’objet d’une enquête proposée par la commission. À partir des recommandations européennes, il appartenait pourtant à la Serbie de mettre en place les conditions de son application. Or, la continuité après 2001 de l’élite politique et des services secrets de l’État produits par le communisme29 puis par les années Milošević, a empêché ce processus. Malgré les recommandations du Conseil de l’Europe, la lustration reste associée à des luttes politiques internes. Ce processus illustre la difficulté de la Serbie à sortir à la fois du titisme et du miloševisme, spécificité qui fait qu’il est difficile de comparer la Serbie (et l’ex-Yougoslavie en général) aux autres pays sortis du communisme à cause de ce cumul de la période communiste et de celle du pouvoir autoritaire actif dans les guerres des années 1990.

3.2. Un appareil judiciaire visé illégalement

43 Lors du second mandat du président Boris Tadić (2008-2012), la Haute Cour de Justice élue en 2009 a procédé à une lustration qui n’apparaît pas en conformité ni aux standards liés aux principes de l’État de droit, ni à la loi de lustration précédemment décrite : 837 juges et 220 procureurs furent révoqués30, soit 1/3 de l’appareil judiciaire, sans aucune audition ni notification de faits concrets prouvant l’incapacité de ces magistrats à être renommés.

44 Contestable, cette mesure a été perçue par l’appareil judiciaire comme inique, seule institution publique visée (Boljević, 2008). Si les magistrats qui avaient usé de leurs fonctions et profité de certains bénéfices politiques et violé des droits de l’homme devaient être sanctionnés, la justice ne devait pas être le seul secteur touché (Petrović- Škero : 2005).

45 Malgré le signalement de ces abus par le Conseil de l’Europe et l’UE, il faudra attendre le gouvernement d’I. Dačić (2012-2014) pour que la Cour constitutionnelle annule les décisions de 2009 et ordonne au Conseil supérieur de la magistrature la réintégration des juges « non-réélus ». Pour diminuer le risque de pressions politiques à l’encontre du pouvoir judiciaire, la stratégie nationale de réformes31 prévoit entre autres

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d’affaiblir le poids de l’Assemblée Nationale dans le processus d’élections des juges et des procureurs.

3.3. Une mémoire empe ̂ chée

46 Interroger la cohérence de la loi de 2003, c’est aussi se demander pourquoi ce vote a eu lieu 3 ans après le renversement du régime (5 octobre 2000). Cette loi venait déjà trop tard, car ces trois années avaient déjà permis aux organes (police, armée, services secrets) d’asseoir une continuité avec le régime précédent. Par conséquent, la nouvelle équipe politique a échoué dans l’affaiblissement de ses opposants (Cakić, 2008), manquant d’analyser le titisme et la politique autoritaire de Milošević.

47 L’accord passé le 30 octobre 2008 entre le DS et le SPS connu sous le nom de Déclaration de réconciliation politique32 enterra toute tentative de lustration. Le document déclarait que les deux partis aspiraient au « dépassement des conflits du passé au nom d’une réconciliation politique indispensable pour garantir un avenir meilleur pour tous les citoyens de Serbie ». De facto, la lustration devenait impossible puisque le texte rejetait

« toutes les formes d’exclusion politique » de la vie publique.

48 La société serbe est en proie à des fractures sociales importantes avec une manipulation des souffrances mémorielles qui envenime les relations inter-ethniques (Lutard, 2018). Après l’assassinat de Đinđić (2003) par le crime organisé, le nationalisme est resté une question en suspens plus ou moins ravivée par les équipes au pouvoir successives, rendant plus difficile la démocratisation rapide du pays, avec un continuum nationaliste allant des nationalistes autoritaires les plus extrêmes du SRS de V. Šešelj33 jusqu’aux nationalistes modérés. Devenu soudainement proeuropéen et s’alignant sur les politiques

49 néolibérales européennes, A. Vučić34 a mis en place un système nationaliste semi- autoritaire. Il soutient mollement la lutte contre l’impunité des criminels de guerre, autorise les pressions faites sur le tribunal local en charge des crimes de guerre (TzRZ), allant jusqu’à encourager la réintégration dans le monde politique et public des criminels jugés par le TPIY ayant purgé leur peine de prison35. Il brouille ainsi la volonté de se distancier de la politique guerrière et nationaliste des années 1990 de l’armée et de la police, ce qui n’est pas rien quand on connaît le rôle crucial de ces deux organes dans les crimes perpétrés dans ces années-là.

50 Jusqu’à présent, l’ouverture des dossiers36 des services secrets ne fait l’objet d’aucune loi du Parlement serbe. D’anciens membres de l’époque Milošević ont été conservés par l’Agence de sécurité et de renseignements (BIA) qui s’occupe de contre-espionnage et de sécurité. D’ailleurs, dans les années 2000, l’incapacité des autorités serbes à arrêter les criminels de premier rang inculpés par le TPIY prouve que les services secrets n’avaient pas réussi à exclure de leurs services les éléments loyaux des anciens régimes. Police, armée et services secrets n’ont jamais été inquiétés. Citons l’actuel ministre des Affaires étrangères, I. Dačić37.

51 À aucun moment, ni I. Dačić, ni A. Vučić n’ont pris de distances vis-à-vis de la politique menée par Milošević (le SPS a même réhabilité le défunt), et aucune mobilisation populaire ne s’est organisée dans ce sens.

(12)

Conclusion

52 La décommunisation et la lustration appartiennent au complexe processus de justice transitionnelle. Des différences importantes existent entre les pays et la condamnation formelle du communisme ne fait pas l’unanimité.

53 La violation des droits de l’homme (1945-1991) n’a jamais constitué un enjeu principal dans la reconstruction des nouveaux États yougoslaves, ni pour les forces politiques ni pour les citoyens, condamnant le passé à n’être qu’une « ressource politique » (Mayer, 2008). Faute de légitimité constitutionnelle, le droit n’a pas pu trancher la question de la collaboration, ni lui donner une place dans le temps pour éclairer le sens du communisme. Avec le temps qui s’écoule, ce processus paraît maintenant difficile à mettre en place, même si la lustration demeure inséparable de l’identité.

54 De plus, en Serbie la division des citoyens sur l’autoritarisme de Milošević empêche un regard critique porté sur ce passé. La consécration d’une légalité supranationale avec les changements imposés par la construction européenne et le rôle des droits de l’homme relayé par les ONG (Lutard, 2018) implique un usage politique du droit qui se soumet aux exigences internationales.

55 La superposition du titisme (1945-1990) puis des guerres, complexifie le rapport que peuvent avoir les acteurs sociaux avec les atteintes aux droits de l’homme sous le titisme, jusqu’à ne laisser émerger que les crimes des années 1990. Autrement dit, le traitement judiciaire des crimes de guerre a pris le dessus sur la judiciarisation de la période communiste, sans pour autant déboucher sur un examen critique de la politique guerrière nationaliste.

56 On peut enfin se demander si les différents processus de lustration mis en place (ou non) en Europe ne visaient pas davantage le partage du pouvoir politique, que la question de la vérité historique. Cela expliquerait l’écart entre les motivations juridiques des lois de lustration et les besoins sociaux dans la consolidation des pouvoirs démocratiques. Ce qui apparaît dès lors central, c’est que l’analyse scientifique des faits passés contribue à éclairer le sens de la mémoire nationale de chaque État par des événements qui « demandent à être dits, racontés, compris » (Ricœur, 2003 : 648).

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(14)

NOTES

1. La puissance représente « toute chance de faire triompher au sein d’une relation sociale, sa propre volonté, même contre des résistances ; peu importe sur quoi repose cette chance. » (Weber, 1995 : 95).

2. Cette recherche porte sur la justice post-conflit (sortie du communisme et sortie des violences de masse), le pouvoir du droit, la création des normes de justice, la mémoire des conflits.

3. Portée par le parti nationaliste Droit et justice, le Sénat polonais a voté le 1er février 2018 une loi punissant par des peines de prison ou des amendes tous ceux qui attribueraient à la nation ou à l’État polonais des crimes commis contre les juifs pendant le Seconde Guerre mondiale. Cette remise en cause radicale de la complicité de nombreux Polonais dans la persécution des juifs s’inscrit dans une réécriture de l’Histoire et attaque frontalement la liberté des chercheurs qui travaillent sur ces événements. Cela conduit également à interdire l’apprentissage du sujet à l’école et empêche l’émergence d’une mémoire nationale incluant des actes répréhensibles.

4. La Boétie (La Boétie, 1983) analysa la servitude du plus grand nombre, se demandant pourquoi on se soumet, pourquoi les peuples acceptent de subir l’esclavage sans rien dire. Il décrit une espèce d’habitude de la soumission, tout en décortiquant à la fois les actions des tyrans et les multiples intermédiaires entre les sujets et le tyran, mais aussi celles des individus eux-mêmes, rompant avec l’explication d’une société emprisonnée sous le joug du seul tyran. Question véritablement moderne qui révèle la complexité du pouvoir et fissure déjà, à l’époque, l’image d’un pouvoir pyramidal qui a été utilisée par la suite pour expliquer le communisme (le tyran face au peuple impuissant). C’est donc d’un peuple agissant qui s’est laissé « abêtir » par les tyrans et se complait dans cette habitude, dont il parle. Le pouvoir politique est légitimé par l’ensemble de la population par conformisme, tout en prenant conscience de son état de servilité. L’autoritarisme ne peut fonctionner sans l’aval des gouvernés car un chef en cache dix autres qui eux-mêmes en cachent cent, etc.

5. Résolution 1096 votée en 1996. assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-FR.asp?

fileid=16507

6. assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-FR.asp?fileid=17403&lang=FR 7. Faute de place, je n’aborderai ni le cas du Kosovo, ni celui de la Slovénie.

8. Après la destitution de son chef A. Ranković (1966), elle prendra le nom de SDB (Služba Državne Bezbednosti).

9. F. Tuđman (1922-1999) fut président de la Croatie jusqu’à sa mort, menant d’une main de fer le HDZ. Communiste et général de l’Armée yougoslave (JNA), il quitta ses fonctions en 1961 pour se rapprocher du mouvement nationaliste croate à l’origine du mouvement Maspokret (1971). Ce dernier n’est en aucun cas comparable au printemps tchécoslovaque (1968) : il ne s’agit ni des mêmes acteurs, ni des mêmes enjeux. Au départ critique du communisme, il va rapidement être repris par des éléments nationalistes, séparatistes et anti-communistes, mais aussi par des activistes nostalgiques du leader fasciste Pavelić (1941-1945). En 1989, Tuđman publiera un ouvrage révisioniste, voire négationiste avec des passages antisémites (Bespuća povijesne zbiljnosti).

10. Ces propositions s’appuient sur les résolutions du Conseil de l’Europe (Résolutions 1096 et 1481), excluent la période de la Seconde Guerre mondiale et concernent uniquement la Yougoslavie communiste (1945-1990) : Prijedlog deklaracije o osudi totalitarnog komunističkog režima (Hrvatski državni sabor, Zastupnički dom[1]. Odbor za ustav, Poslovnik i politički sustav.

Kl.: 004-01/98-04/01; Urbroj : 62-98-41; Zagreb, 11/02/1998.) ; Prijedlog Deklaracije o osudi zločina počinjenih tijekom totalitarnog komunističkog poretka u Hrvatskoj 1945.-1990. godine, Hrvatski Sabor Klub Hrvatske stranke prava i Prof. S. Letica, neovisni zastupnik Zagreb, 8/03/2006.

(15)

11. En 2017, le taux de chômage était de 20,5 %. La fragilité économique du pays explique en partie le départ massif de la population : entre 2013 et 2017, plus de 150 000 personnes ont quitté

la Bosnie-Herzégovine vers l’UE.

12. Né en 1962, véritable autocrate adepte du clientélisme, Đukanović a toujours su s’adapter et gravir les échelons de la SKJ. Au gouvernement depuis 1992, il a assuré la continuité du régime titiste. Il soutiendra les positions nationalistes guerrières serbes durant les guerres en Croatie et en Bosnie-Herzégovine, mais aussi le référendum (1992) pour le maintien du Monténégro dans une fédération yougoslave (RFY) réduite à la Serbie et au Monténégro. Après avoir critiqué l’homme fort de Belgrade, il se présentera (octobre 1997) contre son ami communiste M.

Bulatović et remportera la présidence du Monténégro. Il épousera ensuite la cause d’un Monténégro indépendant (2006), celle de ses adversaires d’hier.

13. Dénomination approuvée par le référendum du 30 septembre 2018.

14.Закон за определување дополнителен услов за вршење јавна функција, Службен весник на Република Македонија бр. 14/2008. En 2009 elle change de nom : Закон за измена и дополнување на Законот за определување дополнителен услов за вршење јавна функција, Службен весник на Република Македонија бр. 64/2009 et sera modifie◌́e en 2010.

15. Службен весник на Република Македонија, бр. 24/2011.

16.Закон за определување на услов за ограничување на вршење на јавна функција, пристап на документите и објавување на соработката со органите на дравната безбедност, Службен весник на Република Македонија, бр 86/2012.

17. ec.europa.eu/neighbourhood-enlargement/sites/near/files/news_corner/news/news-files/

20150619_urgent_reform_priorities.pdf

18. Pour exemple, l’Ancien juge de la Cour constitutionnelle, déclaré en 2010 collaborateur, avait été privé de toute fonction publique pour une durée de cinq ans, au motif de son interrogatoire en 1964 par la police secrète à propos d’éventuelles implications dans des manifestations nationalistes. La CEDH a rendu un arrêt concluant une absence d’audition juste et la violation de la vie privée du plaignant (Ivanovski v. the former Yugoslav Republic of Macedonia – 29908/11 Judgment 21.1.2016 [Section I]).

19. Président de la Serbie (1990-2000), Milošević (1941-2006) a gravi les échelons de la SKJ, puis fondé le Parti socialiste en 1989 (SPS). Il est livré à l’ONU par le gouvernement serbe pour être jugé par le TPIY, procès interrompu par sa mort.

20. Au TPIY, Milošević ne fut pas poursuivi en tant que leader communiste. Il fut accusé de génocide, crimes contre l’humanité, infractions graves aux conventions de Genève et violations des lois ou coutumes de la guerre. « Kosovo, Croatie et Bosnie » (IT-02-52) icty.org/fr/cases/

party/738/4

21. Né en 1952, Đinđić fut un opposant actif à Milošević. Brièvement maire de Belgrade (1997), il joua un rôle central dans la révolte du 5 octobre 2000 qui destitua Milošević. Lorsqu’il occupa le poste de premier ministre (2001-2003), Đinđić, avait un temps pensé qu’il était préférable que Milošević soit jugé en Serbie. Jugeant le système judiciaire serbe incapable de mener ce procès, il a alors décidé de le livrer au TPIY, décision qui a sans doute signé son arrêt de mort : il fut assassiné le 12 mars 2003. Les procédures de justice en cours à Belgrade peinent à inculper les véritables commanditaires de cet assassinat.

22. Juriste né en 1944, Koštunica s’est fait connaître au début des années 1970 pour ses critiques de la nouvelle Constitution (1974). Membre du Parti démocrate (DS, 1990-1992), il crée (1992) le Parti démocrate de Serbie (DSS) qu’il dirigera jusqu’en 2014. Il fut président de la République de Serbie (2000-2003), puis Premier ministre (2004-2008).

23. L’ouverture des dossiers secrets fut validée par un décret (2001) permettant aux citoyens de consulter leur dossier. Seulement 380 personnes ont pu y accéder et le décret fut rapidement annulé par la Cour constitutionnelle, estimant que seule une loi pouvait autoriser ce processus.

(16)

(Je remercie Bogoljub Milosavljević, professeur de droit à la Faculté de Belgrade, pour ces précieux renseignements).

24. Zakon o odgovornosti za kršenje ljudskih prava, Službeni glasnik RS, br. 58/2003 i 61/2003 – ispr.

25. Закон o ратификацији међународног пакта о Грађанским и политичким правима, Службени лист СФРЈ, бр. 7/71.

26. « Adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l’adhésion par l’Assemblée générale dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16/12/1966, Entrée en vigueur : le 23/03/1976, conformément aux dispositions de l’article 49 ». ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/CCPR.aspx

27. Le terme n’apparaît explicitement qu’à partir de l’article 10.

28. Živković fut actif dans la mobilisation en 2000 contre Milošević. Il occupa le poste de ministre de l’Intérieur (2001-2003), puis celui de Premier ministre (2003-2004) juste après l’assassinat de Đinđić (12 mars 2003).

29. Pour autant, cette particularité dépasse les frontières de la Serbie puisque d’anciens communistes sont au pouvoir ou l’ont été récemment en République tchèque (M. Zeman), slovaque (R. Fico), Lituanie (D. Grybauskaite), Bulgarie (B.Borisov), etc. Autrement dit, tous les anciens pays communistes y compris l’ex-URSS comptent parmi leur élite politique d’anciens membres de la nomenklatura communiste.

30. Службени гласник РС, број 116/08 и 58/2009.

31. La réforme du système judicaire dans les négociations avec l’UE (2013-2018) concerne le chap.

23 de l’acquis communautaire (« Appareil judiciaire et droits fondamentaux ») et le chap. 24 (« Justice, liberté et sécurité »). Национална стратегија реформе правосуђа правосуђа за 2013-2018, Службеном гласнику Републике Србије, број 3, 2013.

32. pescanik.net/deklaracija-o-pomirenju-ds-i-sps/

33. Libéré par le TPIY, V. Šešelj reste très présent sur la scène politique serbe. Il a été élu député en 2016.

34. Néen 1970, Vučić devient en 1993 membre du Parti radical serbe (SRS) dirigé par Šešelj, y occupant les fonctions de secrétaire général. Ministre de l’Information (1998-2000), il restera fidèle au SRS jusqu’en 2008, puis suivra T. Nikolić pour rejoindre le Parti progressiste serbe (SNS).

Député au Parlement (2004-2008), puis ministre de la Défense (2012-2014), il deviendra Premier ministre (2014-2017), puis Président de la Serbie (2017).

35. Le 30 octobre 2017, l’UE a toutefois condamné (verbalement) la décision serbe d’engager comme professeur à l’Académie Militaire serbe le général V. Lazarević, reconnu coupable (2009) par le TPIY et condamné à 14 ans de prison (libération anticipée en 2015).

36.Le SPO, dirigé par V. Drašković, est le seul parti politique à revendiquer la lustration et l’ouverture des dossiers, estimant qu’en Serbie les communistes accaparent toujours le pouvoir.

Mais l’ouverture des dossiers ne pourra jamais être exhaustive, puisque de nombreux dossiers ont disparu après l’éviction du directeur de la police politique, A. Ranković (1966). (Milosavljević, 2006).

37. Né en 1966, I. Dačić fut le porte-parole du SPS de 1992 jusqu’à la destitution de Milošević (2000), date à laquelle il devient co-ministre de l’Information. Resté fidèle au SPS, il le dirige depuis la mort de Milošević (2006). Élu député à l’Assemblée nationale (1992-2004), il occupe les fonctions de Ministre de l’intérieur (2008-2014), puis devient ministre des Affaires étrangères.

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RÉSUMÉS

La procédure de lustration appartient au processus de transition des pays communistes et le travail de mémoire en constitue une préoccupation prépondérante. Le droit a pu être invoqué pour régler des questions qui ne sont pas de son ressort comme l’appréciation du communisme (jugement moral). Contrairement aux autres pays européens anciennement communistes, l’ex- Yougoslavie est atypique car les nouveaux pays ont dû faire face non seulement à la sortie du communisme mais aussi à la sortie des guerres. L’article interroge lesenjeux posés par le processus de lustration.

The lustration process is linked to the transition process in communist countries, in which the concern of remembrance is found. Law has been invoked to solve non-juridical questions such as evaluation of communism (moral judgement). Unlike other European ex-communists countries, former Yugoslavia is atypical because the new countries have had to face not only the end of communism but also the exit from wars. This article examines the issues raised by the process of lustration.

AUTEUR

CATHERINE LUTARD

Dynamiques européennes – UMR 7367 – MISHA Sciences Po Saint-Germain-en-Laye

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