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LA CONQUÊTE NORMANDE

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Academic year: 2022

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LA CONQUÊTE NORMANDE

Il est instructif Ce récent croquis qui, ôppdààiit la superficie de l'Afrique à celle de l'ÈUrope occidentale, nôUs montre l'exiguïté de cette dernière pair rapport â l'immensité du continent rtoif, le

plus nouveau des cinq continents, puisqu'il vient à peine, ioin derrière les quatre autres, de prendre conscience de lui-même, en ses très jeunes Ëtats.

De même, l'Europe occidentale ne peut être considérée que

comme minuscule si on la compare à l'Asie, et chacun Sait qu'elle n'en est qu'une presqu'île, selon la définition d'un illustre penseur.

Définition non seulement géographique, mais qui, devant l'aug- fflénfâtion terrifiante des populations Chinoises et indiennes, à pris

un caractère démographique.

Jouxtant cette presqu'île, après lui avoir appartenu jadis, — puisqu'elle n'en a été que peu à peu séparée par l'action de la mer forçant un chenal au travers dés couches crayeuses, s'ancre une fie de faibles proportions, en forme de triangle effilé, dont là pointe se perd parmi les érosions et les brumes boréales.

Devant ce tableau, nous constaterons que si l'Europe est di- minutive par rapport à l'Afrique et à l'Asie, l'Angleterre est, elle- même, diminutive à l'égard de l'Europe. Procédant du plus grand au plus petit et compte tenu des évidences historiques, nous pouvons en conclure que l'importance politique et sociale dès territoires ainsi considérés a été en raison inverse de leurs dimen- sions. Pas de commune mesure entre leurs superficies respectives et leur stature mondiale. Ainsi en est=ii, et singulièrement, pour

l'Angleterre si l'on se penche sur son développement depuis une date qui est la plus mémorable dé SOU histoire, c'est-à-dire celle de la conquête normande, dont ïê nëUviëffle Centenaire est célébré cette année.

C'est, en effet, le 20 septembre 1066, que Guillaume, longtemps contrarié par les vents, abordait à Pevensey. trois semaines plus

LA REVUE N° 1 1

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tard, près de Hastings, il livrait la bataille décisive qui lui ouvri- rait le cœur de l'Angleterre, c'est-à-dire le royaume d'Angleterre tel qu'il se comportait alors.

Ore tn'iert avis en m'undormant Cun arbre eissoir de met si grant Si long, si dreit, si merveillos, Qu'au ciel atteignait ci sor nos Sun umbre, dunt sui effreie, Aumbront tote Normandie

E mer et la grant terre englaise. (1)

Le rêve d'Ariette Foubert, la fille du tanneur de Falaise, allait se réaliser. Son fils Guillaume, le bâtard de Robert le Diable, était le cousin d'Edouard le Confesseur, — Emma, la sœur de Richard Sans Peur, quatrième duc de Normandie, ayant épousé Ethelred II l'Indolent. De par cette parenté, Guillaume avait des titres à la Couronne anglaise. De fait, lors d'une visite qu'il avait rendue au souverain anglais en 1052, cette Couronne lui avait été promise.

Edouard étant mort, Harold vaincu, Guillaume s'implanterait sur le sol anglais.

Certes, l'Angleterre, beaucoup plus tôt, avait été atteinte par les extrêmes tentacules de Rome, et, durant quatre siècles, elle avait été piétinée par ses légions. Les soldats du soleil s'étaient enfoncés jusqu'aux brumes de la Clyde, y élevant le mur d'An- tonin et le mur de Sévère, pour défendre des Pietés le terrain gagné. Mais Rome n'avait pas réussi à imprimer sur l'île le sceau impérial, de manière aussi lourde qu'en Gaule. Et puis, un jour, Rome elle-même étant menacée par les Francs, ses légions avaient été rappelées. Elles ne laisseraient derrière elles que de faibles traces de leur occupation.

Il n'allait pas en être de même avec Guillaume, surnommé, à juste titre, le Conquérant. D'emblée, dès la Noël de 1066, Guil- laume se fait sacrer roi d'Angleterre dans la première abbaye de Westminster, celle d'Edouard le Confesseur. Il confisque les biens des notables et donne à chacun de ses fidèles « a land in fee and

(1) Or je rêvai qu'en m'endormant Un arbre jaillissait de moi si grand Si haut, si droit, si merveilleux, Qu'au ciel il atteignait et que sur nous Son ombre, dont je fus effrayée, Adombrait toute la Normandie Et la mer et la grande terre anglaise.

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a fair saxon » : une terre en fief et une belle saxonne. Il trouve, en Angleterre, un embryon de féodalité qu'il s'empresse de dévelop- per et de modeler à sa guise. C'est ainsi qu'il sème ses barons dans les différentes parties du royaume conquis, de façon à empêcher de trop grandes concentrations de puissance. Le Domesday Book, que l'on peut feuilleter encore, d'un doigt révérentiel, au Record Office, les Archives anglaises, est le recensement, à objet fiscal, des terres tenues par ses féaux, sur lesquels il conserve le domaine éminent. Ses « knights », ses chevaliers, ses écuyers sont les

« esquires », les « squires », si longtemps et encore l'armature des comtés anglais.

Il s'appuie sur un haut clergé importé qu'il tient en laisse, et, bien qu'il se fût rapproché du Saint-Siège avant de partir en guerre, il s'en détache sans vergogne, une fois dans la place et fait preuve d'une indépendance que Henri VIII rappellera plus tard, lors de la Réforme. Guillaume bâtit des châteaux imprena- bles, la Tour de Londres, celle de Windsor, le donjon de Douvres.

Il entreprend la construction de la cathédrale de Cantorbéry, la pri- matiale d'Angleterre. Des plans sont préparés pour Salisbury, York et Wells. Il multiplie les monastères, centres de savoir, pépi- nières de clercs. Il impose à ses sujets le Coutumier et l'Echiquier de Normandie. Les Tribunaux doivent statuer en langue française, dans le français de Normandie, les avocats étant entendus dans cette langue. C'est seulement de nos jours que le vocabulaire juri- dique anglais perd peu à peu, parmi tant d'autres, des expressions savoureuses comme « feme coverte » pour femme mariée, « feme sole » pour célibataire, qui l'ont si longtemps panaché. En 1450 c'est encore en français de Normandie que le savant Littleton écrit son Traité de Droit foncier. Tout ce qui touche à l'entourage royal, les hautes classes, s'expriment en français, cependant que le peuple sous-jacent garde sa personnalité et son parler, si bien que nous pouvons constater, à ce jour, une curieuse dualité dans le vocabulaire d'Outre-Manche, riche de ces doubles racines. En saxon, un bœuf est un « ox », un mouton un « sheep », un porc un

« pig ». Pourquoi entendons-nous les anglais dire « beef » comme dans « roastbeef », « mutton », « pork » ? C'est que les barons normands assis à leur table de chêne, la frappant, en maîtres, du manche de corne de leurs couteaux, réclamaient du bœuf, du mouton, du porc à leurs serviteurs anglais qui prirent ainsi l'ha- bitude de placer sous le vocable français les viandes prêtes à être consommées, cependant que, dans les campagnes, couraient tou- jours les animaux, sous leur état-civil anglais.

Ces brefs éléments montrent jusqu'à quel point l'implantation des conquérants avait été profonde. Profonde certes, mais le

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peuple d'Angleterre d'alors était déjà celui que Winston Churchill, plus tard, appellerait à la lutte en cas d'invasion, « derrière cha- que haie, derrière chaque buisson ». Au bout de deux siècles d'op- pression, au reste traversés p a r la célèbre bataille de Tinchebray, où les Saxons commandés par Henri Ier, défirent Robert, duc de Normandie, il allait, ce peuple, profitant des circonstances relever fièrement la tête et s'efforcer de revenir à ses anciens usages, à ses particulières notions politiques et sociales, à ses assemblées.

Dans ses fibres, il se sentait obscurément l'ennemi du pouvoir absolu et, conséquemment, l'ami des libertés.

Néanmoins, le peuple anglais ne pourrait effacer l'œuvre nor- mande : il devrait s'accommoder de ses parties indestructibles ou simplement utiles, cependant que l'envahisseur se fondrait avec les insulaires. Car, c'est le sol qui, le plus souvent, finit par marquer celui qui l'a conquis. En Angleterre, après cent cinquante années d'occupation et d'administration, les Normands s'étaient entés sur les Anglais, une fusion s'était, de fait, réalisée entre l'oc- cupant et l'occupé, l'envahisseur et l'indigène, fusion qui, malgré

de longues contraintes, allait libérer des fruits inattendus, avoir des conséquences rares.

Comment est-il possible, en vérité, sans introduire le fait de la conquête, d'expliquer, p a r exemple, l'éclosion de cette Magna Car ta de 1215, cahier de revendications et de doléances que le roi Jean dut accepter sur le champ à jamais célèbre de Runnymede, près de Windsor, sous la pesée conjuguée de ses barons, du clergé et des bourgs, si l'on ne se souvient que ces trois ordres conte- naient des éléments normands ? La Grande Charte n'est-elle pas signée de maints et authentiques noms normands ? Parmi ces noms, nous retrouvons ceux de Philippe d'Aubigny, de Thomas Basset, du comte de Salisbury, qui est un Talbot, du comte de Pembroke qui est un Le Maréchal, de Guillaume comte d'Arundel (Hirondelle), de Stephen (Stéphane), de l'archevêque de Cantor- béry, de Hughes, évêque de Lincoln (Nicolas) et autres « loyaux sujets ».

Cette Grande Charte est donc, à nos yeux, le témoignage d'un effort combiné anglo-normand. Si la plupart de ses clauses sont, aujourd'hui, lettre morte, il n'en reste pas moins qu'elle a projeté, sur le monde moderne, deux articles fondamentaux, exceptionnels, qui sont comme deux lumières dans u n ensemble touffu, à savoir : l'article 39 qui dit :

« Aucun homme libre ne sera arrêté, emprisonné, privé de sa terre, mis hors la loi ou banni, ou de quelque manière molesté, et Nous ne l'entreprendrons ni ne le ferons poursuivre, si ce n'est de par le juge- ment de ses pairs et selon la loi de ce Royaume ».

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et l'article 40 qui est ainsi conçu :

« A quiconque ne vendrons, ni ne dénierons son droit ou la justice, et, pour iceux, nous ne ferons point attendre ».

Deux propositions, deux prodromes qui peuvent être qualifiés de prophétiques, si l'on ne perd pas de vue leur date : le début du XIII8 siècle. Ces articles sont fondus en un seul dans la Charte remaniée en 1233, cependant que la Confirmatio Cartarum récapitule et scelle tous les instruments antérieurs. L'Angleterre, dès lors, championne la liberté et la justice; elle est l'initia- trice d'une lutte, non encore achevée, qui se déroulera au cours des âges, avec des hauts et des bas, la lutte pour la liberté, les libertés.

Or, comment se fait-il que ce petit pays, ce point géographique presque à l'écart du monde d'alors, fasse ainsi figure de précur- seur ? Comment s'est-il trouvé à la pointe du combat ? Par quel processus, si précoce par rapport aux autres peuples, a-t-il pu être, dès 1215, le berceau de textes aussi extraordinaires, gonflés d'une telle substance, sans parallèle continental ?

De grands savants, des sociologues tels que Durkheim et Duguit, ont émis l'opinion qu'il pourrait s'agir là d'un « cas de conscience collective s'imposant à l'Etat, l'homme étant doué d'un sens de la solidarité, car c'est dans les entrailles de la société que le droit s'élabore ». Nous ne nous rallierons pas à une hypothèse aussi nébuleuse ; nous oserons penser que la Grande Charte est née de la conjonction anglo-normande, de la combinaison de deux génies différents, mais capables de copulation, les Anglais apportant ces valeurs propres dont, du fait de leur esprit analytique, ils ne pouvaient être les théoriciens mais que leur esprit pratique avait déjà su appliquer, cependant que l'esprit synthétique et juriste des normands trouverait ces formules qui cristalliseraient les aspira- tions nationales. C'est que Guillaume avait près de lui, des hom- mes éminents, de haute culture, hommes de sapience et de prud' homie, capables d'élaborer des textes, chez qui restaient des traces, non sans importance, et qu'il faut relever, de leur ascendance Scandinave, — curieux hommes à l'esprit délié, comme on peut encore le constater chez leurs descendants, capables de se mesurer, de surcroît, avec les casuistes et les talmudistes auxquels ils sem- blent s'apparenter par quelque cousinage.

La Grande Charte avait bien été rédigée en latin, parce que le latin, plus précis que l'anglais ou le français de l'époque, était le truchement préféré des clercs, l'expression des contrats solennels, mais ce latin le cédera bientôt à la langue vulgaire.

On pourrait, en somme, comparer les articles 39 et 40 de la

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Grande Charte, si gros d'avenir, à une ouverture wagnérienne, aux leit-motive annonciateurs, car ils vont se développer, peu à peu, par puissantes orchestrations qui en épanouiront la portée. Avec le temps, ils se sublimeront en cette monumentale construction de « l'Habeas Corpus », qui est, non pas comme on le croit trop souvent, un assemblage de lois, mais un ingénieux système procé- dural et de jurisprudence par lequel, en pays britannique, la li- berté est assurée. Est-elle menacée ? Le citoyen aura, à sa portée, la sonnette d'alarme de 1' « Habeas Corpus », toujours perfec- tionné, en perpétuel devenir, tant que la paix régnera dans le royaume, à moins que l'état de guerre ne le suspende. C'est ainsi qu'au XVIII" siècle, un planteur anglais ayant voulu maintenir en servitude un nègre qu'il avait ramené d'Afrique, ce dernier s'adressera à la justice, invoquant 1' « Habeas Corpus ». La sen- tence de lord Mansfield, ornement du siège anglais, fut que, l'escla- vage n'existant pas dans le royaume ; l'homme était libre : « the black is jree ». Mais n'oublions pas que, dès avant le XVIIP siècle, le peuple anglais, se dressant contre l'arbitraire des Stuart, tirait de la Grande Charte déjà amplifiée, des conséquences incalcu- lables et nous ne citerons que pour mémoire la Pétition des Droits et ce Bill des Droits dont lord Chatham, le père de Pitt, disait qu'il était, avec la grande Charte, « la Bible de la Constitution britan- nique », — ce Bill des Droits qui était voté par le Parlement de Westminster à l'époque même où l'Edit de Nantes était révoqué.

Il arriva un jour, enfin, où, malgré la difficulté des commu- nications entre la France et l'Angleterre, malgré l'obscurité et la dispersion des textes insulaires, la résonance d'institutions aussi originales gagna le Continent et provoqua la curiosité de nos esprits les plus éclairés, impatients de l'absolutisme auquel ils étaient soumis. C'est Montesquieu, si même il ne les a pas com- plètement saisies, puisqu'il croyait la constitution anglaise basée sur une complète séparation des pouvoirs, qui, l'un des premiers, s'intéressera aux institutions d'Outre-Manche. Sa mère était anglo- gasconne, il avait été le familier du duc de Berwick, de lord Walde- grave, il avait passé trois ans en Angleterre, l'hôte de lord Chester- field, — trois années d'études et d'investigations qui se réfléchis- sent, comme on le sait, dans ses œuvres.

C'est Voltaire qui, fuyant la lettre de cachet, éprouvant, de surcroît, l'attirance des institutions voisines, passera le détroit.

Il apprend l'anglais, — assez bien pour faire des épigrammes dans cette langue, — et cet ami de la justice, le défenseur du chevalier

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de La Barre et des Calas, fait la découverte de 1' « Habeas Corpus » dont il devine qu'il est « le boulevard de la liberté ».

C'est Mirabeau qui, à son tour, fait à Londres la précieuse connaissance de Sir Samuel Romilly, d'origine huguenote. C'est des conseils de ce personnage, le plus grand civiliste de son temps, qui fut plus tard associé aux derniers espoirs de Napoléon avant Sainte-Hélène, que Mirabeau allait bénéficier pour tenter des réformes que sa mort empêcha.

C'est dans le même temps que des juristes français essaieront de transposer en ce pays, au reste sans grand succès, il faut le dire, le jury, les tribunaux instructeurs, les « justices of the peace » et ces garanties dont on retrouve les traces dans le Code d'Ins- truction Criminelle de 1808.

En 1789, l'Assemblée Constituante votait la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, dont beaucoup croient qu'elle est sortie toute armée du cerveau des hommes de la Révolution.

De fait, la Constituante s'est inspirée de la Déclaration des Droits dressée en 1776, par les représentants américains. Or, c'est aux sources anglaises que ces représentants avaient eux-mêmes, en grande partie, puisé, y compris le fameux « Instrument of Govern- ment » de Cromwell, par lequel le Protecteur avait essayé d'établir en Angleterre une nette séparation des pouvoirs. Et ce détour s'explique par le fait que le Congrès américain ayant mis en clair et en quelque sorte codifié le magnifique bric-à-brac de la Grande Charte, des dispositions législatives qui la suivirent et d'une juris prudence aussi chaotique que séculaire, il était beaucoup plus facile, pour les Français, d'assimiler les « condensés » d'Outre- Atlantique que de fouiller le magasin anglais. Il n'en reste pas moins que si l'on veut rechercher comment est née la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen qui a tant retenti de par le monde, du fait de la puissance de diffusion de la langue fran- çaise, il faut remonter, que ce soit directement ou par personne interposée, à 1215, à la Grande Charte et à ses deux articles et retourner au champ de Runnymede : là vous trouverez le griffon, le flux initial, combien puissant, qui s'est propagé à l'infini.

Les articles 39 et 40 de la Grande Charte, perfectionnés, culti- vés, développés au cours des âgés par l'effort anglais sont donc bien les « fons et origo » de la liberté, du parlementarisme, des institutions démocratiques, le tronc dont les rameaux « adom- brent » aujourd'hui non seulement cette terre anglaise qu'Ariette voyait dans son rêve, mais encore l'Univers.

Et puisque la Grande Charte, les concepts dont elle était grosse, constituent, à notre sens, le plus prodigieux enfantement de la conquête des Normands, nous croyons bon de rappeler cette par-

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ticipation à l'heure où le neuvième centenaire de leur historique descente en Angleterre est célébré.

Qu'il y ait eu de grands coups d'épée et des fracas d'armures sur le champ de Hastings, que Harold ait été tué, l'Angleterre fou- lée, que la tapisserie de Bayeux, dont la fin si précieuse manque, nous défoule, comme une anticipation; cinématographique, les hauts faits d'armes de Guillaume, cela est bien digne de com- mémoration.

Mais il est opportun de remonter aux causes, en attribuant, pour partie tout au moins, à cette conquête, des mérites politi- ques, juridiques et sociaux de première grandeur dont les bien- faits n'ont pas encore atteint leur point culminant, puisque tant de peuples les attendent encore.

Reste une dernière observation. Si, comme on vient de le voir, la conquête de l'Angleterre par les Normands n'a pas été sans avantages, il n'en est pas moins vrai qu'en créant une vocation anglaise à de nombreux fiefs français, elle fut la cause principale de la guerre de Cent Ans.

Si Henry II, fils de Geoffroy Plantagenet, né au Mans, mort à Chinon, tenait le royaume d'Angleterre et le duché de Normandie de sa mère, la reine Mathilde, veuve et héritière de Henry I "

Beauclerc, il tenait de son père, comme les illustres tombes de l'abbaye de Fontevrault l'attestent, l'Anjou, le Maine et le Poitou.

Cependant que son épouse, Eléonore, lui avait, en mariage, ap- porté l'Aquitaine. Mais ces vastes possessions, Henry II ne les tenait pas au même titre. En Angleterre, il était le roi, le suzerain, tandis qu'en France, le roi de France ne le considérait que comme un vassal, lequel, selon le droit féodal, devait rendre hommage à son suzerain français. Henry II et ses successeurs se refusant à cet hommage, les conflits devenaient inévitables.

Plus tard, Edouard III, petit-fils, par sa mère, de Philippe le Bel, revendiquait le trône de France contre son cousin, Philippe de Valois, et des guerres commencèrent, préludant à la guerre de Cent Ans. Plus tard encore, Henry V, le vainqueur d'Azincourt, épousait Catherine de France qu'il faisait sacrer à Londres, et s'emparait de la régence française. Plus tard encore, Henry VI était couronné roi de France à Notre-Dame et ce couronnement allait désormais permettre aux souverains anglais de se parer du titre de roi de France, titre qu'ils conservèrent, bien que désuet, durant les siècles à venir, ainsi qu'en témoignent leurs

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monnaies et leurs médailles. Puis voici Jeanne d'Arc et les Anglais sont boutés hors de France.

A l'heure qu'il est, les seuls témoins des sanglantes querelles et des prétentions du passé restent les Iles Anglo-Normandes.

Bien qu'aussi proches de nos côtes que Ré ou Belle-Isle, elles sont encore dans la mouvance anglaise et la présente reine du Royaume-Uni règne sur elles, au titre de duchesse de Normandie.

Enfin, il n'est pas interdit de penser que le souvenir de ces séculaires étreintes anglo-françaises illumina le cerveau de Wins- ton Churchill, lors de la débâcle de 1940, à quel moment, on s'en

souvient, il proposa, en désespoir de cause, une fusion de nos deux nations, pour le meilleur ou pour le pire.

JEAN DUHAMEL

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